Intervention de Marylise Lebranchu

Réunion du 24 octobre 2012 à 14h30
Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Marylise Lebranchu :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes appelés aujourd’hui à discuter de la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales. Ce texte, déposé initialement au mois d’août 2011, faisait suite à votre mission, monsieur Doligé, au cours de laquelle vous aviez identifié pas moins de 268 mesures censées réduire les coûts et les contraintes pour les collectivités et accélérer les procédures administratives.

Votre rapport s’ajoutait à celui de votre collègue Claude Belot, qui avait évoqué, quelques mois auparavant, une maladie de la norme, et il fut suivi, en mars 2012, du rapport de M. Morel-A-L’Huissier, député de la Lozère, qui voulait, lui, simplifier les normes au service du développement des territoires ruraux. Ma collègue Anne-Marie Escoffier connaît désormais cet engagement par cœur…

Permettez-moi de réinscrire ces travaux dans leur contexte.

Dans son intervention devant le groupe de travail commun à l’Assemblée nationale et au Sénat sur la qualité de la loi, en juin 2010, Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État, indiquait que le code général des collectivités territoriales avait été modifié quarante fois en 2009, autant qu’en 2007 et en 2005. À cette date précise, c’était sans compter les modifications apportées par la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales et la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « loi Grenelle II », qui allaient être votées juste après son audition.

Tant de modifications législatives en moins de dix ans ont eu raison des meilleures volontés sur les territoires.

Pendant dix ans, les collectivités ont été vues comme une variable d’ajustement de la politique de la nation, tout juste consultées, considérées souvent comme dépensières et peu dignes de confiance, responsables, disait-on, de la situation de notre pays. On peut alors comprendre que des voix se soient élevées pour tenter de relayer l’exaspération des élus locaux, une exaspération juste, une lassitude légitime. Tous les rapports ont fait le même constat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, tous ces griefs forment une réalité pour laquelle les états généraux de la démocratie territoriale, organisés par la Haute Assemblée, ont été la caisse de résonance : des élus lassés des normes illisibles et changeantes, complexes et même parfois absurdes, coûteuses et jamais négociées, d’autant plus démunis que les services de l’État reculent sur leurs territoires. Nous en sommes même arrivés à l’aube du point de rupture.

Plus rien ne passera désormais sans être examiné à la loupe par votre assemblée. C’est une bonne chose ! C’est une des raisons d’être du Sénat.

Le Gouvernement, qui a compris la situation, sera à vos côtés. Pour cela, il entend travailler sérieusement sur la question de la production normative, de son coût pour les collectivités et des moyens de limiter les effets pervers des normes existantes.

Cette réforme, nous la devons aux élus locaux, qui donnent chaque jour de leur temps et de leur volonté, souvent à titre bénévole ou en contrepartie d’une très faible indemnisation ; nous la devons aux Français ; nous vous la devons, vous qui portez la voix des élus et des citoyens de nos collectivités.

Revenons à votre proposition de loi, monsieur Doligé.

Passées au tamis de la commission des lois du Sénat et au terme d’un travail extrêmement consciencieux de Mme la rapporteur, les propositions qui figuraient dans le rapport ne sont plus très nombreuses, et ce pour plusieurs raisons.

Les premières sont de pure forme : toutes les simplifications normatives ne relèvent pas du pouvoir législatif. Certains chantiers pertinents devront en effet être menés par le Gouvernement et l’administration de l’État. Je m’y engage d’autant plus fermement que le Président de la République en a fait solennellement la demande lors des états généraux de la démocratie territoriale et que le Premier ministre, immédiatement après cette déclaration, nous a confirmé, à Anne-Marie Escoffier et moi-même, cette mission.

Des raisons politiques plus profondes expliquent également la modification de votre texte : la simplification des normes doit être conduite avec prudence, sans laisser place à la moindre suspicion de dérégulation. Ministre de la réforme de l’État, je tiens à dire ici le sens de la norme, sans doute un peu moins bien que M. le président de la commission des lois…

Héritage du droit civil romain, notre système juridique est fait de normes prescriptives, énoncées par des autorités légitimes, qui sont nombreuses sous la Ve République et depuis la construction européenne : le législateur, les administrations centrales et locales, mais aussi l’Europe produisent de la norme. Je note d’ailleurs que la transposition d’une directive européenne en droit interne compte parfois jusqu’à quarante, cinquante, voire soixante articles, si ce n’est plus, là où un seul suffirait.

Les décisions de justice produisent elles aussi de la norme. À cet égard, Anne-Marie Escoffier a rappelé à juste titre la judiciarisation à laquelle sont confrontés nos élus locaux. Convenons-en ici, le juge lui-même dispose d’une capacité d’interprétation de la norme. Nous le savons tous, nous qui, amenés à écrire la loi en tant que législateur, avons un jour été conduits à expliciter nos intentions pour qu’elles soient bien comprises de ceux qui auraient un jour à interpréter la loi. Les normes sont le produit du système juridique propre à l’État de droit, et dans un État de droit, la norme est a priori légitime.

L’existence de nombreuses normes n’est pas non plus, en soi, la marque d’un dysfonctionnement du système. Faites l’exercice en ouvrant un code – le code de l’urbanisme, le code de la route, le tout récent code des transports – et posez-vous la question de l’origine de chacune des dispositions qui y figurent : organisation des services, exigence de sécurité, protection des personnes vulnérables. Toutes les normes ont eu pour origine la volonté de leur prescripteur de servir l’intérêt général. Dans ces conditions, rien n’est plus difficile que de revenir sur le passé, de réécrire ce qu’on a écrit sans craindre de défaire un arsenal juridique qui apportait, somme toute, quelques garanties.

Oui, souvent la norme protège, mais elle ne fait pas que protéger ! La normalisation a permis à des filières industrielles entières de faire des bonds de productivité ou d’innovation, en obligeant les acteurs à trouver de nouveaux processus de fabrication. La norme peut même se faire protectionniste. Nous pointons souvent du doigt l’utilisation qui en est faite outre-Atlantique, mais sommes-nous certains de ne pas avoir parfois la même intention ?

Anne-Marie Escoffier et moi-même avons eu l’honneur de parler aujourd’hui de ce sujet avec Alain Lambert ; je vous propose donc, au lieu de faire le procès de la norme, de réfléchir aux raisons pour lesquelles la machine s’est emballée, …

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