Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinquante ans, cela fait cinquante ans que la guerre d’Algérie est officiellement terminée. Un demi-siècle ! Et c’est bien connu, souvent la mémoire s’efface à mesure que les années passent. Ne pas oublier, c’est là, me semble-t-il, tout l’enjeu de notre débat d’aujourd’hui.
Les membres du groupe écologiste ont estimé qu’il fallait prendre le temps de débattre sereinement de cette proposition de loi, et non pas voter dans l’urgence. À cet égard, je tiens à saluer le remarquable travail du rapporteur Alain Néri qui, animé de sa passion et de ses convictions personnelles sur le sujet, a eu la volonté d’écouter l’ensemble des groupes et d’engager la discussion, ce qui honore la Haute Assemblée.
Discuter a été une sage décision, car chacun a eu le temps de s’interroger sur ce sujet complexe et de murir sa propre réflexion. Nous touchons là à un domaine délicat, celui du souvenir, qui appartient à chacun, avec son vécu, son ressenti, son parcours personnel, son histoire et sa culture.
La mémoire est inévitablement plurielle et hétérogène, selon les rôles et les points de vue des uns et des autres. C’est pourquoi je distingue la mémoire de l’Histoire.
Tandis que la mémoire relève souvent de la passion, l’histoire appartient davantage à la raison. L’histoire, c’est le résultat d’une recherche méthodique et savante, qui a une vocation pédagogique, notamment éduquer à la citoyenneté.
Il existe des faits historiques, des dates objectives, comme celle du 19 mars 1962, ce jour où, grâce aux accords d’Évian, la France et le gouvernement provisoire de la République algérienne ont décidé le cessez-le-feu. Le 8 avril 1962, une très grande majorité des Français, 90, 7 % d’entre eux, ont d’ailleurs ratifié ces accords. Certes, ce ne fut pas la fin des combats, ni des souffrances, mais c’est un symbole fort, ancré dans la réalité historique. Bien sûr, les harkis, les Français et les Algériens n’ont pas du tout vécu cette date de la même manière, mais ils ont tous été concernés par cette décision.
C’est donc au nom de ce passé commun que le 19 mars 1962 fait sens. C’est une pierre de plus que l’on apporte à l’édifice de la réconciliation.
Cette date, malgré la discussion qui l’entoure, est l’objet d’un consensus assez large. L’institutionnaliser permettrait de dépasser les clivages pour aller vers la commémoration collective des souffrances des victimes d’une tragédie dont tout le monde a pâti.
Nous devons ce vote aux victimes, trop nombreuses. Bien qu’aucun bilan chiffré ne puisse être complètement vérifié, avant le cessez-le-feu, on ne dénombrait pas moins de 24 267 militaires français tués, sans compter les 65 000 blessés ; 2 788 tués, 7 541 blessés et 875 disparus parmi les civils français ; entre 30 000 et 150 000 harkis tués ou disparus – à considérer l’écart des chiffres, la vérité historique est complexe à déterminer – ; au moins 141 000 soldats de l’armée de libération nationale algérienne tués ; entre 300 000 et 400 000 algériens décédés.
Ce bilan, dramatiquement lourd, est encore très certainement sous-estimé.
Le Parlement a reconnu la part de responsabilité de la France dans ce qu’il a lui-même requalifié de « guerre ». Avec cette proposition de loi, nous ne faisons que parachever, et c’est bien utile, cette reconnaissance officielle, afin que l’on n’oublie pas, même si les années passent, les victimes des combats d’Afrique du Nord.
Cela dit, gardons-nous bien, mes chers collègues, de jouer un rôle qui n’est pas le nôtre. Nous sommes des législateurs, pas des historiens ni des juges. Nous n’avons pas la légitimité de dire quelle est la vérité, qui sont les bons ou les mauvais, s’il y en avait. En tant que représentants nationaux, nous avons le devoir d’agir dans l’intérêt commun et d’être responsables.
À chacun de se recueillir et de se remémorer les événements selon son vécu. À chaque historien de poursuivre la recherche vers la vérité historique.
Pour les élus que nous sommes, il s’agit humblement, modestement de reconnaître officiellement une journée du souvenir, qui sera de nature à permette un travail pédagogique. Car c’est aussi dans la connaissance de son passé que l’on prépare un meilleur avenir.