Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi, déposée et excellemment défendue à l’instant par Françoise Cartron, vise à abroger deux dispositifs distincts : premièrement, le mécanisme de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire instauré par la loi Ciotti de 2010 ; deuxièmement, le contrat de responsabilité parentale issu de la loi Borloo de 2006.
Ces deux dispositifs étaient naguère liés étroitement. Initialement, le contrat de responsabilité parentale permettait en effet au président du conseil général de demander la suspension des allocations familiales en cas de non-respect de leurs engagements par les familles.
Toutefois, le contrat de responsabilité parentale, ou CRP, est demeuré inappliqué par l’ensemble des conseils généraux de toutes sensibilités politiques, hormis dans le département des Alpes-Maritimes présidé par Éric Ciotti lui-même. En 2010, sur 194 contrats signés, seuls dix l’étaient hors des Alpes-Maritimes, en Vendée pour l’essentiel.
Tant l’Assemblée des départements de France que la Caisse nationale des allocations familiales et la Direction générale de la cohésion sociale ont souligné que ce contrat n’avait pas pris, parce qu’il perturbe la logique même de l’accompagnement parental mis en place dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance. Rejeté par les acteurs sociaux, le CRP est redondant avec les autres dispositifs existants et ne présente aucune mesure concrète d’accompagnement parental.
En outre, le CRP n’est plus aujourd’hui corrélé avec la lutte contre l’absentéisme. En effet, pour contourner les réticences des présidents de conseil général, la loi Ciotti du 28 septembre 2010 a retiré à ces élus la faculté de demander la suspension des allocations familiales. Elle a brisé le lien entre le contrat de responsabilité parentale et la suspension des allocations, et instauré à la place un mécanisme automatique de suspension sur saisine de l’inspecteur d’académie.
Le CRP instauré en 2006 est donc devenu caduc et ne peut plus aujourd’hui être considéré comme un instrument de lutte contre l’absentéisme. Il présente toutes les caractéristiques d’un dispositif inconsistant et inutile. C’est pourquoi la commission de la culture soutient sa suppression.
J’aimerais insister sur le manque d’évaluation en amont comme en aval du dispositif de suspension des allocations familiales introduit par la loi Ciotti de 2010, l’un des deux dispositifs qu’il s’agit d’abroger. Cette loi a été adoptée sans étude d’impact en amont – et vous savez combien j’y suis attaché, a fortiori sur un tel sujet – et son application n’a fait l’objet, en aval, d’aucune évaluation.
Cette méthode de législation, vous en conviendrez, n’est pas convenable. Elle est la marque de fabrique de ces lois qui ne visent qu’à créer les conditions d’un affrontement idéologique, à mettre en place une posture politique.
Sur le fond, l’approche de l’absentéisme scolaire développée dans la loi du 28 septembre 2010 s’inscrit dans la seule perspective de la prévention de la délinquance. Il n’est pas inutile de revenir aux motivations premières de M. Ciotti. N’oublions pas que son propos concernait à l’origine la lutte contre la délinquance et non la lutte contre l’absentéisme scolaire. Ce dispositif, initialement prévu pour figurer dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, a finalement atterri dans le code de l’éducation !
Le mode de traitement retenu est donc la sanction des familles concernées, parfois la menace. Pourtant, l’absentéisme est un phénomène complexe et protéiforme, qui nécessite toute notre attention et l’action de tous les acteurs pouvant lutter contre ce phénomène. Ses causes sont extrêmement diverses. Il est donc impossible de pointer comme seul facteur la démission supposée des parents.
Les fédérations de parents d’élèves, quelles que soient leurs sensibilités, ont toutes affirmé que, en dehors de cas extrêmes liés à une profonde exclusion sociale, elles ne rencontraient jamais de parents démissionnaires par irresponsabilité, insouciance ou désintérêt à l’égard de leurs enfants, mais voyaient uniquement des parents démunis et désemparés.
Alors que le lycée professionnel est massivement touché par l’absentéisme, la question de l’orientation par défaut ne peut être occultée. La première année de lycée professionnel concentre 18 % de l’absentéisme scolaire : il y a donc beaucoup à faire à ce niveau-là. L’orientation subie, à cette période de la vie entre l’adolescence et l’âge adulte, provoque forcément le désintérêt, y compris parfois pour chercher de petits boulots si l’on pense que l’on ne poursuivra pas dans cette voie.
Au collège, les élèves absents sont souvent ceux qui connaissent déjà l’échec scolaire, après un parcours difficile dans l’enseignement primaire.
Quant à la relation avec la violence scolaire, le lien de causalité suggéré dans la loi Ciotti devrait être inversé. Ce sont les cas de violence, parfois de harcèlement constitué, qui poussent certains enfants à ne pas aller en cours pour éviter leurs agresseurs. On constate en effet que les élèves qui subissent des violences, affichées ou sourdes, ne viennent plus à l’école : ce seraient donc eux, et non pas ceux qui exercent ces violences, qui seraient sanctionnés ! Le résultat obtenu est exactement l’inverse de celui qui était recherché par M. Ciotti.
Il existe aussi un absentéisme de confort, proche du zapping scolaire, où l’on évite un professeur en particulier, une discipline spécifique ou bien certains horaires, comme le premier cours après la pause méridienne.
En dehors de la scolarité et de l’établissement, les absences peuvent également plonger leurs racines dans des difficultés d’ordre social ou familial. Même si l’absentéisme touche tous les milieux, il semble plus élevé chez les familles dont la situation est précaire, qui sont frappées par le chômage et sont allocataires des minima sociaux. Les facteurs de fragilisation, comme un divorce, une recomposition familiale difficile ou un décès, pèsent également sur l’assiduité. En outre, l’existence de conflits intrafamiliaux peut entraîner un absentéisme, à un âge où l’autorité des parents est contestée par l’adolescent et doit se reconfigurer.
D’autres facteurs peuvent encore entrer en jeu. Il ne faut pas négliger, par exemple, d’éventuels problèmes psychologiques individuels rencontrés par l’adolescent – cela a été évoqué – ou l’exercice de plus en plus courant, notamment pour les élèves de lycée professionnel, d’un travail salarié à côté des études.
Dès lors, il paraît profondément irréaliste de proposer une solution commune à tous ces types d’absentéisme. Une solution purement répressive semble, en outre, particulièrement inadaptée.
La suspension des allocations familiales sur saisine de l’éducation nationale reprend un vieux dispositif, en vigueur pendant près de quarante ans. Je tiens à insister sur ce point, qui me permet de souligner que nous ne cherchons pas à faire de ce débat un conflit idéologique. Peut-être certains le veulent-ils ? De 1966 à 2004, ce dispositif avait déjà fait la preuve de son manque d’efficacité et d’équité. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Raffarin l’avait supprimé, par l’entremise du ministre de l’éducation nationale de l’époque, Luc Ferry.
À l’époque, de 6 000 à 7 000 familles étaient sanctionnées chaque année. Cela a été le cas pendant quarante ans, jusqu’à ce que le gouvernement Raffarin abroge le dispositif, lequel n’avait aucun effet positif sur l’évolution de l’absentéisme. Au contraire, celui-ci progressait du fait de l’aggravation des problèmes économiques et sociaux.
Avec le nouveau dispositif, 472 suspensions ont été prononcées de février 2011 à mars 2012, soit environ un an.
Depuis la mise en œuvre de la loi Ciotti, aucune amélioration tangible et durable des statistiques d’absentéisme ne peut être observée. En un an, le taux moyen de l’absentéisme dans l’enseignement du second degré est passé de 4, 3 % en 2009-2010 à 5 % en 2010-2011, avec une augmentation généralisée au collège, au lycée général et au lycée professionnel.
L’un des effets pervers de la logique répressive de la loi Ciotti est d’avoir, dans certains cas, conduit à une baisse des signalements d’absentéisme, ce qui rend le phénomène plus difficile à traiter parce que moins visible. Après quatre demi-journées d’absence, le signalement doit être effectué par les responsables d’établissement. Vous pensez bien que ces derniers, sachant les conséquences que leur signalement peut avoir sur les allocations attribuées à des familles qu’ils connaissent, ne veulent pas mettre le doigt dans cet engrenage, et préfèrent ne pas le lancer. Au lieu de lutter contre le phénomène, on le masque. Certains chefs d’établissement, donc, évitent d’enclencher un mécanisme qui risque d’aboutir à fragiliser la situation déjà difficile de certaines familles qu’ils connaissent bien.
Il est un autre point qui mérite l’attention : l’essentiel des retours à l’assiduité intervient au moment de l’avertissement adressé aux parents par le DASEN. C’est bien la solennité de la procédure d’alerte et du rappel à la loi qui importe et non la sanction elle-même. De ce point de vue, la proposition de loi déposée par Françoise Cartron est parfaitement calibrée, puisqu’elle maintient l’avertissement solennel – ces articles de loi ne sont pas supprimés – ainsi que le rappel des règles en vigueur et des sanctions pénales applicables. Je rappelle qu’il existe deux incriminations comme contravention et comme délit. Tout l’effet dissuasif est donc conservé par la proposition de loi, qui ne supprime qu’une sanction administrative inutile, inefficace et injuste, comme j’ai essayé de le démontrer.
L’inefficacité du dispositif est patente. La suppression effective des allocations familiales n’entraîne pas le retour à l’assiduité des enfants absentéistes. C’est ce que m’a clairement expliqué, sur la base des rapports des DASEN, le recteur de Créteil, lequel, particulièrement exposé au phénomène, a d’ailleurs entrepris beaucoup d’actions pour y faire face.
Après ce constat d’inefficacité, permettez-moi de rappeler quelques critiques de principe. La suspension des allocations stigmatise et frappe de manière disproportionnée les familles modestes. Dans l’académie de Créteil, par exemple, les familles convoquées à l’inspection se trouvent dans des situations socioéconomiques très difficiles. De même, le contexte familial est souvent dégradé, avec des élèves suivis par l’aide sociale à l’enfance et faisant l’objet d’actions éducatives en milieu ouvert. On retrouve également une proportion non négligeable d’élèves placés en familles d’accueil. Pour ces familles qui connaissent la précarité, les allocations représentent une ressource importante, alors que les familles plus aisées sentent peu le poids de la sanction, comme Mme Cartron l’a expliqué.
