Intervention de Alain Houpert

Réunion du 6 novembre 2012 à 14h30
Principe de participation du public défini à l'article 7 de la charte de l'environnement — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Alain HoupertAlain Houpert :

Monsieur le président, madame la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, mes chers collègues, en bâtissant les fondements d’une démocratie économique et sociale, le constituant de 1946 s’est donné pour mission de « prolonger l’œuvre des grands républicains de la Révolution française ».

Il a ainsi contribué à traduire dans le droit une certaine vision de la démocratie, celle d’un système de gouvernement dans lequel la participation de chacun procède non seulement d’un geste politique, le suffrage, mais aussi d’une « philosophie de la vie », qui soit à même de s’exprimer concrètement et de manière continue dans tous les domaines de l’action publique.

Bien que plus tardive, la notion de démocratie environnementale procède de cette même philosophie, celle d’une démocratie dans laquelle des formes participatives de gouvernement complètent l’expression éminente, essentielle, durable, mais aussi ponctuelle et générale du suffrage politique.

Sa construction s’inscrit ainsi dans une évolution plus globale d’approfondissement de la démocratie dite administrative, qui complète et enrichit la pratique démocratique dans son ensemble.

La notion de démocratie environnementale est en effet une composante importante du développement de la démocratie et, ainsi, une source de renouvellement du pacte social.

Elle traduit l’émergence d’une nouvelle forme de citoyenneté, dont l’objet – non sans un certain paradoxe – n’est pas tant le gouvernement de la cité que la participation de chacun à la détermination de la chose publique.

La démocratie environnementale repose essentiellement sur l’affirmation de deux droits récents : le droit d’information et celui de participation, qui figurent tous deux à l’article 7 de la Charte de l’environnement, projet d’ailleurs initié par le Président Jacques Chirac.

Ces droits sont des droits de citoyenneté, en ce sens que leur exercice, à l’instar de la citoyenneté que l’on pourrait qualifier de « politique », relève d’une démarche de légitimation de l’action publique.

Tel est le cas des procédures administratives au travers desquelles le public participe à la formation de la décision administrative et donc d’une expression de l’intérêt général.

Ces procédures sont particulièrement développées lorsqu’il s’agit de préparer et de mettre en œuvre des projets particuliers. L’enquête publique, par exemple, s’impose aujourd’hui préalablement à tous les projets ayant une incidence sur l’environnement. Son objet est de permettre au public de se prononcer sur « l’opportunité d’un projet ». Il en va de même de la procédure de concertation, originellement liée au droit de l’urbanisme, mais qui trouve aujourd’hui des prolongements dans le domaine du droit de l’environnement, soit lorsque aucune autre procédure participative n’est prévue, soit, par exemple, dans le cadre de l’élaboration des études d’impact.

La formulation même de l’article L. 123-16 du code de l’environnement, qui concerne les études d’impact, exprime de manière éclairante l’objet de cette procédure, qui est d’associer le public à l’élaboration du projet, c’est-à-dire à la détermination de l’intérêt public qui s’attache à sa réalisation.

Le débat public, enfin, organisé à l’occasion de la préparation des projets publics ou privés qui ont des « impacts significatifs sur l’environnement », a pour objet même « la participation du public pendant toute la phase d’élaboration » de ces projets.

Cette notion de « participation », comme l’idée même de « débat », atteste la relation évidente entre la procédure de débat public et la pratique démocratique.

Tout autant que lors de la mise en œuvre de projets particuliers, l’application du principe de participation à la procédure d’élaboration des actes réglementaires illustre la dynamique de la démocratie environnementale, qui conduit à associer le public à la détermination de l’intérêt général.

Lors de l’examen du projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dite Grenelle I, le Conseil d’État a en effet adopté, conformément à la lettre et à l’esprit de la Charte de l’environnement, une interprétation à la fois large et pragmatique de la notion de « décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement », qui figure à l’article 7 de ladite Charte.

Il a estimé que cette notion recouvrait effectivement les actes de nature réglementaire, y compris, le cas échéant, les ordonnances.

La loi du 12 juillet 2010, dite « loi Grenelle II », a consacré cette pratique, en introduisant dans le code de l’environnement un article L. 120-1, qui prévoit désormais que « les décisions réglementaires de l’État et de ses établissements publics sont soumises à participation du public lorsqu’elles ont une incidence directe et significative sur l’environnement ».

Sous l’effet de ces nouveaux droits de citoyenneté, la démocratie environnementale conduit à l’émergence d’une nouvelle forme de citoyenneté.

L’idée de citoyenneté, sur laquelle repose la démocratie dite « politique », est à l’origine le corollaire de l’exercice de la souveraineté, c’est-à-dire de la participation au gouvernement de la cité.

En ce sens, la citoyenneté, telle qu’elle s’est construite dans un cadre étatique, est intrinsèquement liée à la détention de droits civils et politiques, dont la jouissance est indissociable de l’appartenance à une nation.

La nouvelle forme de citoyenneté qui s’exprime dans la démocratie environnementale diffère de cette citoyenneté politique.

Elle en diffère, en premier lieu, en ce qu’elle n’est pas liée, du moins pas directement, à l’exercice de la souveraineté nationale, même si l’État en est, bien évidemment, le lieu principal d’expression.

Les droits de participation et de transparence, qui sont au cœur de la démocratie environnementale, procèdent en effet directement de la notion même d’environnement. Ils sont la contrepartie, ou plutôt le prolongement, du « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » affirmé par l’article 1er de la Charte de l’environnement, mais aussi du « devoir » de toute personne « de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement », exprimé à l’article 2 de la Charte.

La citoyenneté environnementale est donc liée non à l’exercice de la souveraineté, mais à la seule existence d’un bien public, d’un « patrimoine commun des êtres humains ».

En ce sens, elle est une citoyenneté de la chose publique.

Par nature, cette nouvelle forme de citoyenneté est dissociée de la citoyenneté politique, dans la mesure où les droits qui en sont l’expression ne sont pas, à la différence des droits politiques, des droits liés à la constitution de la société politique dans le cadre de l’État et ne sont donc pas des droits conférés par l’État ou inhérents à lui. Ils sont en effet des droits fondamentaux, dont chaque être humain dispose et qu’il peut opposer à la puissance publique.

C’est ce qu’ont affirmé, en 2008, le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel, en reconnaissant la valeur constitutionnelle de l’article 7 de la Charte de l’environnement. Ce faisant, ils ont consacré le principe de participation figurant dans cet article, qui dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »

Les conditions d’application de cet article ont été encadrées par la loi.

La mise en œuvre de l’article 7 a été codifiée à l’occasion de la loi Grenelle II, à l’article L. 120-1 du code de l’environnement. Cet article s’applique lorsque aucun autre dispositif particulier de participation n’est prévu, une enquête publique, par exemple.

L’article L. 120-1 prévoit que toutes les décisions ayant « une incidence directe et significative sur l’environnement » sont soumises à participation.

Le caractère de droits fondamentaux des principes de participation et de transparence procède en outre de leur reconnaissance par des conventions internationales relatives à l’environnement.

Ainsi, le principe 10 de la Déclaration de Rio de 1992 rappelle que « la meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient ».

La convention d’Aarhus, signée par la France le 25 juin 1998, dont les paragraphes 2, 3 et 7 de l’article 6 sont d’application directe, vise à garantir l’accès à l’information et la participation du public au processus décisionnel ainsi que l’accès à la justice en matière d’environnement.

Ces derniers imposent donc aux autorités publiques, notamment, d’informer le public comme il convient, de manière efficace et en temps voulu, lorsqu’un processus décisionnel touchant l’environnement est engagé.

En tant que droits fondamentaux, ces nouveaux droits de citoyenneté sont donc attribués à « toute personne », indépendamment de sa nationalité, à la différence de la citoyenneté « politique », comme l’atteste la notion de « public » auquel s’adressent les mesures d’information et de participation. Cette notion se définit uniquement par référence à l’intérêt des personnes concernées par les procédures décisionnelles en matière d’environnement.

Cette nouvelle forme de citoyenneté, qui fonde la démocratie environnementale, ne remplace pas la citoyenneté politique ; sa vocation est, au contraire, de la compléter et de contribuer ainsi à un « enrichissement du pacte social ».

Pour cela, à l’aune des modalités concrètes d’organisation et des principes qui guident la démocratie politique, la pratique de cette nouvelle citoyenneté doit encore être enrichie, afin qu’elle soit plus effective et qu’elle mette pleinement en œuvre le principe d’égalité.

C’est en ce sens que, dans de récentes décisions rendues à l’occasion de questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a prononcé la non-conformité à la Constitution de quatre dispositifs de participation spécifiques prévus dans le code de l’environnement.

Il a également jugé que les décisions individuelles devaient, au même titre que les décisions réglementaires et les décisions d’espèce, faire l’objet d’une participation du public. L’abrogation des dispositions concernées interviendra, selon les cas, au 1er janvier ou au 1er septembre2013.

Afin d’éviter la censure probable de l’article L. 120-1, le présent projet de loi permet de proposer des modalités d’application véritablement effectives du principe de participation du public et de traiter des questions environnementales en garantissant la transparence et l’effectivité des décisions publiques.

Cette nouvelle forme de citoyenneté procède directement de l’existence même de la chose publique et complète de manière continue et concrète, sans lien avec l’idée de souveraineté, l’expression de la citoyenneté politique entre deux manifestations du suffrage.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera ce texte.

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