Intervention de Antoine Lefèvre

Réunion du 24 octobre 2012 à 14h30
Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Antoine LefèvreAntoine Lefèvre :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, bis repetita placent… Voici que nous débattons, pour la seconde fois en quelques mois, de l’inflation des normes, qui est un problème récurrent depuis vingt ans.

Les états généraux de la démocratie territoriale qui se sont récemment tenus au Sénat ont fait entendre la plainte légitime des élus de nos départements, qui rencontrent des difficultés pour appliquer les normes, en particulier lorsqu’elles exigent de se doter d’équipements coûteux.

Comme plusieurs orateurs l’ont déjà rappelé, les communes doivent respecter, selon l’Association des maires de France, pas moins de 400 000 normes ! Il est matériellement impossible de les connaître toutes et de les appliquer à bon escient. Les communes sont donc les premières victimes de ce zèle normatif, qui donne aux responsables publics cette illusion : « parce que je réglemente, je suis ! »

Dans mon département de l’Aisne, je mesure au quotidien le désarroi des élus, notamment celui des maires de petites communes, lesquelles sont chez nous particulièrement nombreuses puisque, sur 816 communes, seules 90 comptent plus de 1 000 habitants.

Cette réglementation s’applique dans des domaines très divers qui touchent à l’ensemble des compétences locales. Si elle trouve sa justification dans le souci de veiller à la qualité et à la sécurité, elle occasionne des investissements lourds qui ont souvent tendance à paralyser les initiatives. En outre, les installations construites deviennent rapidement obsolètes du fait de la révision régulière de ces normes, ce qui entraîne pour ainsi dire un suraccroissement des charges financières supportées par les communes.

À ces problèmes vient s’ajouter celui de l’inadaptation des normes aux particularités locales. Cette question reste sans réponse, car le représentant de l’État craint la procédure pénale ou la sanction du juge administratif dans l’éventualité d’une dérogation.

Dépourvues de service juridique, les petites communes, dont je me fais le porte-parole, ont forcément du mal à appliquer la norme. Quelle collectivité n’a pas dû renoncer à telle ou telle opération parce que l’étude d’impact aurait coûté dix fois plus cher que les travaux eux-mêmes ?

Si une réglementation stricte est indispensable pour garantir la sécurité de tous les administrés, les politiques de prévention et de précaution se heurtent non seulement à des problèmes de financement, mais aussi à la lenteur de certaines procédures, comme les fouilles archéologiques ou les procédures d’urbanisme.

Figurez-vous que, l’an dernier, dans le cadre d’une opération de réaménagement urbain dans le quartier médiéval de ma ville de Laon, j’ai dû faire procéder à l’établissement du bilan de performance énergétique d’un immeuble voué à la destruction ! L’article 22 de la proposition de loi, qui vise à dispenser d’un certain nombre de diagnostics les bâtiments vendus en vue d’être détruits est par conséquent bienvenu.

Dans un autre domaine, la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau oblige les petites communes à créer un service public d’assainissement non collectif afin de procéder à un certain nombre de contrôles sur les installations d’assainissement autonomes. Mais comment doit-on faire quand une petite commune rurale est bâtie sur la roche-mère et que les maisons n’ont pratiquement pas de terrain ? Ce n’est pas parce qu’on est en zone rurale que toutes les habitations disposent d’un terrain suffisant pour accueillir les composantes de prétraitement, de traitement et d’exutoire qui composent un système d’assainissement. Sans compter que les travaux à entreprendre représentent un coût prohibitif pour des populations aux revenus faibles, voire très faibles, comme certains retraités. Comment ces personnes financeront-elles les milliers d’euros que coûte une installation et les centaines d’euros que coûtent les contrôles de conception, de réalisation et de fonctionnement ?

Par ailleurs, les élus sont parfois confrontés à des interlocuteurs bien éloignés des réalités.

Il faut bien le dire, la lutte contre les normes passe aussi par la responsabilisation des citoyens. Dans cet esprit, la proposition de loi présentée par notre collègue Éric Doligé prévoit de renforcer les compétences de la commission consultative d’évaluation des normes, installée par le précédent gouvernement il y a presque quatre ans, et de créer des commissions consultatives départementales d’application. C’est encore une initiative bienvenue.

Mais la proposition de loi visait surtout à introduire parmi les principes généraux de la décentralisation fixés par le code général des collectivités territoriales, qui déterminent notamment les normes opposables aux collectivités territoriales, un principe général selon lequel les prescriptions et procédures techniques législatives et réglementaires applicables aux collectivités territoriales pourraient faire l’objet d’adaptations selon des critères objectifs. Las, la majorité sénatoriale a botté en touche en février dernier, en demandant le renvoi à la commission de la proposition de loi, tout en reconnaissant qu’un certain nombre de ses dispositions allaient dans le bon sens… Puis, la semaine dernière, en totale contradiction avec les déclarations récentes du Président de la République comme du président du Sénat, qui ont tous deux entériné la nécessité d’une adaptabilité des normes, vous avez, chers collègues de la majorité, rejeté en commission l’article 1er de la proposition de loi, qui répondait pourtant exactement à ces présidentielles constatations.

Alors que nous entendons tous les élus se plaindre de la complexité excessive des normes, de leur illisibilité dans certains cas et de leur trop grand nombre, il n’est que temps que le Sénat soit un acteur des décisions qu’il faudra bien prendre à court terme.

Alors qu’un travail très important a déjà été accompli, il n’est que temps que le principe de l’adaptabilité des normes soit voté au Sénat et à l’Assemblée nationale, où votre majorité a retoqué une proposition de loi de notre collègue Pierre Morel-A-L’Huissier il y a à peine deux semaines.

Alors que cette proposition de loi est le fruit de nombreuses auditions et d’observations de terrain, il n’est que temps d’avoir un débat d’idées et de prendre des décisions utiles pour nos collectivités territoriales et pour les Français.

On ne peut à nouveau reporter l’examen de cette proposition de loi : il y a vraiment urgence ! C’est le message des élus de tous horizons et de tous bords qui, lors des états généraux des collectivités territoriales, ont exprimé ici même leur exaspération devant la saturation de normes. Pourtant, il semble que la majorité nous propose d’attendre encore et de reporter à nouveau.

Parce que le Sénat reçoit de l’article 24 de la Constitution la mission spécifique d’assurer « la représentation des collectivités territoriales de la République », il est temps pour notre assemblée de répondre à l’attente des élus.

Mes chers collègues, représentants des communes de France, je vous adjure de soutenir les propositions de notre collègue Doligé ; vous qui siégez dans la majorité, osez déroger à cette fameuse discipline de vote qui risque d’être contre- productive pour nos collectivités territoriales !

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