Intervention de Georges Labazée

Réunion du 25 octobre 2012 à 15h00
Allocation personnalisée d'autonomie — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Georges LabazéeGeorges Labazée :

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le texte que nous propose cet après-midi Gérard Roche vise à apporter une nouvelle ressource au financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, afin de mieux compenser les dépenses départementales en la matière. Tous les orateurs qui se sont succédé à cette tribune l’ont relevé.

Preuve de ce diagnostic partagé et écouté, le Président de la République a lui-même fait mention du contexte, cet effet de ciseaux que subissent lesdites collectivités, dans son allocution prononcée à la Sorbonne à l’occasion des états généraux de la démocratie territoriale : « Je connais les difficultés des départements, pris en tenailles entre les dépenses qui augmentent régulièrement, la dépendance, le handicap, le RSA – surtout en cette période – et des recettes qui stagnent ou qui diminuent. »

Les récents chiffres publiés par l’Assemblée des départements de France sont clairs. Les départements représentent environ un tiers des dépenses des collectivités locales. Sur les 70 milliards d’euros de dépenses, 16 milliards correspondent aux principales politiques transférées ou créées depuis 2 000 : l’APA, la PCH, le RMI, le RSA. Elles ont progressé de 4, 6 % en 2011, notamment en raison du vieillissement de la population, et la crise actuelle laisse prévoir une nouvelle progression l’an prochain.

Les allocations de solidarité relèvent-elles de l’effort des départements ou de la solidarité nationale ? La question a été posée à plusieurs reprises, madame la ministre déléguée. Sur le fond, nous sommes d’accord, mais je doute que l’État reprenne, dans les années qui viennent, l’intégralité de ces prestations ou allocations universelles.

Dans le même temps, les compensations versées par l’État au titre de ces prestations stagnent à 8, 6 milliards d’euros. Hors aide sociale, la progression des dépenses réelles de fonctionnement devrait atteindre 2 % en 2012, dont 3 % de plus pour les dépenses de personnel.

Pendant des années, les conseils généraux ont vu leurs budgets « sauvés » par les droits de mutation qui, en 2011 encore, ont représenté 13 % de leurs recettes de fonctionnement, c’est-à-dire 8, 6 milliards d’euros. Cependant, depuis la fin du premier trimestre de la présente année, la situation s’est inversée. Une enquête réalisée sur soixante-quatorze départements montre, en juin dernier, une baisse de 33 % des droits de mutation. Dans le même ordre d’idées, les ventes de carburant, qui servent d’assiette à la taxe perçue par les départements, ont baissé de 2 %.

Face à la volatilité de leurs ressources compte tenu de la conjoncture économique très défavorable, du vieillissement de la population et de l’extension du champ du handicap reconnu par la société, l’inquiétude est grande quant au dynamisme de l’évolution de ces dépenses à la charge des départements.

Chers collègues, après ce bref aperçu de la situation financière de nos départements, je recentre mon propos sur l’APA.

Les chiffres ont été donnés, je ne les rappellerai pas. Trois propositions de loi identiques déposées par le groupe socialiste, par le CRC-SPG et le RDSE avaient été l’occasion de lancer un cri d’alarme, comme vous l’avez indiqué en commission, monsieur le rapporteur. Examinées par le Sénat en décembre 2010, ces propositions de loi ont pourtant été rejetées par la majorité sénatoriale d’alors.

En juin 2011, les départements de la Seine-Saint-Denis et de l’Hérault voyaient leur question prioritaire de constitutionnalité examinée par le Conseil constitutionnel. Ce dernier jugeait que le mécanisme de compensation financière de l’APA ne portait pas atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Les voies du Conseil sont parfois impénétrables, surtout au regard de cette décision… Quoi qu’il en soit, le Conseil a émis deux réserves. La première impose au pouvoir réglementaire d’ajuster le taux de charges nettes d’APA par rapport au potentiel fiscal, assurant que chaque département peut bénéficier d’un concours qui évite que ne soit entravée sa libre administration. La seconde, dans le cas où l’augmentation des charges nettes d’APA ferait obstacle à la réalisation de cette garantie de ressources, renvoie aux pouvoirs publics le soin de modifier les modalités de financement du concours pour en permettre l’augmentation.

