Intervention de Jean-Jacques Lozach

Réunion du 24 octobre 2012 à 14h30
Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner la proposition de loi de M. Éric Doligé visant à simplifier les normes applicables aux collectivités locales.

La commission des lois nous a délégué l’examen au fond de l’article 27, relatif à l’archéologie préventive, tandis que notre commission a décidé de se saisir pour avis de l’article 1er, supprimé par la commission des lois, et de l’article 2.

L’article 1er posait le principe de l’adaptation des normes à la taille des collectivités ; il était notamment relatif aux dérogations aux normes d’accessibilité, au regard des contraintes liées à la préservation du patrimoine architectural.

L’article 2 tend à compléter le code du sport, pour soumettre le décret et les règlements fédéraux à l’avis de la commission consultative d’évaluation des normes, créée en 2008 et dont la présente proposition de loi prévoit par ailleurs une réforme.

Notre assemblée avait décidé, sur proposition de la commission des lois, le renvoi à la commission de ce texte, lors de son examen en séance publique, le 15 février dernier.

Je dois dire que ce choix de procédure a été très utile pour approfondir notre examen de la proposition de loi. En outre, le calendrier suivi se sera révélé judicieux, puisque certains sujets abordés dans ce texte sont aujourd’hui au cœur de l’actualité, à commencer par celui de l’inflation normative.

Je rappelle que l’auteur de la proposition de loi, M. Doligé, a indiqué que trois préoccupations essentielles l’avaient guidé : la réduction des coûts et des contraintes normatives, l’accélération des procédures administratives structurant les projets des collectivités et l’instauration d’un dialogue autour de l’activité normative.

Ces questions sont évidemment partagées par bon nombre d’élus locaux, toujours préoccupés par les situations complexes auxquelles sont confrontées les collectivités.

Dès le 4 septembre, à l’occasion des rencontres départementales des états généraux de la démocratie territoriale, dans la Drôme, le président du Sénat avait clairement identifié l’inflation des normes comme l’un des sujets majeurs pour nos territoires, précisant que deux batailles devaient être menées de front : « La première consiste à enrayer la machine à produire de nouvelles normes toujours plus exigeantes en ressources financières ou humaines, la seconde à simplifier le droit existant en élaguant nos codes et prescriptions obligatoires de tout ce qui n’est pas aussi nécessaire que nous l’avons cru quand ils ont été édictés. »

S’inscrivant dans cette même ligne de pensée, le Président de la République a réaffirmé, le 5 octobre dernier, à l’occasion des états généraux organisés par le Sénat, que « la confiance, c’est, enfin, l’allègement des normes. […] 400 000 normes seraient applicables et on mesure, à évoquer ce chiffre, combien la décentralisation est finalement contournée, détournée dès lors qu’il y a autant de contraintes qui pèsent sur les collectivités. »

Les collectivités territoriales sont victimes de l’« inflation normative », qui pèse, en particulier, sur les compétences transférées et qui devient une source de coûts croissants : coûts liés aux investissements concernés, aux personnels à déployer, à l’organisation qui découle de l’application des mesures, etc.

Le rapport sur les relations entre l’État et les collectivités locales de notre ancien collègue Alain Lambert mettait déjà en exergue, en 2007, la problématique de la libre administration des collectivités dans ce contexte de croissance normative exponentielle. Dans bien des domaines, tels que l’environnement, la solidarité et la cohésion sociale, la sécurité alimentaire, la fonction publique ou la culture, les collectivités sont insuffisamment associées à la production normative, qui, imposée, apparaît comme une entorse à la décentralisation.

Or la gouvernance normative doit être partagée : le rôle de financeur et de maître d’ouvrage des collectivités justifie pleinement qu’elles soient des acteurs incontournables de la concertation préalable à la définition de nouvelles normes.

Comme l’a précisé Jean-Pierre Bel, le sujet de la régulation des normes est complexe, car il s’agit non de déréglementer à tout va, mais de rechercher résolument les pistes d’une réelle avancée. C’est précisément l’objectif que nous nous sommes fixé en examinant les dispositions qui figurent dans la présente proposition de loi.

L’équilibre est délicat à trouver et je crois que, plus que jamais, il faut se donner les moyens d’évaluer sérieusement les dispositifs existants, prendre le temps d’apprécier ce qui est ou non indispensable pour mener à bien une politique publique.

Je crois à la vertu de la réflexion et de l’évaluation. C’est d’ailleurs dans cet esprit que la commission de la culture a conduit son analyse des propositions relatives à l’archéologie préventive contenues dans ce texte et examiné certains amendements extérieurs, sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir.

Nous sommes respectueux des travaux menés tant par les élus que par les experts. Nous sommes respectueux des actions de concertation conduites pour apprécier la pertinence d’un dispositif et d’un ensemble normatif. C’est la raison pour laquelle notre commission a fait le choix de ne pas approuver que l’on réforme l’archéologie préventive ou les procédures de protection prévues par le code du patrimoine au détour d’amendements extérieurs. Ces dispositions, dont on perçoit bien la logique et les motivations, nous semblent faire table rase du travail de fond considérable réalisé par notre assemblée unanime lors de l’élaboration de la loi Grenelle 2 portant engagement national pour l’environnement ou de l’examen à venir du projet de loi sur les patrimoines qui nous sera soumis en 2013, comme l’a rappelé à plusieurs reprises la ministre de la culture.

Alléger les normes sans prendre le temps de la réflexion et de la concertation peut donner l’illusion d’accorder une plus grande liberté aux collectivités territoriales. Il est certes tentant de modifier un élément circonscrit d’un dispositif ou d’une procédure, mais si cela doit susciter de nouveaux dysfonctionnements faute d’en avoir anticipé les répercussions sur l’ensemble de la politique publique, alors on ne fait que créer de nouvelles contraintes pour les collectivités, victimes de l’instabilité juridique après l’avoir été de l’inflation normative.

Comme le dit Jean-Pierre Bel, « le sujet n’est pas facile ». Je pense que le législateur doit être capable d’apprécier les paradoxes d’une démarche de simplification normative, paradoxes qui ne sont pas sans rappeler la phrase de Cicéron : « Nous sommes esclaves des lois pour pouvoir être libres. » Faisons donc attention à ne pas créer de nouvelles entraves à la liberté d’administration de nos collectivités en croyant bien faire, en pensant simplifier leur environnement législatif et réglementaire !

J’en viens maintenant au cœur des sujets traités par la commission de la culture.

Je commencerai par l’article 27, dont l’examen au fond nous a été délégué et dont nous avons voté la suppression.

La nouvelle rédaction du deuxième alinéa de l’article L. 523-7 du code du patrimoine présentée initialement par cet article visait « à permettre l’aboutissement des conventions de diagnostic dans des délais compatibles avec les opérations d’aménagement ».

L’article 27 introduisait un nouveau délai : aux termes du texte de notre collègue Éric Doligé, la convention doit être signée dans un délai de deux mois à compter de sa réception par la personne projetant d’exécuter les travaux. À défaut de signature de la convention dans ce délai, le représentant de l’État dans le département peut être saisi par une des parties et fixer la date de début de réalisation des diagnostics. Si le défaut de signature est lié à un désaccord sur certaines dispositions, ces dernières sont déterminées par le préfet de département. En l’absence de décision de celui-ci dans un délai fixé par décret en Conseil d’État, la prescription est réputée caduque.

Il n’est évidemment pas question pour nous d’éluder le problème des délais, que notre ancien collègue Yves Dauge et Pierre Bordier avaient déjà mis en évidence dans leur rapport de juillet 2011 relatif à l’archéologie préventive. Ils avaient d’ailleurs précisément souligné que la durée de conclusion de la convention a pu, en l’absence de contrainte normative, constituer une marge de manœuvre exploitée de façon abusive dans certains cas.

Sur le fond, nous souscrivons à toute démarche visant à améliorer le droit existant et à fluidifier la chaîne de l’archéologie préventive, depuis la présentation du projet d’aménagement jusqu’à la production du rapport de fouilles. Pour autant, il ne s’agit pas aujourd’hui d’alléger les normes au mépris de la cohérence de l’ensemble normatif ou de la sécurité juridique des différents acteurs.

Or une étape décisive pour l’archéologie préventive est en train de se dessiner. Lors des journées nationales de l’archéologie, le 22 juin dernier, la ministre de la culture a annoncé la constitution d’une commission d’évaluation scientifique, économique et sociale de l’archéologie préventive. Installée très récemment, le 5 octobre, cette commission a pour mission de remettre un Livre blanc de l’archéologie préventive au plus tard au mois de mars 2013. Ses propositions devraient être reprises dans le volet « archéologie » du projet de loi sur les patrimoines, également annoncé pour 2013.

Dans un tel contexte, il serait préjudiciable de modifier un seul article du code du patrimoine, alors que l’ensemble du système va être analysé, évalué et, éventuellement, repensé. Ce serait une source d’instabilité juridique tant pour les membres de la commission d’évaluation que pour les acteurs de l’archéologie préventive, dont les collectivités territoriales, qui risqueraient de devoir, une fois de plus, s’adapter à deux changements normatifs successifs en moins d’un an.

Si l’objectif visé au travers de l’article 27 est noble, il paraît néanmoins nécessaire de ne pas se lancer aujourd’hui dans une réforme, compte tenu du contexte que je viens d’évoquer. J’ajoute qu’une réforme du financement de l’archéologie préventive, engagée par la loi de finances rectificative du 28 décembre 2011, est en cours et se poursuit avec le projet de loi de finances pour 2013. Parallèlement à cette réforme, qui devrait déboucher sur un versement de la redevance d’archéologie préventive à la réalisation des travaux, et non plus en début d’ année, une réforme de la gouvernance de l’Institut national de recherches archéologiques préventives, l’INRAP, a été amorcée via un contrat de performance, afin que toutes les conditions soient réunies pour accélérer les chantiers et le traitement des dossiers par l’établissement public.

Concernant le fond de l’article 27, je rappelle que la rédaction proposée initialement pour le deuxième alinéa de l’article L. 523-7 du code du patrimoine soulevait plusieurs difficultés.

Tout d’abord, il était prévu de confier un rôle de médiateur et d’arbitre au préfet de département, alors que c’est le préfet de région qui intervient à tous les stades de mise en œuvre de la politique d’archéologie préventive.

Ensuite, ce texte imposait une signature dans les deux mois suivant la réception du projet de convention, sans préciser certaines conditions essentielles telles que les garanties de libération des terrains concernés, lesquelles constituent pourtant une information indispensable à l’arrêt d’une date de début de travaux de diagnostic. En outre, il est difficile d’apporter une réponse globale, en termes de délai, pour des projets d’aménagement très divers, dont la nature, les coûts et le caractère d’intérêt général peuvent considérablement varier.

Enfin, le fait que le préfet de département puisse imposer aux deux parties non seulement les délais, mais aussi les dispositions contenues dans la convention, peut sembler d’autant plus dangereux que, s’il ne tranche pas les différentes questions dans un délai fixé par décret, la prescription est réputée caduque.

Cette disposition me semble particulièrement critiquable, et toutes les personnes auditionnées sur le sujet partagent ce point de vue. En effet, la caducité n’efface pas les vestiges archéologiques dont on présume la présence sur les terrains pour lesquels des diagnostics ont été prescrits. Cela signifie que si l’aménageur débute les travaux et tombe sur des vestiges, alors la loi du 27 septembre 1941 modifiée portant réglementation des fouilles archéologiques s’appliquera. Son titre III, codifié aux articles L. 531-14 et suivants du code du patrimoine, prévoit que, en cas de découvertes fortuites, le chantier doit être immédiatement arrêté, les terrains étant considérés comme classés.

Autant dire que la solution proposée à l’article 27 serait pire, en termes de coûts et de perturbations pour les collectivités, que la situation actuelle.

Pour toutes ces raisons, notre commission a adopté un amendement de suppression de l’article 27. Elle a également, en toute logique, adopté un avis défavorable à l’amendement extérieur déposé sur cet article et présentant une version légèrement modifiée de la rédaction initiale.

Je souhaiterais maintenant aborder les articles dont la commission de la culture s’est saisie pour avis.

Il s’agit, tout d’abord, de l’article 1er, qui, selon M. Doligé, visait à introduire dans le droit positif, plus précisément dans le code général des collectivités territoriales, le principe de proportionnalité des normes et celui de leur adaptation à la taille des collectivités.

Cet article a été supprimé par la commission des lois. Je dois avouer que nous étions dubitatifs quant à la mise en œuvre d’un principe d’adaptation, et donc de dérogation aux lois, accordant une très large part d’appréciation au pouvoir réglementaire.

Là encore, c’est un sujet que le président du Sénat n’a pas manqué d’aborder lors de son discours de clôture des états généraux de la démocratie territoriale. Jean-Pierre Bel a défini ainsi les limites du principe d’adaptation des normes qui ont justifié la suppression de l’article 1er :

« Nous pourrons aussi réfléchir à un pouvoir d’adaptation locale de la loi, pour prendre en compte, lorsque l’intérêt général le justifie, les particularités du territoire. […] Bien sûr, le chef de l’État l’a indiqué, un tel pouvoir ne pourrait être général, car le risque d’affaiblir le principe d’égalité des citoyens devant la loi, fondement de notre République, serait trop grand. Mais l’uniformité ne garantit pas l’égalité. Il faudra trouver un équilibre. »

Sans revenir sur l’ensemble du dispositif de l’article 1er tel qu’il figurait dans le texte initial, je souhaite tout de même rappeler que le I de cet article prévoyait que la loi puisse autoriser le préfet de département à prendre des mesures dérogatoires. Les dispositions étaient ensuite déclinées dans trois domaines qui soulèvent des difficultés particulières, dont celui des établissements recevant du public. Ainsi, étaient prises en compte les contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural. Le préfet de département pouvait constater les difficultés particulières que cela induit, selon des règles précisées par décret en Conseil d’État déterminant des dérogations de plein droit, alors que celles-ci relèvent aujourd’hui d’une faculté accordée à titre exceptionnel.

