Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de la discussion de cette proposition de résolution que Nicole Borvo Cohen-Seat, au nom de notre groupe, a déposée le 30 janvier 2012. Cette résolution fait droit à une demande formulée depuis de longues années pour que la France reconnaisse les faits sanglants qui se sont déroulés le 17 octobre 1961. Elle propose en outre la réalisation d’un lieu du souvenir à la mémoire des victimes.
Permettez-moi de rendre hommage au combat de Nicole Borvo Cohen-Seat aux côtés de mon ami Guy Fischer, qui interviendra tout à l’heure. En tant que présidente de groupe et élue parisienne, notre collègue s’était grandement impliquée dans la reconnaissance des crimes coloniaux, dont la répression du 17 octobre 1961, mais aussi la « disparition » du mathématicien Maurice Audin.
En défendant cette proposition, je veux d’abord dire ma satisfaction de la très récente communication du Président de la République, qui a déclaré le 17 octobre dernier : « La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes. »
C’est un acte important, tant attendu, auquel il revient aujourd’hui à notre assemblée de donner toute sa portée par un vote solennel. Monsieur le ministre, je vous remercie d’être aujourd’hui parmi nous, même si ce débat aurait mérité la présence du ministre de l’intérieur.
Je me réjouis que l’examen de notre proposition de résolution permette la reconnaissance de ces faits sanglants. Cette résolution doit être l’engagement que ce premier pas sera suivi des actes nécessaires à l’établissement définitif de la vérité et à la reconnaissance des crimes coloniaux, dont la journée du 17 octobre 1961 constitue, avec d’autres, un épisode tragique.
Nous pensons notamment que la reconnaissance des faits par le Président de la République doit conduire à l’ouverture des archives sur le 17 octobre 1961 et, au-delà, de toutes les archives concernant les guerres coloniales et leur cortège de répression et de massacres.
Ne serait-il pas souhaitable, à ce sujet, que les archives de l’État soient soumises à des règles communes conformes au fonctionnement d’un État démocratique ?
Cela impliquerait que soient versées aux Archives nationales celles de la préfecture de police de Paris, des ministères de la défense et des affaires étrangères, quitte à ce que leurs fonds relèvent de dispositions particulières, précises et justifiées, et que les archives des anciens ministres, premiers ministres et présidents de la République relatives à leur fonction soient non pas privatisées par les intéressés mais versées dans leur ensemble aux Archives nationales.
Cela aurait aussi le mérite de contribuer à faire la lumière sur les agissements de la France et de son armée dans les pays africains notamment. La fin de rapports coloniaux ou néocoloniaux avec ces pays, souhaitée récemment par le Président de la République à Dakar, passe par là ; il en va de même pour le développement de nouvelles relations de coopération.
Dans la même logique, il faudrait que la notion d’archives « incommunicables » telle qu’elle apparaît dans la loi de 2008 soit abrogée.
Pour être fidèles à leur mission scientifique, les historiens ont besoin de pouvoir accéder librement aux archives, échapper aux contrôles des pouvoirs ou des groupes de pression et travailler ensemble, en l’occurrence avec leurs homologues des deux rives de la Méditerranée.
La vérité devra aussi être dite sur l’organisation criminelle de l’OAS, que certains, au sein même de l’UMP, sans parler de l’extrême droite, cherchent à réhabiliter.
Ce qui s’est passé le 17 octobre 1961 n’était pas un événement isolé survenu en un lieu et en un moment unique, mais constituait le paroxysme d’une politique de guerre coloniale symbolisée par la mise en place du préfet de police Maurice Papon et couverte, voire encouragée, par les plus hautes instances de l’État.
On a vu s’effectuer cette nuit-là, dans les rues de la capitale, une chasse à l’homme aboutissant à des assassinats ; c’est pourquoi je pense, comme nombre d’historiens, que l’on peut parler en l’espèce d’un crime d’État emblématique.
En effet, certaines autres dates nous rappellent à quel point la violence et le crime d’État sont indissociables du colonialisme : la sauvage répression du 8 mai 1945 à Sétif, les massacres de Madagascar en 1947, la terrible guerre d’Indochine et la totalité de la guerre d’Algérie, dont la bataille d’Alger, la « disparition » du mathématicien Maurice Audin le 21 juin 1957 et le massacre du 8 février au métro Charonne furent des épisodes particulièrement violents.