Intervention de Dominique Baudis

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 6 novembre 2012 : 1ère réunion
Relations entre police et citoyens et contrôles d'identité — Audition de M. Dominique Baudis défenseur des droits

Dominique Baudis, Défenseur des droits :

Merci de votre invitation. Le débat sur les relations entre police et population existe dans toutes les démocraties. C'est même un signe de vitalité démocratique : il n'y a que dans les sociétés totalitaires que la question ne se pose pas ! Selon les périodes, le débat se cristallise sur différents sujets. En France, ce sont les contrôles d'identité qui ont cristallisé la controverse, et ce depuis la fin des années soixante-dix et la loi Sécurité et liberté de 1981. Ce n'est pas le principe même du contrôle qui fait débat mais plutôt la façon dont celui-ci s'exerce et le sentiment, relayé par de nombreuses associations, que les contrôles cibleraient plus particulièrement certains publics : les personnes d'origine non européenne, jeunes, à la tenue vestimentaire non conventionnelle. Bref, un jeune issu de l'immigration et portant un sweat à capuche a bien plus de chances d'être contrôlé qu'un quinquagénaire blanc en costume et cravate.

Depuis mon entrée en fonctions en juin 2011, j'ai rencontré les associations en pointe sur le sujet : Human Rights Watch, Amnesty International, SOS Racisme, etc. J'ai engagé un travail de réflexion avec mon adjointe chargée de la déontologie dans le domaine de la sécurité, Mme Françoise Mothes, et avec le secrétaire général de notre institution M. Richard Senghor. Entre février et octobre 2012, nous avons entendu les parties concernées - associations, syndicats de policiers, direction générale de la gendarmerie nationale - et participé à des réunions, dont certaines au Sénat à l'initiative de Mme Benbassa, rencontré des parlementaires, présidents de groupe ou de commission ou, comme M. Pozzo di Borgo et Mme Benbassa, auteurs de propositions de loi. Nous nous sommes également rendus dans des pays, souvent cités en exemple, où le contrôle d'identité s'accompagne de la remise d'une attestation par le contrôleur. Nous y avons rencontré les autorités de police, les associations, les responsables politiques locaux. Nous avons conclu ce travail de réflexion par un colloque qui s'est tenu à Paris en octobre.

Ce rapport, qui dresse l'état des lieux, rend compte de toutes les auditions ; il reprend les arguments pour ou contre la remise d'un document lors des contrôles d'identité. Cette pratique est expérimentée en Espagne à Fuenlabrada, dans la banlieue de Madrid, et surtout en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et au Canada, où le dispositif est déjà ancien.

Première conclusion, l'examen de ces pratiques montre que la délivrance d'un document réduit mécaniquement le nombre de contrôles, ne serait-ce que parce que les opérations prennent plus de temps. Deuxième conclusion, le débat sur le caractère discriminatoire ou non du contrôle, c'est-à-dire le ciblage au faciès, ne s'est pas éteint. Au contraire, il n'en est que plus vif. En France, les contrôles ne laissant pas de trace, les intéressés expriment un simple ressenti. Dans les pays qui pratiquent le récépissé, on dispose de chiffres, car l'appartenance ethnique ou raciale de la personne contrôlée figure sur le document. Ce dispositif n'est donc pas transposable en France : il faudrait réviser la Constitution, notre système républicain interdisant de répartir les personnes en catégories en fonction de leur appartenance ethnique.

La troisième partie du rapport, intitulée « Perspectives », formule des propositions à l'intention des pouvoirs publics. La première, la plus générale, porte sur l'indentification des fonctionnaires de police. Depuis la loi du 12 avril 2000, tout fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions doit être identifiable (pas forcément par son nom) par le citoyen. Les fonctionnaires de police ont longtemps porté un numéro de matricule de manière visible sur leur uniforme ; il a disparu en 1985, quand un nouvel uniforme a remplacé l'ancien. L'étude des arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, des prises de position du Conseil de l'Europe ou du Commissaire européen aux droits de l'homme montre qu'il est nécessaire, dans une société démocratique, que les fonctionnaires de police soient identifiables par les citoyens, afin d'autoriser d'éventuels recours. Nous préconisons donc le rétablissement du matricule visible.