Si la prise en compte des contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural ne soulève pas de difficulté particulière de notre point de vue, nous nous étions interrogés, dès le début, sur la portée de la disposition prévoyant de façon très générale un système dérogatoire. Nous avions en effet constaté que le texte ne donnait pas d’indications précises sur la façon dont seraient définies les mesures dérogatoires. On ne peut imaginer que la loi n’encadre pas davantage le pouvoir réglementaire, afin que ce dernier puisse s’appuyer sur des critères suffisamment précis ; sinon, on risque d’aboutir à une application de la loi à la carte, chaque préfet de département pouvant apprécier différemment l’ampleur des adaptations nécessaires. Déroger à la loi nécessite un cadre juridique plus précis, que le législateur doit donner non pas de façon générale, mais à l’occasion de l’élaboration de chaque loi imposant de prévoir de telles mesures d’adaptation.

Évoquons maintenant l’article 2, sur lequel la commission de la culture a donné un avis. Le II de cet article avait initialement pour objet de soumettre les évolutions des normes sportives prévues par les fédérations à un avis de la commission consultative d’évaluation des normes.

Je n’ai pas besoin d’insister ici sur l’importance de cette question, qui constitue un enjeu réel pour nos collectivités.

Les modifications des normes relatives aux équipements sportifs peuvent en effet avoir de lourdes conséquences pour les communes, propriétaires à 80 % des structures sportives, bien souvent sans que l’intérêt d’une telle évolution soit majeur pour le sport en question.

L’Assemblée nationale avait présenté un rapport d’information sur ce thème dès 2005, qui avait conduit à la mise en place, en 2009, de la commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs.

En 2011, le rapport de M. Doligé sur la simplification des normes applicables aux collectivités locales dressait cependant un constat sévère sur cette question, faisant état de défauts récurrents de saisine préalable de la CERFRES, d’une représentation insuffisante des collectivités, de la perfectibilité des notices d’impact, de conditions de classement fédéral discutables, ou encore de délais d’application peu raisonnables.

Lors de ses travaux sur la présente proposition de loi, la commission de la culture s’est vu confirmer, notamment par l’Association nationale des élus en charge du sport, l’ANDES, que les évolutions ininterrompues des normes sportives, parfois dues à des fédérations sportives nationales, suscitaient de vives inquiétudes. Ces évolutions sont censées concerner les clubs, et non pas directement les collectivités, mais c’est bien, au final, les communes qui sont sollicitées pour mettre à niveau les équipements.

L’idée d’imposer que la CCEN émette un avis sur ces normes sportives posait cependant problème. En effet, cette instance n’est supposée donner d’avis que sur les normes s’appliquant directement aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, ce qui n’est pas le cas des normes sur lesquelles la CERFRES formule un avis. Outre ce problème de fond, la surcharge de travail que connaît déjà la CCEN risquait de se trouver largement aggravée.

Il apparaît donc que la solution tendant à renforcer la représentation des collectivités territoriales au sein même de la CERFRES était plus pertinente, sur le fond comme en pratique. L’article 2 bis, introduit par la commission des lois, qui a, en parallèle, supprimé les dispositions relatives aux normes sportives de l’article 2, a pour objet d’améliorer cette représentation.

L’article 2 bis prévoit l’inscription dans la loi de l’existence de la CERFRES, ainsi qu’une composition à parité entre les représentants des collectivités territoriales et les autres membres.

Considérant que ces dispositions remédiaient à une lacune de notre droit et répondaient à une demande des collectivités territoriales, la commission de la culture a émis un avis favorable sur les dispositions prévues par l’article 2 bis.

Telles sont, mesdames les ministres, mes chers collègues, les réflexions que nous a inspirées cette proposition de loi. La commission de la culture a donné un avis favorable à l’adoption des dispositions présentées dans le texte de la commission des lois, au bénéfice des avis que je viens de formuler concernant les amendements qui nous étaient soumis. §

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