Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 26 septembre dernier, la Haute Assemblée adoptait à l’unanimité le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer. L’Assemblée nationale l’adoptait à son tour le 10 octobre 2012. Le 25 octobre, une commission mixte paritaire se réunissait au Sénat et aboutissait à un accord entre les deux assemblées.
Notre discussion d’aujourd’hui constitue donc l’aboutissement – deux mois après son dépôt – d’un texte particulièrement attendu dans nos outre-mer et qui illustre l’entière mobilisation du Gouvernement afin de répondre aux problèmes spécifiques de ces départements et collectivités.
Comme vous le savez tous, l’objectif du projet de loi est d’apporter des réponses concrètes à la problématique de la « vie chère », laquelle constitue une préoccupation quotidienne pour nos concitoyens des outre-mer.
La « vie chère » est non seulement un ressenti de la population ultramarine, mais aussi une réalité statistique, comme le montrent les données relatives aux départements d’outre-mer publiées par l’INSEE en 2010.
Ainsi, dans ces départements, les revenus sont, en moyenne, inférieurs de 38 % à ceux de l’Hexagone. Le niveau général moyen des prix y est supérieur de 6 % à 13 %, l’écart de prix étant encore plus important pour ce qui concerne les produits alimentaires. Ainsi, le prix du panier local de produits alimentaires est supérieur au prix du panier métropolitain d’environ 35 % en Guadeloupe et à La Réunion, de 45 % en Martinique et de près de 50 % en Guyane.
Le constat est le même pour les collectivités d’outre-mer.
Ainsi, les revenus sont inférieurs et plus inégalitaires dans les outre-mer, tandis que les prix sont supérieurs et augmentent davantage, notamment pour les produits de première nécessité.
Dès lors, il n’est donc pas surprenant que, depuis 2009, la question de la « vie chère » constitue un sujet lancinant du débat politique et social dans nos outre-mer. Au début de cette même année, les DOM ont été secoués par une grave crise sociale, marquée par une grève qui a paralysé pendant plusieurs semaines les deux départements antillais. La question du niveau des prix, notamment des produits alimentaires, était au premier rang des revendications.
Pourtant, aucune véritable réponse n’avait été apportée jusqu’à aujourd’hui à la problématique de la « vie chère ». Le Conseil interministériel de l’outre-mer de novembre 2009 avait prévu bien peu de chose en la matière, alors même que d’importants travaux avaient été menés : je vous rappelle ainsi que, à l’initiative du président Gérard Larcher, la Haute Assemblée avait mis en place une mission commune d’information sur la situation des DOM, mission que j’ai eu l’honneur de présider et dont notre collègue Éric Doligé, que je salue, était le rapporteur. Cette mission a produit un rapport qui a fait référence et dans lequel étaient formulées de nombreuses propositions en matière de prix.
L’absence de mesures volontaristes destinées à lutter contre la vie chère explique pourquoi la crise de 2009 a connu plusieurs répliques à travers les outre-mer. En effet, rares sont les collectivités ultramarines qui n’ont pas été touchées par un mouvement social lié à la vie chère.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, vous comprendrez, mes chers collègues, les espoirs suscités dans les outre-mer par ce projet de loi. Nous ne pouvons donc que nous féliciter que le Gouvernement se soit emparé de cette question et ait déposé ce texte.
Comme l’a souligné la commission des affaires économiques lors des débats au Sénat, le projet de loi déposé par le Gouvernement, qui est la traduction législative d’un engagement du Président de la République, constitue une « boîte à outils » mise à disposition des autorités publiques pour les aider à remettre en cause des positions acquises qui alimentent le phénomène de la « vie chère ».
Ce texte comprenait initialement cinq articles clés, qui constituent le cœur de ce texte ; ils ont d’ailleurs fait l’objet d’un consensus entre le Sénat et l’Assemblée nationale et n’ont donné lieu à presque aucune discussion au cours de la commission mixte paritaire.