Madame la ministre déléguée, voilà un bon devoir de vacances pour vous et vos collaborateurs en 2013 !

Outre le diagnostic d’asphyxie des finances départementales, je ne peux que partager avec les auteurs de la proposition de loi le constat de la nécessité d’une évolution législative concernant le financement des aides sociales.

Force est de constater que le mode de financement issu des lois de 2001 et de 2004, maintes fois évoqué, est aujourd’hui insuffisant et inadapté. Initialement, le projet de loi de 2001 prévoyait le versement de l’APA par la sécurité sociale. Ce sont les départements qui ont souhaité assurer cette prestation, en vertu de leur proximité avec les populations concernées. Une telle demande était légitime, mais les mécanismes visant à garantir la moitié du financement par l’État n’ont pas été mis en place à ce moment-là, ce qui a conduit à la situation que nous appréhendons aujourd'hui.

L’ADF, dans sa sagesse pluraliste, préconise, d'ailleurs, la création d’une « loi de finances des collectivités territoriales », sorte de troisième loi de finances qui concernerait l’ensemble des dotations de l’État en faveur des collectivités territoriales et les engagements de ces dernières. Nous verrons si le Gouvernement se saisit de cette idée qui, malgré tout, pourrait faire son chemin.

Je pourrais arrêter là mon propos, mais je souhaite présenter la position que soutient le groupe socialiste. Je tiens à expliquer comment les solutions apportées par la majorité présidentielle sont des solutions à court, à moyen et à long terme, qui sauront trouver des outils de financement à la fois urgents et pérennes pour nos dépenses départementales. En conséquence, cher collègue rapporteur, je ne peux que vous inviter à suspendre l’examen de cette proposition de loi, que nous ne saurions adopter ce soir, faute d’un nécessaire consensus.

Tout le monde a fait état des hasards du calendrier. Or il ne s’agit pas de hasards : c’est le fonctionnement normal de notre démocratie et de nos institutions.

Solution à court terme, mais non des moindres, le Président de la République a annoncé, lundi 22 octobre, lors d’une réunion qui s’est tenue à l’Élysée et à laquelle vous avez assisté, madame la ministre déléguée, qu’un fonds d’urgence doté de 170 millions d’euros – je confirme ce montant – serait mis en place en faveur des départements les plus fragiles. Lors des questions d’actualité au Gouvernement, tout à l’heure, il a été demandé que soient précisées les conditions dans lesquelles allaient être répartis ces 170 millions d’euros, fruit de l’accord intervenu à l’Élysée entre le Premier ministre et l’ADF.

Oui, les départements de France sont des acteurs irremplaçables pour le dynamisme des territoires et l’expression des solidarités de proximité.

En plus de la création de ce fonds d’urgence, quels engagements ont été pris par le Président de la République ?

L’État s’est engagé – madame la ministre déléguée, vous l’avez dit, je suis sûr que vous le répéterez – à créer les conditions de la mise en place, à compter de 2014, de ressources pérennes et suffisantes permettant aux départements de faire face, dans un cadre maîtrisé, au financement des trois allocations individuelles de solidarité.

Une autre solution, cette fois à moyen terme, figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale : la création de la CASA, la contribution additionnelle de solidarité pour l’autonomie sur les pensions de retraite.

Second « hasard du calendrier », et cela a été souligné en commission, cette proposition de loi est en effet inscrite à l’ordre du jour du Sénat quelques jours avant l’examen par la Haute Assemblée du PLFSS pour 2013.

Ce matin, selon nos informations, un amendement de notre collègue député Gérard Bapt visant à renforcer la dotation de la CNSA a été adopté à l’Assemblée nationale. Je ne pense pas qu’il y ait de grande différence entre la cible de la CASA et celle du dispositif que vous proposez aujourd'hui, monsieur Roche.

