Séance en hémicycle du 25 octobre 2012 à 9h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance est ouverte à neuf heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

M. le président du Sénat a reçu de M. Marc Durand-Viel, président du comité du contentieux fiscal, douanier et des changes, le rapport pour l’année 2011, établi en application de l’article 20 de la loi n° 77-1453 du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédures aux contribuables en matière fiscale et douanière.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il a été transmis à la commission des finances et est disponible au bureau de la distribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à abroger la loi n° 2010-1127 du 27 septembre 2010 visant à lutter contre l’absentéisme scolaire, présentée par Mme Françoise Cartron et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 756 [2011-2012], texte de la commission n° 57, rapport n° 56).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous allons débattre ce matin vise à abroger le dispositif de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire, celui-là même qui avait été rétabli en septembre 2010, suscitant de vives discussions dans cet hémicycle.

Je souhaite que les échanges d’aujourd’hui se déroulent dans un climat constructif et apaisé. Je tiens d’ailleurs à réaffirmer devant les sénatrices et les sénateurs de l’opposition que ma démarche n’illustre en rien un clivage partisan. En effet, en 2004, Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, avait lui-même supprimé le mécanisme existant depuis 1966, mécanisme identique à celui qui a été restauré par la proposition de loi de M. Ciotti.

Dans un rapport de 2003 consacré aux manquements à l’obligation scolaire, M. Machard, délégué interministériel à la famille, avait mis en avant que le non-respect de l’obligation scolaire était un phénomène éminemment complexe et qu’une réponse univoque ne pouvait en aucun cas être satisfaisante, affirmant que la suspension des allocations familiales, en vigueur depuis quarante ans, était sans effet dissuasif sur les familles et contre-productive pour celles qui s’étaient vu retirer leurs prestations. Devant vous, ce matin, je ne défends pas autre chose.

De façon connexe, nous estimons que le contrat de responsabilité parentale, le CRP, issu de la loi de 2006 pour l’égalité des chances, doit lui aussi être abrogé. Redondant au regard des dispositifs déjà existants, jugé le plus souvent inutile, il est resté largement inappliqué par les conseils généraux, toutes tendances politiques confondues.

Un chiffre parle de lui-même : 38 CRP ont été signés sur notre territoire entre 2006 et 2010 – 38 en quatre ans, on ne peut pas parler de réussite ! En 2011, il est vrai, 174 CRP ont été signés, dont 165 dans les Alpes-Maritimes, département dont M. Ciotti est président du conseil général et député. Il conviendrait sans doute de s’interroger sur ce particularisme local afin de comprendre la réalité de ces contrats. Cela dit, dans cette introduction au débat, je veux rappeler dans quel esprit s’inscrit cette proposition de loi que je vous appelle à voter.

Pourquoi toutes les personnes auditionnées par le Sénat, en 2010 comme en 2012, représentant les fédérations de parents d’élèves, les associations familiales, les personnels de direction de l’éducation nationale, l’Assemblée des départements de France ou la Caisse nationale des allocations familiales ont-elles désapprouvé ce dispositif ? Pour une raison simple : le mécanisme proposé repose sur une erreur fondamentale de diagnostic et propose donc une mauvaise thérapie.

Quel est ce diagnostic ? L’absentéisme scolaire serait dû à une défaillance parentale, voire à un laxisme coupable qu’il convient de sanctionner.

Or le phénomène de l’absentéisme scolaire est assurément plus complexe, il est protéiforme, autant dans ses causes que dans ses manifestations. En effet, l’éloignement de l’école peut être ponctuel, perlé ou durable. Ce défaut d’assiduité peut être ciblé sur une matière, une plage horaire, une période de l’année scolaire. Dans certains cas, il conduit au décrochage total, parfois définitif.

Il existe autant de types d’absentéisme que d’enfants absentéistes, autant de sources aussi. Ces problématiques, extrêmement diverses, peuvent être familiales ou sociales : elles sont parfois l’expression de souffrances psychologiques, souvent la conséquence de détresses humaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Elles peuvent être aussi éducatives, qu’il s’agisse d’un phénomène de violence scolaire, d’une distanciation liée à l’environnement de l’établissement, à des difficultés scolaires accumulées parfois dès le plus jeune âge, à une orientation non choisie qui intervient le plus souvent à la fin du collège et se manifeste le plus durement au lycée professionnel où, d’ailleurs, le taux d’absentéisme lourd est trois fois plus élevé que la moyenne observée dans l’enseignement du second degré public.

Par ailleurs, si tous les publics sont touchés et tous les territoires concernés, une large majorité des absentéistes est présente dans l’éducation prioritaire qui regroupe majoritairement les familles rencontrant les plus grandes difficultés sociales, familles qui se sentent le plus souvent éloignées de l’école et de ses codes. Les témoignages, notamment ceux des directeurs académiques des services de l’éducation nationale, les DASEN, de l’académie de Créteil, ainsi que les indicateurs dont nous disposons, l’ont mis en exergue.

Si un quart des établissements n’a jamais été touché, les absentéistes sont trois plus nombreux dans les collèges de l’éducation prioritaire. En janvier 2010, le taux d’absentéisme était de 6, 4 % dans les établissements du réseau « ambition réussite », ou RAR, et du réseau de réussite scolaire, ou RRS, et de 2, 3 % dans les autres établissements. Eu égard à ces constats, le dispositif de la loi Ciotti se révèle clairement inadapté, injuste et inefficace.

Rappelons que ce dispositif devait, initialement, être intégré au projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Cette démarche du législateur ne servait en rien, ni dans son esprit ni dans sa conception, un quelconque intérêt éducatif. Seule une réelle ambition pour l’école aurait pu apporter une réponse efficace, juste, aux problèmes multiples et complexes qui sont à l’origine du décrochage scolaire.

Par ailleurs, cette sanction ne s’applique pas à toutes les familles d’enfants absents : celles avec un seul enfant ou n’ayant plus qu’un enfant à charge ne perçoivent tout simplement pas d’allocations familiales. En outre, celles pour lesquelles les prestations familiales ne représentent qu’une infime partie des ressources resteront insensibles à leur suspension comme à leur suppression. Une loi qui ne s’applique pas à tous est-elle une bonne loi ?

Seules les familles nombreuses, avec plusieurs enfants scolarisés, les familles les plus pauvres, en particulier les familles monoparentales, dont la subsistance matérielle nécessite la solidarité de l’État, sont susceptibles d’en subir les conséquences. Peut-on imaginer que ces familles trouveront dans cette sanction la motivation et la capacité nécessaire pour permettre à leur enfant le retour sur le chemin de l’école ? L’argent peut-il être le moteur de l’éducation parentale ? Bien sûr que non ! Seul un soutien à la parentalité, un accompagnement dans la durée constituent les réponses adéquates à ce problème.

En fait, la loi Ciotti procédait non seulement d’une approche répressive et stigmatisante, mais aussi d’une méconnaissance totale de la réalité des familles, portées par une vision très négative du rôle des parents. En effet, soyons-en certains, tous les parents souhaitent a priori la réussite de leurs enfants, mais les conditions de vie sociales et économiques, extrêmement difficiles au sein de certains foyers, peuvent expliquer en grande partie le phénomène de l’absentéisme.

Une femme seule avec plusieurs enfants, contrainte à exercer un temps partiel ou subissant des horaires de travail décalés tôt le matin, tard le soir, particulièrement exposée à la précarité, doit-elle être tenue responsable de l’absentéisme d’un de ses enfants et voir une partie de ses faibles revenus disparaître ? Bien entendu, non !

Je pourrais citer d’autres cas aussi douloureux, comme ceux des familles confrontées à la maladie, au handicap, résultant parfois d’un accident du travail : ces familles doivent-elles être sanctionnées et montrées du doigt ? Bien évidemment, non !

D’ailleurs les sanctions règlent-elles le problème ? La comparaison des années scolaires 2009-2010 et 2010-2011, qui encadrent la mise en place du dispositif, conduit à constater une progression du taux d’absentéisme, celui-ci passant de 4, 3 % à 5 %. Le constat est identique en Grande-Bretagne, pays où la répression est encore plus sévère.

Comment pourrait-il en être autrement ? À un problème avant tout social et scolaire, la réponse répressive telle qu’elle est envisagée par ce texte, en l’occurrence à travers une sanction financière injuste, non seulement est un aveu d’impuissance mais aussi participe in fine au renforcement du phénomène.

D’une part, le dialogue sous la contrainte, loin d’inverser la tendance, peut venir rompre de manière définitive le lien de confiance souvent difficile à tisser entre les parents et les représentants institutionnels.

D’autre part, cette logique répressive conduit dans certains cas à une baisse des signalements d’absentéistes, rendant le phénomène encore plus difficile à traiter. En outre, elle pourrait laisser croire que, par des réponses simplistes, un phénomène aussi complexe que l’absentéisme pourrait être freiné.

À l’inverse de cette démarche, il est nécessaire de développer une politique de dialogue et de coresponsabilité au sein de l’école de la République. Aujourd’hui, après des années de fragilisation, l’école est de nouveau une priorité.

Aussi, la loi Ciotti me paraît incompatible avec cette nouvelle orientation politique dont l’axe structurant est la confiance et le redressement dans la justice, et dont l’objectif est une solution globale afin que diminue de manière sensible l’échec scolaire dans notre pays.

Le Président de la République, présentant les conclusions de la concertation sur l’école, le rappelait le 9 octobre dernier : « Je propose d’utiliser face au décrochage scolaire toute la gamme des instruments, de l’alerte jusqu’au traitement personnalisé à travers un encadrement dans l’établissement, et parfois hors de l’établissement [...]. Mais c’est en amont que l’efficacité peut être la plus grande. »

Il évoquait alors la nécessité d’un référent dans les établissements de l’enseignement secondaire les plus touchés par l’absentéisme, notamment les lycées professionnels.

À cet effet – et j’en profite pour saluer l’excellent travail effectué par M. le rapporteur –, je me félicite de l’adoption en commission de l’amendement prévoyant un dispositif adapté au sein même de l’établissement réunissant les membres de la commission éducative.

Selon le diagnostic établi, ce sont les partenaires appropriés sur le terrain qui seront mobilisés afin de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés à la problématique spécifique, leur rappelant leur devoir d’assiduité.

Cette nouvelle méthode de traitement fera appel à tous ceux qui participent à l’accomplissement des missions de l’école – personnels de direction, enseignants, conseillers principaux d’éducation, médecins scolaires, parents d’élèves et collectivités territoriales –, non dans une logique de sanction, mais avec l’objectif d’un suivi régulier et rigoureux. En effet, comme le dit très justement Edgar Morin, « si vous avez le sens de la complexité, vous aurez le sens de la solidarité. »

Finissons-en avec les politiques d’affichage reposant sur des analyses simplistes qui s’avèrent au mieux inefficaces, souvent contre-productives. Finissons-en aussi avec la création de structures nouvelles dont ne se saisiront pas les acteurs concernés. Proposons des solutions à la fois ciblées et globales.

C’est le sens de la grande loi de la refondation de l’école qui sera discutée dans les prochaines semaines au Parlement, qui aura pour objectifs de concentrer les moyens dans les établissements de l’éducation prioritaire, de relancer la préscolarisation, de donner la priorité à l’école primaire, en particulier dans les zones les plus en difficulté pour éviter que ne se sédimentent et ne s’accroissent les inégalités, mais aussi de créer un service public territorialisé de l’orientation afin de lutter le plus efficacement possible contre l’orientation par défaut.

Il faudra également rétablir des liens de confiance et de coopération entre la famille et l’établissement scolaire, développer les actions de l’aide à la parentalité. Il faudra rapprocher les temps éducatifs et les temps scolaires afin de prendre en compte la globalité de l’enfant dans son parcours d’apprentissage et dans ses problématiques.

En conclusion, je répète qu’il s’agit pour nous non pas de faire table rase du passé pour des raisons idéologiques, mais bien de faire table rase du passif pour le redressement durable de notre école, si abîmée par endroits.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Il s’agit également de veiller à ce que le signe de l’éloignement de l’enfant soit repéré très rapidement, suscitant alors la mobilisation de toute une équipe éducative.

Je propose donc d’abroger la loi Ciotti parce que c’est une loi de défiance, et je vous invite à soutenir les propositions que je viens d’expliciter, issues du texte de confiance que j’ai déposé : confiance envers les jeunes, confiance envers leurs parents, confiance envers l’école et en sa capacité à apporter à chacune et à chacun les outils nécessaires à sa réussite ; confiance envers les partenaires sociaux éducatifs qui, tous ensemble, œuvrent pour une intégration réussie dans notre société. §

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi, déposée et excellemment défendue à l’instant par Françoise Cartron, vise à abroger deux dispositifs distincts : premièrement, le mécanisme de suspension des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire instauré par la loi Ciotti de 2010 ; deuxièmement, le contrat de responsabilité parentale issu de la loi Borloo de 2006.

Ces deux dispositifs étaient naguère liés étroitement. Initialement, le contrat de responsabilité parentale permettait en effet au président du conseil général de demander la suspension des allocations familiales en cas de non-respect de leurs engagements par les familles.

Toutefois, le contrat de responsabilité parentale, ou CRP, est demeuré inappliqué par l’ensemble des conseils généraux de toutes sensibilités politiques, hormis dans le département des Alpes-Maritimes présidé par Éric Ciotti lui-même. En 2010, sur 194 contrats signés, seuls dix l’étaient hors des Alpes-Maritimes, en Vendée pour l’essentiel.

Tant l’Assemblée des départements de France que la Caisse nationale des allocations familiales et la Direction générale de la cohésion sociale ont souligné que ce contrat n’avait pas pris, parce qu’il perturbe la logique même de l’accompagnement parental mis en place dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance. Rejeté par les acteurs sociaux, le CRP est redondant avec les autres dispositifs existants et ne présente aucune mesure concrète d’accompagnement parental.

En outre, le CRP n’est plus aujourd’hui corrélé avec la lutte contre l’absentéisme. En effet, pour contourner les réticences des présidents de conseil général, la loi Ciotti du 28 septembre 2010 a retiré à ces élus la faculté de demander la suspension des allocations familiales. Elle a brisé le lien entre le contrat de responsabilité parentale et la suspension des allocations, et instauré à la place un mécanisme automatique de suspension sur saisine de l’inspecteur d’académie.

Le CRP instauré en 2006 est donc devenu caduc et ne peut plus aujourd’hui être considéré comme un instrument de lutte contre l’absentéisme. Il présente toutes les caractéristiques d’un dispositif inconsistant et inutile. C’est pourquoi la commission de la culture soutient sa suppression.

J’aimerais insister sur le manque d’évaluation en amont comme en aval du dispositif de suspension des allocations familiales introduit par la loi Ciotti de 2010, l’un des deux dispositifs qu’il s’agit d’abroger. Cette loi a été adoptée sans étude d’impact en amont – et vous savez combien j’y suis attaché, a fortiori sur un tel sujet – et son application n’a fait l’objet, en aval, d’aucune évaluation.

Cette méthode de législation, vous en conviendrez, n’est pas convenable. Elle est la marque de fabrique de ces lois qui ne visent qu’à créer les conditions d’un affrontement idéologique, à mettre en place une posture politique.

Sur le fond, l’approche de l’absentéisme scolaire développée dans la loi du 28 septembre 2010 s’inscrit dans la seule perspective de la prévention de la délinquance. Il n’est pas inutile de revenir aux motivations premières de M. Ciotti. N’oublions pas que son propos concernait à l’origine la lutte contre la délinquance et non la lutte contre l’absentéisme scolaire. Ce dispositif, initialement prévu pour figurer dans la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, a finalement atterri dans le code de l’éducation !

Le mode de traitement retenu est donc la sanction des familles concernées, parfois la menace. Pourtant, l’absentéisme est un phénomène complexe et protéiforme, qui nécessite toute notre attention et l’action de tous les acteurs pouvant lutter contre ce phénomène. Ses causes sont extrêmement diverses. Il est donc impossible de pointer comme seul facteur la démission supposée des parents.

Les fédérations de parents d’élèves, quelles que soient leurs sensibilités, ont toutes affirmé que, en dehors de cas extrêmes liés à une profonde exclusion sociale, elles ne rencontraient jamais de parents démissionnaires par irresponsabilité, insouciance ou désintérêt à l’égard de leurs enfants, mais voyaient uniquement des parents démunis et désemparés.

Alors que le lycée professionnel est massivement touché par l’absentéisme, la question de l’orientation par défaut ne peut être occultée. La première année de lycée professionnel concentre 18 % de l’absentéisme scolaire : il y a donc beaucoup à faire à ce niveau-là. L’orientation subie, à cette période de la vie entre l’adolescence et l’âge adulte, provoque forcément le désintérêt, y compris parfois pour chercher de petits boulots si l’on pense que l’on ne poursuivra pas dans cette voie.

Au collège, les élèves absents sont souvent ceux qui connaissent déjà l’échec scolaire, après un parcours difficile dans l’enseignement primaire.

Quant à la relation avec la violence scolaire, le lien de causalité suggéré dans la loi Ciotti devrait être inversé. Ce sont les cas de violence, parfois de harcèlement constitué, qui poussent certains enfants à ne pas aller en cours pour éviter leurs agresseurs. On constate en effet que les élèves qui subissent des violences, affichées ou sourdes, ne viennent plus à l’école : ce seraient donc eux, et non pas ceux qui exercent ces violences, qui seraient sanctionnés ! Le résultat obtenu est exactement l’inverse de celui qui était recherché par M. Ciotti.

Il existe aussi un absentéisme de confort, proche du zapping scolaire, où l’on évite un professeur en particulier, une discipline spécifique ou bien certains horaires, comme le premier cours après la pause méridienne.

En dehors de la scolarité et de l’établissement, les absences peuvent également plonger leurs racines dans des difficultés d’ordre social ou familial. Même si l’absentéisme touche tous les milieux, il semble plus élevé chez les familles dont la situation est précaire, qui sont frappées par le chômage et sont allocataires des minima sociaux. Les facteurs de fragilisation, comme un divorce, une recomposition familiale difficile ou un décès, pèsent également sur l’assiduité. En outre, l’existence de conflits intrafamiliaux peut entraîner un absentéisme, à un âge où l’autorité des parents est contestée par l’adolescent et doit se reconfigurer.

D’autres facteurs peuvent encore entrer en jeu. Il ne faut pas négliger, par exemple, d’éventuels problèmes psychologiques individuels rencontrés par l’adolescent – cela a été évoqué – ou l’exercice de plus en plus courant, notamment pour les élèves de lycée professionnel, d’un travail salarié à côté des études.

Dès lors, il paraît profondément irréaliste de proposer une solution commune à tous ces types d’absentéisme. Une solution purement répressive semble, en outre, particulièrement inadaptée.

La suspension des allocations familiales sur saisine de l’éducation nationale reprend un vieux dispositif, en vigueur pendant près de quarante ans. Je tiens à insister sur ce point, qui me permet de souligner que nous ne cherchons pas à faire de ce débat un conflit idéologique. Peut-être certains le veulent-ils ? De 1966 à 2004, ce dispositif avait déjà fait la preuve de son manque d’efficacité et d’équité. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Raffarin l’avait supprimé, par l’entremise du ministre de l’éducation nationale de l’époque, Luc Ferry.

À l’époque, de 6 000 à 7 000 familles étaient sanctionnées chaque année. Cela a été le cas pendant quarante ans, jusqu’à ce que le gouvernement Raffarin abroge le dispositif, lequel n’avait aucun effet positif sur l’évolution de l’absentéisme. Au contraire, celui-ci progressait du fait de l’aggravation des problèmes économiques et sociaux.

Avec le nouveau dispositif, 472 suspensions ont été prononcées de février 2011 à mars 2012, soit environ un an.

Depuis la mise en œuvre de la loi Ciotti, aucune amélioration tangible et durable des statistiques d’absentéisme ne peut être observée. En un an, le taux moyen de l’absentéisme dans l’enseignement du second degré est passé de 4, 3 % en 2009-2010 à 5 % en 2010-2011, avec une augmentation généralisée au collège, au lycée général et au lycée professionnel.

L’un des effets pervers de la logique répressive de la loi Ciotti est d’avoir, dans certains cas, conduit à une baisse des signalements d’absentéisme, ce qui rend le phénomène plus difficile à traiter parce que moins visible. Après quatre demi-journées d’absence, le signalement doit être effectué par les responsables d’établissement. Vous pensez bien que ces derniers, sachant les conséquences que leur signalement peut avoir sur les allocations attribuées à des familles qu’ils connaissent, ne veulent pas mettre le doigt dans cet engrenage, et préfèrent ne pas le lancer. Au lieu de lutter contre le phénomène, on le masque. Certains chefs d’établissement, donc, évitent d’enclencher un mécanisme qui risque d’aboutir à fragiliser la situation déjà difficile de certaines familles qu’ils connaissent bien.

Il est un autre point qui mérite l’attention : l’essentiel des retours à l’assiduité intervient au moment de l’avertissement adressé aux parents par le DASEN. C’est bien la solennité de la procédure d’alerte et du rappel à la loi qui importe et non la sanction elle-même. De ce point de vue, la proposition de loi déposée par Françoise Cartron est parfaitement calibrée, puisqu’elle maintient l’avertissement solennel – ces articles de loi ne sont pas supprimés – ainsi que le rappel des règles en vigueur et des sanctions pénales applicables. Je rappelle qu’il existe deux incriminations comme contravention et comme délit. Tout l’effet dissuasif est donc conservé par la proposition de loi, qui ne supprime qu’une sanction administrative inutile, inefficace et injuste, comme j’ai essayé de le démontrer.

L’inefficacité du dispositif est patente. La suppression effective des allocations familiales n’entraîne pas le retour à l’assiduité des enfants absentéistes. C’est ce que m’a clairement expliqué, sur la base des rapports des DASEN, le recteur de Créteil, lequel, particulièrement exposé au phénomène, a d’ailleurs entrepris beaucoup d’actions pour y faire face.

Après ce constat d’inefficacité, permettez-moi de rappeler quelques critiques de principe. La suspension des allocations stigmatise et frappe de manière disproportionnée les familles modestes. Dans l’académie de Créteil, par exemple, les familles convoquées à l’inspection se trouvent dans des situations socioéconomiques très difficiles. De même, le contexte familial est souvent dégradé, avec des élèves suivis par l’aide sociale à l’enfance et faisant l’objet d’actions éducatives en milieu ouvert. On retrouve également une proportion non négligeable d’élèves placés en familles d’accueil. Pour ces familles qui connaissent la précarité, les allocations représentent une ressource importante, alors que les familles plus aisées sentent peu le poids de la sanction, comme Mme Cartron l’a expliqué.

La suspension des allocations constitue une sorte de double peine, qui frappe des familles déjà fragiles et risque d’éloigner encore plus ces dernières de l’institution scolaire, alors même qu’on prétend les en rapprocher. De plus, sont laissées dans l’angle mort de nombreuses familles qui, n’ayant qu’un seul enfant à charge, ne perçoivent pas ou plus les allocations familiales. C’est pourquoi la commission de la culture accueille très favorablement la suppression du dispositif, proposée par Françoise Cartron.

Pour ne pas en rester à une simple abrogation de mauvaises mesures, la commission a intégré dans le texte initial une nouvelle méthode de traitement de l’absentéisme scolaire. Tout ce qui est négatif est éliminé, tandis que des solutions plus positives sont recherchées. D’autres mesures seront probablement intégrées dans le prochain projet de loi d’orientation sur l’école, notamment en matière d’orientation et d’association constructive des parents à la vie des établissements. C’est ce que la concertation pour la refondation de l’école laisse apparaître. Des actions multiples sont engagées pour ouvrir l’école, y associer les parents et permettre un travail sur l’orientation scolaire : autant d’angles, en somme, par lesquels l’absentéisme peut être attaqué.

En attendant cette étape, la commission a souhaité que puisse être immédiatement inscrite dans la loi la nécessité de mobiliser autour de l’établissement tous les acteurs de terrain, afin qu’ils trouvent la solution la plus adaptée à chaque cas particulier. Ainsi, en cas de persistance du défaut d’assiduité, le directeur de l’établissement d’enseignement réunira les membres concernés de la communauté éducative en vue de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés et contractualisés avec celles-ci.

Afin d’éviter les confusions sur ce point – les débats en commission ont montré qu’elles étaient possibles –, je vous rappelle que, aux termes de l’article L. 111-3 du code de l’éducation, la communauté éducative comprend tous ceux qui participent à l’accomplissement des missions de l’école, du collège ou du lycée. Elle réunit les personnels de direction, les enseignants, les conseillers principaux d’éducation, les infirmières et médecins scolaires, les psychologues et assistantes sociales, les parents d’élèves, mais également les collectivités territoriales, ainsi que les acteurs institutionnels, économiques et sociaux, associés au service public de l’éducation.

Le champ est donc très vaste et déborde le seul personnel de l’éducation nationale. Y sont intégrés le maire de la commune de résidence, le président de conseil général, le président de conseil régional, de même que les services sociaux et jusqu’à la protection judiciaire de la jeunesse.

Bien évidemment, nous ne proposons pas que tout le monde soit systématiquement convié. Nous suggérons plutôt que, dans ce très vaste panel, le directeur d’école ou le chef d’établissement choisisse de réunir, en fonction de ses premières observations, les membres les mieux à même de formuler un diagnostic rigoureux sur la situation de l’élève et de sa famille. Il est important que les représentants des parents d’élèves y soient systématiquement associés – ils nous l’ont d’ailleurs demandé –, car ils pourront agir comme des médiateurs pour faciliter l’adhésion de la famille concernée au processus.

Il s’agit non pas d’une structure nouvelle qui s’empilerait sur les autres, mais d’une méthode de coordination de tous les dispositifs et services qui existent et qui demeurent, pour l’heure, cloisonnés. L’objectif est de mettre le plus rapidement possible à la disposition des familles les outils les plus efficaces pour faire face à leur situation spécifique. Pour l’instant, les dispositifs communs à l’éducation nationale et à l’action sociale comme les contrats locaux d’accompagnement à la scolarité demeurent trop centrés sur l’enseignement primaire et sur l’aide aux devoirs. Ils prennent trop peu en compte l’adolescence et le soutien à la parentalité. Le texte adopté en commission fournit une base législative qui permettra leur rénovation, à laquelle, je le sais, Mme la ministre déléguée à la famille travaille.

La réunion de diagnostic doit permettre d’aiguiller la famille. S’il s’agit avant tout d’un problème pédagogique ou éducatif, des solutions lui seront proposées dans l’établissement. S’il s’agit d’un problème d’orientation, notamment dans la voie professionnelle, la coordination avec le président du conseil régional et le rectorat permettra d’envisager un accompagnement de l’élève, un transfert ou une passerelle. S’il s’agit d’un problème social et familial, les services du conseil général et les CAF interviendront pour guider la famille vers des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, des lieux d’accueil enfants-parents ou des modules de médiation familiale.

La commission a souhaité que l’aide et l’accompagnement soient contractualisés avec la famille. Il s’agit non pas de réintroduire une logique de sanction, mais de permettre un suivi rigoureux et une évaluation précise de l’évolution de la situation. C’est aussi un moyen de garantir que la solution ne soit pas imposée à des parents infantilisés et stigmatisés, mais qu’elle soit au contraire discutée avec eux jusqu’à leur adhésion et leur approbation.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

La formalisation d’engagements réciproques et d’objectifs conférera au processus une solennité utile à sa réussite.

Enfin, le texte de la commission prévoit, comme l’a souhaité le Président de la République dans son discours à la Sorbonne, qu’un référent soit désigné pour suivre la mise en œuvre de cette contractualisation.

Au bénéfice de ces explications, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication vous demande d’adopter la proposition de loi de Françoise Cartron. §

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai pris connaissance de la proposition de loi de Mme Cartron, qui vise à ouvrir la voie à de nouveaux dispositifs de lutte contre l’absentéisme scolaire, en supprimant le contrat de responsabilité parentale, ou CRP, et la sanction de suspension et de suppression des allocations familiales.

L’absentéisme, comme cela a été dit, est avant tout le symptôme d’une situation sociale difficile pour des familles – souvent des mères célibataires, d’ailleurs – qui peinent à suivre l’éducation de leurs enfants. L’absentéisme est également la première étape d’un chemin qui mène ensuite vers le décrochage scolaire et enfin, trop souvent, vers l’exclusion sociale.

Pour traiter ce phénomène complexe et multifactoriel, l’ancienne majorité, et notamment M. Ciotti, avait proposé une seule réponse, univoque, injuste, inefficace et tardive.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

Je veux bien sûr parler de la suspension puis de la suppression des allocations familiales si l’élève demeure absentéiste, selon un dispositif qui comprend plusieurs phases.

Dès lors que quatre demi-journées d’absence non justifiée sont constatées par l’établissement, le directeur ou le chef de l’établissement signale l’absence au directeur académique des services de l’éducation nationale, le DASEN. Celui-ci adresse un avertissement aux personnes responsables de l’élève. Il leur rappelle leurs obligations légales et les sanctions pénales auxquelles elles s’exposent. Il peut également diligenter une enquête sociale.

Si, malgré tout, l’élève continue d’être absentéiste, le DASEN saisit le président du conseil général, qui propose un contrat de responsabilité parentale aux responsables de l’élève. Ce CRP rappelle les obligations du titulaire de l’autorité parentale et comporte des mesures d’aide sociale.

Si les représentants légaux refusent de signer le contrat, ou si les obligations qui leur incombent ne sont pas respectées, le président du conseil général peut demander la suspension puis la suppression des allocations familiales.

Voilà le système de lutte contre l’absentéisme sur lequel nous sommes amenés à nous prononcer aujourd’hui. Comme vous, madame Cartron, le Gouvernement considère que ce dispositif n’a jamais réellement fonctionné et qu’il n’a été mis en place que pour répondre à des objectifs d’affichage politique, tout en se révélant inefficace et injuste.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

En 2003, le rapport Machard, commandé par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, Xavier Darcos, ministre délégué à l’enseignement scolaire, et Christian Jacob, ministre délégué à la famille, avait préconisé la suppression de ce dispositif, qui avait été introduit en janvier 1959 en cas de manquements à l’obligation scolaire. M. Machard y voyait en effet une sanction inéquitable, en ce qu’elle était appliquée de manière hétérogène sur le territoire et n’affectait que les familles percevant ces prestations sociales, soit, bien évidemment, les plus démunies d’entre elles et celles qui comptaient plusieurs enfants.

M. Jacob, qui est désormais président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, avouait alors ne pas être convaincu par ce dispositif.

En 2006, M. Ciotti a créé un premier dispositif, qui a ensuite été durci dans un contexte de droitisation de la majorité de l’époque à la suite du discours de Grenoble.

La même majorité a donc rejeté un dispositif en 2004, avant de le réintroduire petit à petit, puis de le durcir. Or personne n’a jamais été en mesure de nous dire si ce dispositif était efficace ou pas. Comme l’ont très bien rappelé Mme Cartron et M. Assouline, aucune étude d’impact, aucune évaluation de ce dispositif n’ont jamais été effectuées.

Pour notre part, nous avons tenté de savoir à quoi cette loi a servi, en nous appuyant sur les chiffres dont nous disposons. Les statistiques fournies par la direction générale de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale – elles sont exhaustives, tous les directeurs académiques des services de l’éducation nationale ayant fait remonter leurs informations – permettent de voir comment la mesure a été appliquée.

Seuls 300 000 des 12 millions d’élèves sont absentéistes. Ce chiffre ne prend pas en compte tous les absentéistes, comme l’a rappelé David Assouline, et heureusement, car tous les directeurs d’établissement ne souhaitent pas lancer le processus.

En 2011-2012, 79 000 signalements ont été effectués. Ils n’ont donné lieu qu’à 619 suspensions des allocations familiales. En outre, les allocations ont ensuite été reversées à 142 familles parce que l’élève avait cessé d’être absent. Cela signifie que non seulement le nombre de suspensions est assez dérisoire par rapport à la réalité de la scolarité – 619 suspensions pour un total de 12 millions d’élèves ! –, mais surtout que, dans 80 % des cas, le dispositif est inefficace puisque l’élève ne retourne pas à l’école.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

La preuve est faite que ce dispositif ne fonctionne pas. La seule menace financière ne suffit pas à permettre aux parents d’obtenir de leurs enfants qu’ils retournent à l’école.

Par ailleurs, comme cela a été très bien dit, si l’absentéisme résultait de l’incapacité ou de la désinvolture des parents, le même phénomène serait constaté à l’école primaire. Or l’absentéisme est infinitésimal à l’école primaire. Il ne commence à être significatif qu’à la fin du collège et au début du lycée, notamment du lycée professionnel, soit à un moment où les parents ont moins d’impact sur des adolescents souvent en crise, à une période de la vie où les enfants sont particulièrement difficiles. Tous les parents savent en effet qu’il n’est pas si simple de gérer un adolescent et de lui imposer sa volonté, dans cette phase, après tout normale, de la vie où il est précisément en train de contester.

Les chiffres le montrent, le dispositif n’est pas du tout efficace.

Nous pensons donc qu’il faut s’y prendre autrement. Ce qui est intéressant dans l’étude à laquelle vous avez procédé, c’est qu’elle montre bien que, dès lors que le phénomène est identifié, que l’on s’intéresse à l’élève, que l’on appelle ses parents et qu’on signale que quelque chose ne va pas, une partie des jeunes reprennent le chemin de l’école, celui de la normalité. Il faut donc non pas suspendre le versement des allocations familiales, mais prendre en compte l’absentéisme scolaire, qui est en fait un symptôme, s’intéresser à l’enfant et essayer de mettre en œuvre les mesures d’accompagnement adaptées. Voilà ce qu’il faut faire si l’on veut que les jeunes retournent à l’école.

Vous l’avez très bien dit, madame Cartron, les causes de l’absentéisme peuvent être extrêmement variées. Des solutions tout aussi variées existent. Il peut s’agir de mesures d’accompagnement social, de soutien à la parentalité, de médiation culturelle ou de médiation familiale, les familles étant parfois en pleine crise.

Cela a été dit, il faut également réfléchir à l’orientation des jeunes. On dit parfois que le peuple vote avec ses pieds. On peut le dire aussi des jeunes : un élève qui n’est pas content du lycée ou de la section dans laquelle on l’a mis arrête de fréquenter l’école. C’est là un échec. Pour régler ce problème, il faut s’y prendre autrement, et surtout tôt. Il ne faut pas laisser la situation se dégrader. Il faut aider les parents et mettre en place – nous l’avons très bien compris – des dispositifs d’accompagnement, tels les RASED, lesquels ont malheureusement été supprimés par nos prédécesseurs.

Je rappelle également, à l’intention de ceux qui s’inquiètent de l’incurie des parents, que, pour le cas où des parents se comporteraient mal ou se désintéresseraient de leurs enfants et, de ce fait, mettraient en péril la moralité, la sécurité ou l’éducation de leurs enfants, des procédures sont prévues dans le code pénal afin de protéger les mineurs.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

Nous ne sommes donc pas totalement démunis face à des parents incapables ou particulièrement désinvoltes.

En fait, nous disons simplement qu’il est tout à fait inadmissible de s’en prendre aux allocations familiales. Une telle solution est injuste. Elle ne concerne qu’un nombre limité d’enfants : une mère seule avec un enfant, situation malheureusement fréquente, ne sera pas concernée par le dispositif. Ainsi, ce dispositif, on s’en rend compte, ne sert pas à grand-chose.

On constate en fait que l’absentéisme et le décrochage scolaires ne sont pas propres à notre pays. Le rapport de la commission décrit un certain nombre de dispositifs expérimentés à l’extérieur de la France.

Pour ma part, j’ai récemment participé à une réunion des ministres de l’éducation européens, qui cherchent des solutions à ces problèmes. Bruxelles va adopter au mois de novembre prochain une série de préconisations sur ce sujet. Il est à noter cependant qu’on ne demande nulle part d’agir sur les allocations familiales.

Aujourd'hui, les auteurs de la proposition de loi sénatoriale proposent d’intervenir en premier lieu à l’échelon de l’établissement. On peut en effet considérer que le département est un échelon trop éloigné dans un premier temps. La solution proposée, qui associerait à la communauté éducative les services sociaux et la protection judiciaire de la jeunesse, en bref tous ceux qui sont chargés de la protection de l’enfance, mérite d’être examinée, car elle est utile.

Il a également été question à plusieurs reprises de ce qui se fait dans le Val-de-Marne. Le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis sont effectivement des départements comptant un nombre important de jeunes en grande difficulté. Ce qui se pratique dans le Val-de-Marne peut servir de référence pour réagir au phénomène de l’absentéisme scolaire.

Le DASEN du Val-de-Marne a mis en place une commission départementale traitant les cas les plus lourds, en liaison avec les services du conseil général, celui-ci étant chargé de la protection de l’enfance. Nous allons examiner cette solution de près. Ma collègue Dominique Bertinotti et moi-même allons, au titre de nos ministères respectifs, proposer des manières de fonctionner permettant de faire face aux dysfonctionnements, qu’ils soient scolaires ou familiaux, qui se traduisent par de l’absentéisme.

Aujourd'hui, il s’agit d’abord de supprimer un dispositif injuste et inefficace. À cet égard, le Gouvernement est parfaitement d’accord avec la proposition de loi. Il nous appartiendra ensuite, une fois que ce dispositif aura été supprimé – il est une fausse bonne solution, que la grande majorité des services sociaux et des responsables de l’éducation nationale n’a d’ailleurs jamais appliquée –, de bâtir, en cohérence avec les orientations européennes, un véritable processus prenant en compte le malaise que traduit l’absentéisme et permettant de remettre les jeunes sur de bons rails.

Il ne suffit pas de priver les familles de moyens, de stigmatiser les jeunes et de leur dire que leur comportement nous déplaît. Ce qu’il faut, c’est permettre à chaque jeune de retrouver la voie de la réussite, de l’estime de soi et du succès. Il est absolument indispensable qu’un certain nombre d’adultes bienveillants jouent un rôle auprès de ces jeunes.

Notre pays n’a pas assez de jeunes pour pouvoir se permettre d’en laisser un certain nombre au bord du chemin. C’est à cette tâche tout à fait importante que nous allons nous atteler tous ensemble, une fois que les fausses pistes proposées par M. Ciotti auront été éliminées. §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006 avait, entre autres dispositions, créé un contrat de responsabilité parentale.

Sous prétexte de lutter contre l’absentéisme scolaire, cette loi a instauré un dispositif de sanction des parents des élèves absentéistes et ouvert la possibilité de supprimer les allocations familiales relatives à leur enfant.

Partant du constat que très peu de présidents de conseil général ont effectivement mis en œuvre ce dispositif, la loi de 2010 l’a aggravé, sans que toutefois une réflexion ait été menée sur les raisons de son inapplication.

Elle a instauré l’obligation pour l’inspecteur d’académie de demander, après un premier avertissement, la suspension des allocations afférentes à l’enfant absent.

Cette loi est fondée sur un amalgame entre absentéisme et délinquance, que nous ne pouvons accepter.

Elle institue également le principe d’une sanction financière des parents concernés, ce qui la rend d’autant plus condamnable. Ce faisant, elle dévoie l’objectif des allocations familiales, lesquelles sont destinées à compenser une partie des charges financières liées à l’enfant, en laissant penser que ces allocations récompensent les bons parents.

Ce dispositif culpabilisant a pourtant montré son inefficacité en matière d’accompagnement de la parentalité.

La France avait déjà expérimenté ce dispositif en 1966, pour finalement conclure à son inefficacité et l’abroger en 2004. Je rappelle que la majorité d’alors avait qualifié ce dispositif d’ « inéquitable, injuste et inefficace ».

Inéquitables et injustes, tels demeurent le contrat de responsabilité parentale et la loi de 2010. Ces dispositions portent atteinte au principe d’égalité devant la loi, consacré par l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. En effet, les familles qui n’ont qu’un seul enfant ne perçoivent pas d’allocations familiales et échappent ainsi à toute sanction. Sans compter que cette sanction, quand elle est appliquée, pénalise plus durement les familles les plus démunies, avec une variation du pourcentage de perte de ressources : de 16 % à 47 % en 2003, selon les chiffres du rapport Machard.

Le contrat de responsabilité parentale et la loi de 2010 sont également inefficaces. La récente étude du Centre d’analyse stratégique de septembre 2012 intitulée Aider les parents à être parents vient confirmer cette analyse. Elle montre que le succès des programmes de soutien à la parentalité s’explique par l’intensité et la qualité des services d’accompagnement des familles. D’ailleurs, les municipalités s’impliquent bien en général, notamment grâce aux heures d’accompagnement à la scolarité, qui ont été mises en place dans de très nombreuses communes.

L’adhésion des parents repose sur plusieurs facteurs. Il faut centrer les dispositifs sur des familles qui connaissent des difficultés avérées, limiter la stigmatisation des bénéficiaires et privilégier une approche globale des problèmes de tous les membres de la famille avant d’évoquer des sanctions éventuelles.

Mais, surtout, c’est la nature de l’accompagnement proposé qui apporte une plus-value. Il faut une intervention intensive, dans la durée, avec un interlocuteur unique disposant de moyens importants et jouant un rôle d’interface avec l’ensemble des autres services sociaux. La mise en œuvre doit être le fait de professionnels particulièrement qualifiés et expérimentés, capables d’accompagner et d’encourager les bénéficiaires. J’insiste sur ce point : il faut parler d’« accompagner » et d’« encourager » avant de parler de « sanctionner » !

L’absentéisme, qui est un phénomène complexe, lié à de multiples facteurs, recoupe des réalités diverses qui ne peuvent pas être résolues par le biais d’une mesure aussi simpliste et réductrice que la stigmatisation des parents.

Loin d’être un phénomène généralisé, l’absentéisme est évalué à 5 % en 2010-2011. Ce chiffre cache d’ailleurs une très grande disparité. Cela concerne d’abord, et massivement, les élèves de lycées professionnels, où le taux d’absentéisme atteint près de 15 %, contre 6, 9 % dans les lycées d’enseignement général et 2, 6 % dans les collèges, le premier degré étant, lui, touché de manière tout à fait marginale.

Je voudrais d’ailleurs évoquer le rôle de l’enseignant en primaire, appelé instituteur hier et professeur des écoles aujourd'hui. Jadis, c’était essentiellement un tuteur, ayant un lien fort avec l’élève ; d’ailleurs, l’école avait aussi un lien fort avec la famille. Ce sont des éléments qu’il faudra peut-être prendre en compte lorsque nous discuterons du rôle du référent.

Les causes de l’absentéisme sont très diverses.

Cela peut être le fruit d’une démotivation ou d’une démobilisation en raison d’une orientation par défaut ou d’une situation d’échec scolaire. Notons que 10 % des lycées professionnels concentrent plus de 40 % des absentéistes ; cela devrait nous inciter à réfléchir à la revalorisation de cette filière, trop souvent considérée comme lieu de relégation des élèves en difficulté, d’où une concentration de problèmes et de handicaps lourds.

L’absentéisme peut également provenir du climat scolaire et de la souffrance de l’élève face à des violences subies au sein de l’établissement. Dans ce cas, l’élève est victime de violences avant que sa famille ne soit victime de sanctions…

Enfin, le contexte familial et social joue. Comme vous l’avez souligné, madame la ministre déléguée, précarité et rupture familiale ont des effets sur les absences, sans pour autant que cela vienne corroborer la thèse des parents démissionnaires.

La question scolaire et celle de l’absentéisme ne peuvent pas être traitées à travers le prisme unique de la responsabilisation des parents. Loin de réduire la question à la sphère privée, il faut également réaffirmer la responsabilité publique de l’État et lui donner les moyens humains et financiers de traiter l’aspect pluridimensionnel du problème. Cela suppose un accompagnement durable et de qualité reposant sur la confiance, et non sur la stigmatisation.

Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous féliciter que le contrat de responsabilité parentale n’ait quasiment pas été appliqué. En effet, seuls 191 contrats ont été signés en 2011, essentiellement dans le département des Alpes-Maritimes.

Selon le premier bilan de l’application de la loi de 2010, qui a été effectué en décembre 2011, 32 000 familles ont été alertées dans ce cadre. La moitié des procédures ont donné lieu à une seconde convocation. Au final, ce sont 160 suspensions qui ont effectivement été prononcées.

Un tel mécanisme est éthiquement contestable, peu appliqué et, surtout, inefficace. Nous sommes donc favorables à l’abrogation pure et simple de toute mesure de sanctions des familles par la suppression des allocations en cas d’absentéisme scolaire, que ce soit dans le cadre du contrat de responsabilité parentale de 2006 ou des dispositions créées par la loi de 2010.

Le dispositif permettant de réunir les membres de la communauté éducative en cas de persistance de l’absentéisme pour proposer aide et accompagnement, qui a été introduit par M. le rapporteur, nous paraît suffisamment souple pour pouvoir s’adapter à la diversité des situations d’absentéisme, en mobilisant les acteurs concernés pour chaque cas.

Dans la mesure où il abandonne l’idée de sanctions ou d’obligations pour les parents et s’inscrit dans le respect des conditions nécessaires à la réussite de tels processus – je pense notamment à un accompagnement de qualité dans la durée –, ce dispositif nous paraît positif et porteur d’espoir pour ces jeunes en difficulté, à qui il faut redonner confiance ; j’insiste sur cette notion, car c’est la clé de la réussite.

En outre, et c’est également très important, il faut repérer le plus précocement possible les signes de décrochage scolaire, afin de réagir dès les premières manifestations pour prévenir et limiter la bascule dans l’absentéisme. Le référent peut, et doit jouer un rôle d’observateur et d’éveilleur au sein de l’équipe pédagogique, même si c’est toute l’équipe qui doit se sentir concernée.

Nous voterons donc ce texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la proposition de loi que nos collègues socialistes ont choisi d’inscrire à leur ordre du jour réservé visait initialement à supprimer purement et simplement le dispositif de lutte contre l’absentéisme scolaire mis en place par la loi du 28 septembre 2010.

L’exposé des motifs ne fait pas dans la mesure et qualifie les dispositions de la loi dite « Ciotti » d’« injustes », d’« inégalitaires », d’« inopportunes », d’« inadaptées », d’« inappropriées », …

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

M. David Assouline, rapporteur. De « méchantes » aussi !

Sourires

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

… leur reprochant une « méconnaissance totale de la réalité », une utilisation de la « menace financière », ainsi qu’une « vision déformée des parents ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Qu’a donc fait le législateur de 2010 de si inadmissible ?

L’obligation d’assiduité scolaire est un principe d’application constante posé dès la loi Jules Ferry du 28 mars 1882. En vertu de ce principe, tous les enfants âgés de six ans à seize ans présents sur notre territoire bénéficient aujourd’hui d’une instruction. Elle peut être reçue soit dans un établissement scolaire public ou privé, soit dans leur famille.

Les textes prévoient deux types de contrôle pour garantir ce droit à l’instruction : d’une part, le contrôle de l’obligation scolaire, pour s’assurer de l’accès de l’enfant à l’instruction ; d’autre part, le contrôle de l’assiduité scolaire, pour vérifier que l’enfant inscrit dans un établissement scolaire y est effectivement présent.

Dans le cadre de ce deuxième contrôle, les politiques mises en œuvre pour lutter contre l’absentéisme scolaire ont varié, certains gouvernements mettant plutôt l’accent sur des mesures de prévention…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

… et d’autres sur des mesures plus coercitives, comme la suspension et la suppression des allocations familiales.

Ainsi, l’ordonnance du 6 janvier 1959 subordonnait le versement des prestations familiales au respect de l’obligation d’assiduité scolaire. Cependant, la suppression, en 2004, de ce système et son remplacement, en 2006, par un contrat de responsabilité parentale ainsi, parallèlement, que par le pouvoir donné au président du conseil général de demander la suspension des allocations familiales, n’ont pas eu l’effet escompté.

Par conséquent, comme il est souligné dans le rapport de la commission de la culture sur la proposition de loi en discussion, la loi Ciotti a au final repris l’ancien régime de suspension des allocations pour manquement à l’obligation d’assiduité scolaire, en vigueur jusqu’en 2004. Comme le reconnaît M. le rapporteur, « rétablissant une sanction administrative en plus des sanctions pénales, la loi Ciotti prévoit un régime gradué de suspension des allocations familiales aux parents des élèves absentéistes ».

Reconnaissez, mes chers collègues, que nous sommes loin de la présentation un peu caricaturale décrite dans l’exposé des motifs de la proposition de loi ! La sanction sur les allocations familiales n’est utilisée qu’en dernier recours.

Pour autant, souhaitant que le débat parlementaire soit non pas dogmatique, mais constructif, je pense utile que nous nous interrogions sur l’efficacité et l’impact des lois que nous élaborons.

Qu’en est-il dans le cas présent ?

En premier lieu, le dispositif de la loi Ciotti n’est véritablement entré en vigueur qu’au mois de janvier 2011, date du décret d’application de la loi. Nous n’avons donc un recul dans le temps que très limité pour établir un bilan : à peine vingt mois, et même moins si l’on décompte les vacances scolaires.

Oserai-je rappeler que le Président de la République a lui-même proposé d’élargir et d’assouplir « le droit à l’expérimentation » ?

Ayons à l’esprit que, pour mener à bien une expérimentation, pouvoir en dresser un bilan et en tirer des conséquences, il faut savoir donner du temps au temps. §Or, dans notre pays, nous avons trop souvent le défaut de tirer les conclusions avant la fin de l’expérimentation, parfois même avant le début.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

En second lieu, les données quantitatives sont très parcellaires et les dispositifs d’évaluation prévus par la loi n’ont pas été mis en œuvre. Ainsi, sait-on que, entre janvier 2011 et mars 2012, 472 familles au total ont été sanctionnées pour l’absentéisme scolaire répété de leur enfant et privées partiellement d’allocations ?

Mais, alors que la loi prévoit le signalement des élèves absents quatre demi-journées ou plus par mois sans motif valable, je m’étonne que le ministère de l’éducation nationale n’ait pas été en mesure de donner au Parlement – le voulait-il vraiment ? – des chiffres plus précis sur le nombre de signalements, le nombre d’avertissements aux familles, le nombre de demandes de suspension, le nombre de suspensions effectives et le nombre de rétablissements des allocations familiales du fait du retour à l’école des élèves.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Il a fallu être aujourd'hui dans l’hémicycle pour recevoir quelques données chiffrées de la part de Mme la ministre déléguée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

En tant que président du conseil général du Calvados, je suis en mesure de dire que, dans mon département, pour l’année scolaire 2011-2012, 270 courriers liés à l’absentéisme scolaire ont été envoyés aux familles par la direction départementale de l’éducation nationale. Au final, seules 13 demandes de suspension du versement des allocations familiales ont été engagées. Je dois reconnaître que l’absentéisme des élèves âgés de six à seize ans ne constitue pas un problème majeur dans le Calvados.

Afin de tenir compte des difficultés psychologiques, environnement social ou familial complexe ou autres dérives, le conseil général a mis en place des partenariats élargis et contribue aux financements de centre de formation ou classe atelier. Ces dispositifs-relais assurent une prise en charge spécifique, adaptée aux difficultés propres aux élèves signalés aux services sociaux. Ils permettent de réinsérer ces élèves dans le cadre de parcours de formation générale, technologique ou professionnelle sous statut scolaire.

Le département cherche avant toute chose à développer des politiques de prévention, en coordination avec les services de l’éducation nationale, afin de proposer très précocement des interventions à but psycho-médico-social auprès des familles concernées.

Toutefois, d’après les informations qui me sont remontées des services du département, la loi Ciotti a permis une meilleure communication entre les différents acteurs, notamment par l’information systématique de l’envoi des courriers de signalements des enfants absents, ce qui permet ensuite de mieux cibler les interventions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

Peut-être que le retour sur les bancs de l’école après la suspension des allocations familiales ne concerne que quelques dizaines d’enfants en France, et heureusement ! Pour autant, est-ce la preuve de l’inutilité totale de la procédure ?

Dans le cadre de la politique baptisée « Refondation de l’école », le ministre de l’éducation nationale a annoncé une réflexion relative aux dispositions de lutte contre l’absentéisme et au décrochage scolaire. Ainsi, une loi de programmation et d’orientation est annoncée ; elle doit être présentée en conseil des ministres au mois de décembre prochain, pour une discussion au Parlement à compter de janvier 2013.

Alors, mes chers collègues, notamment mes collègues socialistes, pourquoi ne pas profiter de ce temps de réflexion souhaité par le ministre pour évaluer au mieux le dispositif de la loi du 28 septembre 2010, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

… quitte au besoin à en décider la suppression, mais en formulant de véritables propositions de remplacement, dans l’intérêt des enfants ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Françoise Cartron, dont nous discutons aujourd’hui, vise à défaire un texte qui n’aura pas vécu bien longtemps. Et c’est tant mieux : souvenez-vous, j’étais contre la loi Ciotti.

Prétendre résoudre le problème de l’absentéisme scolaire par la suspension des allocations familiales perçues par les familles était illusoire, d’autant qu’un système équivalent a déjà été appliqué à partir de 1966, avant d’être supprimé en 2004 par la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance.

S’il existe bien 150 000 « décrocheurs » par an dans notre pays, ce n’est pas en pénalisant les familles défavorisées que nous attirerons les enfants concernés vers l’école.

En effet, il s’avère, malheureusement, que les sanctions administratives ont davantage touché les familles les plus fragiles. La méthode coercitive a prouvé une nouvelle fois son inefficacité.

Force est de constater, comme nous le redoutions, que l’usage du levier financier seul est parfaitement inapproprié pour inciter les jeunes à être présents.

Le dispositif prévu par la loi dite « Ciotti » est un échec. J’avais dit, à l’époque, que ce texte était pour moi hors sujet, car il reposait sur une hypothèse déviante, établissant un lien supposé entre l’absentéisme scolaire et la délinquance des jeunes, sans s’attaquer aux réelles causes du problème, qui sont d’ordre social, économique, culturel et psychologique.

Sur une période d’un an, 472 familles ont été sanctionnées. Si l’on y regarde de plus près, un autre inconvénient du dispositif Ciotti est d’avoir introduit une inégalité devant la loi puisque les sanctions n’ont pas pénalisé les familles de la même manière selon les académies.

Cette inégalité était inhérente au texte, car il existait déjà une différence d’application prévisible selon que les familles avaient un ou plusieurs enfants ou selon qu’elles étaient ou non tributaires des allocations familiales pour assurer leur quotidien.

Au cours de la concertation sur la refondation de l’école de la République, la création d’un référent dans les collèges et les lycées à fort taux d’absentéisme a été proposée. Mais il a également été envisagé d’apporter une réponse plus globale en préconisant, d’une part, la révision de l’orientation des élèves pour lui redonner du sens et la rendre plus attractive et, d’autre part, la limitation des redoublements, ce qui sera certainement plus constructif et efficace que les sanctions administratives.

Une étude menée par le centre d’analyse stratégique sur l’aide aux parents fait état des expériences menées à l’étranger, comme au Danemark ou aux Pays-Bas, où des centres sont spécialisés dans l’accompagnement global des parents. Leur succès doit nous inspirer. Je fais confiance au Gouvernement et à sa majorité pour redresser la trajectoire et l’orienter vers la réussite scolaire.

Le texte de la proposition de loi, modifié par la commission, donne la priorité à la prévention plutôt qu’à la sanction. En effet, le directeur de l’établissement pourra convoquer les parents de l’enfant et proposer des mesures d’accompagnement, qui prendront la forme d’un contrat dont la mise en œuvre sera suivie par un référent, conformément à l’engagement du Président de la République. Il pourra faire appel à toute la communauté éducative : enseignants, conseillers principaux d’éducation, psychologues et tous les acteurs qui interviennent dans le domaine de l’éducation. Les responsables légaux des enfants seront guidés et leurs enfants seront mieux pris en charge, notamment dans les lycées professionnels, qui sont les plus touchés. Ils pourront recevoir une réponse adaptée et individualisée.

La présente proposition de loi tire ainsi les leçons de l’échec de la lutte contre l’absentéisme Elle préconise de consentir les moyens matériels et surtout humains qui permettront de renforcer l’accompagnement scolaire personnalisé, le dialogue et la remédiation.

Les clefs du problème sont bien la prévention dès l’école primaire et la responsabilisation des parents. La lutte contre l’absentéisme scolaire doit s’inscrire dans le cadre d’une politique ambitieuse construite sur ces bases. C’est à ce prix que l’on viendra à bout de ce fléau.

Certes, l’école buissonnière n’est pas un phénomène nouveau. Mais les enfants concernés, de plus en plus jeunes et livrés à eux-mêmes, se retrouvent pris dans une spirale d’échec aux causes multiples. Le taux d’encadrement insuffisant et la suppression de postes spécifiques, comme les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté, les RASED, expliquent en grande partie, à mes yeux, cette dérive inquiétante.

Le droit à l’éducation est reconnu et appliqué dans notre pays ; il est donc de notre devoir d’éveiller les jeunes en leur redonnant le goût de l’apprentissage, mais aussi de sensibiliser les parents au suivi de la scolarité de leurs enfants. C’est l’esprit de ce texte.

Dans ces conditions, la très grande majorité des membres du RDSE soutiendra la présente proposition de loi, qui constitue, selon nous, la première pierre de la reconstruction de l’école de la République, une école publique laïque et obligatoire, une école que nous voulons plus forte et plus juste ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’inconvénient d’intervenir en quatrième position, surtout sur un texte aussi clair et limpide que celui que nous examinons aujourd’hui, est que toutes les paroles sensées, brillantes et intelligentes ont déjà été prononcées.

Je suis donc vouée à répéter ce qui a été dit avant moi, au risque, soit de ne pas retenir l’attention de mes collègues, soit de les ennuyer. Je tenterai néanmoins d’échapper à ces deux écueils.

J’essayerai de montrer en deux points pourquoi la loi Ciotti est une mauvaise solution à un vrai problème et comment la lutte contre l’absentéisme relève d’un dispositif beaucoup plus complexe et beaucoup plus solide que celui que cette loi prévoyait.

Mes collègues l’ont souligné, l’absentéisme est un phénomène grave, qui met en danger l’élève. Je rappellerai toutefois que l’absentéisme a malheureusement toujours existé. Simplement, jadis, on orientait l’élève, lequel, passif, était poussé vers une formation qui lui convenait ou non. Si l’orientation ne lui convenait pas, il quittait l’école, mais il entrait alors dans le monde du travail et il trouvait un emploi. L’absentéisme, alors, n’était pas forcément l’exclusion à vie ; il aboutissait simplement à une insertion rapide dans la vie active.

Aujourd’hui, avec le chômage que nous connaissons, l’absentéisme est une perte de chances massive pour le jeune qui, quels que soient son milieu social et la taille de sa fratrie, lui fait courir le risque de ne pas réussir à s’insérer dans la société.

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Bouchoux

L’absentéisme a donc changé de nature et ses conséquences sont devenues beaucoup plus dramatiques.

Je comprends que les gouvernements précédents aient eu le souci de trouver des solutions, car les familles sont beaucoup plus angoissées qu’autrefois par l’absentéisme scolaire. Il faut dire que l’enjeu est majeur.

Nous le savons tous, si le gouvernement Raffarin a supprimé un dispositif qui ne fonctionnait pas correctement, était coûteux et ne constituait pas une bonne réponse, son rétablissement par une loi simpliste, voire – excusez-moi de le dire – simplette, s’inscrivait tout simplement dans une logique d’affichage, même si le but poursuivi était louable. Quoi qu’il en soit, en aucune façon, la loi Ciotti n’était en mesure d’apporter une réponse efficace à la grave question de l’absentéisme. Tous les éducateurs de ce pays, qu’ils soient de gauche, de droite, écologistes, savent que ce texte n’était pas une bonne solution, et ce pour une raison assez simple d’ailleurs : l’absentéisme est multifactoriel. J’irai même plus loin : il y a autant de causes à l’absentéisme qu’il y a d’enfants absents des classes ! C’est là toute la difficulté.

Force est de constater – et le législateur doit faire preuve d’humilité en l’occurrence – qu’une loi ne peut traiter à elle seule autant de problèmes.

Il faut refonder l’école et faire en sorte de ne laisser aucun enfant de côté. Comment une loi simple, qui en outre ne concernerait qu’une partie des absentéistes, qui n’aurait d’impact que sur les finances des familles et, par là, rendrait encore plus difficile la situation des plus démunies, comment une loi de ce type pourrait-elle être efficace ? Lorsque nous abordions le sujet dans les écoles, les collèges et les lycées, chacun convenait, toutes tendances politiques confondues, qu’une réponse simple et d’affichage ne pouvait pas permettre de traiter un problème de société aussi important.

Nous, écologistes, attendons énormément du rapport de la concertation Refondons l’école de la République. Nous pensons qu’il pose le vrai diagnostic et les vraies questions. Si la future loi est une loi généreuse, ce que nous souhaitons, si elle vise le bien-être à l’école et qu’elle prévoit de modifier, même si c’est difficile compte tenu de la très forte contrainte budgétaire, les rythmes de travail, de facto l’absentéisme devrait diminuer. En fait, cela a déjà été dit, l’absentéisme est le symptôme du mal-être à l’école. Or ce mal-être a mille et une causes.

Dès lors, il faut davantage prendre en compte les rythmes des enfants ; c’est vrai au primaire, mais c’est vrai également au collège. Il serait bon d’ouvrir ce difficile chantier, qui pourrait se dérouler sur une longue durée.

M. le rapporteur a évoqué une question que nous ne devons pas occulter, celle de la violence à l’école. Certes, il y a de la violence à l’école ; mais l’école elle-même est violente, car le cursus scolaire est un système qui exclut. Ce point doit être pris en compte. La commission de la culture a auditionné des personnes qui travaillent sur la gestion non violente des conflits, et les écologistes croient énormément en une approche de ce genre à l’école, en une gestion non violente des conflits entre tous les acteurs, les petits comme les grands. Nous croyons à la refondation de l’école et à l’instauration d’un dialogue serein.

Évidemment, la question du salaire des enseignants doit également être abordée. On nous parle souvent de l’Allemagne. Voyez quel est le salaire des enseignants outre-Rhin ! Comment voulez-vous que les enseignants français ne se sentent pas humiliés ? Cette question est très importante, d’autant qu’elle recouvre celle de la considération.

En ce qui concerne les rythmes scolaires, je le dis solennellement, les écologistes seraient extrêmement déçus, tout comme les parents et nombre d’enseignants, s’il ne ressortait de l’idée généreuse et ambitieuse qu’est la refondation de l’école que des ajustements à la marge, quelques quarts d’heure par-ci, quelques quarts d’heure par-là.

Je le dis à tous mes amis issus du monde de l’enseignement : la réforme qui va se faire jour est importante. Nous devons en prendre la mesure et tâcher tous d’œuvrer pour le bien commun, pour changer l’école, pour qu’elle devienne une école du bien-être et non une école de l’exclusion. §

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, malgré la loi du 28 mars 1882 imposant l’assiduité à l’école pour tous les élèves, il est à déplorer que l’absentéisme scolaire touche aujourd’hui plus de 300 000 élèves par an et concerne 3 % des collégiens, 6 % des lycéens et 15 % des lycéens professionnels.

L’absentéisme scolaire est un phénomène complexe dont les causes sont extrêmement diverses ; les élèves absents sont souvent ceux qui sont en échec scolaire de façon répétée et qui ont un parcours difficile dès l’école primaire.

Si le phénomène touche tous les milieux, il semble toutefois plus élevé chez les familles dont la situation est précaire, frappées par le chômage et allocataires de minima sociaux.

Ces familles doivent être aidées. Il n’est nullement question de les stigmatiser ou de les culpabiliser comme certains l’ont fait sur certaines travées.

Les parents sont et doivent rester les premiers acteurs de la socialisation et de la responsabilisation de leurs enfants ; ils ne doivent pas tout attendre de la société et de l’école, qui doit demeurer une structure organisée, et avant tout respectée.

L’absentéisme scolaire peut amener de nombreux élèves à la marginalisation, à l’exclusion, voire à la délinquance ; nous ne pouvons l’accepter pour l’avenir de notre jeunesse.

Attentifs à cette question, les pouvoirs publics ont tenté d’enrayer ce phénomène en établissant un lien entre attribution de prestations familiales et exercice du droit parental, système que vous souhaitez abroger aujourd’hui.

La suspension des allocations familiales ne date pas de la loi Ciotti, elle est un principe constant et ancien en droit français puisqu’elle fut prévue par l’ordonnance du 6 janvier 1959, dont le dispositif établissait un double mécanisme de sanctions pénales et administratives.

La loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a supprimé l’échelon de sanction administrative en mettant en place le contrat de responsabilité parentale, le CRP. Or le dispositif a été peu mis en œuvre par les présidents de conseil général.

Selon les chiffres disponibles, moins d’une vingtaine de contrats de responsabilité parentale ont été signés à partir de 2006 et les caisses d’allocations familiales n’ont été saisies d’aucune demande de suspension.

C’est donc face à ce constat d’échec que la loi du 28 septembre 2010 a fait de la responsabilisation et de l’accompagnement des parents, qui sont et doivent demeurer les premiers éducateurs de leur enfant, je le rappelle, un élément-clé de la lutte contre l’absentéisme.

Cette loi a été votée pour endiguer l’augmentation des cas d’absentéisme scolaire en créant un dispositif gradué et proportionné pour alerter, accompagner et, le cas échéant, sanctionner par la suspension des allocations familiales les parents dont les enfants auraient été absents à l’école de manière répétée et non justifiée.

Vous soulignez, monsieur le rapporteur, que ce dispositif est une solution purement répressive, le mode de traitement retenu étant la menace et la sanction des familles touchées.

Or il n’en est rien.

Le dispositif de suspension des allocations familiales doit être perçu comme une mesure de dissuasion visant à faire prendre conscience aux parents de la gravité de la situation pour leur enfant. Chacun le sait, c’est vraiment une sanction extrême.

La sanction administrative se veut plus dissuasive que punitive.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

L’effet dissuasif de la convocation par l’inspection académique a été prouvé par le passé : le rapporteur de la proposition de loi, notre collègue Jean-Claude Carle, avait auditionné des représentants de l’académie de Créteil, qui estimaient que la moitié des 600 à 800 familles convoquées réglaient rapidement les problèmes d’assiduité scolaire.

La loi du 28 septembre 2010 fait donc de la responsabilisation des parents un élément clé de la lutte contre l’absentéisme. Certes, il y a des parents démunis et désemparés, qui doivent être accompagnés, mais aussi des parents démissionnaires. Leur responsabilisation est l’objet du dispositif que vous souhaitez abroger.

Vous voulez l’abrogation pure et simple du contrat de responsabilité parentale, tout comme celle de la suspension des allocations en cas d’absentéisme. À titre de nouvelle mesure, vous prônez la mobilisation des acteurs de terrain et de la communauté éducative au sens de l’article 111-3 du code de l’éducation. En cela, rien de neuf, puisque la loi prévoyait un accompagnement dans ou hors l’école ! S’il s’avérait utile de citer un panel d’intervenants, une simple circulaire suffirait.

Il aurait mieux valu évaluer le dispositif en place et, si nécessaire, l’améliorer.

C’est en cela que votre démarche est particulièrement choquante.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Vous faites le bilan d’une loi que nous avons adoptée il y a deux ans sans même disposer d’une évaluation rigoureuse sur sa portée. Vous reconnaissez d’ailleurs vous-même la pauvreté des statistiques dont nous disposons.

Debut de section - PermalienPhoto de Colette Mélot

Il est beaucoup trop tôt pour juger de l’efficacité de cette loi. Il serait plus sage, sur un sujet d’une telle importance, de prendre le temps de la réflexion et de l’analyse.

C’est pourquoi le groupe UMP s’opposera à l’abrogation de la loi du 28 septembre 2010. §

Debut de section - PermalienPhoto de Danielle Michel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2003, M. Christian Jacob, alors ministre délégué à la famille, intervenant ici même lors de l’examen de la loi relative à l’accueil et à la protection de l’enfance, disait : « Le droit en vigueur se caractérise par un dispositif administratif de suppression ou de suspension des prestations familiales, dont l’application s’est révélée à la fois inefficace et inéquitable. Elle est inéquitable d’abord parce qu’elle est contraire à la vocation des prestations familiales, qui est de compenser pour partie le coût de l’entretien de l’enfant, lequel reste le même quelle que soit l’assiduité scolaire. »

Tout avait déjà été dit, il y a près de dix ans, sur l’iniquité de cette mesure, réhabilitée en 2010 à la demande du Président de la République et sur l’initiative de M. Ciotti.

Cela a été rappelé, la suspension des allocations familiales, voire leur suppression, menace exclusivement les familles de milieux sociaux défavorisés, en particulier monoparentales et avec plusieurs enfants en charge. Soumises à une double peine, ces familles risquent alors de s’éloigner durablement d’une solution d’accompagnement pérenne.

Cette approche est d’autant plus contestable que, ces dernières années, des moyens considérables ont été enlevés à l’école, sur le plan tant quantitatif que qualitatif.

Alors que le facteur socioéconomique est le plus déterminant dans la poursuite des apprentissages en France, notre pays a le taux d’encadrement le plus bas dans l’enseignement primaire. C’est pourtant là où les inégalités sociales se transforment en inégalités scolaires. Or, nous le savons, l’absentéisme découle le plus souvent de l’échec scolaire.

Les manifestations de l’absentéisme, multiformes, si elles s’expriment surtout dans le secondaire, prennent racine dès le plus jeune âge. La priorité éducative est là !

Un grand texte sera bientôt présenté au Parlement.

Il visera à réattribuer des moyens à l’éducation prioritaire, sensiblement plus touchée par l’absentéisme.

Une priorité sera – enfin ! – donnée par ce texte à l’école maternelle et élémentaire afin de prévenir efficacement le décrochage.

Un véritable service de l’orientation territorialisé verra également le jour, en soutien à une orientation choisie, et non subie comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui, notamment dans les lycées professionnels, où l’absentéisme lourd non justifié est trois fois plus élevé qu’en moyenne, comme cela a déjà été souligné.

Parce que l’école doit être un terrain pertinent de détection rapide et d’intervention ciblée, je soutiens pleinement l’amendement adopté en commission.

Cette mobilisation de la communauté éducative en cas d’absentéisme permettra une plus grande réactivité et un ciblage plus efficace, en associant pleinement les acteurs clés en fonction du diagnostic et en rapport avec la problématique de l’élève.

Mes chers collègues, si je soutiens cette proposition de loi, c’est parce qu’elle est opportune et équilibrée. Je voterai évidemment pour et vous invite à faire de même. §

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je félicite l’auteur de la proposition de loi, Mme Cartron, et me réjouis – le mot n’est pas trop fort – d’examiner ce texte, car il vise à abroger une loi profondément simpliste et injuste.

J’avais été très choqué que le député Éric Ciotti de propose sanctionner financièrement les parents d’enfants « absentéistes », ce qui revient à leur infliger une double peine.

Je suis convaincu que la prévention précoce de l’absentéisme, dès le primaire, peut briser la spirale de la marginalisation, ce que ne peut faire une mesure isolée profondément discriminatoire.

Il faut, en outre, tout faire pour maintenir le lien entre les enfants et l’école, l’Institution, avec un grand « i », qui offre une structure sociale, avec des règles, donc un carcan salutaire.

Cette institution me fait penser à ce beau mot d’ « instituteur », vocable aujourd'hui disparu. Quel dommage d’ailleurs !

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Il portait en lui beaucoup d’ambitions, tant celles de l’institution que celles du tuteur…

Il faut maintenir, coûte que coûte, le lien entre l’élève et l’école.

À cet égard, je me réjouis des mesures récemment annoncées par le Gouvernement contre le décrochage scolaire, notamment la mise en place d’un référent dans les collèges et les lycées professionnels à fort taux d’absentéisme.

Ce référent sera responsable de la prévention du décrochage, des signalements d’élèves qui sortent du système, des relations avec les parents des élèves concernés et, le cas échéant, de l’aide au retour dans l’établissement.

Oui, je le répète volontiers, l’absentéisme est un mal aux multiples causes qui ne saurait connaître un seul remède. Comment maintenir un texte qui, dans un simplisme outrancier, ignore totalement la complexité du phénomène de l’absentéisme ?

Difficultés d’apprentissage, orientation par défaut, problèmes psychologiques, violence subie à l’école, difficultés sociales, exercice dissimulé d’une activité professionnelle en parallèle des études, nécessité d’assumer des responsabilités familiales dans les familles décomposées ou recomposées, phobie scolaire : mes chers collègues, le visage d’un enfant ou d’un jeune absentéiste est multiple.

J’ajoute que, si le problème complexe de l’absentéisme pouvait être résolu par un seul texte de loi, ce ne serait certainement pas par l’instauration d’une sanction financière, mesure sans aucune visée pédagogique, qui affaiblit plus encore les ressources de la famille de l’enfant absentéiste et de l’enfant absentéiste lui-même !

Qui sanctionne-t-on au juste en effet ? Les détenteurs de l’autorité parentale ? Encore faut-il qu’elle existe et, quand elle existe, qu’elle puisse s’exprimer et être entendue !

Il peut aussi arriver que des parents ne perçoivent plus l’intérêt de l’école, le sens de son enseignement, car ils ont peut-être eux-mêmes subi des difficultés scolaires. Peut-être sont-ils eux-mêmes victimes d’exclusion sociale ou souffrent-ils d’isolement. Quel message leur enverrait-on ? Un message négatif, punitif, stigmatisant ? Les sanctionner ne ferait qu’aggraver leur méfiance envers l’école, voire le rejet qu’ils peuvent développer, et ne rétablirait en aucune façon une autorité parentale en faillite.

Le dispositif Ciotti accentue la marginalisation des familles en difficulté. À cet égard, je m’inquiète particulièrement pour les 30 % de femmes chefs de famille monoparentale qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et pour qui le prélèvement Ciotti pourrait être catastrophique.

Ce dernier est en outre doublement discriminatoire : d’une part, les familles avec un enfant unique, ne percevant pas d’allocations familiales, ne seraient pas pénalisées, contrairement aux familles nombreuses ; d’autre part, les enfants assidus de la fratrie seraient lésés injustement.

Enfin, mes chers collègues, la gratuité scolaire est un principe fondateur de l’école de la République. Pourquoi le ternir en utilisant l’argent comme un instrument de motivation ou de responsabilisation des élèves et de leurs parents ? Si l’obligation scolaire est son corollaire, elle ne se monnaye pas !

Les allocations familiales ne sont pas non plus la récompense d’une bonne éducation ; elles compensent pour partie le coût d’entretien d’un enfant, qu’il soit présent ou absent à l’école.

Pour toutes ces raisons, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je me réjouis de voter aujourd'hui l’abrogation de la loi Ciotti. §

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous en sommes tous d’accord, l’absentéisme est un sujet préoccupant.

Il peut conduire au décrochage de l’élève dans des périodes vulnérables de son développement, celle de l’adolescence puis celle où il devient un jeune adulte. Parfois même, cette situation débouche sur la violence et la déviance, comme l’a souligné notre collègue Jean-Claude Carle dans plusieurs excellents rapports, …

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

… notamment celui qu’a présenté en 2002 la commission d’enquête sur la délinquance des mineurs, dont il fut le président.

Les causes de l’absentéisme sont aussi nombreuses que diverses, et nous nous accordons tous ici pour dire qu’il n’existe pas un absentéisme mais des absentéismes.

Cette dimension polymorphe du phénomène complique son repérage. Elle en rend également difficile la mesure, car, s’il est vrai que l’absentéisme global augmente, il serait fort instructif pour nos réflexions de comprendre quel type d’absentéisme progresse.

Face à ce constat, la loi de septembre 2010 n’apporte naturellement pas « la » solution miracle à un ensemble de situations très diverses. Mais, madame la ministre, quel dispositif serait en mesure de le faire ? Existe-t-il un seul dispositif universel en la matière ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Lorsque cette proposition de loi a été examinée en juin 2010, j’étais députée. Très attentive aux débats qui se sont tenus, j’étais, à vrai dire, sensible aux arguments développés par mes collègues de droite et de gauche qui invoquaient, d’une part, l’importance du versement des allocations familiales pour certaines familles et, d’autre part, le fait qu’il ne fallait pas ajouter des difficultés financières à des situations sociales tendues.

Mais, mes chers collègues, j’ai voté cette proposition de loi et je ne le regrette pas.

J’ai voté cette proposition de loi, convaincue, lors du débat, que l’esprit de cette loi n’était pas l’application de la sanction mais, bien au contraire, la mise en place d’un dispositif permettant aux différents partenaires éducatifs d’instaurer un dialogue structuré avec les parents.

M. le rapporteur s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Tout est mis en œuvre pour éviter d’en arriver à la sanction temporaire.

Ce long processus permet aux parents de prendre ou de reprendre la main sur la scolarité et l’assiduité de leurs enfants.

Enfin, ce mécanisme donne toute sa place – il faut le souligner, car c’est un point important – à l’appréciation des situations par le directeur académique, en lien étroit avec les services sociaux et le chef d’établissement.

Je ne regrette pas mon vote, disais-je. En l’absence d’une évaluation nationale, sur laquelle nous nous entendons peu les uns et les autres, je souhaite mettre en lumière le cas de mon département, les Yvelines.

Dans ce département, les partenaires se sont globalement impliqués, des chefs d’établissement jusqu’à la CAF. Au niveau du collège, 1 171 signalements ont été réalisés et seulement treize suppressions effectives ont été prononcées, dont sept sont en cours d’exécution réelle.

Sept cas, c’est évidemment très peu, mais, plutôt que de montrer l’inefficacité de la sanction, cela prouve tout au contraire l’efficacité du dispositif de présanction.

Avec les chiffres que vous avez donnés, madame la ministre, soit 300 000 cas de signalements et 477 suppressions, nous en arrivons à un taux de suspension de 1, 6 %, ce qui est finalement très faible.

Le dispositif de suspension des allocations familiales, mes chers collègues, doit être utilisé en tout dernier ressort : après un entretien approfondi avec les parents, après l’intervention du service social de l’établissement, après l’appréciation de l’inspecteur d’académie et après une prise en charge par les structures qui sont souvent mises en place par les collectivités territoriales – une initiative que je salue.

Je pense notamment aux clubs de prévention et aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, grâce auxquels certains de ces jeunes et leurs familles sont suivis, orientés et intégrés dans la vie locale par des équipes d’animateurs et d’acteurs sociaux.

À ce propos, j’en appelle, madame la ministre, à votre autorité pour que les services sociaux des établissements dialoguent en toute confiance, et sans réticence, avec les services sociaux territoriaux. Sur cette problématique, comme sur d’autres, la confidentialité sociale n’a que peu de sens. Tous les travailleurs sociaux doivent agir de conserve, en partageant les informations et en réfléchissant ensemble aux situations individuelles.

La loi du 28 septembre 2010 représente un des outils de la panoplie de solutions dont les académies et les chefs d’établissements doivent pouvoir disposer. Il faut faire confiance à ceux-ci pour choisir les outils les mieux adaptés et intervenir avec intelligence, discernement et humanisme sur des territoires et des situations variés. Donnons-leur les instruments et ils écriront la partition au tempo de leur expérience territoriale et éducative.

La suspension des allocations familiales n’est ni une fin en soi ni l’objectif recherché par cette loi. Elle constitue en toute fin de parcours un moyen de dissuasion, qui n’est fort heureusement devenu effectif que dans un nombre restreint de cas. L’objectif est d’abord l’instauration d’une responsabilisation active des parents, lorsqu’elle est jugée possible par le directeur d’académie.

Ce dispositif a permis à plus de 1 100 Yvelinois de rester sur le chemin du collège, ce qui est un grand succès. Ne nous privons pas de cette possibilité par pur dogmatisme ! §

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

M. François Grosdidier . Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2002 et la terrible déconvenue présidentielle de Lionel Jospin en raison de son aveuglement sur l’explosion de la délinquance juvénile

Exclamations sur les travées du groupe socialiste

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Je suis maire d’une ville située aux deux tiers en zone urbaine sensible, et donc en zone d’éducation prioritaire.

Je sais que l’absentéisme scolaire est un fléau, lourd de conséquences sociales et sociétales. Les premières victimes en sont bien évidemment les élèves, qui compromettent ainsi les chances d’insertion sociale et professionnelle qui leur sont offertes par la République.

L’absentéisme est souvent le facteur le plus important, ou au moins l’élément déclencheur, de l’échec personnel, parfois même de l’échec de toute une vie.

On a beau imaginer ensuite tous les systèmes de repêchage – j’ai créé dans ma petite ville la première école de la deuxième chance de la région –, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

… il s’avère qu’on repêche peu et difficilement.

La rupture scolaire ajoute aussi aux difficultés des familles, qui se retrouvent sans solution pour leur enfant. Elle impacte aussi souvent le quartier, la ville et la société – seuls ceux qui, tels des autruches, ne veulent pas voir la réalité ne s’en rendent pas compte – puisque les jeunes désœuvrés, sans repère ni perspective, s’occupent autrement et passent souvent d’autant plus vite les stades de l’incivilité et de la délinquance.

Je ne parle pas dans le vide. Lorsque je vous dis cela, je pense à des familles de ma ville, à des jeunes que nous avons connus enfants. Si nous avons réussi à remettre certains d’entre eux dans le droit chemin, cela a toujours dépendu de notre capacité à les renvoyer à l’école, mais je souligne que c’est un résultat auquel nous ne sommes jamais parvenus sans une responsabilisation des jeunes et de leurs familles.

L’absentéisme est un phénomène massif : il touche 300 000 jeunes. Tous ne sont pas en situation d’absentéisme chronique, mais ceux qui le sont sont en danger et mettent souvent aussi en danger leur environnement.

Le taux d’absentéisme avait progressé de 50 %, donc très fortement, entre 2003 et 2007.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Cette augmentation montrait les limites des anciens dispositifs et la nécessité d’agir.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

L’ordonnance de 1959, qui est pourtant la « bible » intangible pour la gauche judiciaire, avait prévu un dispositif de sanctions liant l’attribution des prestations familiales à l’exercice de l’autorité parentale.

Seulement, ce système du tout ou rien était excessivement brutal ; il n’a donc jamais été appliqué. Nous sommes tous d’accord pour ne pas plonger les familles dans la détresse. Je pense notamment aux familles monoparentales dépassées par les plus grands de leurs enfants : on ne saurait priver les mères et les plus jeunes enfants de moyens de subsistance.

C'est la raison pour laquelle le dispositif n’était pas satisfaisant. On a voulu pallier ses faiblesses par la loi de 2006 pour l’égalité des chances, en remplaçant la sanction administrative par un contrat de responsabilité parentale.

Force est de reconnaître que les travailleurs sociaux des services sociaux des départements – et non pas les conseils généraux – ont refusé la mise en place de ce dernier dispositif, sujet dont j’ai souvent discuté de ce sujet avec des représentants de leurs syndicats professionnels. Peut-être est-ce dû à un problème de communication entre l’éducation nationale et eux ? Toujours est-il que, dans toute la France, moins d’une vingtaine de ces contrats ont été signés.

La loi d’Éric Ciotti a apporté des réponses concrètes à toutes ces faiblesses. Vous vous contredisez vous-mêmes en disant à la fois de cette loi que vous caricaturez qu’elle n’a pas été appliquée et que son application n’est pas satisfaisante.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Elle n’est pas appliquée parce que ce n’est pas une bonne réforme !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Elle organise un régime gradué de suspension des allocations familiales, relevant de l’inspecteur d’académie et non plus du président du conseil général.

Dans les faits, nous en sommes d’accord, l’absentéisme ne relève pas nécessairement de la responsabilité directe des parents, particulièrement d’un parent isolé, mais la procédure permet d’agir avec discernement. Quand vous dites que des allocations auraient été retirées à des familles dont les enfants ne seraient pas venus à l’école en raison de violences scolaires, vous êtes dans l’affabulation la plus totale ! Êtes-vous au moins capable de citer un seul exemple ? §

Au contraire, la loi permet une suspension seulement partielle des allocations, avec un véritable caractère incitatif, sans risque de plonger la famille dans la misère. §

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

M. François Grosdidier. Elle est d’autant plus incitative qu’elle permet aussi un rétablissement rétroactif des allocations suspendues s’il n’y a pas eu de nouvelles absences injustifiées après l’engagement de la procédure.

Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Vous n’aimez pas entendre les réalités du terrain, vous ne supportez pas d’écouter vos contradicteurs !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Veuillez laisser parler l’orateur, mes chers collègues !

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Certes, la loi actuelle ne règle pas tout. Le problème qui demeure, c’est que les « tuyaux » de l’éducation nationale sont trop longs. Souvent, les déclarations faites par les chefs d’établissement se perdent dans les méandres de l’inspection académique. Or, des mois, des trimestres perdus dans la vie d’un collégien ou d’un lycéen, c’est une éternité qui ne se rattrape plus !

Notre intérêt, c’est d’agir au plus vite. On peut agir plus vite, et je le fais d’ailleurs dans le cadre d’une autre structure que vous combattez : le conseil des droits et des devoirs des familles.

La loi que vous voulez abroger a permis de marquer des progrès considérables. Dès l’enclenchement de la procédure et à chaque étape, le contact établi avec la famille permet de dialoguer et, souvent, de dégager une solution, sans même qu’il soit besoin d’aller plus loin.

La convocation par l’inspection académique est efficace dans un cas sur deux en raison non seulement du caractère solennel de la procédure, mais également de la menace de sanctions.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Le caractère gradué et progressif de la sanction permet de la mettre en œuvre au moment de la prise de conscience parentale. §

Sur une question aussi difficile, personne – ni vous ni nous ! – ne peut prétendre détenir la solution idéale et définitive. L’article 5 de la loi tendait à prévoir l’évaluation des dispositifs de lutte contre l’absentéisme scolaire et d’accompagnement familial.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Parallèlement, un comité de suivi composé de députés et de sénateurs devait formuler des recommandations.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Votre système ne donnera rien. En vérité, c’est uniquement par sectarisme que vous supprimez cette loi sans même l’avoir évaluée et sans apporter de véritables solutions de remplacement.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

je peux témoigner de la bonne ambiance au sein de la commission de la culture, ambiance qui demeure au fil de ses présidences et de ses majorités successives.

Bien que le dernier orateur soit membre de cette commission, nous ne l’avons pas vu depuis un an…

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. …et il n’a visiblement pas l’habitude du ton que nous employons dans nos échanges.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Monsieur le président, je demande la parole pour répondre à cette mise en cause personnelle !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Mon cher collègue, en application du règlement, la parole pour un fait personnel ne peut être accordée qu’en fin de séance.

La parole est à Mme la ministre déléguée.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin

Mesdames, messieurs les sénateurs, on voit bien que, sur toutes les travées, le constat est partagé. S’agissant des solutions, tous – y compris à droite –, vous avez souligné qu’il importait avant tout d’identifier le problème, de parler avec les familles et de faire en sorte que ces dernières « se reprennent » elles-mêmes.

Les sénateurs de droite reconnaissent que le dispositif a en définitive été très peu utilisé, mais estiment qu’il joue le rôle d’une épée de Damoclès. Avec les sénateurs de la majorité, nous estimons, au contraire, qu’il n’a pas fait montre de son efficacité. Pour l’instant, nous devons conserver ce qui est manifestement efficace, c'est-à-dire la prise en compte des familles, avec lesquelles nous devons discuter pour signaler les difficultés et essayer de les traiter.

Sur l’essentiel, il me semble donc que nous sommes d’accord, tout comme, d’ailleurs, sur le fait qu’il n’y a pas eu d’évaluation. La difficulté venait du fait que les deux lois de M. Ciotti ont été en quelque sorte adoptées par « raccrocs » et qu’elles ne comportaient pas d’étude d’impact. Nous ne pouvions donc pas connaître le but recherché et l’effet attendu des dispositifs. Pour autant, les chiffres que nous avons cités sont, me semble-t-il, relativement éclairants.

De cette discussion intéressante, qui a montré la position des différents groupes de l’assemblée, ressort, me semble-t-il, l’opinion générale selon laquelle le problème est grave et mérite que nous nous y attelions. Dans le même temps, le débat n’a pas démontré l’utilité de la suspension des allocations familiales, mais au contraire plutôt conforté le bien-fondé de la proposition de loi de Mme Cartron. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Je suis saisi, par M. Jean-Claude Carle et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n°1.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi visant à abroger la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010 visant à lutter contre l'absentéisme scolaire (n° 57, 2012-2013).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean-Claude Carle, auteur de la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai été le rapporteur devant le Sénat de la loi Ciotti et je suis surpris que le débat soit rouvert prématurément en vue de supprimer ce que nous avions voté voilà deux ans.

Disposons-nous du recul suffisant pour cela ? Les chiffres que vous nous avez donnés, monsieur le rapporteur, permettent-ils de se faire une idée de l’application de la loi sur le terrain et de ses effets sur l’absentéisme ? La réponse est non.

D'ailleurs, vous le reconnaissez vous-même. Je cite votre rapport, page 12 : « Seuls des éléments purement quantitatifs d’application des dispositifs sont disponibles. Ils ne permettent pas de mesurer l’efficacité des mesures, ni de bénéficier d’une appréciation qualitative des situations familiales concernées ».

Pourquoi ne tirez-vous pas les conséquences de ce constat, en attendant une évaluation rigoureuse du dispositif ? « Dans le doute, abstiens-toi », dit le proverbe, qui devrait d’autant mieux s’appliquer que les premiers chiffres disponibles sont encourageants.

En effet, la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance indique, sur l’année ayant suivi l’entrée en vigueur de la loi, une « baisse significative de l’absentéisme dans les lycées professionnels », c’est-à-dire là où l’absentéisme est traditionnellement fort.

Il me semble que ces premiers résultats devraient nous conduire à être attentifs à la parution des prochains chiffres ! Au contraire, vous balayez cette étude d’un revers de main en prétextant des fluctuations mensuelles « fréquentes ». Or, dans bien des cas, sans même qu’une procédure ait été engagée, la publicité qui a été faite autour du texte en 2010 a pu avoir un effet sur les parents ; cela doit être vérifié.

Il n’y a donc pas lieu de délibérer dès maintenant sur la suppression éventuelle du dispositif de la loi Ciotti, hormis pour des considérations idéologiques. Tel est le sens de notre motion.

Sur le plan juridique, il serait choquant d’abroger une loi sans avoir évalué ses effets.

Mme Françoise Cartron s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Il faut mesurer à la fois l’efficacité du dispositif et la réactivité de tous les acteurs ; je pense notamment aux caisses d’allocations familiales, pour lesquelles le problème se pose depuis très longtemps.

Sur le plan pratique, la question de l’absentéisme scolaire est trop importante pour nous priver d’un outil qui semble fonctionner. En effet, il faut combattre l’absentéisme scolaire par tous les moyens.

Vous avez raison de souligner la diversité des situations pouvant conduire les jeunes à déserter l’école, mais il faut toujours voir, dans l’absentéisme, un signal d’alarme.

Les jeunes qui s’excluent de l’école sont en danger, car la déscolarisation les prive de devenir professionnel et, hélas ! les rapproche dangereusement de la marginalisation. J’ai pu le constater, en 2002, en tant que rapporteur de la commission d’enquête sénatoriale sur la délinquance des mineurs.

L’absentéisme et le décrochage scolaire peuvent faire basculer vers la violence. Si tous les jeunes en échec scolaire ne sont pas – Dieu merci ! – des délinquants, une immense majorité de ces derniers n’a pas réussi à l’école.

Nous devons donc être conscients que, si on laisse le jeune choisir entre l’école et la rue, la rue l’emportera toujours !

Par conséquent, lorsque des absences répétées sont signalées, il faut agir rapidement, car ces dernières peuvent précéder des actes graves. Je me souviens d’une tentative de suicide et d’une tentative de meurtre qui s’étaient produites à Vaulx-en-Velin : dans les deux cas, le manque de prise en considération des absences avait empêché une prise en charge précoce.

Notre obligation est de donner les moyens de réagir à ceux qui peuvent détecter l’absentéisme. À cet égard, la loi Ciotti confie un rôle à la fois à l’école et aux parents.

Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous avez beaucoup reproché au texte sa fonction punitive à l’égard des parents. Vous semblez nier que ces derniers aient une responsabilité considérable dans l’assiduité de leurs enfants ! Ne sont-ils pas les premiers éducateurs ? Il s’agit non pas de leur faire un procès, mais de recourir à eux pour que le jeune retrouve le chemin de l’école. La sanction, qui vise à les responsabiliser et non à les stigmatiser, est l’ultime étape d’un processus engagé pour dialoguer avec eux et trouver des solutions.

Dans sa dernière étude, intitulée « Aider les parents à être parents », le Conseil d’analyse stratégique, que vous citez à la fin de votre rapport, monsieur le rapporteur, évoque le développement de dispositifs ayant recours à la sanction ou à l’incitation financière. Il conclut que le succès de ces dispositifs est proportionnel à « l’intensité et [à] la qualité des services d’accompagnement » et à « l’utilisation avec justesse et parcimonie des sanctions ».

Or, avec la loi Ciotti, nous sommes exactement dans ce cadre. La sanction n’intervient que dans l’hypothèse où les parents se désengagent complètement de leurs devoirs. En effet, le dispositif de la loi est gradué et réversible.

Il fait se succéder plusieurs étapes, avec, tout d’abord, le signalement par le chef d’établissement de la situation d’absentéisme, puis un avertissement par l’inspecteur d’académie, puis la suspension des allocations familiales et, en dernier ressort seulement, la suppression des allocations familiales.

Les prestations familiales sont restituées si l’élève est à nouveau assidu. La suppression des allocations n’intervient que si la situation d’absentéisme perdure. Nous sommes alors dans le cas de figure, heureusement minoritaire, de parents irresponsables, sourds aux avertissements.

Est-il anormal de faire savoir à ces derniers qu’ils ont des devoirs et que la société n’entend pas accepter leur désertion dans l’éducation de leurs enfants ? Le risque de suspension des allocations est l’électrochoc qui va permettre leur réaction. À chaque étape, la famille est entendue et des solutions sont recherchées. Si, malgré tout, les parents refusent le dialogue, nous ne craignons pas de dire qu’il faut sanctionner ces comportements – je le répète, très peu fréquents.

Il est urgent de responsabiliser les parents démissionnaires grâce à des mesures fermes et assumées. Revenir en arrière en annonçant l’annulation de toute sanction serait un très mauvais message envoyé aux familles.

Le plus souvent, ces dernières se sentent désarmées : les parents ne savent pas comment réagir face à l’enfant qui sort des clous. À cet égard, je regrette que vous passiez sous silence ce qui est pourtant l’objectif principal de la loi Ciotti : aller à la rencontre des parents

M. David Assouline s’esclaffe

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Tel est précisément le sens de notre amendement !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

… tâcher de trouver avec eux des solutions, leur faire connaître les structures d’aide existantes, leur proposer un contrat de responsabilité parentale. Je le répète : à chaque étape, les parents reçoivent une information précise sur les mesures d’accompagnement qui peuvent être mises en œuvre pour les aider à restaurer leur autorité parentale.

L’accompagnement des parents est essentiel. Telle est ma conviction, que j’ai défendue lorsque je rapportais la loi Ciotti. J’estimais qu’il était primordial de conjuguer sanction et éducation dans le dispositif. D’ailleurs, à ma demande, Éric Ciotti avait déposé un amendement à la version initiale de son texte, amendement dont l’objet était qu’un dialogue entre parents et communauté éducative soit également engagé en amont, alors que notre époque tend à distendre les liens entre eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Ainsi, la loi promulguée énonce que le projet d’école et le règlement intérieur doivent être présentés aux parents d’un nouvel écolier afin de nouer une relation de confiance entre les parents et l’école. Sans cette disposition, je n’aurais pas voté le texte initial.

À ce propos, je remarque que l’objet de l’amendement présenté en commission par le rapporteur est déjà satisfait.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

En ouvrant l’accompagnement à un large panel d’acteurs, cet amendement ne fait que complexifier le dispositif existant, en le transformant en une usine à gaz.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Comme je l’ai déjà dit, les cas d’absentéisme demandent une prise en charge rapide et de proximité au sein de l’école. Ce n’est pas en multipliant les acteurs et en inscrivant dans la loi toutes les personnes susceptibles d’intervenir que nous aiderons les familles. Cela ne me semble pas nécessaire, l’expérience du terrain montrant que les parents sont déjà aiguillés vers les services pouvant les aider, dans le système éducatif et en dehors de celui-ci.

Madame la ministre, si le besoin de préciser les choses se faisait sentir, une simple circulaire suffirait ! Bref, les nouvelles dispositions viennent ajouter une précision dont on peut mettre en doute l’utilité.

Monsieur Assouline, je pense que vous avez déposé cet amendement parce que vous aviez bien compris que le projet d’abroger purement et simplement la loi Ciotti était un peu juste ! Il vous fallait vous protéger de l’accusation légitime que nous allions vous faire, celle de ne rien proposer.

Votre nouvelle procédure d’accompagnement et de suivi a donc valeur de symbole. Elle n’a d’autre intérêt que de complexifier d’avantage !

À cet égard, je regrette que la majorité actuelle se cantonne à détricoter les lois votées par la précédente. La gauche annonçait des réformes d’envergure dans un esprit de concertation et de démarche constructive ; elle ne fait que supprimer, sans avoir une idée nouvelle, en s’en tenant aux symboles. Et quels symboles !

Tout d’abord, abroger la loi Ciotti revient à déresponsabiliser les parents. Vous envoyez ainsi un bien mauvais signal, tant à la communauté éducative qu’aux parents !

Autre symbole : la semaine dernière, dans les médias, M. Peillon prônait la dépénalisation du haschich. §

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

Ce n’est pas vrai !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

En faisant cette déclaration, il a oublié qu’il était le ministre de l’éducation et qu’il se voulait le tenant de l’enseignement d’une « morale laïque » aux élèves du primaire, leur permettant de distinguer entre le bien et le mal.

Mes chers collègues, ces déclarations m’interpellent !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

En conclusion, on voit bien ce qui nous différencie : pour vous, la société décide du destin de la personne ; elle est l’excuse permanente. Pour nous, la personne est libre et responsable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

La personne a des droits mais elle a aussi des devoirs. Vous excusez, alors que nous voulons responsabiliser.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

La loi de 2010 est essentielle, car elle vise à responsabiliser les parents, ce dont notre société actuelle a besoin.

Par conséquent, notre groupe ne peut accepter un texte qui vise à déresponsabiliser et à excuser les parents, mais aussi à abroger une loi tout simplement parce qu’elle a été conçue par la majorité précédente. §

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Dans son intervention, M. Carle a développé un argumentaire autour de deux axes majeurs.

Premièrement, il évoque un manque apparent d’évaluation de la loi Ciotti et voit de la précipitation dans notre démarche visant à l’abroger.

Pour ce qui concerne l’évaluation, alors que la loi Ciotti visait à lutter contre l’absentéisme scolaire, ce dernier a augmenté depuis son entrée en vigueur, passant de 4, 3 % à 5, 1 % d’absents ! J’ignore si cette augmentation est ou non significative. En tout cas, si vous y voyez une preuve d’efficacité, c’est que nous n’avons pas les mêmes critères !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

De la même manière, lorsque le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin avait aboli l’ancien dispositif de suspension ou de suppression du versement aux parents des prestations familiales en cas de manquements à l'obligation scolaire, c’était à l’issue de quarante années d’existence et donc d’inefficacité de ce dispositif.

M. Ciotti n’avait qu’une idée en tête : revenir à ce système qui ne marchait pas !

Pour ma part, je crois qu’il est justement de notre devoir de ne pas nous laisser aveugler dans ce débat, qui est véritablement idéologique.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

M. Carle a beaucoup parlé de la responsabilisation des parents et du fait que nous serions en train de les absoudre.

Je pose la question : lorsqu’un enfant est orienté dans une section qui ne lui convient pas, le parent est-il comptable de cette orientation par défaut, qui conduit justement à un décrochage ?

Par ailleurs, on le sait, l’absentéisme est plus fort dans les territoires difficiles et notamment dans les « zones sensibles urbaines », mais les parents sont-ils responsables de la suppression massive de postes mise en œuvre par le précédent gouvernement ? Sont-ils responsables quand un professeur n’est pas remplacé, justement parce qu’en cinq ans 80 000 postes ont été supprimés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Est-ce que ce sont les parents qui doivent-ils être pénalisés alors qu’il est évident que, lorsque les professeurs sont en nombre insuffisant au collège qu’ils ne sont pas remplacés, c’est en définitive l’éducation nationale qui donne le mauvais exemple ? En effet, puisque le professeur peut être absent, pourquoi l’élève ne le serait-il pas à son tour ?

Pour ma part, je considère que, lorsque l’on a soutenu un gouvernement favorable à des coupes claires de postes dans l’enseignement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Mme Françoise Cartron. … on est très mal placé pour parler de déresponsabilisation des parents

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

… et pour déclarer que ceux-ci sont coupables d’une situation dans laquelle ils ne sont pour rien !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

En agissant, comme nous le faisons, sur les deux bouts de la chaîne, non seulement nous ne faisons pas preuve de laxisme, mais encore nous faisons preuve de responsabilité.

En créant en urgence mille postes lors de la dernière rentrée, Vincent Peillon fait preuve lui aussi de responsabilité et adresse un signal positif aux enseignants et aux parents.

Par ailleurs, en indiquant que la lutte contre l'échec scolaire sera le premier objectif de la future loi de refondation de l’école et que des moyens seront débloqués à cette fin, le ministre traite, à la place qui est la sienne, ce problème de l’absentéisme et du décrochage des élèves.

J’ai bien conscience que nous ne vivons pas dans un monde pur et parfait pas plus que je ne rêve, comme je l’ai dit en commission, au pays de Candy, mais si des parents n’assument pas leurs responsabilités – c’est une réalité –, voire maltraitent leurs enfants, alors la loi pénale doit s’appliquer.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Il n’est aucunement dans notre intention de tout permettre, de tout autoriser, mais analysons les vraies raisons de l'absentéisme scolaire.

Vraiment, quand on sait comment l’ancienne majorité a fait souffrir l'école pendant cinq ans, le groupe UMP est très mal inspiré de vouloir faire souffrir à nouveau les parents aujourd'hui.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Mme Cartron a tout dit.

Le seul argument qui est opposé à l’abrogation de la loi Ciotti est l’absence d’évaluation. On sait pourtant que, pendant les quarante années durant lesquelles un dispositif identique a été en vigueur, entre 6 000 et 7 000 familles ont été sanctionnées chaque année sans aucun effet sur l’absentéisme.

Finalement, c’est M. Raffarin qui aura dressé le principal réquisitoire contre le dispositif rétabli par M. Ciotti quand il l’a supprimé parce qu’il le jugeait totalement inefficace !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

L’adoption de la question préalable, position défendue à l’instant par M. Carle, ne répondrait aucunement au problème que nous traitons aujourd’hui.

Monsieur le sénateur, vous affirmez qu’abroger la loi Ciotti ne réglerait rien et ajoutez même que refuser de suspendre les allocations familiales reviendrait, en quelque sorte, à encourager l'absentéisme ou à favoriser le laxisme des parents.

Permettez-moi de vous dire que l'éducation nationale ne se résoudra jamais à accepter l'absentéisme ; simplement, nous considérons qu’il existe d’autres moyens pour lutter contre celui-ci.

Comme l’ont très bien souligné certains orateurs, les causes de l'absentéisme sont diverses et nous essayons de les traiter dès que nous les identifions.

Par exemple, certains enfants qui ont été mal orientés peuvent entretenir une relation conflictuelle avec tel ou tel professeur et déserter son cours. C'est pourquoi nous avons mis en place des ateliers relais pour accueillir un temps donné ces élèves afin de leur permettre de poursuivre leur apprentissage, mais aussi de les faire réfléchir sur le sens de la sanction et sur un certain nombre de règles de vie en société.

De même, nous offrons aux enfants qui ne fréquenteraient plus du tout leur établissement scolaire la possibilité de poursuivre leurs études selon d’autres méthodes pédagogiques. Je pense en particulier aux microlycées, structures légères au sein desquelles les jeunes, constituées en petites équipes, se voient dispenser un enseignement selon des méthodes pédagogiques qui leur sont plus adaptées.

Marquer son désaccord avec la loi Ciotti, qui a créé une procédure inefficace, ne signifie pas baisser les bras face à l'échec scolaire. Le cas échéant, ce serait renoncer à un volet essentiel de notre action.

Par ailleurs, monsieur le sénateur, vous nous dites ne pas comprendre les raisons pour lesquelles n’a pas été menée une concertation plus approfondie sur les actions qu’il conviendrait d’engager. Mais je vous rappelle que celle-ci a eu lieu : elle a duré plusieurs mois, associant un nombre important d’acteurs, de structures et d’associations s'intéressant à l'école. Elle débouchera sur un projet de loi de refondation de l’école, aujourd'hui en préparation.

Par conséquent, il est faux de prétendre que nous nous contentons d’abroger la loi Ciotti. Non seulement, comme je viens de le rappeler, nous travaillons sur un projet de loi, mais encore, dans la mesure où tout n’a pas vocation à trouver une traduction législative, nous préparons un certain nombre de dispositifs réglementaires.

Nous ne laisserons pas les choses en l'état, rassurez-vous.

Enfin, je tiens à protester contre la manière quelque peu désinvolte, caricaturale, avec laquelle vous avez fait état des propos de Vincent Peillon. Le fait qu’un certain nombre de jeunes souffrent d’addictions est effectivement un phénomène préoccupant, d’autant que celles-ci sont souvent l’une des causes du décrochage scolaire. De fait, la lutte contre celui-ci passe par une lutte résolue contre les addictions, notamment celle au cannabis.

Élue d'un quartier populaire, je vous ferai remarquer que, si la majorité précédente avait gagné la lutte contre le cannabis, cela se saurait ! Je vois les jeunes au pied des immeubles, j’observe les trafics. Par conséquent, s’il est un sujet sur lequel la majorité précédente n’a pas de leçons à donner, c'est bien celui de la lutte contre les addictions, dans la mesure où elle a échoué dans ce domaine.

Nous devons tous nous mobiliser sur ce problème grave, parce qu'il concerne notre jeunesse. Lorsque le ministre de l'éducation nationale nous invite, les uns et les autres, à y réfléchir, il est un peu facile de se monter sarcastique, d’autant que vous n'avez guère brillé par votre réussite. Ce sujet doit nous préoccuper tous.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

Aujourd'hui, nous traitons un sujet précis, à savoir la lutte contre l'absentéisme scolaire. Tenons-nous-y et essayons de trouver ensemble de vraies solutions à ce problème préoccupant. Mais, je vous en prie, cessons-en avec les caricatures.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques-Bernard Magner

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord, l’absentéisme scolaire est un mal qu’il faut absolument guérir. Le débat porte sur les moyens d’y parvenir. Au-delà des clichés et des accusations de laxisme, c’est l’analyse des causes et la recherche du traitement qui font apparaître les divergences.

Subordonner l’attribution des allocations familiales à l’assiduité des enfants, c’est affirmer que l’argent est un moteur plus puissant que le désir d’assurer l’avenir d’un enfant.

L’école n’est pas un privilège ; elle est un droit formidable dont tout enfant doit profiter au maximum pour devenir une femme, un homme, un citoyen. C’est la porte grande ouverte sur le futur, c’est le passeport pour l’avenir. Et c’est à l’école que doivent être redonnés les moyens de traiter l’absentéisme scolaire.

La loi Ciotti est apparue injuste : elle a contribué à stigmatiser les familles les plus modestes, à précariser les plus fragiles. Cette loi est apparue injuste, car ses auteurs se sont donné bonne conscience en rejetant la responsabilité sur les parents. Elle a déplacé le problème du collectif vers l’individuel alors que c’est l’affaiblissement du système éducatif qui engendre l’absentéisme.

Pour lutter efficacement contre l’absentéisme, recherchons plutôt des solutions, et non des sanctions. Cela implique de redonner tout son sens à l’enseignement scolaire et de réveiller l’envie d’école.

Cela passe par l’élaboration d’une charte de qualité pour des écoles, des collèges et des lycées accueillants, qui deviendraient les vraies maisons des élèves.

Depuis quelques mois, des mesures ont été prises, dans l’urgence, afin que l’école redevienne ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. C’est le but du grand chantier en cours sur la refondation de l’école engagé par le ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon.

Pour nous, lutter contre l’absentéisme scolaire ne peut pas rimer avec suppression, répression, sanction et démolition du service public. Pour nous, lutter contre l’absentéisme scolaire, c’est choisir la prévention, l’attention, la médiation. Nous voulons prévenir plutôt que guérir, protéger plutôt que punir.

C’est pourquoi il faut abroger cette loi simpliste qui ne règle rien.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Certains m'ont reproché le ton vif de ma dernière intervention. Celle-ci était à la hauteur…

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

… de l'enjeu et traduisait la sincérité d’un maire qui sait que l’adoption de cette proposition de loi aura pour conséquence de lui retirer un outil efficace de lutte contre l'absentéisme scolaire.

Les socialistes et leurs alliés ici font de l'idéologie et en reviennent à ce choix entre le tout-préventif et le tout-répressif, ce dont je les croyais sortis. C'est souvent la menace de sanctions…

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

… accompagnées de phases de dialogue qui permet de recadrer les personnes, jeunes ou moins jeunes, que l'on veut remettre sur le chemin de l'insertion, voire de l'intégration.

Ce choix du tout-préventif, ce refus de toute sanction et cette dénonciation de toute responsabilisation, assimilée à de la stigmatisation, sont un formidable recul.

Si mon ton est vif, c'est parce que je sais que cette proposition de loi aura des conséquences fâcheuses pour les familles et les jeunes de ma commune.

Aussi vif qu’ait pu être celui-ci, cela ne vous autorisait pas, madame la présidente de la commission, à me mettre en cause personnellement.

Vous y étiez d'autant moins autorisée que vous n'avez pas eu la courtoisie de préciser que, en début de mandat, j’avais pris le soin de vous informer que mon groupe m'avait imposé de siéger au sein d’une commission qui était non pas mon premier, ni mon second, ni mon troisième, ni même mon quatrième choix, mais mon dernier choix !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Cartron

Mme Françoise Cartron. Une orientation subie génère l’absentéisme !

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Même si vous n’y étiez pour rien, vous en aviez pris acte.

Membre de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, j’y suis très assidu. En revanche, dès le début de mon mandat, je vous avais fait savoir, madame la présidente de la commission, que je ne siégerais pas au sein de celle-ci et que je comptais aborder cette question avec mon président de groupe. Vous n’en aviez pas été choquée et m'aviez même dit comprendre cette situation.

Il est assez rare que, pour traiter des problèmes de fond, quel que soit le ton utilisé, un président de commission mette en cause personnellement un collègue. Cela me paraît d'autant moins excusable que vous connaissiez les raisons de fond.

Maintenant, si vous jugez absolument indispensable que je vienne exprimer mon opposition au sein de la commission, je vous promets de revoir ma position !

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.

Je rappelle également que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Voici le résultat du scrutin n° 6 :

Le Sénat n'a pas adopté.

En conséquence, nous passons à la discussion de l’article unique.

I. - Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa de l’article L. 131-6, les mots « en application de l’article L. 131-8 » et les mots « en application du même article » sont supprimés ;

2° Au troisième alinéa de l’article L. 131-8, les mots « administratives et » sont supprimés ;

3° Les sixième à douzième alinéas de l’article L. 131-8 sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de persistance du défaut d’assiduité, le directeur de l’établissement d’enseignement réunit les membres concernés de la communauté éducative, au sens de l’article L. 111-3, afin de proposer aux personnes responsables de l’enfant une aide et un accompagnement adaptés et contractualisés avec celles-ci. Un enseignant est désigné pour suivre les mesures mises en œuvre au sein de l’établissement d’enseignement.

II. - Le code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :

1° L’article L. 222-4-1 est abrogé ;

2° Le dernier alinéa de l’article L. 262-3 est supprimé.

III. - Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° L’article L. 552-3 est abrogé ;

2° L’article L. 552-3-1 est abrogé.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L'amendement n° 2, présenté par M. Assouline, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Alinéa 5, seconde phrase

Remplacer le mot :

enseignant

par les mots :

personnel d'éducation référent

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Cet amendement vise à ouvrir, au sein de la communauté éducative, à d'autres personnels que les enseignants la possibilité d'être désignés au sein de l'établissement pour suivre les questions relatives à l’absentéisme.

Les conseillers principaux d'éducation chargés de la vie scolaire pourront, notamment, être nommés comme référents.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

Le Gouvernement est favorable à cet amendement, car c’est le conseiller principal d’éducation qui joue généralement le rôle de référent en cas d’absentéisme.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L'amendement n° 3, présenté par M. Assouline, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après l'alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

4° Après les mots : « aux dispositions du présent chapitre », la fin de l’article L. 131-9 est supprimée.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - Permalien
George Pau-Langevin, ministre déléguée

Avis favorable.

L'amendement est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, étrange débat, parfois marqué par des déchirements et des polémiques, dont nous aurions été sages de faire l’économie !

Je suis persuadé que nous avons tous le désir très fort de limiter au maximum l’absentéisme, car nous savons bien qu’un élève absentéiste est un élève qui décroche et peut même être gagné par la délinquance, même si je ne lie évidemment pas absentéisme et délinquance. Dans tous les cas, c’est un élève en danger, et le devoir de tous est de l’aider à sortir de cette situation.

Depuis toujours, des tentatives ont été faites, d’une part, pour faire face à l’absentéisme – déjà, la loi du 28 mars 1882, qui a érigé l’obligation scolaire en principe républicain, liait celle-ci à la lutte contre l’absentéisme – et, d’autre part, pour responsabiliser l’ensemble du corps social et plus particulièrement les parents, qui sont évidemment les premiers concernés.

Le principe de l’obligation scolaire a été réaffirmé et sa mise en œuvre actualisée dans l’ordonnance du 6 janvier 1959.

Sous le gouvernement de M. Raffarin, de nouvelles propositions sont formulées, notamment par le ministre de l’éducation nationale d’alors, M. Ferry et, dans le cadre du plan de cohésion sociale, par M. Borloo, dans une approche pragmatique. Un système de contrats passés entre les familles et les services de l’État est mis en place.

Nous avons constaté que peu de ces contrats été passés et que l’absentéisme, lui, continuait à progresser, d’où une nouvelle tentative, cette fois sur l’initiative de M. Éric Ciotti, qui, en tant que président de conseil général, a aussi une expérience dans ce domaine.

C’est ainsi qu’a été mis en place un dispositif gradué, dont l’objectif n’est évidemment pas de supprimer les allocations familiales – sur ces travées aussi, nous convenons tous de leur nécessité et nous ne voulons pas en priver les familles ! –, mais de bien faire comprendre aux parents que, s’ils ne prennent pas, aux côtés de tous ceux qui sont prêts à les accompagner, leur part dans l’éducation de leurs enfants, ils seront sous la menace, mais en ultime recours seulement – ultima ratio, comme on disait dans le temps –, d’une interruption du versement de ces allocations.

Mes chers collègues, je suis étonné que certains aient invoqué, pour critiquer ce dispositif, le très faible nombre de suspensions ou de suppressions. C’est heureux ! L’objectif n’est absolument pas, je le répète, de supprimer les allocations familiales, mais de remettre les enfants à l’école, qu’ils n’auraient jamais dû quitter !

J’ajoute, n’en déplaise à Mme Cartron et à M. Assouline, que ce dispositif a seulement deux ans puisqu’il est issu d’une loi de septembre 2010. Le Gouvernement préparant un texte dit de refondation de l’école, il aurait été parfaitement normal que, comme dans la loi de 1882, soient présentées dans ce texte de nouvelles mesures pour faire face à l’absentéisme. Contre ce fléau aux origines, en effet, très diverses, vous auriez peut-être pu présenter alors un dispositif différent, mais au moins aurions-nous eu le temps, avant que le texte ne vienne en discussion, de faire le bilan de l’application de la loi Ciotti.

Actuellement, il n’y a pas de bilan exact et incontesté de cette loi. Le comité d’évaluation prévu n’avait pas encore été mis en place. Il aurait été parfaitement légitime de votre part de l’installer, de constater ses résultats et d’appuyer ensuite, éventuellement, de nouvelles propositions sur ceux-ci.

Au lieu de cela, nous débattons aujourd’hui, parfois même en nous déchirant, alors que nous sommes tous évidemment d’accord pour préserver dans toute la mesure du possible les allocations familiales et pour faire en sorte que les enfants aillent à l’école.

Mes chers collègues, nous ne voterons pas la présente proposition de loi.

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste

On avait compris !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Nous ne prendrons pas la responsabilité d’abroger le dispositif en vigueur qui, pas plus que le dispositif mis en place par M. Raffarin ou que les précédents, n’est parfait, mais qui, parce qu’il aurait tout de même permis de sauver certains enfants, aurait été utile.

Je demande à chacun de bien réfléchir. Nous avions le temps de travailler ensemble à la recherche d’un dispositif pérenne et efficace. Vous avez préféré que le débat ait lieu dans le cadre d’une niche parlementaire, dans un temps contraint et alors que nous ne disposons pas véritablement d’un bilan de la situation actuelle. Nous l’avons dit, nous ne prendrons pas la responsabilité de cette abrogation à la hussarde et nous vous mettons en garde contre ce qui nous paraît être une erreur dont les premières victimes seront les jeunes que nous voulons protéger ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de l'UMP.

Je rappelle que l'avis de la commission est favorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Voici le résultat du scrutin n° 7 :

Le Sénat a adopté. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courrier en date du 24 octobre, le texte d’une décision du Conseil constitutionnel établissant la conformité à la Constitution de la loi portant création des emplois d’avenir.

Acte est donné de cette communication. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (proposition de loi n° 188 [2001-2002], texte de la commission n° 61, rapport n° 60.)

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. §

Debut de section - Permalien
Kader Arif

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat examine aujourd'hui une proposition de loi adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, qui vise à reconnaître la date du 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Le travail de mémoire est une nécessité, vous le savez bien. Plus encore, il est pour moi une exigence et une responsabilité pour assurer la cohésion du pays. C’est en particulier le cas pour ce qui concerne les drames d’Afrique du Nord, qui, de par leur proximité temporelle, sont encore autant de réminiscences douloureuses et de plaies ouvertes qu’il incombe aujourd’hui à la nation d’apaiser et, progressivement, calmement et collectivement, de cicatriser.

Debut de section - Permalien
Kader Arif, ministre délégué

Cette démarche est une des priorités du Gouvernement.

Elle est à la base du sentiment d’appartenance à la communauté nationale de tous les Français, car elle participe à la connaissance et à la compréhension de leur propre histoire.

Elle est à la source de leur citoyenneté et de leur sentiment d’appartenance à la République, sentiment que les moments commémoratifs doivent contribuer à entretenir, via l’indispensable ritualisation d’un passé commun.

La représentation nationale a pris l’initiative d’examiner et de débattre des termes de cette ritualisation, afin de déterminer de quelle manière les Français, nos concitoyens, seront invités à se souvenir.

La question est naturellement complexe. Elle impose à chacun de faire un pas en avant, et non un pas de côté, afin d’écouter et de comprendre les attentes et les préoccupations des mondes combattant et civil dans toute leur diversité. Je songe naturellement aux appelés du contingent, qui ont accueilli avec soulagement la fin officielle des hostilités. Je songe aux harkis, qui ont cru en la France, qui se sont battus pour elle et qui, pour nombre d’entre eux, ont versé un lourd tribut pour leur engagement.

Debut de section - Permalien
Kader Arif, ministre délégué

Je n’oublie pas les civils, qui sont aussi les victimes des périodes sombres de fin de conflit.

Cette situation fondamentalement sensible appelle un dialogue ouvert et respectueux entre les représentants de la nation, afin de dépasser les oppositions stériles et de tourner définitivement la page des querelles politiques internes, tout particulièrement pour ce qui concerne la guerre d’Algérie.

Il en va de la capacité de notre pays à inscrire le souvenir douloureux de ces conflits en Afrique du Nord dans le calendrier commémoratif du XXIe siècle, afin que les Français puissent regarder leur passé en face, sans culpabilité ni autre forme de repentance, dans le respect de toutes les victimes, et qu’ils puissent faire de cette mémoire collective une pierre angulaire de leur histoire, indispensable pour construire ensemble un avenir commun.

Je le sais, la représentation nationale est parfaitement consciente de ces enjeux et de la responsabilité qui est la sienne.

Mesdames, messieurs les sénateurs, votre honorable chambre est par essence celle de la réflexion, du discernement et de la mesure ; elle est celle de la pondération et de la sagesse.

C’est à cette sagesse que je me remets aujourd’hui, dans le plein respect des prérogatives du Parlement, car c’est à ce dernier qu’il incombe d’achever un processus législatif qu’il a lui-même engagé, et ce sans aucune ingérence ni interférence de la part de l’exécutif. §

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous avons à débattre de la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie par la nation.

Une proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Aujourd’hui, nous poursuivons donc un long cheminement.

Il y a cinquante ans, c’était le cessez-le-feu en Algérie, au terme de longues souffrances. Malheureusement, ce ne fut pas la fin de toutes les épreuves : de fait, la guerre d’Algérie ne s’achève pas le 19 mars. Je le souligne, le 19 mars, ce n’est que le cessez-le-feu, à ne confondre en aucun cas avec la fin de la guerre !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

M. Alain Néri, rapporteur. Cinquante ans après, il est urgent de rendre hommage, honneur et dignité à la troisième génération du feu, partie en Algérie, parfois sans comprendre tous les objectifs, parfois sans les partager, et qui a répondu avec abnégation et courage à l’appel de la nation.

M. Jean-Claude Frécon acquiesce.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Cette troisième génération du feu, ne l’oublions pas, est celle des enfants de la guerre de 1939-1945, de ceux qui avaient déjà souffert de l’Occupation, des privations matérielles, mais aussi et surtout des privations morales et affectives. Beaucoup ne connurent leur père qu’à l’âge de cinq ans, lorsque ce dernier rentra de captivité, ou ne le connurent jamais. D’autres ne connurent pas leur mère, victime de la déportation. Dix ans après le retour, ou la disparition, de leur père et de leur mère, ils partaient en Algérie.

Mettez-vous également à la place des familles, en particulier des mères qui, après avoir vu partir leur époux en 1939-1945, voyaient partir leurs fils en Algérie. Douloureuse épreuve, d’autant que, longtemps, la France n’a pas osé reconnaître que, en Algérie, c’était bien la guerre, hypocritement et abusivement – abusivement au sens premier du terme : on a abusé les Françaises et les Français en leur disant qu’en Algérie il ne s’agissait que d’« événements », d’opérations de pacification et de maintien de l’ordre.

Alors qu’il y a eu 30 000 morts, alors que l’armée française a engagé ses trois armes – l’armée de terre, l’armée de l’air et la marine –, alors que 500 000 soldats français ont été mobilisés sur le sol algérien, alors que plus de 2 millions de jeunes Français ont participé à la guerre d’Algérie, il nous paraissait cruel de ne pas reconnaître celle-ci sous son nom.

Il a fallu attendre trente-sept ans après le cessez-le-feu. Il a fallu attendre 1999, …

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

… pour qu’une proposition de loi socialiste – je la connais bien, pour en avoir été le rapporteur – reconnaisse enfin que, en Algérie, c’était la guerre.

D’ailleurs, comment aurait-il pu en être autrement ? Tout en évoquant des « événements », on reconnaissait aux soldats d’Algérie la qualité de combattant pour des actions de feu et de combat. S’il y avait action de feu et de combat, s’il y avait mort, c’est bien qu’il y avait guerre ! Aujourd’hui, plus personne ne peut nier que, en Algérie, c’était la guerre.

Cette guerre d’Algérie, restée trop longtemps une guerre sans nom, ne doit pas rester une guerre sans date historique et symbolique de reconnaissance et de recueillement pour toutes ses victimes.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Le cessez-le-feu du 19 mars ne fut pas la fin des souffrances.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Avant le 19 mars, les appelés, les rappelés, les militaires de carrière et leurs familles ont souffert de la séparation, de la peur, des violences et des deuils.

Après le 19 mars, d’autres souffrances grandirent : celle des rapatriés, que l’on appelait aussi les pieds-noirs, contraints de quitter leur terre natale et d’abandonner leurs racines ; celle des harkis, qui avaient placé leur confiance dans la France, qui avaient cru en sa parole et qui furent odieusement et honteusement désarmés et abandonnés sur ordre du gouvernement de l’époque.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Ceux qui furent accueillis en France le doivent au courage d’officiers qui, désobéissant aux ordres, rapatrièrent leur harka.

Lorsqu’ils arrivèrent en France, les harkis non plus ne reçurent pas un accueil chaleureux. Ils furent parqués dans des camps, situation qui dura, non pas quelques mois, mais plusieurs années. J’ai souvenance d’avoir visité, en 1979 ou en 1980, Mas-Thibert, où était « accueillie », dans des conditions déplorables, la harka du Bachaga Boualem.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Nous n’avions aucune raison d’être fiers de ces conditions d’accueil.

Tous ont souffert de la guerre, et, aujourd'hui, il ne faut pas hiérarchiser les drames. Les souffrances des uns et des autres doivent être reconnues à égalité par la nation, qui doit se réconcilier avec son histoire.

C’est pourquoi nous ne pourrions nous satisfaire d’une date qui ne serait pas historique et symbolique.

En effet, la guerre d’Algérie, tout comme les deux conflits mondiaux, appartient à notre histoire.

La troisième génération du feu mérite une date historique et symbolique, comme les deux générations précédentes.

La date du 11 novembre commémore l’armistice, et non la fin de la guerre de 14-18, qui s’est poursuivie en Orient.

Le 8 mai ne marque pas la fin de la guerre de 39-45, mais la capitulation nazie, un moment historique que l’on ne doit pas effacer de nos mémoires, que personne ne pourra jamais effacer de nos mémoires et que l’on doit continuer à faire partager aux générations futures.

De la même façon, l’armistice de 14-18 représente une page de notre histoire. C’est pour cela que l’on ne peut accepter la tentative de certains de nous faire « avaler » un Memorial Day. Non ! Chaque génération du feu doit avoir sa date historique et spécifique.

Bravo ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Pour la troisième génération du feu, c’est le 19 mars, date du cessez-le-feu, et non date de la fin des combats.

Cette troisième génération du feu mérite le recueillement et l’hommage de la nation, non seulement en souvenir de toutes les souffrances qu’elle a endurées, mais aussi parce que, si elle ne partageait pas toujours les objectifs de cette guerre, elle est allée en Algérie à l’appel de la nation.

Ces combattants ont aussi répondu une deuxième fois à l’appel de la nation, lorsqu’ils ont sauvé la République en s’opposant au putsch des généraux d’Alger.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Pour toutes ces raisons, la nation, réunie, rassemblée, leur doit hommage et reconnaissance. C’est notre but aujourd’hui, en faisant en sorte que la France, unie, rassemblée, apaisée, …

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

… rende hommage à tous ceux qui ont souffert des cruautés de la guerre, des silences, des peurs et des deuils.