La suspension des allocations constitue une sorte de double peine, qui frappe des familles déjà fragiles et risque d’éloigner encore plus ces dernières de l’institution scolaire, alors même qu’on prétend les en rapprocher. De plus, sont laissées dans l’angle mort de nombreuses familles qui, n’ayant qu’un seul enfant à charge, ne perçoivent pas ou plus les allocations familiales. C’est pourquoi la commission de la culture accueille très favorablement la suppression du dispositif, proposée par Françoise Cartron.
Pour ne pas en rester à une simple abrogation de mauvaises mesures, la commission a intégré dans le texte initial une nouvelle méthode de traitement de l’absentéisme scolaire. Tout ce qui est négatif est éliminé, tandis que des solutions plus positives sont recherchées. D’autres mesures seront probablement intégrées dans le prochain projet de loi d’orientation sur l’école, notamment en matière d’orientation et d’association constructive des parents à la vie des établissements. C’est ce que la concertation pour la refondation de l’école laisse apparaître. Des actions multiples sont engagées pour ouvrir l’école, y associer les parents et permettre un travail sur l’orientation scolaire : autant d’angles, en somme, par lesquels l’absentéisme peut être attaqué.
En attendant cette étape, la commission a souhaité que puisse être immédiatement inscrite dans la loi la nécessité de mobiliser autour de l’établissement tous les acteurs de terrain, afin qu’ils trouvent la solution la plus adaptée à chaque cas particulier. Ainsi, en cas de persistance du défaut d’assiduité, le directeur de l’établissement d’enseignement réunira les membres concernés de la communauté éducative en vue de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés et contractualisés avec celles-ci.
Afin d’éviter les confusions sur ce point – les débats en commission ont montré qu’elles étaient possibles –, je vous rappelle que, aux termes de l’article L. 111-3 du code de l’éducation, la communauté éducative comprend tous ceux qui participent à l’accomplissement des missions de l’école, du collège ou du lycée. Elle réunit les personnels de direction, les enseignants, les conseillers principaux d’éducation, les infirmières et médecins scolaires, les psychologues et assistantes sociales, les parents d’élèves, mais également les collectivités territoriales, ainsi que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, associés au service public de l’éducation.
Le champ est donc très vaste et déborde le seul personnel de l’éducation nationale. Y sont intégrés le maire de la commune de résidence, le président de conseil général, le président de conseil régional, de même que les services sociaux et jusqu’à la protection judiciaire de la jeunesse.
Bien évidemment, nous ne proposons pas que tout le monde soit systématiquement convié. Nous suggérons plutôt que, dans ce très vaste panel, le directeur d’école ou le chef d’établissement choisisse de réunir, en fonction de ses premières observations, les membres les mieux à même de formuler un diagnostic rigoureux sur la situation de l’élève et de sa famille. Il est important que les représentants des parents d’élèves y soient systématiquement associés – ils nous l’ont d’ailleurs demandé –, car ils pourront agir comme des médiateurs pour faciliter l’adhésion de la famille concernée au processus.
Il s’agit non pas d’une structure nouvelle qui s’empilerait sur les autres, mais d’une méthode de coordination de tous les dispositifs et services qui existent et qui demeurent, pour l’heure, cloisonnés. L’objectif est de mettre le plus rapidement possible à la disposition des familles les outils les plus efficaces pour faire face à leur situation spécifique. Pour l’instant, les dispositifs communs à l’éducation nationale et à l’action sociale comme les contrats locaux d’accompagnement à la scolarité demeurent trop centrés sur l’enseignement primaire et sur l’aide aux devoirs. Ils prennent trop peu en compte l’adolescence et le soutien à la parentalité. Le texte adopté en commission fournit une base législative qui permettra leur rénovation, à laquelle, je le sais, Mme la ministre déléguée à la famille travaille.
La réunion de diagnostic doit permettre d’aiguiller la famille. S’il s’agit avant tout d’un problème pédagogique ou éducatif, des solutions lui seront proposées dans l’établissement. S’il s’agit d’un problème d’orientation, notamment dans la voie professionnelle, la coordination avec le président du conseil régional et le rectorat permettra d’envisager un accompagnement de l’élève, un transfert ou une passerelle. S’il s’agit d’un problème social et familial, les services du conseil général et les CAF interviendront pour guider la famille vers des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, des lieux d’accueil enfants-parents ou des modules de médiation familiale.
La commission a souhaité que l’aide et l’accompagnement soient contractualisés avec la famille. Il s’agit non pas de réintroduire une logique de sanction, mais de permettre un suivi rigoureux et une évaluation précise de l’évolution de la situation. C’est aussi un moyen de garantir que la solution ne soit pas imposée à des parents infantilisés et stigmatisés, mais qu’elle soit au contraire discutée avec eux jusqu’à leur adhésion et leur approbation.