Les modifications intervenues concernant le taux de cette contribution ont été rappelées tout à l’heure. Alors qu’il était initialement prévu une montée en charge progressive avec un taux d’abord de 0, 15 %, puis de 0, 30 %, le taux a d’emblée été porté à 0, 30 %, et ce donc dès 2013. Il y a donc un parallélisme important entre le dispositif que vous proposez, monsieur Roche, et les dispositions adoptées ce matin par l’Assemblée nationale. Nous y reviendrons lors de l’examen, par le Sénat, du PLFSS pour 2013, en particulier de son article 16.

Enfin, une mesure à long terme est prévue : la mise en œuvre de la réforme de la perte d’autonomie et du chantier de la décentralisation.

Dans son discours de politique générale, le Premier ministre a promis une « réforme juste et solidaire » pour les personnes âgées dépendantes : « C’est une question de dignité et d’humanité. C’était une promesse de l’ancien gouvernement qui n’a pas été tenue. Eh bien, une réforme juste et solidaire de la prise en charge des personnes âgées privées d’autonomie sera engagée. »

Les mots sont justes : dignité, humanité, respect des engagements non tenus. Nul coup d’éclat, nulle gesticulation brouillonne, mais bien la volonté d’éviter que ces annonces ne soient que des coups d’épée dans l’eau.

Le calendrier de la réforme a d’ores et déjà été évoqué : une loi « d’adaptation de la société au vieillissement » sera adoptée dans les deux ans à venir, comme vous allez nous le confirmer, je l’espère, madame la ministre déléguée.

Les fonds pour financer une telle réforme commencent déjà à être sanctuarisés. J’en veux pour preuve les récentes déclarations du Président de la République : « Nous finissons de préparer cette réforme qui sera bientôt présentée, ce qui suppose qu’elle soit financée. C’est pour cela que nous gardons un certain nombre de ressources pour y parvenir ».

En attendant, madame la ministre déléguée, vous avez confié à Luc Broussy, conseiller général du Val-d’Oise et conseiller spécial de l’ADF pour les questions sociales, la mission d’étudier la façon dont doivent évoluer le logement, l’urbanisme ou encore les transports pour tenir compte du nombre croissant de personnes dépendantes. Un rapport doit être remis à la fin de l’année.

Dans un autre domaine, le nouvel acte de la décentralisation, annoncé pour le début de l’année 2013, confortera les responsabilités des collectivités territoriales en matière d’animation des territoires et de cohésion sociale. Dans cette perspective, les départements et l’État ont d’ores et déjà décidé de se mobiliser ensemble. Je pense en particulier, nous en avons discuté avec Mme Carlotti, au problème du handicap. Comme l’ont souligné mes collègues, si la prise en charge du handicap devait en partie être transférée aux départements, il nous faudrait chiffrer d’entrée le coût d’un tel transfert et surtout assurer la pérennité des financements.

Mon cher collègue, le pansement budgétaire a été posé, les projets budgétaires sont examinés et le calendrier des réformes tant attendues est enfin prévu.

Ce texte, monsieur le rapporteur, ne porte que sur le volet financier de l’APA. Il ne prend pas en compte la problématique du financement de la dépendance par les départements. Par ailleurs, cela a été dit, il risque de court-circuiter les travaux en cours en contrariant la stratégie du Gouvernement concernant les deux grands chantiers que je viens d’évoquer, chantiers sur lesquels la Haute Assemblée sera amenée, une fois de plus, à travailler et à apporter toute son expertise : la réforme de la perte d’autonomie et celle de la décentralisation.

Alors, mon cher collègue, je salue votre travail, mais si votre proposition de loi va dans la bonne direction, c’est aussi celle, j’ai tenté de vous le démontrer, dans laquelle le Gouvernement se dirige d’un pas décidé. J’espère sincèrement vous en avoir convaincu.

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