En effet, il ne touchait pas l’ensemble de la population au motif qu’il y avait la guerre : il visait uniquement les Français nord-africains. Un policier ne pouvait donc appliquer ce couvre-feu qu’en se fiant au faciès, à la couleur de peau, au sentiment d’avoir affaire à un Maghrébin d’origine, même s’il était Français.
On a jeté des manifestants dans la Seine ! On a fracassé des crânes avec des crosses, car on ne s’est pas contenté de frapper avec des « bidules » ! Et n’oublions pas que, sur 20 000 manifestants, entre 13 000 et 15 000 ont été arrêtés, selon les chiffres officiels. Vous rendez-vous compte ? La police elle-même ne savait pas combien de manifestants elle avait arrêtés ce soir-là.
Des journalistes de tous bords ont témoigné de l’horreur de ce qu’ils avaient vu, y compris dans Le Figaro. C’est pour cela que ces événements, dont beaucoup de gens avaient été plus ou moins témoins, ont été enfouis dans la mémoire collective.
Le drame, c’est justement que cela ait pu se produire dans une France républicaine ! Et la première leçon que l’on doit en tirer, monsieur Karoutchi, c’est qu’il peut y avoir des basculements de régime ! Oui, il y a Vichy et les Résistants. Mais, parfois, dans l’histoire même de notre vie démocratique, il y a aussi des dérapages. Les reconnaître, c’est en appeler à la vigilance de tous les instants, y compris dans notre démocratie.
Vous allez me dire : « Et les autres morts, qu’en faites-vous ? » Mais on ne va quand même pas, ici, au Sénat, s’envoyer les morts à la figure, les civils tués en Algérie, les disparus, le drame des Harkis. Tous ces événements doivent être reconnus. Sinon, les blessures ne se referment pas.