Mes chers collègues, aujourd’hui, la France a l’occasion de se réconcilier avec son histoire.

Nous devons graver dans le marbre de la loi les souffrances qui sont gravées dans le cœur et dans la chair de tous les Français, parce que nous sommes ici pour rappeler ce que sont la République et la démocratie.

L’adoption de cette loi honorera notre assemblée et permettra de reconnaître la troisième génération du feu, à égalité avec les deux précédentes, pour avoir défendu et soutenu la République, la démocratie et la paix !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin !

Enfin, en cette année symbolique du cinquantième anniversaire du cessez-le-feu en Algérie, nous sommes sur le point de voir aboutir une très ancienne exigence de la majorité de la troisième génération du feu : la reconnaissance de la date du 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Le texte que nous examinons aujourd’hui est issu des travaux de l’Assemblée nationale du 22 janvier 2002, résultant de plusieurs propositions de loi, dont celles de mes amis Alain Bocquet et Alain Néri.

Au Sénat également, j’avais, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, déposé à de nombreuses reprises des propositions de loi en ce sens.

Pourquoi ai-je l’impression de vivre un moment exceptionnel, historique, emblématique ? Parce que nous avons tant attendu ce rétablissement de la vérité historique !

MM. Pierre Charon et Marcel-Pierre Cléach s’exclament.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Il aura déjà fallu attendre longtemps la reconnaissance de l’état de guerre, par la loi du 18 octobre 1999 !

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

C’était un premier pas, qui ne pouvait qu’être prolongé par un acte législatif donnant enfin à tous, soldats du contingent, militaires, harkis, rapatriés et, bien sûr, populations civiles algérienne et française, une date qui ait un sens non seulement symbolique, mais aussi historique. Cette date permettra de se recueillir et de revenir sur des événements traumatisants, avec l’espoir d’œuvrer à un apaisement des relations entre les deux rives de la Méditerranée.

Pourquoi tout ce temps perdu ? Cette question nous mène au cœur de la relation très complexe qu’entretiennent la France et l’Algérie, faite d’ombre et de lumière, qu’éclairent de grands historiens tels que Benjamin Stora, Sylvie Thénault, et que mettent en scène des écrivains tels que Mathieu Belezi, qui, après le grand Albert Camus et bien d’autres, dépeint, dans ses romans, un pays de soleil et de silence et entonne le chant funèbre d’une terre meurtrie.

Je me souviens d’avoir organisé ici même, au Sénat, en 2010, un colloque intitulé : « 1940-1962 : les troubles de la mémoire française ». Avec d’éminents historiens, nous avions pu confronter ce qu’entretiennent les mémoires collectives des individus et des nations entre elles, leurs liens souvent faussés avec les faits historiques. Nous sommes ici, je pense, précisément au cœur d’un sujet qui donne matière à conflit entre histoire et mémoire.

La proposition de loi que nous nous proposons d’adopter ne constitue en rien un « prêt-à-penser », un dogme, une instrumentalisation de l’histoire. Le dogme, l’absurde, l’offense à l’histoire, c’était l’invention de la date du 5 décembre !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Tout au contraire, ici, il s’agit – j’y crois profondément – de laisser l’histoire s’écrire et la mémoire se livrer, se penser, s’assimiler sur la base d’une date qui ait du sens.

Cette date ne peut être que celle de l’anniversaire du cessez-le-feu, le lendemain des accords d’Évian, le 19 mars 1962, comme il en va pour tous les autres conflits du XXe siècle.

La meilleure légitimité de cette date réside, souvenons-nous, dans l’approbation des accords d’Évian du 18 mars 1962 et du cessez-le-feu du 19 mars par 90, 8 % des votants lors du référendum du 8 avril.

Certes, des hommes et des femmes sont encore tombés, des deux côtés, après cette date. C’est la réalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. Guy Fischer. Certes, le drame des rapatriés – j’en ai accueilli des milliers dans le grand ensemble des Minguettes, à Vénissieux – doit rester dans la mémoire collective et l’abandon des harkis ne doit jamais être oublié, même si cette tragédie ne nous fait pas honneur – à Vénissieux encore, nous avons construit des résidences pour les harkis, afin qu’ils soient traités dignement !

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Mais, comme l’armistice de la Grande Guerre le 11 novembre 1918 et la capitulation sans condition des armées nazies le 8 mai 1945, le 19 mars est une date clé, un point d’appui pour la mémoire comme pour l’histoire. Avec cette reconnaissance, j’ai bon espoir que nous mettions enfin un terme à une triste et stérile polémique. Replaçons lucidement les idées à leur juste place : qui oserait aujourd’hui remettre en question le 11 novembre et le 8 mai, sous prétexte que des belligérants et des civils perdirent, hélas ! la vie après ces dates ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Bien sûr que si !

La douleur des mères, des sœurs et des épouses en fut-elle pour autant moins respectée ? Certainement pas !

Et n’oublions jamais que ce sont les non-dits, le silence, pis encore le déni, le révisionnisme et la censure qui cristallisent ressentiments, haines, et qui privent les protagonistes d’un deuil nécessaire à la reconstruction. A contrario, comme le disait fort justement mardi dernier notre collègue David Assouline, la vérité apaise.

Je ne voudrais pas répéter mes propos au sujet de notre proposition de résolution, adoptée mardi dernier, sur la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961. Toutefois, le parallélisme de ces deux débats m’impose de soulever à nouveau publiquement une contradiction de taille dans l’attitude du Gouvernement : d’un côté, faire un pas dans la reconnaissance des exactions de l’État français colonialiste, reconnaître une date sur laquelle les précédents gouvernements ont préféré le déni ; d’un autre côté – et je m’exprime là, solennellement, au nom de mon groupe et de sa présidente, Éliane Assassi –, mettre à l’honneur le tristement célèbre général Bigeard, tortionnaire de sinistre mémoire en Algérie comme en Indochine.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

M. le ministre des relations avec le Parlement ne m’a pas répondu mardi dernier, mais, vous me connaissez, je poserai la question jusqu’à ce que je sois satisfait de la réponse !

Le sujet est d’importance : soit nous avons une volonté de mettre à plat, globalement, les conséquences de notre politique coloniale, pour mieux réconcilier nos deux peuples ; soit nous demeurons un pied dans le déni, un pied dans une trop timide tentative de nous affranchir de cinquante ans de silence coupable.

Cette attitude est, je le répète, intenable. Le courage nous commande d’aller jusqu’au bout de la démarche, d’affronter des pages qui comptent parmi les moins glorieuses de notre histoire.

Je voudrais conclure en vous interrogeant, monsieur le ministre, sur la politique de mémoire qu’entend mener notre nouveau gouvernement. Je souhaite instamment que soient levées toutes les ambiguïtés relatives à l’instauration d’une date unique. Je pense notamment à ce que j’appelle le « dernier mauvais coup » de l’ancien gouvernement.

La loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, y compris en opérations extérieures, n’est pas innocente. Avez-vous la volonté de l’abroger, monsieur le ministre ?

La mémoire n’est pas uniforme – nous sommes en plein dans ce débat – et l’enseignement de l’histoire se doit de faire place à toutes les grandes périodes qui ont marqué notre nation.

Pour ce faire, les programmes d’enseignement et les manuels scolaires ne devraient-ils pas refaire une plus large place à un enseignement vivant de l’histoire de tous les conflits dans lesquels notre peuple, nos voisins européens comme nos anciennes colonies et protectorats furent engagés ? Une refonte ambitieuse et concertée de cet enseignement ne serait-elle pas un gage de mémoire partagée, de relations internationales reconstruites par la mise au jour des pans d’une histoire non assumée ?

Optimiste de nature, monsieur le ministre, j’espère que notre nation saura prendre toute sa place dans des lendemains qu’il nous appartient de modeler ensemble. Quelle belle perspective s’offre à nous, quel beau défi à relever, notamment pour vous, anciens combattants qui nous écoutez dans les tribunes, protagonistes d’une guerre longtemps sans nom et sans vainqueurs ! Peut-être cette sorte de reconstruction finira-t-elle par acquitter ce lourd tribut que vous avez porté pendant cinq décennies…

C’est en tout cas mon souhait le plus cher, et c’est l’espoir que je forme pour le mieux « vivre ensemble » des générations futures.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est grave, l’urgence pressante.

Notre dette publique est abyssale et représente plus de 90 % du PIB ;…

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

; notre part de marché à l’exportation diminue de jour en jour et notre écart de compétitivité avec l’Allemagne ne cesse de se creuser.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Cela ne vous plaît pas, mais c’est la vérité. L’urgence est claire, le diagnostic partagé.

Or, depuis le 3 juillet dernier, que se passe-t-il ? C’est bien simple, votre majorité a eu comme principe moteur de déconstruire ce qui allait dans le bon sens : l’exonération des charges sur les heures supplémentaires, l’intéressement des salariés au bénéfice de leur entreprise, la majoration des droits à construire.

On vous reconnaîtra le mérite d’avoir fait voter le traité européen, négocié par le précédent Président de la République, et d’avoir pallié l’abrogation du dispositif sur le harcèlement sexuel.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

En réalité, depuis juillet vous n’avez proposé que deux textes majeurs : le premier, sur le logement, entièrement censuré par le Conseil constitutionnel hier soir, et le second sur les « emplois d’avenir ».

La France attend des réformes, monsieur le ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Les entreprises ont besoin de plus de compétitivité et les Français recherchent des emplois.

Dès lors, quoi de mieux que de botter en touche ? Une fois encore, votre gouvernement est à contretemps.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Plutôt que de vous saisir des enjeux fondamentaux et de permettre aux Français d’entrevoir des jours meilleurs, vous nous proposez d’étudier un texte exhumé de l’Assemblée nationale et voté il y a plus de dix ans.

Ce texte est une pure et simple abrogation du décret du 26 septembre 2003, qui avait fait du 5 décembre la journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, décret pris après un processus consultatif mené par l’historien Jean Favier. Bref, une procédure proche de la méthode vantée par M. le Premier ministre !

Quelle urgence y avait-il dès lors à mobiliser le Parlement pour consacrer une nouvelle date de commémoration, …

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Ces textes ne sont pas non plus identiques dans leur forme : l’un est réglementaire et l’autre législatif. Cela n’est pas sans conséquence !

Alors même que l’article 34 de la Constitution fixe les pouvoirs du Parlement en ne nous permettant pas de légiférer en la matière, vous souhaitez fixer de manière législative une date de commémoration.

Il y a un précédent, et je vous invite à vous intéresser au sort qui avait été réservé à la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui disposait au second alinéa de son article 4 que la colonisation avait parfois eu un rôle positif.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Le Gouvernement avait, en vertu du second alinéa de l’article 37 de la Constitution, saisi le Conseil constitutionnel, qui avait déclaré cette disposition comme étant du domaine réglementaire. C’est la preuve le Parlement n’est peut-être pas tout à fait dans son rôle en matière mémorielle, surtout lorsqu’il légifère par la voie d’une proposition de loi.

Mes chers collègues, restons dans notre fonction, et soyons cohérents. Je ne peux que m’étonner de la contradiction qui existe entre la présente proposition de loi et l’opposition vigoureuse manifestée en janvier dernier, alors que nous débattions de la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, par le président de la commission des lois à l’encontre des textes mémoriels.

Citant le doyen Vedel, Robert Badinter et d’autres éminents professeurs d’université, M. Sueur nous explique alors que ces textes ne sont pas du domaine de la loi et qu’il convient de laisser les historiens réaliser leurs recherches dans la sérénité.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

« Quelle est notre légitimité à nous, législateur, pour dire ce qu’est l’histoire ? » s’interroge-t-il ici-même, résumant ensuite son propos en disant avec « Robert Badinter que le Parlement n’est pas un tribunal et avec Pierre Nora qu’il ne revient pas au législateur de faire l’histoire ».

Dès lors, mes chers collègues, si vous adoptez ce texte, ne dites plus, par exemple, à la communauté arménienne, qui attend un texte de reconnaissance, …

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe socialiste

Le génocide est reconnu !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

… que cette reconnaissance n’est pas du domaine de la loi.

Deuxième contradiction, monsieur le rapporteur : au cours de l’année 2004, vous l’avez rappelé, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, dont vous étiez membre, comme François Hollande et Jean-Marc Ayrault, déposait une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriés et harkis, après la date officielle du cessez-le-feu de la guerre en Algérie.

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste

C’est le contraire !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Par ailleurs, la commission en refusant votre proposition vous rappelait que l’encouragement du travail historique devait être préféré à la création d’une commission d’enquête.

Enfin, troisième contradiction : nous avons étendu, en début d’année, l’application de l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse aux formations supplétives des forces armées. Le droit en vigueur, en particulier l’article 5 de la loi de 2005, ne trouvait pas d’application pour des raisons purement juridiques.

Dès lors, nous avons réparé cette injustice en permettant aux harkis d’être protégés contre des injures et des diffamations. Nous avons élargi ce dispositif protecteur applicable aux harkis, mais, aujourd’hui, nous examinons un texte qui tend à les humilier…

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

… en fixant une date de commémoration de la fin du conflit algérien préalable aux massacres qu’ils ont subis, en particulier le 5 juillet 1962 à Oran.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Alors même que les accords d’Évian prévoyaient un cessez-le-feu dès le 19 mars 1962, vous l’avez rappelé, les exactions ont perduré. Faire de cette date une journée de commémoration reviendrait en quelque sorte à nier l’existence des drames qui ont suivi et qui ont fait de très nombreuses victimes. Le 19 mars 1962, la France a abandonné les harkis.

Au début de l’année 2012, le Parlement français a souhaité compléter son dispositif protecteur à l’égard des Français rapatriés.

Je me permets de rappeler mon intervention en séance à cette occasion : « Nous savons tous à quel point il peut être délicat pour une nation de regarder son passé sans fard. Pendant trop longtemps, la question de la reconnaissance de l’engagement des harkis a été éludée ou retardée, laissant dans l’incompréhension ceux-là mêmes qui ont fait le choix de la France lors de l’un des épisodes les plus douloureux de notre histoire récente. […]

« Cette injustice a été lentement réparée par un processus législatif qui se sera déroulé pendant près de dix ans, entre la loi du 11 juin 1994, qui a été la première à exprimer la reconnaissance de la France aux harkis, et celle de 2005, qui a cherché à protéger les rapatriés et leurs descendants contre les invectives charriées par un passé encore mal cicatrisé. »

Mes chers collègues, ne faisons pas machine arrière, n’oublions pas les tragédies qui se sont déroulées après la mi-mars 1962. Les commémorations doivent nous rassembler, elles ne doivent pas nous diviser !

Il serait ainsi grand temps de reprendre l’intégralité des propositions formulées à l’automne 2008 par l’historien André Kaspi. Le rapport qu’il avait remis au Président de la République prévoyait purement et simplement de retenir trois dates pour les commémorations : le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Ces trois dates résonnent dans la conscience de tous les citoyens français.

Seule la date du 11 novembre a fait l’objet d’un approfondissement en ce sens à destination du souvenir de tous les morts pour la France. Faisons donc du 8 mai, par exemple, la célébration de la paix et la commémoration des victimes militaires et civiles de toutes les guerres passées.

Autre piste à suivre, notre collègue Yves Pozzo Di Borgo a appelé, lors de l’examen de la proposition de résolution tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961 présentée par nos collègues communistes, au lancement d’une vaste concertation au sujet des commémorations relatives à la blessure algérienne, notamment en association avec l’Algérie.

Dès lors, mes chers collègues, à l’évidence, le 19 mars est non pas une date qui rassemble mais qui divise. En faire une date de commémoration officielle cristallisera cette division.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Sur ces sujets, il faut de la sérénité et ce texte ne va pas dans ce sens.

Jusqu’à présent, il y avait ceux qui commémoraient le 5 décembre et ceux qui commémoraient le 19 mars.

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste

Très peu !

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Ils continueront à le faire. La seule différence, c’est que le préfet sera le 19 mars devant les monuments et il n’y sera plus le 5 décembre.

C’est pour cela, mes chers collègues, que je ne voterai pas ce texte comme les membres de l’UDI-UC. §

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, longtemps considérée comme la « guerre sans nom », la guerre d’Algérie ne doit pas rester la guerre sans fin. Nous avons suffisamment de recul pour reconnaître que ce conflit d’une grande violence physique, psychologique et symbolique s’est déroulé entre 1954 et 1962, même si personne n’ignore les drames, les attentats et autres règlements de compte qui ont suivi le cessez-le-feu issu des accords d’Évian.

Sans plus tarder – vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur –, il faut apporter une réponse à ceux qui ont répondu à l’âge de vingt ans à l’appel de la nation avec abnégation et courage.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

Je fus de ceux-là pendant vingt-huit mois.

Oui, il est temps de créer les conditions d’un rassemblement serein et unitaire pour les 2 millions de jeunes soldats envoyés de l’autre côté de la Méditerranée et, bien sûr, pour toutes les victimes civiles assassinées, avant et après le 19 mars 1962, pour tous ceux qui de la « Toussaint sanglante » au massacre d’Oran ont payé de leur vie l’indépendance algérienne ou tout simplement pour servir la France.

Il ne s’agit pas de refaire l’histoire, il s’agit de la regarder en face.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

Aussi, sans hésiter, prenons toutes nos responsabilités pour installer un devoir de mémoire à la hauteur des sacrifices endurés par beaucoup de nos concitoyens. Trop souvent, sur cette question, les tergiversations l’ont emporté malgré l’action déterminée des anciens de la guerre d’Algérie, en particulier des anciens combattants d’Afrique du Nord.

J’ai toujours été de ce combat contre l’oubli. J’ai toujours soutenu sans faille toutes les démarches qui visent à rétablir la vérité historique et à rendre hommage à toutes les victimes – je dis bien à toutes les victimes.

Je regrette sincèrement que la représentation nationale ne puisse s’unir et se retrouver sur la date du 19 mars 1962, qui marque l’arrêt officiel des hostilités et qui n’occulte en aucun cas les événements tragiques postérieurs à celle-ci.

Cette date a du sens, ce qui est indispensable pour donner vie à une journée du souvenir et du recueillement que nous souhaitons tous.

Je regrette aussi que, après tant d’années, le processus soit toujours aussi long quand il s’agit d’œuvrer en faveur d’une lecture objective de la guerre d’Algérie.

En effet, comme vous le savez, mes chers collègues, il a fallu attendre trente-sept ans pour que les opérations effectuées en Afrique du Nord soient qualifiées selon leur vraie nature.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

La loi du 18 octobre 1999 a remplacé une formulation relevant clairement du déni par celle, plus juste, de guerre d’Algérie.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

Antérieurement, la loi du 9 décembre 1974, qui attribuait la qualité de combattant aux personnes ayant participé à ce conflit, avait également été adoptée à l’issue d’une course d’obstacles subtilement mise en œuvre, à l’époque, par les gouvernements successifs.

À cet égard, le débat du 17 octobre 1974 au Sénat est éclairant. Le rapporteur de la loi du 9 décembre, Lucien Grand, membre de la Gauche démocratique, s’exprimait ainsi : « Vous trouverez, mes chers collègues, dans mon rapport, la narration fidèle des longues vicissitudes de ce projet de loi, nos espérances déçues à plusieurs reprises au fil des ans pour des motifs divers mais toujours renouvelés. Aujourd’hui, il nous est permis de discuter un projet de loi qui répond aux espoirs que nous entretenons depuis douze ans. »

Reprenant les termes de cet ancien sénateur, je dirai qu’il nous est enfin permis aujourd'hui de discuter une proposition de loi qui répond aux espoirs levés, de nouveau, voilà dix ans.

En effet, en 2002, sur l’initiative de plusieurs familles politiques parmi lesquelles les radicaux de gauche, l’Assemblée nationale avait déjà adopté une proposition de loi visant à reconnaître le 19 mars comme journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie.

Depuis, dix années se sont écoulées. Le texte est resté volontairement englué dans les limbes d’une navette parlementaire suspendue par le temps, ce qui reflète bien, hélas ! à quel point est difficile la réconciliation nationale sur la question de la guerre d’Algérie.

En effet, mes chers collègues, les plaies de cette tragédie sont encore très vives. On peut le comprendre au regard des milliers de civils et militaires victimes de ce terrible déchirement entre l’Algérie et la France.

La guerre d’Algérie est passionnelle à cause de la cécité politique sur le système colonial et sur l’inévitable processus de décolonisation.

La guerre d’Algérie est forte de culpabilité en raison de la torture assumée par certains officiers comme moyen de lutte obligé contre le « terrorisme ».

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

La guerre d’Algérie est pleine de honte à cause des harkis abandonnés au massacre punitif des lendemains de guerre.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

Enfin, la guerre d’Algérie est empreinte de douleurs parce qu’elle a forcé à l’exode des milliers de rapatriés pour qui l’Algérie était aussi leur terre et parce que les plus hautes autorités leur avaient fait une promesse : « L’Algérie, c’est la France. »

Dans son dernier livre, l’historien Benjamin Stora rappelle que « la mémoire des uns n’est pas celle des autres ». Il est vrai que l’histoire ne semble pas la même selon que l’on ait été soldat, rapatrié ou harki. Mais la somme de tous ces souvenirs individuels rassemblés par un dénominateur commun, la douleur et l’incompréhension, doit naturellement conduire à partager un même moment de recueillement.

