Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 6 novembre 2012 à 14h30
Principe de participation du public défini à l'article 7 de la charte de l'environnement — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Laurence RossignolLaurence Rossignol :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, l’objectif du projet de loi que nous examinons aujourd’hui est d’assurer la mise en œuvre effective du principe de participation du public, consacré à l’article 7 de la Charte de l’environnement.

Le texte dont le Sénat a été saisi le 3 octobre 2012 en première lecture a été soumis à la consultation du public du 11 au 24 septembre dernier, en application du principe de participation qu’il tend lui-même à garantir.

Ce projet de loi s’inscrit pleinement dans le cadre de la feuille de route pour la transition écologique, établie à l’issue de la Conférence environnementale et qui appelle à une participation effective du public, ainsi qu’à un rôle renforcé des citoyens dans la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques.

C’est effectivement une nécessité en matière environnementale, et je me réjouis que le Gouvernement en fasse l’une de ses priorités.

Tirant notamment les conclusions des quatre censures du Conseil constitutionnel, ce projet de loi a donc pour but de définir les conditions et les limites de la participation du public aux décisions ayant une incidence sur l’environnement.

Pour éclairer les enjeux de ce texte, je rappellerai d’abord que la genèse du principe de participation du public est déjà ancienne. Ce principe a été affirmé de longue date en droit international. Dès la déclaration de Rio, en 1992, on rappelait que « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement [était] d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient ».

La Convention d’Aarhus, signée le 25 juin 1998 par la France, vise de son côté à garantir le droit à l’information des citoyens en matière environnementale, leur participation au processus décisionnel et leur accès à la justice.

De nombreux États ont déjà mis en œuvre le principe de participation. Le modèle est aujourd’hui encore les États-Unis, où l’Administrative Procedure Act prévoit, depuis 1946, une procédure extrêmement détaillée de participation s’appliquant à la majorité des textes réglementaires, quels que soient les sujets traités.

Au Québec, un bureau d’audiences publiques permet, depuis 1978, de consulter la population sur les dossiers relatifs à l’environnement et aux projets d’infrastructures.

En France, la consécration du principe de participation est intervenue après l’adoption de la Charte de l’environnement en 2004, adossée en 2005 à la Constitution. Dans son article 7, la Charte dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »

La mise en œuvre de cet article a été codifiée, à l’occasion de la loi Grenelle II, à l’article L. 120-1 du code de l’environnement. Cet article s’applique lorsqu’aucun dispositif particulier de participation n’est prévu, par exemple une enquête publique. Il prévoyait que toutes les décisions ayant « une incidence directe et significative sur l’environnement » soient soumises à participation.

À l’occasion des décisions rendues dans le cadre des questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a prononcé la non-conformité à la Constitution de quatre dispositifs de participation spécifiques prévus dans le code de l’environnement et présentant, pour la plupart, de fortes similitudes avec le dispositif de l’article L. 120-1. Il a également jugé que les décisions individuelles devaient, au même titre que les décisions réglementaires et les décisions d’espèce, faire l’objet d’une participation du public.

L’abrogation des dispositions concernées interviendra donc, selon les cas, au 1er janvier ou au 1er septembre 2013.

Une autre décision du Conseil constitutionnel devrait intervenir d’ici à la fin du mois de novembre, cette fois-ci sur la constitutionnalité de l’article L. 120-1, article qui devrait probablement subir le même sort. Je me félicite donc qu’avec ce projet de loi le Gouvernement anticipe comme il convient cette décision.

Tels sont le calendrier et le cadre contraint dans lesquels se situe l’examen du présent projet de loi. C’est aussi pour le Gouvernement, comme pour nous, l’occasion de proposer des modalités d’application véritablement effectives du principe de participation du public.

Voilà dans quel esprit notre commission s’est saisie du projet de loi.

Son article 1er réécrit l’article L. 120-1 du code de l’environnement, qui est au cœur du dispositif de participation. Il anticipe en cela la décision à venir du Conseil constitutionnel. Le champ d’application de l’article, limité actuellement aux seules décisions réglementaires de l’État et de ses établissements publics, est étendu à l’ensemble de leurs décisions autres qu’individuelles.

Seront ainsi concernés, par exemple, les projets de décrets en matière de police de l’eau, les arrêtés concernant l’ouverture de la chasse, ou encore les arrêtés relatifs aux prescriptions générales applicables aux installations classées.

Il ne s’agit en aucun cas de superposer une nouvelle procédure de participation aux dispositifs existants d’enquête publique ou de concertation. Cet article L. 120-1 est supplétif et ne s’appliquera qu’en l’absence de procédure spécifique de participation.

Il prévoit qu’une procédure permettant de recueillir directement les observations du public devra être suivie pour toute décision ayant une incidence sur l’environnement. L’administration aura l’obligation de publier une synthèse des observations reçues.

Les articles 2 à 5 du texte modifient plusieurs procédures particulières de participation du public prévues dans le code de l’environnement et le code rural, notamment en matière d’installations classées ou encore de zones d’alimentation des captages d’eau potable. Dans tous ces cas, l’article L. 120-1 devient le droit commun applicable.

L’article 6 module dans le temps l’entrée en vigueur du nouveau dispositif, qui prendra effet au 1er janvier 2013. Il est en effet important que les décisions abrogées soient remplacées à cette date et que les procédures de participation en cours ne soient pas entachées de nullité.

Enfin, l’article 7 habilite le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour prévoir la participation du public aux décisions autres que celles prévues à l’article L. 120-1 du code de l’environnement, à savoir les décisions individuelles émanant de toutes les personnes publiques, ainsi que les décisions réglementaires et d’espèce émanant des personnes autres que l’État, par exemple les collectivités territoriales ou les autorités administratives indépendantes.

La commission du développement durable a adopté un certain nombre d’amendements proposés par sa rapporteur, mais aussi par plusieurs autres de ses membres, afin de renforcer la portée du dispositif.

Un premier amendement inscrit au début de l’article L. 120-1 les objectifs et principes de la participation du public. En effet, il nous a semblé utile de les expliciter et de faire comprendre, aussi bien au grand public qu’à l’administration, l’importance et l’intérêt de cette participation.

Un deuxième amendement a précisé le contenu de la note de présentation jointe au projet de décision, qui devra rappeler le contexte dans lequel la décision est prise. Cet amendement met en œuvre le corollaire du principe de participation du public, à savoir le droit à l’information en matière environnementale.

Un troisième amendement a porté la durée minimale de participation à vingt et un jours par voie postale et à trente jours par voie électronique. La possibilité de contribution par voie postale est en effet importante pour n’exclure aucun citoyen de la participation. Par ailleurs, le délai minimal de quinze jours initialement prévu a semblé trop court à la commission pour permettre au public de prendre connaissance de la consultation et de formuler utilement ses observations.

Un quatrième amendement rend obligatoire la publicité des observations effectuées sur un projet de décision. Cette publicité est généralement la norme dans les pays disposant de procédures de participation abouties, comme les États-Unis. Cela doit permettre une participation plus efficace, plus transparente et moins verticale.

La commission a adopté un cinquième amendement, sur proposition de notre collègue Évelyne Didier, afin de prévoir la transmission aux conseils municipaux des projets de décisions les concernant. Ils disposeraient alors d’un délai d’un mois pour se prononcer, faute de quoi leur avis serait réputé favorable. Ce délai d’un mois est calqué sur celui qui est laissé au public pour formuler ses observations, et n’allonge donc pas la procédure de participation. Trop souvent, en effet, des décisions ayant une incidence sur l’environnement sont prises sans même que les communes en soient informées.

La commission a conscience des éventuelles difficultés pratiques de mise en œuvre d’un tel dispositif de transmission. C’est pourquoi nous souhaitons que ce problème soit abordé au cours de l’examen du présent texte en séance publique, cet après-midi.

Un sixième amendement a été adopté en vue d’articuler, s’il y a lieu, la consultation d’un organe collégial avec la participation directe du public. L’organe consultatif devra disposer de la synthèse des observations du public avant de rendre lui-même un avis. Il s’agit d’éviter des consultations parallèles dans lesquelles les informations ne se croisent pas, et de faire en sorte que les observations exprimées par le public arrivent bien jusqu’aux oreilles des comités chargés d’émettre un avis sur le même projet de décision.

Le septième amendement porte sur la méthode par laquelle l’administration démontre qu’elle a tenu compte des observations du public. Il ne paraît ni envisageable ni souhaitable d’imposer une obligation générale de motivation des décisions publiques. Cette obligation est restreinte aux décisions individuelles défavorables depuis la loi du 11 juillet 1979. En revanche, il est possible de prévoir que l’administration indique, dans la synthèse des observations qu’elle doit effectuer, celles qu’elle a choisi de suivre.

Enfin, il a été adopté un amendement de précision concernant le critère de l’urgence, qui peut justifier, dans certains cas, que l’on ne recoure pas à une procédure de participation ou bien que l’on en réduise les délais.

La commission a par ailleurs inséré deux articles additionnels : un article additionnel après l’article 2, afin de mettre en conformité avec la Constitution des dispositions qui avaient été oubliées dans le projet de loi, concernant les canalisations de transports et de plans de prévention des risques naturels prévisibles, ainsi qu’un article additionnel après l’article 4, dans le but de compléter la composition des comités régionaux des Trames verte et bleue. À l’heure actuelle, ces comités n’incluent pas certaines parties prenantes, comme les représentants des usagers de la nature, l’État, ou encore les organismes de recherche. Ce nouvel article vise à rendre leur composition conforme à l’esprit d’ouverture de la participation indirecte du public par le biais d’organes collégiaux.

Voilà, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le sens des travaux de la commission du développement durable.

Vous savez, madame la ministre, que notre commission a eu une discussion approfondie sur l’article 7 et le recours aux ordonnances. Vous avez compris la sensibilité du Parlement à l’usage de ces dernières. Dans votre intervention liminaire, vous avez admis la légitimité de cette inquiétude, et vous avez également souhaité nous apporter toutes les garanties possibles sur la consultation et l’association du Parlement en la matière, ainsi que le respect par les ordonnances de l’esprit de l’article 1er. Je vous en remercie, et souhaite que les précisions que vous avez apportées soient entendues par le Sénat et versées aux débats cet après-midi.

Pour finir, je rappellerai que, même si ce texte est né d’une sanction du Conseil constitutionnel imposant une mise en conformité rapide du code de l’environnement, il n’en constitue pas moins l’occasion de rendre pleinement effectif le principe fondamental de la participation du public. C’est une petite révolution pour les administrations et pour les autorités publiques que nous amorçons, jour après jour : notre rôle, aujourd’hui, est de la porter.

Avec ce texte, nous ferons, je le souhaite, un pas de plus vers la mise en place d’une véritable démocratie environnementale, aujourd’hui condition d’une démocratie moderne.

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