L’article 1er permet la réglementation par décret du fonctionnement des marchés de gros dans les outre-mer. L’article 2 interdit les clauses accordant des droits exclusifs d’importation non justifiées par l’intérêt des consommateurs. L’article 3 permet aux collectivités territoriales ultramarines de saisir l’Autorité de la concurrence. L’article 4 abaisse à 5 millions d’euros le seuil de notification des concentrations dans le commerce de détail dans les outre-mer. Enfin, l’article 5 octroie à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’injonction structurelle dans le secteur de la grande distribution outre-mer, article qui a provoqué quelques cris d’orfraie.
Lors de l’examen du projet de loi, la Haute Assemblée est restée dans le cadre du texte présenté par le Gouvernement, se contentant d’introduire, par exemple, une demande de rapport sur un sujet essentiel, à savoir le développement des échanges commerciaux entre les outre-mer et les pays voisins.
Le Sénat avait également introduit des articles additionnels permettant, dans les départements d’outre-mer et à Saint-Barthélemy, le transfert de la tenue du registre du commerce et des sociétés aux chambres de commerce et d’industrie. Les outre-mer connaissent en effet aujourd’hui une situation grave de blocage dans ce domaine.
Enfin, sur l’initiative du Gouvernement, le Sénat avait introduit un article 6 bis instituant un « bouclier qualité-prix », conformément aux engagements du Président de la République.
Cet article prévoit une négociation annuelle dans les outre-mer afin d’aboutir à un accord de modération des prix d’une liste de produits de consommation courante. En cas d’absence d’accord, le préfet pourra encadrer le prix global de cette liste de produits. Cette disposition a renforcé utilement la portée du projet de loi, en mettant l’accent sur la nécessaire négociation entre les différents partenaires, tout en donnant aux pouvoirs publics des moyens d’intervention.
Nos collègues de l’Assemblée nationale ont complété le projet de loi par de nombreux articles additionnels portant sur des sujets variés, tous importants, mais parfois un peu éloignés de la problématique de la vie chère. Je pense, par exemple, au report de la réforme de la distribution du tabac dans les départements d’outre-mer ou à l’application en Nouvelle-Calédonie de la loi de 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs.
Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des dispositions du projet de loi issues des travaux de la commission mixte paritaire. Je souhaite cependant formuler plusieurs observations.
Tout d’abord, comme je vous l’indiquais tout à l’heure, l’Assemblée nationale n’ayant pas remis en cause l’équilibre des articles constituant le cœur du projet de loi initial, la commission mixte paritaire n’a procédé, pour ces articles, qu’à quelques ajustements.
Ensuite, la commission mixte paritaire a maintenu la plupart des nouvelles dispositions introduites par les députés, sous réserve de quelques modifications.
Ces dispositions sont en effet utiles. Je n’en citerai que quelques-unes.
L’article 1er ter précise que l’observatoire des tarifs bancaires, placé auprès de l’Institut d’émission des départements d’outre-mer, l’IEDOM, publie un rapport portant non seulement sur l’évolution des tarifs dans les outre-mer, mais également sur les différences constatées entre les établissements bancaires ultramarins et les établissements hexagonaux.
L’article 2 ter dispose que les opérateurs économiques faisant l’objet d’une injonction de l’Autorité de la concurrence en raison de pratiques contraires aux mesures d’encadrement des marchés de gros publient cette injonction à leurs frais. Il convient en effet de rendre les sanctions véritablement dissuasives.
L’article 6 ter A instaure un encadrement des tarifs des services bancaires de base dans les départements d’outre-mer : les établissements de crédit ultramarins ne pourront désormais pratiquer des tarifs supérieurs à la moyenne de ceux qui sont pratiqués par les établissements ou les caisses régionales du groupe auquel ils appartiennent dans l’Hexagone. Il s’agit d’une disposition extrêmement importante pour la vie quotidienne de nos concitoyens ultramarins.