C’est ainsi que je vois les choses. Pour ma part, et celle de la majorité des membres du RDSE, le choix du 19 mars est la date symbolique la plus significative. M. le rapporteur nous a livré les bons arguments, que je ne vais pas tous rappeler. J’insisterai seulement sur la nécessité de choisir une date qui réponde à la même logique que celles qui ont été décidées pour raviver le souvenir de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. C’est une question de clarté pour les générations futures. C’est une question de sens à donner pour cette journée de mémoire.

Ni défaite, ni victoire, le cessez-le-feu du 19 mars 1962 doit être compris d’abord et avant tout comme la promesse d’une paix retrouvée des deux côtés de la Méditerranée.

J’espère que le Sénat, par son vote, contribuera à consolider une mémoire collective cohérente et apaisée, comme il l’a fait avant-hier grâce à l’adoption de la proposition de loi tendant à la reconnaissance de la répression de la manifestation du 17 octobre 1961. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante ans, cela fait cinquante ans que la guerre d’Algérie est officiellement terminée. Un demi-siècle ! Et c’est bien connu, souvent la mémoire s’efface à mesure que les années passent. Ne pas oublier, c’est là, me semble-t-il, tout l’enjeu de notre débat d’aujourd’hui.

Les membres du groupe écologiste ont estimé qu’il fallait prendre le temps de débattre sereinement de cette proposition de loi, et non pas voter dans l’urgence. À cet égard, je tiens à saluer le remarquable travail du rapporteur Alain Néri qui, animé de sa passion et de ses convictions personnelles sur le sujet, a eu la volonté d’écouter l’ensemble des groupes et d’engager la discussion, ce qui honore la Haute Assemblée.

Discuter a été une sage décision, car chacun a eu le temps de s’interroger sur ce sujet complexe et de murir sa propre réflexion. Nous touchons là à un domaine délicat, celui du souvenir, qui appartient à chacun, avec son vécu, son ressenti, son parcours personnel, son histoire et sa culture.

La mémoire est inévitablement plurielle et hétérogène, selon les rôles et les points de vue des uns et des autres. C’est pourquoi je distingue la mémoire de l’Histoire.

Tandis que la mémoire relève souvent de la passion, l’histoire appartient davantage à la raison. L’histoire, c’est le résultat d’une recherche méthodique et savante, qui a une vocation pédagogique, notamment éduquer à la citoyenneté.

Il existe des faits historiques, des dates objectives, comme celle du 19 mars 1962, ce jour où, grâce aux accords d’Évian, la France et le gouvernement provisoire de la République algérienne ont décidé le cessez-le-feu. Le 8 avril 1962, une très grande majorité des Français, 90, 7 % d’entre eux, ont d’ailleurs ratifié ces accords. Certes, ce ne fut pas la fin des combats, ni des souffrances, mais c’est un symbole fort, ancré dans la réalité historique. Bien sûr, les harkis, les Français et les Algériens n’ont pas du tout vécu cette date de la même manière, mais ils ont tous été concernés par cette décision.

C’est donc au nom de ce passé commun que le 19 mars 1962 fait sens. C’est une pierre de plus que l’on apporte à l’édifice de la réconciliation.

Cette date, malgré la discussion qui l’entoure, est l’objet d’un consensus assez large. L’institutionnaliser permettrait de dépasser les clivages pour aller vers la commémoration collective des souffrances des victimes d’une tragédie dont tout le monde a pâti.

Nous devons ce vote aux victimes, trop nombreuses. Bien qu’aucun bilan chiffré ne puisse être complètement vérifié, avant le cessez-le-feu, on ne dénombrait pas moins de 24 267 militaires français tués, sans compter les 65 000 blessés ; 2 788 tués, 7 541 blessés et 875 disparus parmi les civils français ; entre 30 000 et 150 000 harkis tués ou disparus – à considérer l’écart des chiffres, la vérité historique est complexe à déterminer – ; au moins 141 000 soldats de l’armée de libération nationale algérienne tués ; entre 300 000 et 400 000 algériens décédés.

Ce bilan, dramatiquement lourd, est encore très certainement sous-estimé.

Le Parlement a reconnu la part de responsabilité de la France dans ce qu’il a lui-même requalifié de « guerre ». Avec cette proposition de loi, nous ne faisons que parachever, et c’est bien utile, cette reconnaissance officielle, afin que l’on n’oublie pas, même si les années passent, les victimes des combats d’Afrique du Nord.

Cela dit, gardons-nous bien, mes chers collègues, de jouer un rôle qui n’est pas le nôtre. Nous sommes des législateurs, pas des historiens ni des juges. Nous n’avons pas la légitimité de dire quelle est la vérité, qui sont les bons ou les mauvais, s’il y en avait. En tant que représentants nationaux, nous avons le devoir d’agir dans l’intérêt commun et d’être responsables.

À chacun de se recueillir et de se remémorer les événements selon son vécu. À chaque historien de poursuivre la recherche vers la vérité historique.

Pour les élus que nous sommes, il s’agit humblement, modestement de reconnaître officiellement une journée du souvenir, qui sera de nature à permette un travail pédagogique. Car c’est aussi dans la connaissance de son passé que l’on prépare un meilleur avenir.

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe Ump

Tout à fait !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Pour conclure, je souhaiterais simplement rappeler qu’il n’y a pas de vérité absolue dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres. Il n’existe pas de date parfaite, il n’en existera jamais. À mesure que l’on se crispe sur un jour, on oublie l’essentiel : être ensemble pour commémorer les victimes et les erreurs à ne plus commettre, un objectif sincère et profond qui a motivé mon vote.

Tout en respectant l’avis des uns et des autres, qui ont engagé ici un débat extrêmement digne, je voterai, comme la quasi-unanimité du groupe écologiste, en faveur de la proposition de loi présentée aujourd’hui, m’inscrivant d’ailleurs dans la continuité du vote de mes camarades écologistes de l’Assemblée nationale, dont Noël Mamère et Marie-Hélène Aubert, qui, en 2001, étaient cosignataires, avec Bernard Charles, le président du groupe parlementaire Radical, Citoyen et Vert,

Mme Françoise Laborde opine.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes – curieusement ! – appelés à nous prononcer aujourd’hui, …

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe socialiste

Pourquoi « curieusement » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

… à la demande du groupe socialiste, sur une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002, c'est-à-dire il y a plus de dix ans.

Le procédé est étrange. Il ne doit pas y avoir beaucoup de précédents ! D’ailleurs, on peut s’interroger sur la pertinence de cette opération, qui ne tient pas compte de l’évolution des esprits et des textes en dix ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

On peut aussi se demander, sur le plan de l’éthique parlementaire, s’il est vraiment correct de procéder ainsi.

La demande de reconnaissance de la date du 19 mars comme « journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc » ravive un vieux débat, qui divise depuis toujours, hélas ! le monde des anciens combattants…

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

… et qui concerne bien entendu, au premier chef, la communauté de nos compatriotes rapatriés d’Afrique du Nord.

Vous avez déclaré, monsieur le rapporteur, que « le 19 mars doit apaiser et rassembler en permettant de se souvenir de tous les morts, avant et après cette date, comme on le fait le 11 novembre et le 8 mai pour les deux guerres mondiales ».

Voilà un procédé oratoire étonnant : vous dites vouloir rassembler, mais vous proposez des dispositions qui aboutissent au contraire.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Pourtant, vous savez que le monde combattant reste particulièrement divisé sur cette question. Vous avez dû recevoir, comme moi, d’innombrables protestations contre votre initiative, dont celle du comité d’entente des associations patriotiques, qui regroupe quarante associations d’anciens combattants, avec 1, 2 million de membres, et celles des associations de rapatriés, de harkis et de disparus.

Le mouvement d’indignation que soulève l’initiative du groupe socialiste du Sénat démontre bien que, loin de rassembler, celle-ci ranime les divisions, les souvenirs, les passions opposées.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Croyez-vous que c’était le moment ?

N’aviez-vous pas remarqué que les oppositions s’estompaient peu à peu ?

N’aviez-vous pas également remarqué que les associations d’anciens combattants, sauf une, s’étaient ralliées au projet de la loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, texte que j’ai eu l’honneur de rapporter au Sénat ?

N’aviez-vous pas non plus remarqué qu’un statu quo de raison s’était instauré entre ceux qui voulaient commémorer le 19 mars et ceux qui avaient adopté la date du 5 décembre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Ils sont plus nombreux d’un côté que de l’autre !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Je regrette que les auteurs de la présente proposition de loi n’aient pas eu la sagesse de l’un d’entre eux, alors secrétaire d’État dans le gouvernement de Lionel Jospin, qui, sur la date problématique du 19 mars, déclarait ici même, à la tribune du Sénat, le 1er décembre 2001 : « En réalité, le domaine est plus qu’historique : il touche au plus profond de nous-mêmes, de notre histoire, de l’histoire de la France, de l’histoire des Françaises et des Français, et c’est bien pour cela que sénateurs et députés sont maintenant chargés de dire leur mot.

« Des textes ont été déposés, sur lesquels il faut réfléchir et ouvrir un vrai débat. Mais, sur un sujet comme celui-ci, on ne peut décider, par une simple majorité politique ou politicienne : que signifierait une décision prise à 51 % des votants ? » M. Jacques Floch poursuivait en ces termes : « Les uns et les autres, nous savons avancer les arguments nécessaires et nous savons qu’il y a des moments historiques ; mais ces derniers sont-ils suffisamment forts pour nous imposer une date ? »

Tirant les conclusions d’un désaccord insurmontable, M. Floch ne persista pas dans son intention première de présenter ce projet de loi au Sénat.

Déjà en 1981, vingt-neuf associations sur trente et une, consultées par le ministre alors chargé du dossier, s’étaient opposées au choix du 19 mars comme date d’une quelconque commémoration. Ce fut aussi la position de Valéry Giscard d’Estaing, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy, mais aussi, chers collègues de la majorité, de François Mitterrand, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

… qui déclarait, lors d’une conférence de presse donnée à l’Élysée le 24 septembre 1981 : « S’il s’agit de marquer le recueillement et d’honorer les victimes de la guerre d’Algérie, je dis que cela ne peut pas être le 19 mars », …

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

… ajoutant : « si une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie [] cela ne peut être le 19 mars, car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple […], …

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

… ce n’est pas l’acte diplomatique rendu nécessaire à l’époque qui peut s’identifier à ce qui pourrait apparaître comme un grand moment de notre histoire, d’autant plus que la guerre a continué, que d’autres victimes ont été comptées et qu’au surplus il convient de ne froisser la conscience de personne. »

Voilà de sages paroles – il m’arrive rarement de citer le président Mitterrand –, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

… et qu’un élu de l’opposition a plaisir à vous rappeler !

Tous les présidents de la Ve République, de Charles de Gaulle à Nicolas Sarkozy, y compris François Mitterrand, se sont opposés, soit officiellement, soit en se taisant, à la commémoration officielle du 19 mars.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Vous l’avez compris, cela ne vous aura pas échappé, bien qu’étant moi-même ancien combattant d’Algérie je suis très opposé au texte en discussion, et ce pour des raisons de fond, de forme et d’opportunité.

La première raison, de fond, la plus importante à mes yeux, tient au fait que votre initiative, chers collègues de la majorité, « ressuscite » des divisions qui avaient tendance à s’estomper au sein du monde combattant et ravive les plaies de tous ceux qui ont tout perdu en Algérie et de ceux qui ont perdu des enfants, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

… des parents, des amis après le 19 mars.

Vous l’avez reconnu, le 19 mars n’a pas ipso facto entraîné la paix en Algérie.

En effet, les hostilités ne se sont pas arrêtées le 19 mars 1962. À partir de cette date, et tout au long de l’année 1962, malgré les stipulations des accords d’Évian garantissant le respect des anciens combattants d’origine algérienne ayant servi sous le drapeau français, près de 150 000 d’entre eux furent exécutés dans des conditions atroces. Il n’y avait pas, d’un côté, les mauvais et, de l’autre, les anges !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Et s’ils ne furent que 60 000 à être exécutés après l’armistice, comme le prétendent d’autres sources, ils furent 60 000 de trop, alors que nous respections, nous, les accords engageant notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Au cours de cette même période, l’armée française déplora 152 tués, 422 blessés et 162 disparus. Ce n’était donc pas la fin de la guerre d’Algérie. Ce n’était pas la paix.

Et que dire de nos compatriotes civils disparus à jamais ? Près de 2 000 !

Et que dire des massacres d’Oran du 5 juillet 1962, évoqués précédemment, avec 456 morts ou disparus ?

Non, le 19 mars n’a pas ramené la paix en Algérie ; le prétendre serait contraire à la vérité historique.

La deuxième raison pour laquelle je m’oppose à ce texte a trait à la tradition : la France ne célèbre que les victoires ou les actes exceptionnels de bravoure. Célébrons-nous le 22 juin 1940, date de la signature par le maréchal Pétain de l’armistice consacrant la défaite de la France ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Célébrons-nous le 21 juillet 1954, date à laquelle furent signés les accords de Genève qui mirent fin à la guerre d’Indochine et, par voie de conséquence, à la présence française dans cette partie du monde ? Non !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Nous célébrons avec ferveur le 8 mai, date anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

… et le 11 novembre, date anniversaire de la victoire de la Première Guerre mondiale !

La troisième raison pour laquelle je suis hostile à cette proposition de loi a affaire avec la décence.

En effet, nous devons imaginer l’épreuve morale que représente, pour de nombreux anciens d’Algérie, le fait de commémorer le souvenir de leurs morts le jour où l’Algérie indépendante, comme elle en a le droit, célèbre sa victoire – car le 19 mars est devenu en Algérie la fête de la victoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Pour les anciens d’Algérie, les rapatriés et nos anciens compatriotes, il est particulièrement inacceptable, compte tenu du nombre de morts survenues postérieurement au 19 mars 1962, notamment parmi nos amis harkis, que l’on célèbre quoi que ce soit en ce jour anniversaire.

Choisir la date du 19 mars, c’est aussi raviver les pires souvenirs des militaires du contingent, dont je faisais partie, et des militaires professionnels qui, restés en Algérie après cette date, ont assisté, impuissants, à toutes les exactions commises par le FLN et à tous les malheurs qui ont frappé la population européenne comme maghrébine.

Je ne veux pas croire que l’inscription de cette proposition de loi à notre ordre du jour soit destinée à donner des gages à l’État algérien à quelques jours du voyage de M. Hollande à Alger…

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

La proposition de loi a été déposée il y a dix ans !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Vous faites de la politique ; pardonnez-moi d’en faire un petit peu aussi !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Justement, non ! Ce n’est pas un texte politique !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Je rappelle que M. Hollande a été signataire, en 2002, de la même proposition de loi que M. Néri.

Par ailleurs, cette proposition de loi est contradictoire avec l’existence de la journée commémorative du 5 décembre, instaurée après concertation par un décret en date du 26 septembre 2003.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

En outre, la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés dispose que « la Nation associe les rapatriés d’Afrique du Nord, les personnes disparues et les populations civiles victimes de massacres ou d’exactions commis durant la guerre d’Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d’Évian […] à l’hommage rendu le 5 décembre aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord ».

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Je ne suis pas le seul !

Surtout, mes chers collègues, souvenons-nous que nous avons voté à la quasi-unanimité, le 28 février dernier, la loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

À la suite de l’adoption d’un amendement que vous aviez déposé, monsieur Néri, et que j’ai accepté, cette loi prévoit expressément que l’hommage rendu le 11 novembre à tous les morts pour la France « ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationales ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Vous avez dépassé votre temps de parole de trois minutes !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Vous le voyez, monsieur le rapporteur, je rends à César ce qui lui appartient : j’ai rappelé que, sur votre demande, cette précision a été introduite dans la loi, avec l’accord du ministre.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

La célébration du 19 mars, défendue par deux associations, est donc protégée, de même que celle du 5 décembre, défendue par les autres associations représentatives du monde combattant. Chacun est donc libre de choisir la date de commémoration qu’il préfère.

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste

Vous avez largement dépassé votre temps de parole !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, votre proposition de loi est superfétatoire et inutile, mais c’est le moindre de ses défauts : le plus grave, à mes yeux, est qu’elle jette de l’huile sur le feu

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

M. Marcel-Pierre Cléach. … alors que nous allions vers un apaisement des passions illustré par l’approbation quasi unanime de la loi du 28 février 2012 et que les anciens combattants s’habituaient, avec le temps, à des célébrations à des dates différentes de la fin juridique de la guerre d’Algérie.

Concluez ! et protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Et nous, nous ne pourrons pas parler ! Ce n’est pas sérieux !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, j’ai constaté tout à l’heure que l’un de vos orateurs avait dépassé son temps de parole de quatre minutes !

Nouvelles protestations sur les mêmes travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Il convenait, à mes yeux, de laisser du temps au temps.

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe socialiste

Vous citez le Président Mitterrand, c’est bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Que penseront de nos querelles les arrière-petits-enfants des anciens d’Algérie ?

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste

Monsieur le président, veuillez demander à l’orateur de conclure.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

M. Marcel-Pierre Cléach. Mes chers collègues, je vous demande de m’écouter pendant encore une minute.

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Je conclus, monsieur le président.

Je ne prétends pas que les uns aient raison et les autres tort.

Tous ne donnent pas au 19 mars la même signification : pour les uns, il rappelle le retour en métropole, à la maison ; pour les autres, notamment pour nos compatriotes d’Algérie, pour les familles des harkis massacrés et celles des disparus, il est un jour de deuil, de grande tristesse, que nous devons respecter.

Le respect que nous devons à ceux-là et à ceux qui sont morts en faisant leur devoir devrait nous conduire à rechercher l’apaisement des conflits et des passions.

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste

Monsieur le président, cela n’est plus possible !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

M. Carle ne parlera plus : il lui restera deux minutes !

Debut de section - PermalienPhoto de René Garrec

Nous vous rendrons vos minutes tout à l’heure !

Debut de section - PermalienPhoto de Marcel-Pierre Cléach

Pour l’ensemble de ces raisons, les sénateurs du groupe UMP ne voteront pas cette proposition de loi.

Monsieur le ministre, je vous remercie d’avoir adopté une position de rassemblement, comme vos prédécesseurs, en appelant le Sénat à un vote de sagesse.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante ans après la signature des accords d’Évian, il est temps pour la France de regarder son histoire en face et de permettre un travail de mémoire rigoureux et serein.

L’instauration d’une journée de souvenir du conflit et de ses victimes répond à ce souci de clarification et d’apaisement. Cette journée nationale permettra aussi de tirer les enseignements du passé.

Cet acte de mémoire, nous le devons surtout aux générations futures. Aujourd’hui, les jeunes générations, en France comme en Algérie, manifestent avec force un besoin de paix, de vérité et de justice, victimes qu’elles sont d’une histoire coloniale occultée ici, d’une guerre d’indépendance mythifiée là-bas.

Une telle reconnaissance devrait aussi mettre un terme aux polémiques mémorielles avec l’Algérie et nous permettre de renforcer notre amitié et notre partenariat avec le Maroc et avec la Tunisie.

Cher collègue Néri, le 22 janvier 2002, lors de la discussion de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, vous aviez déclaré ceci : « cette guerre qui fut trop longtemps une guerre sans nom ne doit pas devenir une guerre sans date pour se recueillir et se souvenir ».

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Quelle date permettrait-elle au monde combattant, aux familles de rapatriés et aux citoyens de toutes générations de communier dans le même souvenir et de préparer l’avenir ?

Le 19 mars, jour de l’application du cessez-le-feu, s’impose à l’évidence comme l’unique date capable de symboliser les conflits d’Afrique du Nord.

Elle s’inscrit par ailleurs dans la tradition républicaine du souvenir, qui fait du jour du cessez-le-feu le jour commémoratif d’un conflit.

Au même titre que les deux conflits mondiaux, la guerre d’Algérie a droit à une journée de mémoire.

La tradition républicaine veut que l’on retienne la date ayant marqué la cessation officielle des combats, à défaut de la fin de la guerre. Le 19 mars n’a certes pas marqué la fin de la guerre, mais il fut le jour du cessez-le-feu : c’est donc cette date qui s’impose.

Le cessez-le-feu faisait suite aux accords d’Évian. Cette décision historique fut approuvée par le référendum du 8 avril 1962, au cours duquel une écrasante majorité se prononça en faveur de la paix et du droit des Algériens à l’autodétermination.

Ainsi, le 19 mars ne signe ni une victoire ni une défaite militaire, mais une démarche politique salutaire et largement approuvée. Voilà pourquoi c’est la date qui a la signification et la légitimité les plus fortes.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Labazée

Le choix du 19 mars est aussi responsable dans la mesure où l’ambition de la présente proposition de loi est de parachever le mouvement de reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

L’objectif est d’encourager la réconciliation nationale et la recherche de la vérité historique dans un but pédagogique, à la lumière des valeurs républicaines et humanistes sur lesquelles repose notre Constitution.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

Mes chers collègues, la reprise de nos travaux étant prévue à quinze heures précises cet après-midi, je vais être obligé de suspendre la séance.

La suite de l’examen de cette proposition de loi est renvoyée, conformément aux décisions de la conférence des présidents, au mardi 20 novembre, à quatorze heures trente.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Patrick Courtois

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.