Intervention de Christian Favier

Réunion du 24 octobre 2012 à 14h30
Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales — Demande de renvoi à la commission

Photo de Christian FavierChristian Favier :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la ministre déléguée, le 15 février dernier, nous étions appelés à légiférer sur la proposition de loi, déposée par notre collègue Éric Doligé, de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

Après son examen par la commission des lois, nous avions majoritairement suivi l’avis de Mme la rapporteur, Jacqueline Gourault, qui avait présenté une motion tendant au renvoi à la commission de ce texte, au motif que celui-ci méritait de faire l’objet d’une réflexion plus approfondie eu égard à l’ampleur des questions soulevées et de la multiplicité des domaines concernés.

J’avais soutenu cette motion, tout en soulignant la nécessité de clarifier l’arsenal normatif pesant sur les collectivités territoriales. Outre que de très nombreuses précisions d’ordre rédactionnel devaient être apportées, la portée de certaines mesures soulevait des interrogations et nous étions hostiles à plusieurs dispositions. Tout cela nécessitait un travail approfondi, en concertation avec les nombreuses institutions concernées.

Or, si les trois commissions sénatoriales saisies pour avis ont rendu leur rapport, il n’en reste pas moins que la commission des lois ne s’est réunie depuis lors qu’une seule fois, voilà quelques jours, pour étudier l’ensemble des rapports et la totalité des amendements déposés sur ce texte.

Pourtant, madame la rapporteur, vous le souligniez vous-même devant la commission le 8 octobre dernier, si la démarche de simplification des normes est une nécessité absolue, « elle doit toutefois se faire avec prudence, pour des raisons de sécurité juridique. Certains dispositifs de simplification contenus dans la proposition de loi présentent en effet des risques ou des lacunes qui auraient des conséquences importantes si l’on n’y remédiait pas. » C’est dire l’importance de nos décisions !

Je ne pense pas que nous ayons pris la pleine mesure des conséquences que nos décisions vont emporter. C’est le premier point motivant notre motion tendant au renvoi de ce texte à la commission.

Notre crainte est d’autant plus vive que certains sénateurs auraient, semble-t-il, eu à leur disposition des informations dont d’autres n’ont pu disposer.

En effet, le Conseil d’État s’est penché sur le texte d’Éric Doligé. Qu’il rende un avis sur une proposition de loi est suffisamment rare pour démontrer l’importance particulière des enjeux juridiques que recouvrent les articles de ce texte. Aussi, comment interpréter le fait que nous n’ayons pas eu connaissance du contenu de cet avis ? Pou, plus exactement, pourquoi seulement certains membres de la commission des lois et non l’ensemble de ceux-ci ont-ils pu en avoir connaissance ? Les explications de notre collègue Gérard Larcher n’ont pas fait disparaître toutes nos interrogations.

Pourtant, comme le faisait remarquer en commission notre collègue Alain Richard, il ne saurait y avoir « plusieurs catégories de législateurs ». Devant la complexité des questions abordées par ce texte et les enjeux qui y sont attachés, permettre que des sénateurs puissent disposer d’un tel document sans que les autres y aient eu accès apparaît comme un déni de droit.

Nous demandons donc solennellement le renvoi de ce texte à la commission afin de permettre à tous de prendre connaissance de l’ensemble de l’avis rendu par le Conseil d’État sur la totalité du texte.

Rien ne nous assure, en effet, que les amendements retenus par la commission suffisent à satisfaire les remarques du Conseil d’État. Finalement, notre commission, se fondant sur l’avis des autres commissions saisies et sur des informations dont nous venons de dénoncer l’opacité, a adopté un texte profondément modifié, celui qui est aujourd’hui soumis à notre examen.

Bien que le nombre d’articles de la proposition initiale ait été réduit, passant ainsi de trente-trois à vingt-trois, et malgré la modification de seize articles, le texte qui nous est présenté ressemble toujours à une proposition de loi portant diverses mesures législatives : il ne constitue pas un ensemble cohérent d’articles sur un objet défini.

Comme dans la proposition de loi originelle, les modifications législatives envisagées ne sont pas des mesures de portée générale visant à simplifier les normes applicables aux collectivités locales. En effet, comme vous le déclariez en commission, madame la rapporteur, mis à part les articles 1er et 2 du texte déposé par Éric Doligé, « cette proposition de loi prévoit également des dispositions d’importance inégale, destinées à simplifier le fonctionnement des collectivités territoriales ».

En fait, il s’agit bien souvent de nouvelles règles, dont les vertus simplificatrices restent parfois, et même souvent, à démontrer.

Certes, cette proposition de loi est issue d’un travail considérable, que nous avons tous salué. Éric Doligé a réalisé un volumineux rapport de mission, à la demande du président Sarkozy. À l’issue de ses investigations, il a formulé plus de 260 propositions, dont la pertinence relevait, pour partie, de l’objectif qui lui avait été assigné.

Dans sa lettre de mission, le Président de la République dénonçait en effet ces normes qui « génèrent par leur complexité des coûts très lourds ». Il demandait à notre collègue de proposer des mesures propres à desserrer les contraintes et à alléger les coûts excessifs. En fait, l’objectif de réduction des coûts semblait être l’élément central de la mission, plus que les tracasseries et contraintes supportées par nos élus locaux, dont ceux-ci se plaignent régulièrement et que les états généraux qui viennent de se dérouler ont bien mis en relief.

Cependant, il faut le reconnaître, notre collègue a su élargir le champ de ses investigations et de ses propositions. Nous considérons d’ailleurs que ce travail mérite un débat plus large que celui auquel peut donner lieu la simple proposition de loi qu’il a déposée, un cadre qui semble bien étroit quant aux objectifs, si l’on exclut, bien sûr, son article 1er, qui constituait le cœur du texte d’origine.

En effet, cet article devait ouvrir la voie à une remise en cause de la notion même de norme, puisque, de fait, les normes auraient pu, dans certaines conditions, ne pas être réellement appliquées. Ainsi, le législateur voterait des lois créatrices de normes nouvelles et, dans le même temps, permettrait leur non-application, alors qu’il a la possibilité – sinon l’obligation – de préciser les conditions d’application de la loi.

Nous voilà bien loin de la simplification des normes ! C’est au contraire une nouvelle complexification, pouvant entraîner des suites juridiques, procédurales et jurisprudentielles sur la justification de la non-application de telle ou telle norme.

Par ailleurs, l’application de cette dérogation aux normes relevant de chaque autorité locale compétente en la matière, l’égalité des citoyens sur tout le territoire serait mise à mal, chacun en conviendra.

Autrement dit, si la proposition de loi d’origine avait été adoptée, il aurait mieux valu être handicapé dans une ville riche que dans une ville pauvre, en zone urbaine dense que dans une ville moyenne, au cœur d’une métropole que dans sa périphérie.

Cette disposition a disparu. Dont acte ! Il n’en demeure pas moins qu’elle a été envisagée sur certaines travées de cette assemblée.

Cela étant, une préconisation de ce type demeure dans le texte qui nous est présenté aujourd’hui, à l’article 18 : elle vise les CCAS. La commission aurait pu supprimer purement et simplement l'article en question ; elle ne l’a pas fait et nous le regrettons vivement. Cet article, le plus long du texte, fait, curieusement, partie du chapitre V, intitulé « Simplification des procédures », alors qu’il fait éclater le principe même de l’action sociale obligatoire dans toutes les communes.

En fait, en rendant facultatifs les centres communaux d’action sociale dans les communes de moins de 1 500 habitants, vous donnez la possibilité de supprimer ces centres dans près de 30 000 communes de France : cela pourrait toucher plus de 13 millions d’habitants !

On comprend mieux, dès lors, que le fossé ne cesse de se creuser entre les élus et la population. C’est tout sauf une simplification de procédure ! C’est un recul grave des services publics de proximité.

Je ne dresserai pas ici la liste des avis pour le moins dubitatifs que nous portons sur les autres articles, d’autant que nombre de ceux qui ont été supprimés par la commission feront malgré tout l’objet d’une discussion par le jeu normal des amendements, si la discussion se poursuit. Or, sur la plupart d’entre eux, le moins que l’on puisse dire est qu’ils mériteraient un examen approfondi, et d’abord en commission, où cet examen n’a pas été suffisant. Il faut que leur impact sur la vie des gens soit réellement étudié, en tenant compte des besoins de la population, et non pas en ayant une simple vision comptable.

Ces mesures sont si nombreuses que le temps imparti par notre ordre du jour ne permettra pas de les discuter sérieusement. C’est la troisième raison qui motive cette motion.

Il ne s’agit pas pour autant d’enterrer ces questions qui, chacun le sait, méritent un véritable débat. Nous pourrons l’avoir très prochainement, lorsque nous examinerons le futur projet de loi de décentralisation préparé par le Gouvernement et annoncé pour le premier trimestre de 2013. Les propositions de notre collègue Doligé pourront ainsi être étudiées dans un ensemble plus large et cohérent.

Enfin, la dernière raison qui motive le dépôt de cette motion de renvoi s’appuie sur les suites que le président Bel entend donner aux travaux des états généraux de la démocratie territoriale, qui viennent de se dérouler sur l’initiative de la Haute Assemblée et de tous les groupes politiques qui la composent. En effet, le président du Sénat a décidé de demander à la commission des lois ainsi qu’à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de se pencher sur cette question des normes et de proposer un texte afin de réduire le flux normatif qui pèse sur nos élus locaux. Nous sommes tout à fait favorables à cette proposition.

Pour mener à bien ce travail législatif qui est devant nous, nous devrons prendre en compte non seulement la proposition de loi de notre collègue Doligé, mais aussi le rapport de mission qu’il a rédigé ainsi que le rapport d’information de notre ancien collègue Claude Belot, « La maladie de la norme », qui avait une vision élargie des problématiques posées et formulait des propositions de portée générale, prenant en compte la question des stocks et celle de la création perpétuelle de nouvelles normes.

Dans cette perspective, si les élus locaux se plaignent régulièrement du poids des normes, ils affirment aussi qu’ils auraient besoin de plus de conseils techniques. Ces deux exigences, me semble-t-il, se répondent. Les élus demandent en effet plus de conseils, conscients que ces normes sont pour la plupart d’entre elles des règles de sécurité, de qualité et d’égalité et constituent de ce fait un élément de notre pacte social et républicain qu’il serait dangereux de disloquer.

Il serait, en effet, particulièrement grave que, sous couvert de simplification des normes, on favorise de nouvelles ségrégations spatiales et sociales. Nous irions alors vers de nouvelles disparités entre collectivités locales et entre citoyens, au moment où le Gouvernement vient de créer un ministère de l’égalité des territoires.

Il faudra éviter ces écueils, mais nous restons persuadés qu’un important travail est à réaliser pour desserrer des exigences normatives qui ne s’imposent pas et veiller à ce que les tracasseries administratives n’ajoutent pas des contraintes excessives et inutiles. Pour y parvenir, nous avons besoin de temps et de débats approfondis.

Aussi, mes chers collègues, je vous invite à ne pas céder à la précipitation et, pour cela, à adopter cette motion tendant au renvoi à la commission, ce qui permettra de joindre l’examen du présent texte à la future proposition de loi que le président Bel nous a demandé d’écrire. §

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