Intervention de Robert Hue

Réunion du 23 octobre 2012 à 15h00
Reconnaissance de la répression d'une manifestation à paris le 17 octobre 1961 — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Robert HueRobert Hue :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura fallu cinquante et un ans pour que la France, par la voix du Président de la République, reconnaisse la « sanglante répression » du 17 octobre 1961, répression dont ont été victimes de nombreux Algériens qui manifestaient pacifiquement pour l’indépendance de leur pays colonisé.

Cette reconnaissance était un engagement du Président de la République. Le voici tenu, ce dont je me félicite vivement.

Je ne reviendrai pas sur la description des événements, dont chacun ici connaît la teneur. C’est aux historiens que revient le travail de mise en lumière et de clarification des faits. Combien de morts, de blessés, de tabassés, de noyés ? Des dizaines, voire des centaines. Cette tragédie est encore entourée d’un certain silence, qui ne pourra être rompu qu’avec l’ouverture des archives, notamment celles de la police et de la justice.

Si les crimes ont été reconnus, il n’en demeure pas moins que les criminels ne sont, eux, toujours pas identifiés.

Je ne souhaite pas ici exposer les faits, qui sont connus de tous. Ce qui m’intéresse avant tout, c’est de considérer ce qu’ils démontrent et ce qu’ils engendrent.

Cette proposition de résolution nous renvoie à notre propre histoire. Pendant des décennies, la France a préféré mettre ces événements sous le tapis. Nous le savons tous, l’histoire de France foisonne d’événements tragiques, comme aussi d’épisodes de fierté et d’émancipation, mais il serait illusoire de penser que notre pays peut aller de l’avant en maquillant son histoire, en dissimulant ce qui le gêne.

Mes chers collègues, il faut regarder les choses en face. C’est l’honneur de la France que de reconnaître ses erreurs.

J’entends, bien sûr, la droite et l’extrême droite s’indigner et vociférer contre je ne sais quelle repentance. Mais, mes chers collègues, qu’y a-t-il de si honteux et de si déshonorant à regarder la réalité en face ? Ce qui importe, c’est de reconnaître la vérité, sans repentance, sans flagellation, mais bien au nom de la mémoire. Nous le devons aux victimes et à leurs familles.

Certes, tous ces événements ont eu lieu dans un contexte de guerre, une guerre que les autorités au pouvoir refusaient d’appeler par son nom. La guerre, par définition, entraîne des drames. Comme pour toute guerre, il nous revient ici non pas de remplacer le travail des historiens, mais simplement de reconnaître des faits, des crimes qui n’auraient jamais dû avoir lieu.

Nous connaissons tous l’ambiguïté de la droite dès qu’il s’agit du système colonial, son naturel idéologique qui la conduit à vouloir justifier les drames et les crimes que ce système a engendrés, parfois même en tentant – sans y parvenir… – de légiférer sur les « aspects positifs de la colonisation ».

Nous connaissons aussi la véritable nostalgie de l’extrême droite à l’égard de cette période dramatique qui n’honore pas notre pays. Au lieu de vouloir justifier ce qu’il faut bien appeler un comportement « néocolonial », il conviendrait surtout de rappeler aux jeunes la réalité, qu’elle soit du fait de la France ou non, et surtout d’ennoblir ce grand principe qu’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Je vois bien qu’à droite les tentations sont fortes de maintenir un mythe de la « colonisation positive » et de diviser nos concitoyens sur notre histoire commune. Les propos affligeants – je le dis tout net – de MM. Jacob et Fillon, fustigeant un prétendu « discours de culpabilité » de François Hollande, n’ont rien à envier aux propos du Front national, dont la présidente affirme que la France se trouve « salie » par la reconnaissance de ces faits historiques.

Nous le voyons encore avec le présent débat : la France a du mal avec son passé colonial ! Il est pourtant nécessaire d’assumer ce passé et de le regarder sereinement, en toute lucidité, pour aller de l’avant.

Je considère ainsi, à bien des égards, que nous ne pourrons jamais refermer la page de la « Françafrique » tant que nous laisserons perdurer des zones de flou dans notre histoire commune avec ce continent.

Si nous voulons vraiment tourner enfin la page, il nous faut d’abord – comme l’a déclaré, et c’est à son honneur, le Président de la République, le 12 octobre dernier à Dakar – ne rien oublier. Il est ainsi important de pouvoir disposer d’un lieu du souvenir, comme le prévoit la proposition de résolution.

Si la République reconnaît avec lucidité ses erreurs, c’est d’abord pour que nous regardions notre avenir commun avec l’Algérie habités de respect mutuel, d’une solidarité utile et d’une volonté affirmée de mettre en place une coopération sincère.

Le déplacement du Président de la République en Algérie en décembre prochain doit marquer une nouvelle ère dans les relations franco-algériennes. Je souhaite également que la coopération soit renforcée.

La solidarité franco-algérienne est nécessaire pour la sécurité de nos peuples respectifs et pour la stabilité d’une grande partie du monde, en particulier, aujourd’hui, le Sahel et le Mali. L’Algérie est un grand pays souverain avec lequel, plus que jamais, la France et l’Europe doivent compter. Il est temps que notre pays tisse des liens de confiance avec ce pays.

Notre passé est douloureux. Il faut maintenant tout faire pour que notre avenir commun soit celui d’une grande et durable amitié.

Telles sont les raisons pour lesquelles les membres du groupe du RDSE, dans leur majorité, voteront la proposition de résolution du groupe CRC. §

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