L’article 7 bis AA porte sur les délais de paiement : il précise notamment que, pour les marchandises importées dans le territoire fiscal des outre-mer, la date prise en compte pour le calcul des délais de paiement est celle du dédouanement des marchandises.
L’article 7 bis CA consacre les missions des observatoires des prix et des revenus, rebaptisés « observatoires des prix, des marges et des revenus ». Ces instances de discussion sont essentielles pour analyser le niveau et la formation des prix.
Ensuite, la commission mixte paritaire est revenue sur certains ajouts inopportuns opérés par l’Assemblée nationale.
Je pense notamment à l’article 7 ter, qui prévoyait ainsi la remise d’une étude sur la possibilité d’inscrire dans le cahier des charges de France Télévisions la création de programmes permettant la communication des organisations de consommateurs présentes outre-mer . Cette disposition, qui représentait une intrusion dans le fonctionnement de France Télévisions, a été supprimée.
Je pense aussi à l’article 11 quinquies, qui portait sur l’articulation entre le droit pénal et le droit coutumier en Nouvelle-Calédonie. Son adoption aurait conduit à conforter une jurisprudence qui fait débat localement et dont le maintien n’est pas nécessairement opportun, car les formations coutumières n’accueillent pas toujours les demandes de réparation pour des abus sexuels. En conséquence, la commission mixte paritaire a préféré supprimer cet article.
Je souhaite enfin terminer par l’article 11 bis, qui porte sur la tenue du registre du commerce et des sociétés par les chambres de commerce et d’industrie. Tel qu’adopté par l’Assemblée nationale, cet article prévoyait que le ministre de la justice pouvait confier la tenue du registre aux chambres de commerce et d’industrie des départements d’outre-mer ou aux chambres consulaires de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, dans le cadre de conventions, le greffe restant compétent pour le contrôle des actes et des extraits du registre.
La commission mixte paritaire a souhaité limiter cette possibilité de délégation à la gestion matérielle des registres, mais sur la base d’arguments qui ne m’ont pas tous convaincu, loin s’en faut !
Quoi qu’il en soit, j’attire votre attention, monsieur le ministre, sur l’importance de cette disposition. La situation de blocage qui existe en ce domaine dans nos outre-mer, territoires rongés par le chômage, n’est pas acceptable, car des délais de plusieurs mois sont parfois nécessaires pour délivrer les pièces requises aux chefs d’entreprise. Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour convaincre votre collègue garde des sceaux d’utiliser la faculté ouverte par l’article 11 bis.
Au terme de cette présentation, nous ne pouvons que souligner – je pense, monsieur le ministre, que vous en serez d’accord – que ce projet de loi a été utilement modifié et complété au cours de son examen parlementaire. Je souhaite insister une nouvelle fois sur le fait que ce texte très important représente une avancée qui doit permettre de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens ultramarins en matière de prix.
Pour autant, ce projet de loi ne constitue qu’une première étape. D’autres textes devront intervenir, d’autres mesures devront être prises, afin d’apporter des réponses à la problématique de la vie chère. Il convient d’analyser avec précision le processus de formation des prix et de faire porter l’effort sur l’ensemble des secteurs économiques. La réflexion devra donc se poursuivre sur le sujet.
La délégation sénatoriale à l’outre-mer, que j’ai l’honneur de présider, a commencé il y a plusieurs mois des travaux sur la question de la vie chère. Elle prendra toute sa part à la réflexion.
Je me réjouis par ailleurs que le Parlement puisse débattre dans les prochains mois d’autres textes apportant des réponses à des problématiques essentielles pour nos outre-mer. Je pense notamment à la proposition de loi sur le taux de sucre ou au projet de loi à venir en matière d’orientation agricole.
En conclusion, mes chers collègues, je vous invite à approuver les conclusions de la commission mixte paritaire. J’espère que le Sénat se prononcera à l’unanimité, comme il l’avait fait en septembre dernier. La Haute Assemblée sera ainsi pleinement fidèle à l’article 72-3 de la Constitution, dont je veux citer le premier alinéa : « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité ».