Avant d'en venir à l'examen du projet lui-même, je voudrais faire deux remarques liminaires. La première est que je suis assez embarrassé par ce projet de budget, parce qu'il est examiné alors que de fortes incertitudes existent sur l'évolution de l'asile et des naturalisations notamment. Beaucoup d'annonces sont faites, mais qui n'ont pas de traduction budgétaire immédiate dans le budget qui nous est proposé.
La seconde remarque liminaire a trait au maintien d'une mission spécifique, dédiée à l'immigration, l'asile et l'intégration, ce dont nous devons tous nous féliciter. Cela permet en effet un suivi unique, global et pluriannuel, de cette politique. Mieux encore, est conservé le pilotage unique de la mission par le Secrétariat général à l'immigration et à l'intégration, désormais placé sous l'autorité du ministre de l'intérieur.
J'en viens maintenant au projet de budget lui-même. Tout d'abord, le projet de loi de finances pour 2013 est marqué par une forte hausse des crédits de la mission « Immigration ». En effet, ces dotations augmentent globalement de 13 % par rapport à 2012, et atteignent 670 millions d'euros en crédits de paiement, contre 593,5 millions d'euros en 2012. Pourtant, l'année 2012 avait elle-même vu une forte augmentation des dotations initiales : sur deux ans, la hausse s'établit, à périmètre constant, à plus de 30 % ! Cette augmentation est prise en compte dans le plafond de la loi de programmation triennale pour 2013-2015.
En réalité, l'augmentation des crédits est portée par une seule action : les dépenses liées à l'asile, c'est-à-dire le traitement des demandes et le soutien aux demandeurs d'asile. Ces dépenses représentent désormais 75 % des dépenses totales de la mission.
Je l'avais dit lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012, l'an passé : les crédits étaient insuffisants sur cette action. En particulier, il semblait nécessaire d'avoir davantage de places en centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) et d'améliorer les délais de traitement des demandes d'asile, qui s'étaient considérablement allongés, auprès de l'office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). De même, les crédits proposés pour l'hébergement d'urgence et l'allocation temporaire d'attente (ATA) étaient insuffisants pour faire face à la demande croissante.
C'est pourquoi le projet de budget propose une augmentation des crédits sur l'ensemble de ces actions. On augmente de mille places le parc en CADA, qui atteint ainsi 22 410 unités, ce qui est une bonne chose. On accroît également, en parallèle, les crédits de l'hébergement d'urgence, qui augmentent de 37 % ; pour l'ATA, l'augmentation est de 56 % par rapport à 2012.
Pour autant, en considération du nombre de demandeurs d'asile, il n'est pas dit que cette majoration des crédits soit suffisante. Il faut prendre en compte la légère hausse, de l'ordre de 2 % en 2012, par rapport aux 58 000 demandes en 2011 - par définition, la hausse en 2013 est inconnue. En tout état de cause, face à cette progression des demandes d'asile, je pense qu'il conviendrait, au-delà des clivages politiques, d'opérer une redéfinition de ce qu'est la demande d'asile, car certains requérants proviennent de pays dont la situation politique ne justifie pas nécessairement l'octroi du statut de réfugié.
Il convient par ailleurs de prendre en compte deux éléments. D'une part, le retrait de deux pays de la liste des pays d'origine sûrs, l'Albanie et le Kosovo, pourrait allonger les délais de traitements. D'autre part, une décision de la Cour de justice de l'Union européenne, en date du 27 septembre 2012, oblige la France à verser l'ATA aux demandeurs d'asile dit « Dublinés », c'est-à-dire ceux qui sont renvoyés par la France à un autre État membre. Cela représente une dépense supplémentaire estimée à 4 millions d'euros.
A coté de cette hausse conséquente des dépenses d'asile, toutes les autres actions de la mission sont en baisse.
Tout d'abord, la lutte contre l'immigration irrégulière, qui ne disposait certes pas de crédits très importants, connaît une baisse de 11 % par rapport à 2012. Cette contraction est portée principalement par les frais des centres de rétention administrative, dont le taux d'occupation est, en effet, très faible : plus de 80 % en Ile de France, mais beaucoup moins partout ailleurs. La baisse concerne aussi les frais d'éloignement des migrants, ce qui n'est pas cohérent avec les déclarations du ministre selon lesquelles le Gouvernement compte poursuivre la politique de reconduite à la frontière des étrangers en situation irrégulière.
Deuxième et principale source de préoccupation : les crédits destinés aux actions d'intégration sont en baisse significative, de 7,5 % soit 5 millions d'euros. J'ai présenté, il y a quelques jours, un rapport de contrôle sur l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Tous les sénateurs présents étaient d'accord avec la conclusion selon laquelle il est nécessaire de renforcer le format et d'accroître les moyens des actions d'intégration menées par l'OFII. C'est notamment le cas pour la formation linguistique, où le niveau visé par les cours de langue - mais non exigé, puisqu'il n'existe pas une obligation d'obtenir le niveau en question - est le niveau A1.1 du cadre européen de référence, soit un niveau de fin de maternelle. Le rapport préconisait de relever progressivement ce niveau à A2 ou B1, comme c'est le cas chez nos principaux partenaires, notamment en Allemagne. De même la formation civique, qui s'effectue sur une seule journée, est insuffisante. Il y a donc un constat partagé d'une nécessité d'allouer des moyens supplémentaires pour permettre une vraie intégration des étrangers.
Pourtant, ce budget prévoit la diminution non seulement de la subvention de l'État, de l'ordre de 1,7 millions d'euros, mais aussi de son plafond d'emplois (-15 ETPT) et du plafond des taxes affectées pour 10 millions d'euros supplémentaires dans le cadre de l'article 26 de la première partie. Ce n'est pas un bon signal pour la politique d'intégration française. C'est pourquoi je propose un amendement à cet article pour limiter la baisse du plafond des taxes affectée à l'OFII.
Dernier sujet : les naturalisations. Le ministre de l'intérieur a annoncé une révision de la politique d'accès à la nationalité française, afin de revenir au nombre de 100 000 naturalisations par an, contre 66 000 en 2011 mais environ 90 000 les années précédentes. L'objectif en lui-même n'est pas en cause, mais il pose deux questions. Tout d'abord, la sous-direction des naturalisations, dont les crédits sont en baisse, saura-t-elle y faire face ? Je reste en effet sceptique quant à l'idée selon laquelle l'augmentation du nombre de naturalisations n'impacterait pas les charges de fonctionnement de l'administration en question. Par ailleurs, il y a un manque de cohérence à vouloir à la fois une augmentation du nombre de naturalisations et une réduction des crédits destinés à l'intégration des étrangers, qui en est le préalable.
Sous le bénéfice de ces observations, et à condition que mon amendement à l'article 26 soit adopté, je vous propose de voter les crédits de la mission. Si, en revanche, la baisse des crédits d'intégration est maintenue, je ne voterai pas, personnellement, ces crédits, car c'est une erreur de faire un effort sur l'asile mais non sur l'intégration.