Les auditions et le débat organisé au Sénat ont fait apparaître un deuxième problème : celui des palpations de sécurité, qui ne sont encadrées ni par le code de procédure pénale, ni par le code de déontologie de la police nationale ou la charte de la gendarmerie nationale, mais laissées à l'appréciation des forces de l'ordre sur le terrain. Certains policiers disent toujours commencer par la palpation par souci de sécurité ; d'autres estiment qu'elle ne doit pas être systématique. La direction générale de la gendarmerie nationale indique quant à elle que la palpation est exceptionnelle. Bref, les pratiques sont très différentes. Il nous paraît nécessaire d'introduire dans le code de procédure pénale et le code de déontologie de la police nationale, qui est en phase de réécriture, un dispositif encadrant la palpation de sécurité et lui donnant une base juridique.

Troisième sujet, la délivrance ou non d'une attestation lors du contrôle. Les solutions anglo-saxonnes ne sont pas transposables en l'état, je l'ai dit, mais rien n'empêche d'imaginer un dispositif ad hoc. Toute mesure devra toutefois être préalablement expérimentée sur un territoire délimité : l'absence d'expérimentation préalable s'est toujours soldée par un échec. Certaines collectivités locales souhaitent être territoires d'expérimentation, à commencer par la ville de Paris qui a voté un voeu en ce sens.

Trois dispositifs sont envisageables. Le plus léger consiste à remettre un ticket de contrôle anonyme : le contrôleur demande ses papiers à la personne contrôlée et lui remet en contrepartie un ticket sur lequel figure son numéro de matricule. Cette solution a l'avantage d'être rapide et de rétablir une forme d'égalité entre le contrôleur et le contrôlé.

Deuxième solution, l'attestation nominative. Le contrôleur remet une attestation qu'il va devoir remplir : y figure le nom de la personne contrôlée, le lieu, la date, l'heure et éventuellement le motif du contrôle. Un tel document aura une valeur probante plus importante que le simple ticket : des contrôles à répétition, a fortiori par le même fonctionnaire, étaieraient un recours auprès de la juridiction administrative ou du Défenseur des droits. Dans ce cas de figure, seule la personne contrôlée conserve l'attestation.

Troisième solution : la délivrance d'une attestation nominative, dont le contrôleur conserve un double. Ce double peut être rendu anonyme, comme le proposent M. Pozzo di Borgo et Mme Benbassa dans leurs textes, ce qui n'empêche pas une évaluation statistique de l'activité de la police. Il peut aussi être nominatif. Dans les deux cas se pose la question de la création d'un nouveau fichier, nominatif ou non, qui pose des problèmes : conservation, finalité, etc. Des centaines de milliers de données seraient enregistrées et utilisables dans le cadre d'une enquête policière. Les citoyens ne risquent-il pas d'estimer qu'un tel dispositif, qui retrace leurs déplacements, est liberticide et met en cause leurs droits individuels ? Quoi qu'il en soit, nous estimons qu'aucune option ne peut être retenue sans avoir d'abord été expertisée pendant plusieurs mois et sur un ou plusieurs territoires.

Enfin, il est apparu au fil des auditions qu'il manque un lieu de dialogue permanent entre les associations et les forces de sécurité. Notre institution est disponible pour participer au cycle de formation initiale et continue des fonctionnaires de police, et pour représenter un lieu de dialogue car il y a, de part et d'autre, beaucoup de fantasmes, de procès d'intention, de méconnaissance réciproque des motivations. Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance pourraient jouer ce rôle au niveau local.

Le rapport est disponible sur le site internet du Défenseur des droits ; nous y analysons également les deux propositions de loi déposées par des membres du Sénat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion