Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 8 novembre 2012 à 15h00
Journée nationale en mémoire des victimes de la guerre d'algérie et des combats en tunisie et au maroc — Vote sur l'ensemble

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, peut-on légiférer sur la mémoire ? Telle est la question sous-jacente dans la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Il semble que, au lieu d’y répondre, le débat sème de nouvelles embûches à la réconciliation des peuples.

Une telle conception, si l’on n’y prend pas garde, pourrait nous mener à une certaine forme de relativisme historique, fût-ce pour des motivations louables. Mais, au-delà des discussions attachées aux questions de dates et de catégorisation, il s’agit, plus fondamentalement, d’une question de philosophie politique.

Le pouvoir ne doit jamais « dicter » l’histoire, fût-ce, je le répète, pour des raisons considérées comme louables. La sphère publique et l’histoire en tant qu’objet scientifique doivent rester, autant que faire se peut, indépendantes l’une de l’autre.

Certes, il est nécessaire de comprendre le passé. Il s’agit là d’une démarche essentielle dans la vie des sociétés humaines. En effet, la mémoire collective est le lien qui doit transcender les différences sociales, culturelles, ethniques et religieuses au sein de la cité et permettre le vivre-ensemble, même s’il faut évoquer les pages douloureuses ainsi que les épisodes tragiques.

Il est vrai que l’histoire des relations entre la France et l’Algérie est complexe, souvent conflictuelle et toujours passionnelle. Mais la période allant de 1830 à 1962 est encore trop fréquemment une pomme de discorde entre les deux rives de la Méditerranée.

Il n’est donc nul besoin « d’en rajouter », si j’ose m’exprimer ainsi, à l’heure où nous avons besoin de construire un solide partenariat avec les nations du Maghreb, aussi bien sur le plan économique que stratégique, avec toute la problématique de la sous-région sahélienne.

Dans cette perspective, il semble évident que la résolution de la crise malienne ne peut intervenir sans la coopération des États frontaliers, en particulier de l’Algérie.

Mes chers collègues, je sais bien qu’aujourd’hui les lois mémorielles semblent plébiscitées dans la mesure où elles apporteraient une forme d’apaisement aux victimes des tragédies qui, hélas ! scandent l’histoire. Cependant, il nous faut distinguer deux notions parfois employées de façon interchangeable et souvent abusive. Je veux parler des concepts de « mémoire » et d’« histoire ».

La mémoire se rapporte à l’individu. Elle est, par définition, subjective, donc émotionnelle. L’histoire est une science dont l’objet est l’étude des faits du passé se rapportant à une société. Se voulant la plus objective possible, elle s’appuie sur la raison.

En tant que personne, j’ai le plus grand respect pour la mémoire de chacun.

En tant qu’élue de la nation, je suis opposée à toute forme d’instrumentalisation de l’histoire. Un tel enjeu, si important dans la vie des peuples, ne peut être l’otage de considérations pouvant être perçues comme politiciennes ou électoralistes.

L’histoire est d’abord et avant tout l’affaire des historiens, tandis que seuls de longs débats peuvent apporter des réponses apaisées à des questions par essence ambiguës et antagoniques. Les historiens nous fournissent des instruments de réflexion, produisent des résultats et des questionnements qui ne s’acquièrent pas autrement.

Gardons-nous donc de trop vouloir régir les mémoires nationales ou locales, même si nos intentions sont nobles – et je ne doute pas un instant de la sincérité des propos et des convictions de notre rapporteur.

Même si nos intentions sont nobles, disais-je, je pense qu’il est très discutable, d’un point de vue historique et méthodologique, de placer sous une même date, soit la date du cessez-le-feu en Algérie à la suite des « accords d’Évian », une reconnaissance concernant trois conflits bien distincts, couvrant des réalités significativement différentes. Je vous rappelle d’ailleurs que les violences ont continué bien après cette date, et cela de part et d’autre.

Pourquoi, dans ce cas, ne pas pousser la logique jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas aussi intégrer les morts de la guerre d’Indochine ? Si une date unique doit être choisie, alors qu’elle ne le soit pas en référence à un fait historique et, surtout, qu’elle ne fasse pas polémique au sein des communautés.

Ce qui me gêne cependant le plus et me pose problème, c’est l’indifférenciation entre les victimes civiles et militaires.

Il me semble illégitime, voire dangereux, de mettre sur un pied d’égalité des acteurs civils et militaires qui constitueraient, dans cette optique, une masse indiscriminée.

Peut-on, mes chers collègues, décemment comparer, d’une part, les morts de l’OAS et, d’autre part, les pertes civiles, les combattants du FLN, les jeunes hommes du contingent tombés pour une cause détestable – oui, une cause détestable – ? Je ne le crois pas.

Cette confusion est, à mes yeux, potentiellement dommageable et a longtemps perturbé la normalisation des rapports entre la France et les États du Maghreb, en particulier l’Algérie. Mais, au-delà, elle est également un sujet de tensions dans notre pays en raison de l’histoire personnelle de nos compatriotes.

Vous l’aurez compris, ma réflexion ne saurait nullement se confondre avec le positionnement rétrograde, voire vulgaire, de certains à droite.

Après beaucoup d’hésitations entre le vote contre et l’abstention, j’ai sereinement décidé de m’abstenir.

Monsieur le ministre délégué, je suis d’accord avec vous, chacun assume une partie de son histoire. En ce qui me concerne, je ne rendrai pas hommage au général Bigeard et je conclurai par une citation : « En politique il faut guérir les maux, jamais les venger. »

Mes chers collègues, ce qu’attendent, dans un monde instable, les nouvelles générations, c’est une Europe apaisée, une France rassemblée, dynamique, audacieuse, qui, certes, assume son passé, mais, surtout, sait regarder vers l’avenir.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion