Séance en hémicycle du 8 novembre 2012 à 15h00

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la dépense publique.

L’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.

Je vous rappelle que ce débat est retransmis en direct par Public Sénat, ainsi que par la chaîne France 3, et qu’il importe que chacun des orateurs respecte son temps de parole.

La parole est à M. Éric Bocquet.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ces temps de recherche acharnée de marges de manœuvre financières, peut-être existe-t-il un moyen de réaliser quelques économies en matière de dépense publique.

Le rapport Peylet sur la mise en œuvre du Plan Campus, qui vient d’être rendu à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, met en effet clairement en évidence que le choix de recourir, en matière de construction universitaire, à la formule des partenariats public-privé s’avère indûment coûteux sur la durée et, de fait, assez peu concluant.

Après le scandale de la construction de l’hôpital sud-francilien, les opérations parfois hasardeuses menées pour le centre des archives diplomatiques, celles des services des affaires étrangères, l’annonce du coût exorbitant de la construction du futur « Pentagone à la française » ou du nouveau palais de justice de Paris, la découverte du train fantôme des loyers que devra payer la SNCF aux propriétaires constructeurs des nouvelles lignes TGV, nous avons là une nouvelle démonstration du caractère particulièrement discutable du recours aux PPP pour la réalisation de projets d’équipement, nationaux ou locaux.

Les surcoûts évidents, les dépassements de plafonds de marchés, les critères variables d’évaluation des prestations fournies brouillent la juste perception de la réalité, qui tend cependant de plus en plus à s’affirmer comme ce qu’elle est : à l’image de l’achat d’une voiture par contrat de location-bail, un partenariat public-privé fait supporter les coûts par le public et attribue les produits au privé. Le sigle PPP signifie-t-il en réalité « portage des pertes par le public » ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Monsieur le sénateur, le recours aux partenariats public-privé a été la conséquence d’une politique avec laquelle nous sommes en rupture, qui consistait à constater l’impécuniosité de l’État tout en maintenant un certain nombre de dépenses, notamment d’investissement, alors même que les ressources pour les financer manquaient objectivement. Cela revenait donc à organiser un déport sur l’avenir, c’est-à-dire sur les générations futures.

L’arrêt du recours à ces partenariats ne permettra pas de réaliser des économies dans l’immédiat. En revanche, il évite d’insulter l’avenir en demandant aux générations futures de payer ce que les actuelles ne paient pas, pour des raisons diverses dont nous avons déjà longuement débattu.

Cette politique est stoppée, et si des opérations comme la construction des palais de justice de Lille ou de Perpignan doivent évidemment être réalisées, elles seront reprises selon d’autres modalités.

Certains partenariats public-privé déjà engagés ne peuvent toutefois pas être arrêtés, pour des raisons juridiques. Il en coûterait trop cher à l’État, qui devrait alors acquitter des dédits plus élevés que le coût même des opérations. Il ne serait donc pas de bonne politique d’y mettre fin.

En revanche, tous ceux qui ont pu être interrompus l’ont été, et une mission a été confiée à l’Inspection générale des finances en vue de faire le point aussi précisément que possible sur l’état actuel des partenariats public-privé et d’établir un bilan de ceux qui ont déjà été engagés, avec un chiffrage des coûts qu’ils emporteront à l’avenir. §

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

Je remercie M. le ministre de sa réponse, mais je tiens à apporter notre éclairage sur ce dossier.

Le développement des PPP représente une véritable « bombe à retardement » pour les comptes de l’État comme pour ceux des collectivités locales ou des hôpitaux et autres établissements publics.

Les risques de devoir supporter des surcoûts ou de se retrouver, au terme de la location, propriétaire d’un bien frappé d’obsolescence et nécessitant d’importants travaux de remise en état sont forts.

« Gouverner, c’est prévoir », dit la sagesse populaire. Évitons donc de nous retrouver, dans quelques années, avec un « patrimoine PPP » en aussi piteux état que les collèges et lycées de type Pailleron quand ils furent cédés aux départements et aux régions, voilà quelques décennies.

Évitons aussi le recours aux PPP en restituant aux collectivités et aux hôpitaux leur capacité de financement, par un ajustement de leurs dotations, et en leur facilitant l’accès à l’emprunt à faible coût.

Enfin, il faut régler le dossier Dexia et obtenir que la Banque centrale européenne participe à l’abaissement du coût de l’emprunt public.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Monsieur le ministre, la commande publique représente environ 10 % du PIB national. Elle constitue un levier majeur pour orienter les marchés vers une meilleure prise en compte du développement durable. C’est un vecteur d’influence sur la structuration de l’offre, notamment dans le secteur de l’économie circulaire ou dans celui de l’économie de la fonctionnalité.

Le Gouvernement s’est d’ailleurs engagé par décret à ce que le service des achats de l’État respecte les objectifs de développement durable.

Pourtant, l’enquête de l’Observatoire économique de l’achat public, publiée en octobre 2011 par la direction des affaires juridiques, constate que « manifestement, si l’achat durable est plébiscité dans son principe, il y a un décalage important entre cette adhésion de principe et sa mise en œuvre, qui reste laborieuse ».

En tant que membre du Conseil d’orientation du service des achats de l’État, où j’ai l’honneur de représenter la commission des finances du Sénat, j’ai constaté que la feuille de route pour 2013-2015 pondère exagérément la dimension économique, au détriment de la dimension environnementale.

Le contexte économique ne justifie pas que l’on néglige les actions possibles en faveur du développement durable, bien au contraire, d’autant que d’importants progrès restent à faire en la matière : la clause environnementale pour les commandes publiques reste à définir clairement, et il n’existe vraisemblablement aucun réel indicateur de performance permettant un contrôle du respect des engagements en termes de développement durable. Le recours à la notion de « durée de vie » comme critère pour les achats publics représenterait un outil efficace pour lutter contre l’obsolescence programmée, sujet qui intéresse particulièrement les sénateurs écologistes.

Enfin, les clauses de marchés publics mériteraient notamment d’être rénovées, afin que l’on puisse, par exemple, acheter des voitures de seconde main au lieu de voitures neuves, favoriser les produits durables et la réparation plutôt que le renouvellement des produits obsolètes, ou encore promouvoir l’utilisation des logiciels libres.

En période de contraintes budgétaires, maîtriser la consommation d’énergie, en particulier, permettrait de faire des économies intelligentes.

Monsieur le ministre, l’État doit montrer l’exemple et respecter ses engagements. Quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour renforcer la part de la commande publique éco-responsable dans les achats publics ?

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Monsieur le sénateur, vous réclamez l’introduction d’une clause supplémentaire, mais des dispositifs juridiques existent déjà : des directives communautaires, des lois, une circulaire, un plan national d’action.

Tous ces instruments ont déjà produit leurs effets, puisque le service des achats de l’État met en œuvre, et ce de plusieurs manières, l’ensemble des contraintes juridiques qu’ils imposent. Il assure une mission de formation et vérifie que, dans les plans d’action d’achat des administrations, cette dimension est bien prise en compte. Il entretient également des relations très étroites avec les fédérations professionnelles, qui, elles-mêmes, agissent auprès de leurs adhérents. Enfin, il définit et met en œuvre une stratégie d’achat qui inclut l’ensemble de ces objectifs.

La liste est d’ailleurs longue des exemples qui permettent de démontrer que l’État tient particulièrement compte des préoccupations que vous venez d’exprimer. Qu’il s’agisse des achats de papier, de mobilier ou de fournitures de bureau, du nettoyage de locaux, du recyclage des déchets d’équipements électriques et électroniques ou de la maîtrise des flux d’énergie, dans tous ces domaines, le service des achats de l’État tient compte le plus scrupuleusement possible de l’ensemble des textes que je viens d’indiquer.

À cela va s’ajouter le plan de soutien au secteur automobile. Comme vous le savez, l’État s’est engagé, dans ce cadre, à acheter, à partir de 2013, 25 % de véhicules électriques ou hybrides, 100 % des petits véhicules urbains devant être électriques.

Le bilan vous paraît peut-être modeste, monsieur le sénateur, mais, cinq mois après la prise de fonctions du Gouvernement, je le trouve pour ma part tout à fait encourageant. Nous comptons renforcer ces politiques dans les années qui viennent. On pourra peut-être alors envisager d’introduire une clause supplémentaire, que les travaux parlementaires pourraient le cas échéant permettre de définir. Dans l’immédiat, il me semble que les exemples que je vous ai donnés contribuent d’ores et déjà largement à la mise en œuvre de la politique que vous appelez de vos vœux.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jean-Vincent Placé, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Je prends bonne note de cette réponse tout à fait précise, sérieuse et argumentée, monsieur le ministre. Je ne doute pas de votre volontarisme sur le sujet, bien au contraire, connaissant votre intérêt et celui du Gouvernement pour ces questions.

Il me semble toutefois nécessaire de renforcer la prise en compte de cette problématique par le service des achats de l’État, dont l’action permet de réaliser des économies d’échelle. Une meilleure prise en considération des critères environnementaux et énergétiques constituerait une source d’économies extrêmement importante.

Vous avez évoqué le secteur automobile. Je ne vais pas stigmatiser la stratégie d’un constructeur français bien connu, mais miser sur les véhicules hybrides diesel méconnaît les observations de l’Organisation mondiale de la santé sur les effets cancérogènes avérés de l’utilisation du gazole. Je relève d’ailleurs que M. Gallois a indiqué lui-même s’être réfréné sur cette question dans son rapport, qui ne me satisfait guère.

Nous souhaitons pour notre part que ces thèmes soient mis sur la table. Loin de penser que préoccupations environnementales et économie s’opposent nécessairement, nous estimons au contraire que l’État doit montrer l’exemple en alliant développement économique et dimension environnementale.

Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les membres du RDSE sont bien sûr favorables à la maîtrise et à la réduction ciblée des dépenses publiques, qui constituent un levier d’action essentiel en vue du redressement de nos comptes publics : mieux la dépense sera maîtrisée, plus la recette sera importante ; la réduction du déficit sera alors durable.

C’est ce que vous nous proposez, monsieur le ministre, dans le projet de loi de finances pour 2013, que nous soutenons et qui va être renforcé par le pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi, présenté mardi par le Premier ministre, dans le prolongement du rapport Gallois.

Cependant, si la discipline budgétaire est une nécessité, elle ne doit pas pour autant se transformer en une rigidité qui pourrait menacer l’indispensable croissance et nous priver de marges de manœuvre.

Pour nous, les mesures annoncées cette semaine vont dans le bon sens, celui de l’abaissement du coût du travail pour stimuler la compétitivité de nos entreprises.

Notre préoccupation, monsieur le ministre, ce sont les PME. Les inquiétudes qu’elles éprouvent, dans ce contexte d’instabilité fiscale et normative, les empêchent souvent de prendre des initiatives pour optimiser leur activité, et ces craintes peuvent freiner leur développement.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, dans le nouvel environnement qui se met en place, avec notamment l’installation prochaine de la Banque publique d’investissement, comment le Gouvernement entend-il mieux utiliser la dépense publique au profit des entreprises de taille intermédiaire et des PME, sans lesquelles il n’y aura pas, de notre point de vue, de véritable relance de l’emploi et de la croissance dans notre pays ? §

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Monsieur le sénateur, s’il demande aux entreprises un effort fiscal important, le projet de loi de finances pour 2013 épargne les PME et les entreprises de taille intermédiaire.

En effet, dans ce texte, aucune mesure ne concerne les PME. Ainsi, le dispositif des jeunes entreprises innovantes est maintenu, de même que l’ISF-PME et le mécanisme de réduction d’impôt sur le revenu « Madelin ». En outre, s’agissant de la réforme de la déductibilité des charges financières visant à inciter les entreprises à moins s’endetter et à utiliser davantage leurs profits et leurs fonds propres pour investir, une franchise de 3 millions d’euros est prévue au bénéfice des PME. Par ailleurs, la réduction de six à cinq ans de la période prise en compte pour le report en avant des déficits concerne certes toutes les entreprises, mais les PME bénéficieront d’une franchise de 1 million d’euros. Bref, dans ce projet de loi de finances, tout est fait pour épargner les PME et les ETI.

Deux éléments complémentaires s’ajoutent à ces mesures de protection.

Tout d’abord, un budget de 300 millions d’euros supplémentaires est alloué au crédit d’impôt recherche. Il est réservé, précisément, aux PME, avec la création d’un crédit d’impôt innovation. On sait que les PME souhaitaient particulièrement la mise en place d’une telle mesure.

Ensuite, les élus locaux seront associés aux décisions de la Banque publique d’investissement. Nous savons tous l’attention qu’ils portent au tissu industriel constitué par les PME sur leur territoire.

Tant les mesures de protection que les dispositions nouvelles décidées par le Gouvernement me semblent donc aller dans le sens que vous souhaitez, monsieur le sénateur. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le ministre, nous vous avons entendu avec intérêt confirmer que les PME ne subiront pas d’aggravation de leur situation fiscale et économique, comme nous le souhaitons. Mais il s’agit d’aller au-delà, et c’est ce que vous proposez avec l’allocation de 300 millions d’euros supplémentaires au crédit d’impôt recherche et la création du crédit d’impôt innovation. C’est là une mesure fondamentale pour les PME.

Cela étant, nous qui sommes sur le terrain – le cumul des mandats permet en effet d’avoir une approche à la fois nationale et locale ! §–, nous constatons que nos PME ont des besoins considérables en termes de moyens de trésorerie. Les dernières années ont été extrêmement difficiles à cet égard, et il y a une réelle urgence sur ce plan.

Nous prenons donc acte de votre réponse, qui va dans le sens que nous souhaitons, mais je crois qu’il faut faire plus et plus vite ! §

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le ministre, mes propos seront sans doute un peu moins consensuels que ceux que l’on vient d’entendre…

En période de crise et de croissance atone, il n’y a que deux leviers à actionner pour réduire le déficit public : augmenter les recettes, bien sûr, mais surtout diminuer les dépenses.

Tous les rapports non partisans, ceux de la Cour des comptes, de la Commission européenne ou de l’Inspection générale des finances, expliquent avec une grande clarté que l’effort doit porter essentiellement sur la dépense publique, à hauteur de 50% au minimum.

Pourtant, vous faites le choix, pour 2012 et 2013, de stabiliser la dépense publique à 56, 3% du PIB et de ne commencer les efforts d’économies qu’en 2014, comme s’il n’y avait pas urgence. Je note d’ailleurs que c’est à cette échéance seulement qu’entrera en vigueur l’augmentation de TVA que vous venez de décider.

Dans le même temps, vous faites exploser la charge des prélèvements obligatoires à concurrence de pratiquement un point et demi de PIB, soit 30 milliards d’euros d’impôts supplémentaires qui ne pèsent pas seulement sur les grandes fortunes ou les grandes entreprises, mais affectent aussi très fortement les classes moyennes et les PME.

Monsieur le ministre, il s’agit d’un matraquage fiscal, toute la presse le souligne, qui résulte directement de la faiblesse de l’effort consenti sur la dépense. Il va engendrer des effets récessifs : baisse du pouvoir d’achat, et donc de la consommation, fragilisation des entreprises et recul des investissements.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Tous les leviers de croissance seront donc touchés, ce qui risque de compromettre le retour à 3 % de déficit en 2013.

Ma question, monsieur le ministre, est simple : sachant qu’en 2014 il sera peut-être déjà trop tard, quelle logique économique sous-tend le choix du Gouvernement de ne pas diminuer la dépense publique dès maintenant ? §

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Monsieur le sénateur, votre intervention est incontestablement moins consensuelle que la précédente, mais je ne suis pas sûr qu’elle soit pour autant plus pertinente ; je vais m’efforcer de vous le montrer.

Entre 2002 et 2007, la dépense publique a augmenté en moyenne de 2, 7 % par an, sans doute avec votre approbation, puisque vous étiez alors dans la majorité. Entre 2007 et 2012, son augmentation moyenne a été de 1, 3 %. Dans la programmation des finances publiques que nous soumettons au Parlement, le Gouvernement propose une évolution moyenne de la dépense publique de 0, 7 % – ce sera en fait plus probablement 0, 6 % – par année. Nous faisons donc beaucoup mieux que vous n’avez fait entre 2002 et 2007 ou entre 2007 et 2012, comme en attestent ces éléments d’appréciation.

Vous faites également erreur quand vous indiquez que nous attendrions 2014 pour maîtriser la dépense publique. Non, monsieur le sénateur, nous soumettrons dès l’année prochaine l’État à la norme du « zéro valeur », hors naturellement le champ des pensions et celui du service de la dette. Selon un ministre que vous souteniez naguère, c’est là probablement une des politiques les plus dures que l’État ait jamais eu à mettre en place. Une telle appréciation de sa part devrait vous conduire à ne pas condamner ceux qui s’attachent aujourd'hui à mettre en œuvre cette norme, mais probablement de façon plus juste et équilibrée entre les différentes administrations.

Cela étant, il est vrai que dès lors qu’il s’agit de maîtriser la dépense publique, l’État seul ne peut y pourvoir : il faut également fournir un effort au titre de la dépense sociale. Ainsi, fixer à 2, 7 % l’objectif national des dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, permettra une économie en tendance de 2, 5 milliards d’euros.

Il conviendra également de demander aux collectivités locales de contribuer à l’effort : puisque vous êtes très soucieux de l’évolution de la dépense publique, je ne doute pas que le Gouvernement pourra alors compter sur votre soutien ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. François-Noël Buffet, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le ministre, sur ce dernier point je ne crois pas avoir de leçons à recevoir. Alors que la région Rhône-Alpes n’a pas hésité à augmenter considérablement ses impôts, le président de la communauté urbaine de Lyon rechigne beaucoup à être solidaire de l’État : je vous renvoie à ses récentes déclarations.

Par ailleurs, tous vos calculs sont fondés sur une prévision de croissance pour l’année prochaine qui ne se vérifiera pas. Nous ne pourrons donc pas ramener notre déficit à 3 % du PIB. Sur ce point, vos premières décisions visent non pas à réduire la dépense publique, mais plutôt à la conforter par le recrutement pérenne de nouveaux fonctionnaires.

Monsieur le ministre, nous avons des points de vue différents. Vos choix ne sont pas les nôtres. La gauche a toujours eu la même position : on augmente la dépense publique, au mieux on la stabilise, mais en tout cas on alourdit les impôts ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La tentation de la gauche est, la plupart du temps, de résoudre les tensions budgétaires par l’impôt plutôt que par la réduction des dépenses. Il faut bien dire, monsieur le ministre, qu’avec le projet de budget pour 2013, vous confortez ce préjugé.

Sur 30 milliards d’euros à trouver en 2013 pour ramener notre déficit budgétaire à 3 % du PIB, 20 le seront par le biais d’impôts nouveaux et 10 seulement par une prétendue réduction des dépenses publiques. C’est là un mauvais message que porte votre premier budget.

Quant aux crédits du budget général, hors service de la dette et pensions, leur montant reste inchangé par rapport à l’an dernier, soit 278 milliards d’euros. Ainsi donc, pour vous, ne pas dépenser plus, c’est déjà économiser…

Pour moi, réduire les dépenses, c’est dépenser moins, comme vous le proposez d’ailleurs aux collectivités locales. C’est donc avoir le courage d’engager de vraies réformes structurelles, des réformes qui remettront profondément en question les missions de l’État, si l’on ne veut pas rester les champions d’Europe des dépenses publiques.

Mais continuons d’affiner notre analyse : sur ces 278 milliards d’euros, 75 correspondent à des prélèvements de recettes au bénéfice de l’Union européenne et des collectivités locales et 4 à des taxes affectées ; reste donc une véritable marge de manœuvre d’environ 200 milliards d’euros.

Monsieur le ministre, puisque vous nous dites depuis plusieurs mois que l’effort sur les dépenses est à venir, puisque le candidat Hollande, parmi tant de promesses, a fait celle de stabiliser les effectifs de la fonction publique d’État et ceux de ses opérateurs, puisque les dépenses de personnel, d’environ 100 milliards d’euros, augmentent mécaniquement chaque année de 2 % du fait de l’incidence du glissement vieillesse-technicité et des mesures catégorielles, puisque vous vous glorifiez cette année d’une bonne maîtrise de ces dépenses alors que la stabilité de la masse salariale en 2013 résultera, pour l’essentiel, de l’effet en année pleine des suppressions de postes votées lors de l’élaboration de la loi de finance initiale de 2012, auxquelles vous vous étiez fortement opposé, pouvez-vous nous expliquer comment vous comptez accroître dans les prochaines années votre effort sur les dépenses tout en maintenant les effectifs constants ? §

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Monsieur le sénateur, je voudrais d’abord rappeler ce que je crois être des éléments factuels difficilement contestables concernant les hausses d’impôts.

L’effort demandé par le Gouvernement porte, en année pleine et pour 2013, sur un montant d’un peu moins de 25 milliards d’euros d’impôts, ce qui est beaucoup, je vous l’accorde.

Mais l’importance de ce chiffre doit être rapportée à l’ampleur des impôts nouveaux décidés par le précédent gouvernement et que vous aviez peut-être votés : le plan Fillon I représentait un effort de 11 milliards d’euros, assorti de 1 milliard d’euros d’économies ; le plan Fillon II prévoyait 8 milliards d’euros d’impôts nouveaux, sans économies supplémentaires ; si l’on ajoute à cela les mesures nouvelles de fiscalité adoptées en lois de finances par la majorité précédente, le total des impôts nouveaux s’élève, pour les deux dernières années du gouvernement Fillon, à près de 30 milliards d’euros, soit davantage que ce que nous avons fait. Il me semble donc que l’idée reçue selon laquelle la gauche augmente les impôts tandis que la droite les diminue doit être révisée…

Chacun a pris sa part dans le nécessaire effort de redressement de nos finances publiques, lequel passe aussi, hélas, par une augmentation de la fiscalité. Mais celle-ci ne peut être le seul levier : le croire n’est pas plus raisonnable que s’imaginer que l’on pourrait se contenter de réduire la dépense.

C’est pourquoi nous avons maintenu la norme du « zéro valeur », tandis que la stabilité des effectifs de l’État sur l’ensemble de la mandature sera assurée. Ainsi, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit la suppression de 2 317 postes dans l’appareil d’État et de 1 303 postes au sein des opérateurs, hors Pôle emploi et l’université. Nous compensons donc bien dès l’année prochaine les créations de postes auxquelles vous avez fait référence par des suppressions de postes, de sorte que, sur la durée de la mandature, il y aura une stabilité du nombre des agents de l’État.

Comment maintenir, dans ces conditions, la masse salariale ? Nous le ferons grâce à des mécanismes bien connus : l’« effet noria » – les agents partant à la retraite sont remplacés par des jeunes, moins avancés dans la carrière et donc moins bien rémunérés – et les mesures catégorielles. Nous divisons par deux les avantages catégoriels par rapport à la situation que nous avons trouvée à notre arrivée.

Ces éléments donnent, me semble-t-il, quelque crédit à cette affirmation que je réitère : les dépenses de l’État respecteront la norme du « zéro valeur ». §

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Monsieur le ministre, je n’avais pas voté les hausses d’impôts proposées l’an dernier, je ne voterai pas non plus celles que vous nous soumettrez cette année. Je pense que vous ne tiendrez pas vos promesses de retour à l’équilibre budgétaire à l’horizon 2017, pas seulement parce qu’elles sont fondées sur des prévisions de taux de croissance trop optimistes, mais aussi parce que vous aurez manqué de courage pour engager les réformes structurelles nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Réduire les dépenses publiques est impératif pour rendre l’État plus juste et plus efficace. Le technicien Mario Monti le fait très habilement en Italie ; il est surtout courageux, et rien n’empêche les femmes et les hommes politiques français de l’être également.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. Vincent Delahaye. Faudra-t-il que nous fassions nous aussi appel à un technicien – on parle beaucoup ces jours-ci de Louis Gallois ! – pour préparer courageusement l’avenir en réduisant notre dépense publique ? L’action du Gouvernement ne doit pas être uniquement guidée par l’envie – bien légitime ! – d’être confirmé lors des prochaines élections. La démocratie ne doit pas être un obstacle à la construction du futur. Soyez courageux, monsieur le ministre, coupez dans les dépenses, et vous aurez notre soutien !

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, eu égard à la crise économique majeure que nous connaissons, nous entendons la nécessité de faire participer les collectivités territoriales au redressement des comptes publics. Il s’agit là d’une évolution qui s’impose à nous, compte tenu de la situation.

S’agissant des mesures proposées, à savoir le maintien, en 2013, puis la diminution, à hauteur de 750 millions d’euros par an, en 2014 et en 2015, des concours financiers versés par l’État aux collectivités territoriales, nous, sénateurs socialistes, tenons un discours de solidarité et de responsabilité.

Certains nous reprochent de prendre les territoires à la gorge. Mais, sans trop solliciter nos mémoires, il nous suffit, pour leur répondre, de rappeler les mesures annoncées par chaque camp, lors de la campagne présidentielle, pour faire apparaître une opposition d’objectifs et de méthodes.

La droite, je tiens à le rappeler, avait prévu une baisse de 2 milliards d’euros par an des concours financiers versés par l’État aux collectivités territoriales, et ce sur toute la durée de la mandature !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

Cela s’appelle, en termes diplomatiques, un désengagement financier massif…

Un effort devra être consenti, c’est vrai, concernant les dotations aux collectivités locales, qui stagneront avant de diminuer quelque peu. Cela entraînera une baisse de nos investissements, qui se traduira naturellement par une activité moindre des PME, notamment dans le secteur du BTP. Cela engendrera également, bien sûr, une baisse des ressources des ménages, ainsi que l’amputation des programmes municipaux. En définitive, certains besoins essentiels des femmes et des hommes de nos territoires ne pourront être satisfaits. Toutefois, on l’a dit, cet effort est nécessaire.

Cela étant, le climat a changé : le dialogue prévaut désormais entre les collectivités territoriales et le Gouvernement. Les états généraux de la démocratie territoriale ont illustré cette volonté de transparence.

Monsieur le ministre, vous avez indiqué que vous comptiez associer les collectivités territoriales à la démarche de réduction des dépenses pour les années 2014 et 2015 : pourriez-vous nous donner des précisions sur ce point ? §

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Monsieur le sénateur, lors de la présentation du projet de budget devant le Comité des finances locales, le CFL, j’ai en effet annoncé la volonté du Gouvernement d’associer les collectivités territoriales à l’effort de redressement national.

En 2013, l’enveloppe sous plafond attribuée aux collectivités progressera selon la même norme que celle qui s’applique à l’État, à savoir la norme du « zéro valeur ». Un effort supplémentaire de 750 millions d’euros par an pourrait être demandé en 2014 et en 2015 aux collectivités ; c’est en tout cas ce qui est inscrit dans le projet de loi de programmation des finances publiques.

Certes, cette annonce n’a pas particulièrement réjoui les élus locaux composant le Comité des finances locales, mais tous ont compris, me semble-t-il, que l’on ne pouvait demander à l’État de jouer sur sa marge de manœuvre et ses leviers d’action propres pour œuvrer seul au redressement du pays. Chacun doit faire un effort, et je crois que tous les élus responsables y sont très sensibles : si un parlementaire n’oublie pas qu’il est élu local, j’imagine que, inversement, un élu local n’oublie pas non plus qu’il est aussi, le cas échéant, un parlementaire. C’est l’intérêt du cumul des mandats ! §

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Cet effort devra être partagé de la façon la plus équitable possible.

Le président du Comité des finances locales, M. Laignel, a souhaité la création d’un groupe de travail au sein de cette instance, afin que nous déterminions ensemble les modalités de mise en œuvre de l’effort à consentir en 2014 et en 2015. C’est là, je crois, une bonne initiative.

Au-delà de cet effort, nous savons tous la nécessité, pour les collectivités locales bien sûr, mais aussi pour le pays en général, de maintenir l’investissement autant que faire se peut.

À cet égard, la création d’une nouvelle banque des collectivités locales, dont l’annonce devrait intervenir très prochainement, un accord ayant enfin été trouvé entre la Banque postale et la Caisse des dépôts et consignations, devrait satisfaire les élus locaux, qui connaissent, dans leur gestion quotidienne, de très grandes difficultés à la suite de la déconfiture de la banque Dexia, que nous aurions d’ailleurs peut-être pu anticiper davantage. On le sait, cette déconfiture fut marquée par la sortie de la Caisse des dépôts et consignations de la structure, la privatisation de celle-ci puis son exil à Bruxelles, sous l’égide de M. Pierre Richard et de M. Axel Miller avant qu’ils ne se retirent dans d’excellentes conditions, l’un ayant bénéficié d’une retraite chapeau, l’autre d’un golden parachute, en récompense, j’imagine, de la manière brillante dont ils ont géré cette banque ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jean-Claude Frécon, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Frécon

Je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir évoqué la question du financement de nos collectivités locales. En principe, la Banque postale devrait annoncer enfin, dans les tout prochains jours, qu’elle sera en mesure d’octroyer des prêts aux collectivités.

Je veux simplement redire que le climat dans lequel nous travaillons actuellement est bien différent de celui qui a prévalu au cours des dernières années : la suppression de la taxe professionnelle et la réforme territoriale, notamment, avaient créé une très mauvaise ambiance. Nous avons tourné la page et, avec vous, nous espérons bien ne jamais revenir en arrière ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Monsieur le ministre, dans la situation financière critique où nous sommes – la croissance est loin d’être assurée et les prévisions de recettes budgétaires sont très optimistes –, vous augmentez les impôts pour financer des dépenses nouvelles qui ne sont pas nécessaires, à seule fin de satisfaire vos électeurs.

De plus, en augmentant les dépenses, vous alertez les agences de notation, qui vous ont placé sous haute surveillance, car vous faites le contraire de ce qu’il faudrait faire, c'est-à-dire baisser les dépenses et les impôts !

Une fois que notre note aura été dégradée et que les taux d’intérêt appliqués à notre dette auront augmenté, vous ne pourrez plus emprunter 160 milliards par an, sinon à des conditions exorbitantes : la France, à l’instar de la Grèce ou de l’Espagne, se trouvera alors en cessation de paiement. Le risque est énorme, et il n’est pas raisonnable de le courir.

La croissance sera faible, car elle dépend de la production et du niveau des exportations, ainsi que de l’euro, qui devrait être dévalué, car il est trop fort par rapport au dollar, ce qui réduit notre compétitivité.

Les 35 heures, que vous refusez d’abroger, vous coûtent, à cause des allégements de charges, 21 milliards d’euros par an, ce qui n’est tout de même pas rien !

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Cela grève nos coûts de production, car on ne travaille pas assez : c’est en France que l’on travaille le moins ! Il est d’ailleurs anormal que le rapport Gallois n’en tienne aucun compte.

En relevant l’ISF et la taxation des plus-values, vous découragez les créateurs d’entreprise et les investisseurs, qui préfèrent partir plutôt que perdre leur patrimoine. Ils investissent dorénavant en Grande-Bretagne ou en Belgique, ce qui accroît le chômage en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Pour réduire les dépenses, il faut commencer par ne pas les augmenter ! Vouloir couvrir les dépenses nouvelles en accroissant les impôts est une lourde erreur, qui ne peut que concourir à aggraver le chômage.

Il aurait été tellement plus facile de ne pas embaucher 60 000 nouveaux fonctionnaires, que vous devrez payer pendant soixante ans, retraite comprise, de ne pas relever le SMIC, de ne pas augmenter l’allocation de rentrée scolaire, de ne pas revenir à la retraite à 60 ans, de ne pas créer des emplois d’avenir non marchands qui ne serviront à rien, bref de ne pas distribuer tous ces cadeaux…

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Vous maintenez des dépenses fiscales liées aux aides à l’emploi à hauteur de 10 milliards d’euros et vous octroyez 3 milliards d’euros d’exonérations ciblées.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

L’urgence absolue est d’éviter une dégradation de notre notation et une augmentation des taux d’intérêt appliqués à notre dette souveraine. Il faut tout faire, dans un esprit de solidarité nationale, pour que cela n’arrive pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Surtout, il faut atteindre l’objectif de 3 % de déficit en 2013.

Monsieur le ministre, avez-vous conscience du risque que nous courons ? Renoncerez-vous un jour à vos mesures idéologiques, comme les 35 heures et l’ISF, …

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

… pour en adopter d’autres, plus réalistes, qui seules permettraient le redressement de la France, dans une perspective d’union nationale si nécessaire ?

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Monsieur le sénateur, il est évidemment toujours plus difficile de répondre à un reproche que de le formuler ! Je vais néanmoins essayer de le faire de la manière la plus précise possible.

Nous sommes, comme vous, extrêmement sensibles au risque d’augmentation des taux d’intérêt de la dette de notre pays ; nous faisons d’ailleurs tout pour l’écarter, avec un certain succès pour l’instant, les taux d’intérêt auxquels notre pays emprunte n’ayant jamais été aussi bas.

Par ailleurs, vous craignez une dégradation de la note de la France. Je me permets de vous rappeler qu’une telle dégradation s’est produite dans le passé : elle fut le fait d’une seule agence de notation et intervint sous un gouvernement précédent, auquel vous n’avez pas dû manquer, à l’époque, d’adresser de vifs reproches, tels que ceux que vous m’adressez aujourd'hui…

Si nous bénéficions à l’heure actuelle de taux d’intérêt bas, cela tient à deux raisons essentielles.

D’une part, les investisseurs ne peuvent, dans la zone euro, se tourner que vers deux pays suffisamment sûrs : l’Allemagne et la France. Nous bénéficions d’un avantage comparatif par rapport à d’autres pays de la zone euro.

D’autre part, la crédibilité de nos politiques budgétaires et financières est reconnue par le FMI lui-même, comme en témoigne une déclaration récente. Je comprends qu’il soit un peu difficile, pour des parlementaires de l’opposition, de nous accorder le même crédit qu’un organisme international, peut-être plus enclin à l’objectivité, mais telle est la réalité…

Concernant les critiques que vous avez pu formuler sur les 35 heures, permettez-moi de vous rappeler, monsieur le sénateur, que c’est en 2007, donc sous l’empire d’une majorité à laquelle vous apparteniez, que ce dispositif a été généralisé à toutes les entreprises, c'est-à-dire à celles de moins de vingt salariés, pour la simple raison que votre politique des heures supplémentaires entrait en jeu à partir de la trente-cinquième heure travaillée.

À cet égard, il est d’ailleurs assez paradoxal de défendre à la fois le recours aux heures supplémentaires et la suppression des 35 heures : si vous voulez des heures supplémentaires, il faut les 35 heures !

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Il faut choisir !

Vous m’avez adressé d’autres critiques concernant l’ISF, les prélèvements obligatoires, les aides à l’emploi. Dans l’urgence, il est impossible de procéder aux suppressions d’emplois que vous appelez de vos vœux : cela ne peut se faire, vous le savez, qu’en début d’année, dans le cadre d’un projet de loi de finances initiale, certainement pas dans celui d’un projet de loi de finances rectificative.

Toutefois, je le répète, il y aura bien, l’an prochain, 2 317 suppressions de postes au sein de l’appareil d’État et 1 303 chez les opérateurs. J’espère que ces éléments au moins sont de nature à vous rassurer ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

M. Serge Dassault. Monsieur le ministre, cher ami, pourrais-je même dire

Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

Les taux d’intérêt sont bas, certes, mais il ne faut pas croire au père Noël : ils vont malheureusement augmenter, parce que vous ne tiendrez pas l’objectif de 3 % de déficit en 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Dassault

En effet, vous n’aurez pas les recettes nécessaires, tandis que vous devrez supporter des dépenses supplémentaires.

Donnons-nous rendez-vous dans quelques mois pour en reparler. Ce que je vous dis, c’est pour le bien de la France ! Nous sommes prêts à travailler avec vous pour son avenir ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le premier engagement de François Hollande en faveur des outre-mer, qui ont voté pour lui et pour sa majorité présidentielle beaucoup plus massivement que la France métropolitaine, portait sur la mise en place d’« une loi de programmation engageant l’État dans la durée et créant de la stabilité pour les opérateurs économiques ».

Cet engagement reposait sur deux éléments : le lancement d’un programme d’investissements publics de 500 millions d’euros pour « rattraper le retard des outre-mer en matière d’équipements structurants » ; le maintien des mesures de défiscalisation et des plafonds spécifiques aux outre-mer, afin de préserver l’attractivité de ce dispositif essentiel pour le financement des économies ultramarines.

S’agissant des investissements publics, une première petite concrétisation de l’engagement va être apportée au travers du projet de loi de finances pour 2013, qui prévoit une première dotation de 50 millions d’euros sur les 500 millions d’euros annoncés pour tout le quinquennat.

S’agissant de la défiscalisation, en revanche, la situation est beaucoup plus trouble et incertaine, malgré l’arbitrage clair rendu par le Premier ministre, qui a décidé de maintenir inchangé, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2013, le plafond des dispositifs d’incitation fiscale pour les investissements réalisés outre-mer, à 18 000 euros plus 4 % du revenu imposable du foyer fiscal.

En effet, certains, dont le rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Christian Eckert, souhaitent une diminution de ce plafond, du taux, voire une limitation du statu quo à un an, et ce dès le projet de loi de finances pour 2013, anticipant ainsi sur la mission que le Premier ministre vous a confiée, monsieur le ministre, ainsi qu’à M. le ministre des outre-mer, de travailler à améliorer le dispositif actuel.

Vous comprendrez que nous, élus ultramarins, soyons très inquiets et très agacés devant ces volte-face au sein de votre propre majorité. Il nous importe d’être fixés quant au respect des engagements pris.

M. Joël Guerriau applaudit.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Monsieur Patient, 2 milliards d’euros seront alloués à l’outre-mer en 2013, contre 1, 9 milliard d’euros au titre de 2012 ; cette dotation augmentera de 100 millions d’euros supplémentaires en 2014, puis encore du même montant en 2015.

Il me semble donc que le Gouvernement envoie aux outre-mer un signal non pas de restriction budgétaire, mais de maintien de la solidarité du pays à leur égard.

Du reste, votre question portait moins sur les moyens budgétaires que sur les avantages fiscaux consentis à l’outre-mer, en particulier la défiscalisation des investissements, dont vous avez rappelé qu’elle est actuellement plafonnée à 18 000 euros plus 4 % du revenu fiscal de référence.

Cette niche fiscale offre une marge de manœuvre tout à fait importante aux investisseurs, notamment métropolitains, puisqu’un contribuable, en fonction de la taille de son foyer fiscal et de ses revenus, peut défiscaliser jusqu’à 250 000 euros en une année.

Ce dispositif, peut-être généreux aux yeux de certains, en tout cas très incitatif, permet à nos concitoyens les plus aisés d’investir outre-mer en défiscalisant une part notable de leurs revenus.

Le rendement de ce dispositif de défiscalisation, garanti par l’État, est compris entre 15 % et 20 % : il est peu d’investissements aussi rentables !

Dans le projet de loi de finances pour 2013, il n’est pas prévu que les niches fiscales en faveur de l’outre-mer soient concernées par le plafond de 10 000 euros par foyer fiscal ; le plafonnement demeurera donc au niveau fixé par l’ancienne majorité, à savoir 18 000 euros plus 4 % du revenu fiscal de référence.

Je vous confirme également que le Premier ministre a confié à Victorin Lurel et à moi-même la mission non pas d’abord d’améliorer le dispositif, mais de l’évaluer. En fonction de cette évaluation, nous pourrons proposer de le modifier si besoin est, dans l’intérêt des outre-mer.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Monsieur le ministre, nous vous avons bien entendu, et nous avons surtout bien « enregistré » que, conformément à l’arbitrage rendu par le Premier ministre, le plafond du dispositif serait maintenu, dans le projet de loi de finances pour 2013, à 18 000 euros plus 4 % du revenu fiscal de référence.

Nous comprenons fort bien l’objectif du Gouvernement d’améliorer le dispositif pour le rendre plus efficace, mais ce travail exige une concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, parlementaires comme opérateurs économiques.

En substance, il est hors de question de supprimer un dispositif qui draine des investissements vers la réalisation d’équipements productifs et la construction de logements sociaux sans prévoir de solution de remplacement dans nos territoires où le taux de chômage est deux fois, voire trois fois plus élevé que dans l’Hexagone.

M. Christian Eckert a reconnu lui-même qu’il n’était « pas pensable de convertir ces dépenses fiscales en crédits d’intervention à moins d’un miracle ». J’espère, monsieur le ministre, que vous êtes en mesure de lui donner tort, ou que vous vous y préparez !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec un niveau de dépenses publiques qui s’établit à 56 % de la richesse nationale, contre 46 % en Allemagne et 44 % en moyenne dans les pays de l’OCDE, la France est aujourd’hui au bord de l’asphyxie.

Si ce constat objectif est partagé sur toutes les travées de notre assemblée, les solutions proposées pour réduire le poids de la dépense publique, manifestement excessif et handicapant pour la réussite et le développement de notre pays, diffèrent grandement selon nos sensibilités politiques.

Pendant les six premiers mois du nouveau quinquennat, vous avez privilégié sans ambiguïté le recours à la fiscalité : augmentations d’impôts, taxes nouvelles, suppressions d’exonérations de charges, recrutements nouveaux dans la fonction publique, toutes mesures qui pèsent sur les acteurs économiques et sur les ménages.

Vous avez provoqué une avalanche fiscale, qui agit comme un garrot sur notre économie, la privant de ses forces d’initiative et de création de richesses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Vous avez aveuglément engagé notre pays dans une cure d’austérité et de rigueur dont je crains malheureusement qu’elle ne finisse par nous plonger dans la récession.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Pendant six mois, vous avez obstinément refusé d’œuvrer à la réduction de la dépense publique ; c’est pourtant un levier d’action incontournable pour retrouver nos capacités de développement et de création d’emplois.

L’urgence est là. L’urgence, c’est l’emploi, aujourd’hui et demain, le moteur de l’emploi restant la croissance économique.

Nous avons le devoir d’offrir les meilleures conditions de développement et de compétitivité à notre pays et à ses entreprises.

À ce propos, M. Gallois vient de remettre au Premier ministre un rapport éclairant. Dès le lendemain, par une volte-face qui laisse pantois, le Gouvernement a annoncé des mesures nouvelles, répondant à de nouveaux objectifs et visant à desserrer l’étau des charges qui nuit à la compétitivité de nos entreprises.

Monsieur le ministre, vous semblez avoir pris conscience de la gravité de la crise que nous traversons. Les Français sont déboussolés : ils ne perçoivent pas quel est le cap suivi par le Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Heureusement, vous les aidez à y voir plus clair !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

M. Jean-François Husson. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir m’indiquer à quelle hauteur et dans quels délais vous entendez faire porter l’effort sur la réduction de la dépense publique, pour redonner à la France les meilleures chances de sortir de la grande dépression dans laquelle elle est aujourd’hui plongée.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac

Notre économie est non pas en dépression, mais en croissance. J’espère que cette croissance atteindra l’an prochain le taux annoncé par le Gouvernement ; j’observe d’ailleurs que cette prévision n’est pas contestée par les parlementaires de l’opposition, en tout cas à l’Assemblée nationale.

Monsieur Husson, vous avez commencé votre intervention en dénonçant l’évolution de la dépense publique. Il est vrai qu’elle a été préoccupante, puisque la dépense publique a augmenté de près de quatre points de PIB, soit 80 milliards d’euros, entre 2002 et 2012.

Autrement dit, ceux qui se plaignent aujourd’hui de l’augmentation de la dépense publique sont peut-être ceux-là mêmes qui l’ont fait progresser le plus vite au cours de notre histoire récente ; ce n’est pas le moindre des paradoxes de la situation politique actuelle !

De fait, pendant la mandature qui débute, l’augmentation annuelle de la dépense publique sera en moyenne de 0, 7 % – et plutôt, à mon avis, de 0, 6 %. Sa progression annuelle sera donc trois fois moins rapide qu’entre 2002 et 2007, et deux fois moins forte qu’entre 2007 et 2012. J’imagine que, à l’époque, vous avez dû avoir des mots très durs à l’égard du gouvernement responsable d’une telle dérive de la dépense publique !

Nous pouvons peut-être tomber d’accord sur ce constat : quand la dépense publique atteint de tels niveaux, il en résulte un assèchement des liquidités sur le marché, celles-ci s’investissant davantage dans l’action publique que dans le secteur productif, avec les conséquences que nous connaissons et que le rapport Gallois décrit parfaitement.

Le fait est qu’il n’y a pas de réquisitoire plus sévère contre la politique économique, budgétaire et industrielle menée ces dix dernières années que le rapport de M. Gallois. Je me réjouis que vous sembliez en reprendre les conclusions à votre compte…

Le bilan de cette politique est connu : 900 milliards d’euros de dette supplémentaire, un million de chômeurs de plus en cinq ans, un commerce extérieur qui, d’excédentaire en 2002, est devenu épouvantablement déficitaire dix ans plus tard – à hauteur de 73 milliards d’euros l’année dernière –, une compétitivité qui s’est effondrée avec le taux de marge de nos entreprises…

Debut de section - Permalien
Jérôme Cahuzac, ministre délégué

Vous avez formé le vœu que l’étau des charges se desserre autour des entreprises ; mais si cet étau existe, c’est bien que certains l’ont mis en place au cours des dix dernières années pour le moins : il n’est certainement pas apparu ces cinq derniers mois.

Vous pouvez douter que notre politique donne les résultats que nous espérons, mais vous ne pouvez pas douter de la sincérité de nos intentions. Si l’on en juge par son bilan, la politique qui a été menée ces dix dernières années n’est manifestement pas celle que vous appelez de vos vœux aujourd’hui !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Husson

Monsieur le ministre, vous avez parlé de paradoxes et de revirements. Pour ma part, j’en vois deux.

Que n’a-t-on pas entendu lorsque, hier, l’État proposait de maintenir les dotations aux collectivités territoriales, qui réalisent plus de 70 % des investissements publics ? Or voilà qu’aujourd’hui, ceux-là mêmes qui poussaient des cris d’orfraie acceptent, en baissant la tête, la diminution des concours de l’État aux collectivités territoriales… Un tel revirement ne laisse pas de me surprendre !

Le second paradoxe a trait à une question dont je regrette qu’elle n’ait pas été abordée au cours du débat de cet après-midi : celle du financement de notre système de protection sociale, qui constitue certainement une bombe à retardement. Le mode actuel de financement de la protection sociale repose trop fortement sur le travail ; inadapté, il doit être complètement réformé pour nous permettre de relever les défis de demain !

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la dépense publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable de saluer, en votre nom, la présence dans notre tribune d’honneur d’une délégation du Sénat du royaume du Cambodge, conduite par M. Kong Sareach, président de la commission des travaux publics.

Je veux aussi saluer la présence, au sein de cette délégation, de M. Chea Son, président de la commission des lois de cette assemblée.

Cette délégation est accueillie par notre collègue Vincent Eblé, président du groupe d’amitié France-Cambodge. Pendant une semaine, elle séjourne en France dans le cadre du programme annuel de coopération fixé par nos deux assemblées pour étudier la décentralisation à la française, notamment le rôle de notre Haute Assemblée en la matière.

Nous lui souhaitons la bienvenue et nous formons le vœu que cette visite lui soit profitable.

M. le ministre délégué, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission nationale d’évaluation des politiques de l’État outre-mer.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des lois, la commission des finances et la commission des affaires sociales à présenter chacune quatre candidats, deux titulaires et deux suppléants.

Par ailleurs, j’invite la commission de la culture, la commission des affaires européennes, la commission des affaires économiques et la commission du développement durable à présenter chacune deux candidats, un titulaire et un suppléant.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Nous reprenons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Nous poursuivons l'examen de l'article 1er, sur lequel plusieurs orateurs ont déjà pris la parole.

(Non modifié)

La République française institue une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je tiens à exposer les raisons pour lesquelles je ne voterai pas cet article.

Monsieur le rapporteur, je constate que, cinquante ans après les faits, le débat sur la fin de la présence française en Algérie mérite à la fois du tact, de l’attention, de la compréhension et un effort d'approfondissement, que l'examen de cette proposition de loi permet en partie.

Le sujet est extrêmement difficile. J'en ai fait personnellement l’expérience en début d’année à Perpignan, où j’ai été sifflé devant le Cercle algérianiste, association qui réunit, pour l'essentiel, des Français d'origine pied-noir, parce que j'avais évoqué la réconciliation franco-allemande, symbolisée par les rencontres entre Adenauer et le général de Gaulle ou entre Mitterrand et Kohl. Manifestement, j'étais, aux yeux des membres de cette association, en avance sur mon temps.

Parallèlement, monsieur le ministre, en recourant à un autre mode d’expression que moi, mais je reconnais que les mots valent plus que les gestes et que la phrase prime sur l'humeur, vous avez vous aussi récusé l'idée d'une repentance généralisée, ce dont beaucoup dans cette enceinte, en particulier parmi les membres de l’opposition, vous savent gré.

Monsieur le rapporteur, je reviens sur les raisons qui vous ont conduit à défendre ce texte. Il s’agit de rendre hommage à ces générations d'appelés du contingent qui, vous l’avez rappelé avec passion et ferveur en commission, ont ressenti le 19 mars 1962 comme marquant la fin d'une période d'interrogations qui, depuis plusieurs années déjà, laissait en suspens leur avenir, tant la République a eu du mal à régler le conflit algérien.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Par parenthèse, je ferai remarquer que traiter dans un même texte des combats en Tunisie et au Maroc et de la guerre d’Algérie n’est pas tout à fait pertinent, même si les souffrances sont identiques. En effet, la IVe République, que l’on dénigre en général volontiers, avait su décoloniser la Tunisie et le Maroc, mais il est vrai qu'il s'agissait précisément de colonies, et non pas de départements français.

Monsieur le rapporteur, vous avez donc rappelé avec passion ce que fut, pour les appelés du contingent, pour leurs familles, mais aussi peut-être pour les jeunes qui s'apprêtaient à partir à leur tour, le 19 mars 1962.

Mes collègues de l'UMP et l’UDI-UC ont expliqué pourquoi, si nous reconnaissons aux appelés du contingent le droit de revendiquer le 19 mars comme une date majeure dans leur engagement, nous demandons que l’on n’en fasse pas un événement pour la France tout entière, sanctionnant en quelque sorte la fin de la présence de notre pays en Algérie.

En tant qu'ancien ministre de la défense, je puis attester que, pour les militaires, appelés ou de carrière, qui servaient en Algérie, le 19 mars 1962 est la date à compter de laquelle ils ont été obligés de choisir entre l’observation de la discipline et le respect de la parole donnée aux compagnons qui s’étaient engagés avec eux. Ce fut un déchirement pour l'immense majorité de ces militaires, qui a conduit bon nombre d’entre eux à sacrifier leur carrière.

Pour avoir été l’ami de Pierre Messmer, je puis vous dire que ce jour a marqué pour lui une véritable souffrance. Si ce formidable combattant du XXe siècle, au service de la liberté et d'idéaux que nous partageons tous ici, eut un regret, ce fut celui d'avoir donné l'ordre d'abandonner ceux qui avaient accompagné l'armée française. En réalité, personne ne croyait, au printemps 1962, que le départ serait irréversible et que l'autorité de l'État ne pourrait pas s’exercer. C'est pourtant ce qui advint…

C'est la raison pour laquelle le 19 mars 1962 reste, pour l'armée française, une déchirure, conséquence tragique de la primauté de la discipline sur la parole donnée.

Une autre raison me conduit à m’opposer à cet article.

Aujourd'hui, notre pays est riche de sa diversité. Il est riche de ses anciens combattants d'Afrique du Nord, dont nous avons tous évoqué l'engagement au sein de leurs associations. Il est riche de ses pieds-noirs qui ont réussi en métropole. Il est riche, enfin, du regard que nos compatriotes portent sur la formidable œuvre accomplie en terre d'Afrique, en particulier la libération du 15 août 1944.

Mais aujourd'hui, la France compte une catégorie nouvelle de citoyens, qui n’existait pas en 1962 et à laquelle il importe d'apporter une réponse : celle des Français d'origine algérienne, qui sont nos concitoyens, nos frères, mais qui ont une autre histoire. Dans quelques années, un fossé ne risque-t-il pas de se creuser entre nos compatriotes, à propos du 19 mars, en fonction de leur origine ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Vous avez dépassé votre temps de parole d'une minute trente. Vous n'êtes plus ministre, ça suffit !

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Pour les uns, cette date symboliserait une souffrance ; pour les autres, elle renverrait à la célébration d’une victoire en Algérie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Monsieur le président, je vous demande de faire respecter les temps de parole !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat est passionné, douloureux même, parce qu'il porte sur des événements encore présents à nos mémoires.

En ce qui me concerne, je dois au cessez-le-feu du 19 mars 1962 de ne pas être parti en Algérie, alors que j'étais sursitaire. La paix en Algérie a évité à toute une génération de connaître les souffrances que celles qui l’ont précédée ont dû affronter à l’appel du Gouvernement de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Je comprends tout à fait le désir de ceux qui ont vécu ces événements d’avoir l’occasion de témoigner des épreuves qu’ils ont traversées et de se retrouver entre eux.

Certaines des nombreuses associations qui les représentent ont fait le choix du 19 mars pour commémorer ces événements. C’est leur droit.

D’autres, qui rejettent cette date, se sont majoritairement mises d’accord sur celle du 5 décembre.

Il s’agit là de choix faits par des associations, qui n’engagent qu’elles. Ce qui nous est demandé aujourd’hui, c’est autre chose : choisir une date pour la commémoration par la nation. Ce fait même me paraît exclure que nous retenions le 19 mars, car la France, que je sache, ne commémore pas ses défaites.

À propos de la guerre d’Algérie, il faut reconnaître deux choses : l’armée française, grâce au courage de ses soldats, avait gagné cette guerre sur le plan militaire, mais nous l’avions perdue sur le plan diplomatique. Isolés dans le concert des nations, nous étions également en train de perdre la guerre sur le seul plan qui compte, celui du cœur : la population algérienne prenait conscience, progressivement, qu’elle était en train de se constituer en une nation. Nous n’aurions donc pu nous maintenir là-bas que par la force des armes, ce qui ne correspond pas, je le pense, à l’esprit de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Qu’est-ce que tout cela a à voir avec le 19 mars ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Mes chers collègues, le général de Gaulle a eu, à l’époque, le courage de nous engager, au péril de sa vie, dans la voie de la reconnaissance de l’indépendance de l’Algérie. Ce ne fut pas sans déchirement ni deuil, car, sur cette terre, il y avait des Algériens d’origine, des Français nés sur place qui souhaitaient rester Français. Toutefois, tel n’était pas le vœu de la majorité.

Cela étant, devons-nous célébrer avec éclat, au nom de la nation, le jour de ce déchirement ? Célébrons-nous d’autres armistices ayant pu eux aussi, sur le moment, être ressentis comme un soulagement ? À qui viendrait à l’esprit de célébrer le 23 juin 1940 ? Les Français étaient sur les routes, notre armée était dispersée ; elle se battait encore, souvent avec courage, mais je ne suis pas sûr que, ce jour-là, la majorité des Français n’aient pas accueilli, en leur for intérieur, avec soulagement l’arrêt des hostilités. Pour autant, ce n’est pas une date que nous voudrions célébrer !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

J’ai écouté avec beaucoup d’intérêt les interventions de MM. Longuet et Legendre.

Je voudrais remercier M. Longuet d’avoir évoqué, pour la première fois dans ce débat, le contingent et les appelés. Depuis ce matin, je trouvais cruel, injuste et indigne que l’on puisse parler de la guerre d’Algérie sans jamais mentionner les 30 000 morts du contingent, les appelés blessés, ceux qui sont revenus dans leur famille traumatisés à vie… §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Prenez-donc exemple sur lui, il est beaucoup plus calme que vous !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Personne n’a pris en compte, à droite de cet hémicycle, la douleur des mères qui voyaient partir leur fils en Algérie, après avoir vu partir leur mari dix ans auparavant !

Aujourd’hui, mes chers collègues, nous devons rendre hommage à cette troisième génération du feu qui a répondu à l’appel de la nation une première fois lors de sa mobilisation : tous les deux mois, un contingent entier partait pour une guerre dont, souvent, il ne partageait pas les objectifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Cette même génération, vous semblez l’oublier aisément, indignement, a répondu une seconde fois à l’appel de la République, pour la défendre contre le putsch des généraux !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

C’est le contingent qui a sauvé la République !

Pour ces deux raisons, il me paraît indispensable que la nation rende hommage à tous ceux qui ont souffert, que ce soit avant ou après le 19 mars 1962.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Pour ce qui concerne le texte relatif à la commémoration le 11 novembre de tous les morts pour la France, monsieur Garrec, nous l’avons voté.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Mais ce texte, je l’ai fait amender, parce que je ne voulais pas que le 11 novembre devienne un memorial day, éclipsant la célébration du 8 mai 1945 et de la capitulation nazie. Chaque conflit doit avoir une date spécifique de commémoration, car chaque conflit a son histoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Le devoir de mémoire s’impose à nous ! Il nous appartient d’apprendre aux jeunes générations, aux citoyens de demain, quels ont été les sacrifices de leurs prédécesseurs. Nous ne voulons pas d’un memorial day, cela ne correspond pas à notre culture ; nous voulons le 11 novembre, le 8 mai et le 19 mars !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Mes chers collègues, vous ne cessez de nous dire, depuis ce matin, que le 19 mars 1962 a marqué un déchirement.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

M. Alain Néri, rapporteur. Choisir le 5 décembre ne règle rien : c’est, vous l’avez dit et répété vous-mêmes, une date neutre, dépourvue de signification historique !

M. Guy Fischer approuve.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Ma petite-fille m’a interrogé sur le 11 novembre ; je lui ai répondu que c’était le jour de la commémoration de l’armistice de la Première Guerre mondiale, tandis que le 8 mai était celui de la célébration de la victoire sur la barbarie nazie et de la libération des camps de concentration. Mais quand elle m’a questionné sur le 5 décembre, je suis resté interloqué. Je lui ai finalement expliqué que le 5 décembre correspondait à un trou dans l’agenda de l’ancien Président de la République Jacques Chirac… Si je voulais faire du mauvais esprit, je dirais que le 1er avril aurait tout aussi bien pu faire l’affaire !

On ne peut donc retenir la date du 5 décembre pour rendre aux victimes de la guerre d’Algérie l’hommage que nous leur devons. Le 19 mars doit devenir un phare, diront peut-être les Bretons, ou un beffroi, diront les gens du Nord, autour duquel se rassembleront tous ceux qui ont souffert !

Afin de mettre tout le monde d’accord, je propose de sanctuariser le 19 mars comme date de rassemblement de tous ceux qui croient en la République et qui l’ont défendue ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L'amendement n° 2 rectifié, présenté par MM. Carle, Cléach, Couderc, Lecerf, Retailleau et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. René Garrec.

Debut de section - PermalienPhoto de René Garrec

Monsieur le rapporteur, je ne crois pas avoir besoin de leçons d’histoire. Le contingent comptait aussi des officiers. J’ai été l’un d’entre eux. L’armée en formait 1 200 par an ; un assez grand nombre ont été tués. J’ai participé à une opération dans le Ravin bleu, en Kabylie : des six sous-lieutenants que nous étions le soir, je restai le seul survivant le lendemain matin. Cela laisse des souvenirs ! Quant à la guerre de 1940, mon frère et trois de mes oncles y ont péri.

Je n’ai donc aucune leçon de patriotisme ou d’histoire à recevoir de votre part, mais restons-en là sur ce sujet. Je voudrais maintenant m’exprimer au nom de M. Carle, premier signataire de cet amendement.

En premier lieu, force est de constater que cette question, qui divisait déjà il y a dix ans, divise encore aujourd’hui. C’est un fait incontestable : il y a encore des écorchures, des blessures qui ne sont pas cautérisées.

Ce texte aurait mérité sans doute, comme l’avait souhaité le Président Mitterrand, une large concertation, un véritable consensus. Un jour, les archives seront ouvertes à la consultation ; peut-être aurons-nous alors une vision plus claire des choses, mais, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Sans doute avez-vous préféré, pour reprendre des mots de M. Carle, la précipitation à la concertation.

En second lieu, il convient de rappeler que le Gouvernement a indiqué dans cet hémicycle, le 25 août dernier, qu’il ne voulait pas interférer dans ce débat et qu’il s’en remettrait à la sagesse de notre assemblée. Quinze jours plus tard, on inscrit le présent texte à un ordre du jour réservé. Cela ressemble tout de même à une intervention, en tout cas à un changement de position du Gouvernement…

En conclusion, je voudrais dire que ce débat mérite de la dignité, au rebours de l’exacerbation de tous les mauvais sentiments ou de la défense aveugle d’une position préétablie. Dans cet esprit, en accord avec notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam, nous retirons cet amendement. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L'amendement n° 2 rectifié est retiré.

La parole est à M. Michel Berson, pour explication de vote sur l'article 1er.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

Les sénateurs du groupe socialiste voteront cet article, parce qu’ils savent combien sont attendus et nécessaires l’apaisement et la réconciliation. En effet, les blessures sont encore vives parmi ceux qui furent les acteurs et les victimes de la guerre d’Algérie.

Partager une mémoire, fût-elle douloureuse, pour être capables de construire ensemble un avenir commun : tel est le sens, tel est le rôle qui doit être dévolu à la célébration du 19 mars, jour du cessez-le-feu officiel en Algérie, que l’article 1er vise à reconnaître comme journée nationale du souvenir et de recueillement.

Au cours de notre débat, le nom de François Mitterrand a souvent été évoqué. Je voudrais maintenant faire référence au général de Gaulle.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Berson

Fatigué que l’on ressasse qu’il était l’homme du 18 juin 1940, le général de Gaulle déclara à son interlocuteur, Jean Lacouture : « Eh quoi, rien depuis lors ? Et l’homme du 25 août 1944 ? Et celui du 8 janvier 1959 ? Et celui du 19 mars 1962, point final à vingt-six ans de guerres ininterrompues ? » J’y insiste : « point final d’une guerre », précisait-il.

Bien sûr, nous le savons, le choix d’une date de commémoration de la fin de la guerre suscite encore, cinquante ans après, bien des controverses. Face aux oppositions, la recherche du consensus paraît toujours un objectif difficile à atteindre, tant les histoires personnelles et collectives de ceux qui furent envoyés dans la tourmente des combats et de ceux qui avaient leurs racines et leur vie en terre algérienne semblent inconciliables.

Personne ne le conteste, la signature des accords d’Évian n’a pas mis un terme immédiat à la guerre d’Algérie. Des enlèvements et des tueries ont été à déplorer jusqu’en juillet 1962. Puis, à la longue liste des morts et des blessés qui furent dénombrés parmi les militaires français et les populations civiles, se sont ajoutées les souffrances du déracinement et de l’exil des rapatriés d’Algérie et des harkis.

Même si cinquante ans se sont écoulés depuis ce tragique épisode de notre histoire nationale, les blessures restent vives et les mémoires plurielles. C’est donc à nous qui avons la charge de la représentation nationale de tenter de tourner cette page douloureuse et de retisser les liens de fraternité entre tous ceux qui eurent à souffrir dans leur chair comme dans leur cœur des conditions dans lesquelles la décolonisation fut engagée en Algérie.

Rien ne serait pire que d’opposer l’espoir tant attendu d’une paix durable entre deux nations au sentiment d’abandon que ressentirent ceux qui redoutaient les conséquences d’un désengagement de la France.

Rien ne serait pire que de renvoyer dos à dos les soldats et les jeunes du contingent, qui ne firent qu’exécuter les ordres, et ces hommes et ces femmes qui pouvaient légitimement revendiquer à la fois la nationalité française et leur attachement à l’Algérie.

Rien ne serait pire que de privilégier une mémoire, celle du monde combattant, au détriment d’une autre, celle des Français d’Algérie.

Aussi la responsabilité qui incombe désormais à la représentation nationale est-elle de renouer les fils d’une histoire nationale, à laquelle nous nous rattachons tous, autour d’une date commémorative, au-delà des épreuves subies, des peines endurées et des appréciations différentes que nous pouvons avoir les uns et les autres sur cet aspect de notre histoire.

La reconnaissance officielle de la date historique du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats qui ont eu lieu en Tunisie et au Maroc s’inscrit dans une volonté de réconciliation. Cette reconnaissance porte un message de paix et d’espoir, qui permettra aux mémoires, hier désunies, de se retrouver, afin que chacun puisse affronter les défis d’aujourd’hui.

Mes chers collègues, tel est le sens de l’article 1er. Pour toutes ces raisons, les membres du groupe socialiste le voteront.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

À ce stade de la discussion, un constat s’impose : nous sommes en désaccord.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Démonstration a été faite que rien ni personne ne pouvait mettre en cause la date du 19 mars comme étant celle du cessez-le-feu, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

… même si elle ne consacre ni une victoire ni une défaite, et même si, par ailleurs, tout le monde reconnaît qu’ultérieurement ont eu lieu des exactions qui ont touché les deux camps.

Comme viennent de l’expliquer excellemment tant Michel Berson qu’Alain Néri, la troisième génération du feu a incontestablement besoin que lui soit dédiée une date mémorielle pour les raisons qui ont été évoquées tout au long de nos débats. Si tel n’était pas le cas, cela reviendrait à dévaluer la qualité de l’engagement de ces combattants, dont la plupart, comme c’est malheureusement le cas lors de chaque guerre, y ont laissé les meilleures années de leur vie, voire, pour certains, y ont perdu la vie.

En quoi réside exactement le contentieux qui existe entre la gauche et la droite ?

Pour notre part, avec lucidité, intelligence et sincérité, nous semble-t-il, nous sommes convaincus que la transmission apaisée de la mémoire passe par la reconnaissance de la date, incontestée, et incontestable selon nous, du 19 mars. Et nous faisons le pari que, une fois cette reconnaissance acquise et tournée une page de notre histoire, pourront alors être apaisés à la fois les esprits et les consciences.

Pour ce qui vous concerne, mes chers collègues de l’opposition, j’ai l’impression que vous persistez à essayer de faire en sorte que cette cicatrice, qui n’est pas encore refermée selon vous, soit entretenue le plus longtemps possible, pour des raisons que je n’arrive d’ailleurs pas à comprendre. Votre prise de position comporte probablement quelques arrière-pensées. Pour ce qui me concerne, je n’en ai pas.

Voilà pourquoi les membres du groupe socialiste, avec détermination et conviction, voteront l’article 1er.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de David Assouline

Une date commémorative doit durer bien plus de cinquante ans ; elle doit marquer la vie d’une nation. Dans deux siècles, elle devra encore pouvoir être célébrée. Pour qu’elle ait cette portée forte, il faut donc se référer à un événement historique, un événement que l’on peut raconter de façon intelligible à ses enfants, comme vient de le dire M. Néri. L’armistice, c’est un événement historique. Le 5 décembre, c’est quoi ?

Mes chers collègues, au-delà de nos contingences de simples mortels, je vous demande de prendre en compte cet aspect : une date commémorative doit avoir une signification historique !

Par ailleurs, j’entends dire que le 19 mars ferait fi des victimes qui sont à déplorer après le cessez-le-feu. Non, pas du tout ! Et de toute façon, le choix de la date du 5 décembre ne règle pas la question des morts survenues jusqu’au mois de juillet !

Je le répète après M. le rapporteur, une commémoration prend en compte l’ensemble des victimes. Car, on le sait, au lendemain d’un cessez-le-feu, une guerre fait encore des victimes ! Mais ce n’est pas la date retenue qui les écarte de la commémoration, ce sont les discours politiques, même si, je reconnais que, en l’espèce, tel n’est pas le cas et qu’un consensus se dégage : il s’agit bien de commémorer les victimes du contingent et les victimes civiles de toute la guerre.

À ceux qui portent une grande attention aux « morts d’après » – je pense notamment aux harkis et aux civils qui ont disparu bien après le cessez-le-feu –, je veux leur dire que, moi aussi, je suis très attentif à ce sujet. Si je me suis battu pour que l’on reconnaisse ce qui a été fait aux Algériens, je me bats avec la même vigueur pour ces victimes, car la vérité l’exige.

Gardons à l’esprit la particularité de leur souffrance, à savoir le fait d’être postérieure aux accords d’Évian. Si l’on ne retient pas une date, ces personnes seront dépossédées de cette singularité : malgré le cessez-le-feu, elles ont été victimes, puis oubliées. Si le flou règne, ce seront des victimes comme toutes les autres de la guerre d’Algérie, ce qui ne serait pas rendre service au combat pour leur mémoire, combat qui doit continuer, car tout n’a pas été dit sur leur histoire.

M. Jean-Louis Carrère applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en instituant des zones à urbaniser en priorité, le général de Gaulle a voulu faire face aux défis de l’urbanisation et de la réindustrialisation de la France. Toutes les grandes agglomérations ont alors dû accueillir tant les pieds-noirs que les harkis.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri de Raincourt

Les villages aussi ! Quarante familles ont été accueillies chez moi !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Aujourd’hui, par le biais de l’adoption de la proposition de loi et de la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir, il s’agit de saluer un moment important de la construction de l’union de la France.

D’une manière ou d’une autre, la plupart d’entre nous ont milité en faveur d’un cessez-le-feu en Algérie, en faveur de la fin d’un drame qui avait endeuillé ce pays comme le nôtre. Il faut garder ce point en mémoire.

Néanmoins, le débat qui vient d’avoir lieu a démontré notre incapacité à évoquer l’histoire de la décolonisation. Pourtant, le général de Gaulle lui-même avait affirmé la volonté de mettre fin dans la dignité à une histoire coloniale. De toute évidence, notre participation indirecte à ce désir d’indépendance, notamment de l’Algérie, s’imposait.

Mes chers collègues de l’opposition, quand on vous entend, quand on constate les clivages que ce sujet suscite encore en 2012, je serais tenté de me demander si la guerre d’Algérie est réellement terminée…

Je ne partage pas les propos tenus par M. Carle, lorsqu’il évoquait la loi du 23 février 2005. À l’époque, j’avais marqué mon opposition à l’article 4 de ce texte, qui vantait l’œuvre civilisatrice de la France, de l’époque coloniale française. Cela revenait à gommer la réalité, à mentir sur l’état dans lequel nous avons laissé l’Algérie. D’ailleurs, il saute aux yeux que nous ne nous comportons pas de la même manière envers le Maroc et la Tunisie, d’une part, et l’Algérie, d’autre part. Il ne s’agissait pas d’une œuvre civilisatrice, mais d’une situation à laquelle il fallait vraiment mettre un terme.

Je considère que l’adoption de cette proposition de loi mettrait un terme au débat et constituerait une marque de reconnaissance envers ceux qui ont participé à la guerre d’Algérie. La troisième génération du feu mérite une journée commémorative, et il serait normal que celle-ci soit fixée au 19 mars.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Le Menn

J’ai eu l’occasion d’intervenir devant la commission des affaires sociales pour raconter une part d’histoire : la mienne.

Le 9 octobre 1958 – j’étais alors tout jeune –, je suis parti rejoindre l’armée française dans ce qui était un département d’outre-mer. Très rapidement, nous nous sommes aperçus qu’il ne s’agissait pas d’une opération de maintien de l’ordre, comme on nous l’avait dit lors de notre incorporation, mais d’une guerre, avec ses horreurs de part et d’autre, que nous vivions très mal. Cette guerre m’a pris 1 095 jours de ma jeunesse.

Quand j’ai quitté l’Algérie, dégagé de mes obligations militaires, le 9 octobre 1961, je n’avais qu’un espoir : que les combats cessent. J’ai vu tomber tellement de camarades… J’ai vu aussi ceux qui tombaient en face… Je voulais que tout cela s’arrête.

Lorsque, un peu plus de cinq mois plus tard, j’ai eu le bonheur d’apprendre que des accords avaient été signés, ce n’est pas de l’humiliation que j’ai ressenti, mais c’est un grand soulagement et, au fond de moi, une grande joie.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Je mets aux voix l’article 1er.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et, l’autre, du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Voici le résultat du scrutin n°18 :

Le Sénat a adopté.

(Non modifié)

Cette journée, ni fériée ni chômée, est fixée au 19 mars, jour anniversaire du cessez-le-feu en Algérie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jean-François Humbert, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Les questions de mémoire sont toujours délicates pour les parlementaires que nous sommes. En effet, les sujets mémoriels sont souvent abordés par le biais de considérations personnelles ou sous la pression de tel ou tel organisme. Certains sont partisans d’une date, d’autres défendent les revendications d’une association, d’autres encore s’activent pour faire reconnaître tel ou tel préjudice commis à l’époque.

Cependant, nous faisons tous le même triste et regrettable constat lors des rassemblements devant les monuments aux morts : peu nombreux sont ceux qui assistent à ces cérémonies, surtout parmi les jeunes citoyens. Bien sûr, cette désaffection progressive pour les commémorations s’explique d’abord par la disparition des derniers acteurs et des témoins directs des conflits mondiaux.

Le devoir de mémoire et la transmission de notre patrimoine historique et de nos valeurs n’ont pas de prix. C’est la garantie des fondements de notre socle républicain. Ces commémorations sont importantes pour notre République, car elles visent à rassembler nos concitoyens afin qu’ils puissent, ensemble, toutes générations confondues, rendre hommage à ceux qui ont sacrifié leur vie pour la défense des valeurs et des idéaux de la France.

Nous qui nous attristons de voir les monuments aux morts désertés, nous sommes en train de nous déchirer à propos d’une date. Il ne nous revient pas d’écrire l’histoire. Le rôle d’un élu n’est pas de jouer de telle ou telle interprétation de l’histoire. Le rôle d’un parlementaire est de participer à la transmission de l’histoire et d’assurer sa compréhension.

C’est aussi en tant que membre de la commission de la culture et de l’éducation que je m’adresse à vous. Pardonnez-moi, mais je serais plus enclin à souhaiter que nos jeunes sachent ce qu’a représenté la guerre d’Algérie pour tous les Français, peu importe leur statut de l’époque, peu importe la rive de la Méditerranée sur laquelle ils ont vécu. Je forme le vœu que ces jeunes apprennent ce que signifie une guerre, afin qu’ils comprennent la chance qu’ils ont de vivre dans un pays en paix, et en profitent ; je me permets d’y insister, car, en 1962, j’étais en classe de CM2. C’est à cette seule condition qu’ils pourront rendre hommage à ceux qui se sont battus pour eux tout au long de l’histoire de France. Je souhaite que nos jeunes connaissent l’histoire, sa réalité, ses affres, ses victoires, ses valeurs, et je souhaite qu’ils n’en aient pas honte. Pour cela, il importe qu’ils en connaissent toutes les dates et leurs symboles.

Quel message adressons-nous aujourd’hui à nos jeunes ? Que signifie l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ? Nos jeunes ne vont-ils pas retenir qu’il est acceptable d’user des règlements intérieurs de nos assemblées pour faire adopter à tout prix une proposition de loi votée il y a dix ans et huit mois par une Assemblée nationale qui a connu deux renouvellements depuis ? Qu’il est judicieux pour l’apaisement des mémoires de voter une proposition de loi qui fait rejaillir des douleurs profondes ? Qu’il est républicain de raviver des clivages au sein du monde combattant ? Qu’il est respectueux d’agir sans une large concertation avec l’ensemble des associations ?

Pour rédiger votre rapport au nom de la commission des affaires sociales, vous n’avez auditionné que quelques responsables d’association. N’était-il pas nécessaire de rencontrer les associations représentatives de l’ensemble du monde combattant, réunies au sein du groupe des douze ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Humbert

Mes chers collègues, depuis l’adoption de cette proposition de loi par l’Assemblée nationale, deux autres textes ont été adoptés. Ils ont été élaborés et votés dans un esprit de consensus ; cela a été rappelé plusieurs fois aujourd’hui.

Monsieur Néri, je regrette que ce soit un point qui nous oppose. Vous imposez la date du 19 mars. Or celle du 5 décembre a été choisie en 2003 ; il existe également une journée nationale d’hommage aux harkis, ainsi que bien d’autres journées commémoratives.

Les lois que je viens d’évoquer permettent le recueillement de nos concitoyens, jeunes et moins jeunes, dans la sérénité et l’apaisement. C’est primordial à une époque où notre jeunesse souffre d’un manque de repères républicains et d’identité. En tant qu’élus, nous avons la responsabilité de créer les conditions d’un rassemblement autour de symboles républicains et d’événements fédérateurs. Nous ne sommes pas sur ces travées pour voter des textes qui divisent, surtout à un moment où la France est en proie au renforcement de communautarismes et de revendications qui tendent à favoriser les extrêmes.

Au risque de déplaire à certains de nos collègues, je citerai une nouvelle fois le Président Mitterrand : « […] s’il s’agit de décider qu’une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie, [….], cela, à mes yeux, ne peut pas être le 19 mars, parce qu’il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple. [….] il convient de ne froisser […] la conscience de personne. »

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Les journées mémorielles du 8 mai et du 11 novembre marquent la fin effective de deux terribles conflits. Elles sont ancrées dans notre mémoire collective comme un véritable moment de soulagement et comme des dates fondatrices pour la paix et la reconstruction. Par contraste, le 19 mars correspond à un arrêt unilatéral des combats du côté français et à l’intensification des exactions du FLN contre la population civile et les militaires français.

Déplacer au 19 mars la commémoration des victimes de la guerre d’Algérie revient à considérer que ce conflit s’est achevé le 19 mars 1962.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

C’est une injure faite à la mémoire des dizaines de milliers de victimes qui ont péri après cette date et pour lesquelles les accords d’Évian sont synonymes du début d’un massacre. Entre 1962 et 1964, plus de 500 soldats français ont été tués ; 80 % des victimes civiles de la guerre d’Algérie, tant harkis que pieds-noirs, ont péri après le 19 mars 1962.

Déplacer au 19 mars la commémoration des victimes de la guerre d’Algérie ouvre aussi la porte aux discriminations entre ceux qui ont combattu avant les accords d’Évian et ceux qui ont continué à servir la France après cette date. Des cartes d’ancien combattant ont d’ailleurs été accordées à des militaires en service en Algérie entre le 19 mars 1962 et le 2 juillet 1962. Vont-ils devoir les rendre, monsieur le ministre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Les accords d’Évian restent, dans de trop nombreuses familles françaises et algériennes, le point de départ d’une double faute des États français et algérien.

S’il est sain qu’un travail d’historien continue d’être mené pour faire toute la lumière sur cette période, il est inopportun de « célébrer » ces accords.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais vous rappeler que le choix du 19 mars, présenté par Alain Néri comme plus cohérent sur le plan historique, ne concerne que l’Algérie et non la Tunisie et le Maroc, pourtant associés à cette journée d’hommage.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Quid d’ailleurs des victimes de la guerre d’Indochine ?

Même en Algérie, c’est non pas le 19 mars, mais le 5 juillet 1962, date à laquelle des milliers de Français ont été massacrés à Oran, qui est officiellement considéré comme la date de fin de guerre, le 19 mars étant, pour les Algériens, la date de leur victoire. Comme cela a été rappelé et répété ce matin, il existe un timbre de la victoire algérienne du 19 mars.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Serait-ce donc une défaite qu’il nous faudrait, nous, Français, célébrer en ce jour ?

Comme l’a si bien exprimé Gérard Longuet, lors de la cérémonie au quai Branly, le 5 décembre 2011, alors qu’il était ministre de la défense :…

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

… « C’est précisément parce que [cette date] n’a pas de fondement historique précis que nous l’avons retenue car elle ne choquera pas les mémoires des familles si lourdement endeuillées et parfois encore si amères. C’est précisément parce qu’elle n’exalte pas ce qui fut une victoire pour les uns, un abandon pour les autres, qu’elle a pour vocation d’établir un lien entre les sensibilités. »

Mes chers collègues, pourquoi donc raviver aujourd’hui les clivages au sein de notre société, alors même qu’elle a, plus que jamais, besoin d’être rassemblée ?

Au-delà de ce débat de date, mon principal motif d’opposition à cet article et, de manière générale, à cette proposition de loi, tient au fait qu’ils tentent une nouvelle fois de nous enfermer dans un passé hautement polémique, au lieu de nous aider à nous appuyer sur une mémoire apaisée pour bâtir l’avenir.

À l’échelon franco-français, l’objectif affiché de la proposition de loi est « la reconnaissance symbolique que la troisième génération du feu, unie par son expérience commune et des souffrances partagées, a servi la Nation au même titre que les générations de 1914-1918 et de 1939-1945 ». Pour ce faire, quoi de plus efficace qu’une journée commémorative commune ? C’est bien ce qui a été décidé dans la loi du 28 février 2012, qui fixe au 11 novembre la journée au cours de laquelle nous rendons hommage à tous les « morts pour la France », d’hier et d’aujourd’hui, civils et militaires, y compris ceux qui sont décédés au cours du conflit en Algérie.

Après cette décision historique, à propos de laquelle je salue l’implication de notre collègue Marcel-Pierre Cléach, instituer une nouvelle journée commémorative indépendante, sans pour autant décider qu’elle soit chômée, comme le sont le 8 mai et le 11 novembre, reviendrait en fait à attribuer une moindre valeur et un moindre mérite à cette troisième génération du feu.

Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Une journée nationale de commémoration n’a de sens que si elle est l’occasion de diffuser un message clair et non équivoque sur les valeurs de notre République et de cimenter notre unité nationale. Elle ne doit pas servir à raviver les polémiques ou à verser dans une repentance excessive qui empêcherait de se tourner vers l’avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Cette proposition de loi nous oblige à nous replonger dans un débat qui avait été réglé entre 2003 et 2005, sans qu’aucun élément historique nouveau justifie un tel réexamen.

Je rappelle qu’en amont du décret du 26 septembre 2003 instituant cette journée nationale d’hommage le refus d’adopter la date du 19 mars et la préférence pour la date « neutre » du 5 décembre étaient le fruit des recommandations…

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

… d’une commission regroupant les principales associations du monde combattant et présidée par l’historien Jean Favier. Ce choix avait été entériné par les parlementaires à l’occasion du vote de la loi du 23 février 2005.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Pourquoi devrions-nous la remettre en cause aujourd’hui ?

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

Le monde des anciens combattants est particulièrement bouleversé depuis que la conférence des présidents du Sénat a inscrit à l’ordre du jour la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Je tiens à vous rassurer, monsieur Néri : non, nous n’avons pas oublié les appelés du contingent ! Mon mari a passé trente-six mois trente-six jours en Algérie. Il y est parti en 1958, pour revenir en 1961. Dans notre village, il n’a d’ailleurs pas été le seul à être appelé. Je pense notamment à l’un d’eux qui y a laissé la vie, et je peux vous assurer que son nom est inscrit sur le monument aux morts, non pas derrière, comme le disait ce matin M. Sueur, mais devant, et nous regrettons fortement son absence.

Pourquoi dix ans après relancer une polémique avec cette proposition de loi qui instaure, dans son article 2, une journée ni fériée ni chômée, fixée au 19 mars, anniversaire du cessez-le-feu en Algérie ?

Pourquoi faire comme si rien ne s’était passé depuis 2002, alors que, vous le savez, car vous êtes un parlementaire aguerri, nous avons fait évoluer la législation dans ce domaine en concertation avec toutes les associations d’anciens combattants, et ce dans le sens de l’apaisement.

Vous donnez l’impression, en présentant de nouveau au Sénat, dix ans après, en termes identiques d’ailleurs, la même proposition de loi, que vous voulez nier les avancées législatives relatives aux commémorations.

Je ne vais pas vous faire l’offense de vous rappeler les textes déjà votés sur ce sujet. Je tiens juste à évoquer la loi du 7 mars dernier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Ce sont les mêmes éléments de langage ! Ce n’est pas très original !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

On ne peut pas faire preuve de beaucoup d’originalité dans ce domaine !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

C’est dommage, je croyais que l’UMP était devenue originale !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

Ce texte, issu d’une proposition de loi de notre ami Raymond Couderc, que j’ai cosignée, portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, a posé le principe de l’interdiction de toute injure envers les harkis. Ces derniers sont nombreux dans notre région et, faut-il le rappeler, ils n’ont pas toujours été bien accueillis.

Je ne peux pas non plus passer sous silence la loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Avec le vote de cette proposition de loi, on va relancer un débat sur la date anniversaire du 19 mars, laquelle ne fait pas l’unanimité chez nos concitoyens.

Cette date ne fait pas l’unanimité d’abord auprès des associations d’anciens combattants. J’ai reçu encore tout à l’heure quarante-trois associations opposées à ce texte ; ce n’est peut-être pas impressionnant, mais cela fait quand même beaucoup de gens qui se manifestent.

Elle ne fait pas l’unanimité, ensuite, auprès des familles ou des descendants de rapatriés, car elle est encore synonyme de douleur et de drame.

Bref, elle ne fait pas l’unanimité auprès de nos concitoyens.

Au lieu de raviver des divisions anciennes, il vaudrait mieux chercher à apaiser les souffrances et éviter de semer le trouble dans les consciences.

Il faut reconnaître qu’une majorité de Français en ont assez des lois mémorielles et de cette mode de la repentance permanente. Cherchons à apaiser les souffrances en réunissant tous les Français, plutôt qu’en les divisant.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

De plus, en période de crise et de difficultés économiques graves, nos concitoyens préféreraient voir le Parlement se saisir, comme hier soir, de problèmes qui les préoccupent au quotidien, plutôt que de relancer des polémiques qui ne font que raviver les tensions au lieu d’aller vers un certain soulagement.

Enfin, cette date est marquée par l’ambiguïté. En effet, le 19 mars est le jour anniversaire non pas de la fin des combats, mais du cessez-le-feu. Cela veut bien dire qu’ensuite la guerre a continué, avec ses atrocités. Les archives disponibles font état, dans les rangs de l’armée française, de 145 tués, de 162 disparus et de 422 blessés, et, chez les harkis, les chiffres varient de 65 000 à 150 000 tués. Aussi, se bloquer sur cette date conduit-il à ignorer ceux qui sont morts ultérieurement.

Pour beaucoup de rapatriés et de militaires de carrière, commémorer le 19 mars reviendrait à oublier l’épreuve de tous nos compatriotes d’Algérie, qui furent livrés à eux-mêmes après cette date et victimes d’un véritable abandon. Je le dis avec gravité, le 19 mars ne fut malheureusement pas synonyme de paix en Algérie.

Cette date est également porteuse d’ambiguïté pour toutes les familles. Elle rouvrirait des blessures et ferait fi de leur douleur, de celle des harkis et des militaires français.

La formulation, elle aussi, est ambiguë, puisque l’article 2 précise que cette journée ne sera ni fériée ni chômée. Alors, quand la commémoration se fera-t-elle ? Si le jour n’est pas férié, avec qui se fera-t-elle ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

Croyez-vous que nos concitoyens vont poser une RTT ?

Je le vois bien, hélas ! pour le 11 novembre ou le 8 mai. Nous avons encore pas mal de monde qui se rend au cimetière ou devant le monument aux morts, parce que les enseignants, les enfants et leurs parents viennent. Mais si ces jours n’étaient pas fériés, il n’y aurait personne !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

C’est parce qu’elle est interrompue ! Continuez, ma chère collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

Une ambiguïté existe, enfin, par rapport à nos principes et à nos traditions de commémoration en France : nous fêtons non pas les défaites, mais les victoires !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

Le 19 mars ne peut pas être une date de recueillement, car ce jour rappelle, hélas ! pour trop de nos concitoyens, le deuil, l’exode, la douleur.

Mes chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, vous choisirez de faire renaître une division profonde entre Français de toutes catégories et de toutes origines. Une telle loi mémorielle, votée par une courte majorité, …

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Bruguière

… serait certes légale, mais elle ne serait pas légitime, faute de consensus national. Seule une mémoire partagée peut renforcer la cohésion sociale.

Pour toutes ces raisons, vous le comprendrez, je ne voterai pas la proposition de loi.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

La date du 19 mars est celle du cessez-le-feu décidé en 1962 lors des entretiens entre le gouvernement français et des représentants du Front de libération nationale algérien, à Évian.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Ces entretiens, s’ils ont décidé le cessez-le-feu de la part de l’armée française, n’ont jamais eu de valeur ni d’application bilatérale.

Les conclusions des entretiens qui se sont déroulés à Évian portent le nom de « déclarations », sans valeur juridique sur le plan international. De plus, elles ont immédiatement été rejetées par les instances dirigeantes de la rébellion, qui ont désavoué les représentants qu’elles avaient délégués à Évian.

La date du 19 mars correspond donc non pas à un accord international, mais à un cessez-le-feu de l’armée française sur le sol algérien, c’est-à-dire à un cessez-le-feu unilatéral.

Traditionnellement, une telle décision s’apparente à un armistice, conduisant à une interruption des combats entre les deux parties et à la mise en œuvre de procédures, destinées notamment à préserver les populations civiles. En l’occurrence, la décision ne fut mise en œuvre que par le commandement français, qui l’imposa à ses troupes, avec la rigueur d’une organisation militaire conventionnelle. L’armée française reçut l’ordre de s’enfermer dans ses cantonnements et de n’intervenir qu’en cas de légitime défense.

Les instances dirigeantes de la rébellion réfugiées à Tripoli n’ayant pas validé le cessez-le-feu, les combattants de la force de libération nationale ont commencé le massacre des civils et de ceux que la France avait désarmés. À partir du 19 mars et jusqu’à l’exode total des Européens d’Algérie, il y a eu plus de victimes d’origine européenne ou algérienne que durant toute la guerre.

Assassinats et enlèvements ont alors connu une virulence accrue : 3 000 pieds-noirs ont été enlevés et jamais retrouvés. Pour la période antérieure, entre 1954 et 1962, on recense 2 788 pieds-noirs tués et 875 disparus, ce qui, en proportion, fut bien moindre. C’est dire le déchaînement de violence qui a suivi cette date du 19 mars 1962. Nombreux sont les harkis – entre 60 000 et 65 000, selon les chiffres officiels, mais certains vont jusqu’à parler de 150 000 –, désarmés par l’armée française, comme le cessez-le-feu l’exigeait, qui ont péri de façon atroce.

La Direction de la mémoire du patrimoine et des archives du ministère de la défense et des anciens combattants a recensé 386 militaires français qui ont trouvé la mort après le 19 mars 1962.

Quelle belle date à commémorer ! Qui peut raisonnablement penser qu’elle correspond à une paix retrouvée pour toutes les familles de ces victimes ?

Imaginez le cynisme et l’horreur…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Peut-être pourriez-vous trouver des termes encore plus forts ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

… que représenterait l’adoption autoritaire de cette date comme journée de commémoration et d’hommage. Ce serait terrifiant pour nombre des familles de ceux qui ont vécu ces conflits.

La société française, plus encore à l’heure de la crise et des replis identitaires, a besoin d’unité, de cohésion et de fraternité. Ne réactualisons pas des conflits qui n’ont plus lieu d’être. Encourageons les liens à se reformer. Apaisons ce que nous pouvons apaiser. C’est notre devoir, et cela passe avant toute autre considération.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Aucun Président de la République n’a voulu commémorer cette date, pas même François Mitterrand.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Sur la problématique du conflit en Algérie, le peuple français manifeste des opinions divergentes et parfois violentes. Les situations sont extrêmement diverses : les enfants de harkis continuent de porter cette identité avec douleur et un profond sentiment d’injustice envers la France, et ce cinquante ans après les événements ; les pieds-noirs se sentent toujours déracinés et éprouvent encore durement le ressenti des populations déplacées ; nombre de jeunes Français nés de parents immigrés algériens se sentent décalés, sont à la recherche d’une identité forte et perpétuent la mémoire du conflit algérien comme une victoire personnelle. Cela existe aussi !

Mes chers collègues, nous avons voté à l’unanimité la loi du 7 mars 2012, déposée à l’origine par notre collègue Raymond Couderc. Ce texte sanctionne pénalement l’injure envers les supplétifs de l’armée française, tant il est vrai que les harkis continuent d’être fréquemment insultés, et avec quelle brutalité, pour s’être battus aux côtés de l’armée française.

Doit-on, après être allé dans le sens de l’apaisement, réveiller des conflits et des sentiments qui n’ont plus lieu d’être, qui sont dangereux et malsains pour la cohésion nationale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Les uns sentiront peut-être monter en eux des bouffées triomphales et trouveront dans le vote de cette proposition de loi une justification supplémentaire à leur mépris envers leurs frères harkis. Ces derniers raviveront inévitablement en eux un sentiment de révolte, d’injustice, d’abandon et de rejet de la part de leurs deux patries d’origine.

Quant aux rapatriés d’origine européenne, ils auront de nouveau le sentiment d’être incompris, bafoués, meurtris dans leur chair.

Nous devons rassembler nos concitoyens et nous ne pouvons jouer avec le feu. J’appelle de tous mes vœux un pacte d’amitié avec l’Algérie. Mais le choix de la date du 19 mars sèmera le trouble et la révolte dans le cœur de nos concitoyens.

Le 19 mars 1962, il n’y eut point d’armistice. Ce fut au contraire le point de départ d’une guerre civile meurtrière. Pourquoi le commémorer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Son temps de parole est fini, monsieur le président !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Ceux qui nous avaient aidés ont péri par dizaines de milliers parce que l’État français les avait désarmés en donnant l’ordre de les laisser sur le territoire algérien.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Je vois que ce que je dis ne vous intéresse pas, monsieur Carrère.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Rappelez-vous que vous avez interrompu M. Fabius cinquante fois quand il lisait la déclaration de politique générale !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Mlle Sophie Joissains. Savez-vous pourquoi ? Parce que M. Fabius fut un acteur d’un drame sanitaire et que je n’ai pas accepté de le voir à cette place !

Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Les pieds-noirs, qui, pour beaucoup, ne connaissaient que la terre d’Algérie où ils étaient nés ont été traqués et tués à partir de cette date. Ils n’étaient pas tous de riches propriétaires terriens. Pensez donc à la mère d’Albert Camus !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

C’est inacceptable, surtout qu’elle est hors sujet !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Que l’Algérie célèbre son indépendance ce jour-là, je peux le comprendre. Mais cette date ne correspond ni à un armistice ni à la fin de la guerre. Encore une fois, les accords d’Évian n’ont pris fin qu’après l’exode et les tueries.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Mlle Sophie Joissains. Que l’Algérie commémore la mémoire de ses victimes et célèbre sa victoire à cette date paraît logique. Mais la France n’est pas l’Algérie. À cette date, des Français, musulmans comme non-musulmans, se sont fait massacrer et il n’y a pas de quoi nous réjouir ni honorer les déclarations du 19 mars. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam et M. Christian Cointat applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Monsieur le président, si Mme Joissains ne retire pas immédiatement ses propos, nous serons obligés de quitter la séance. Ce qu’elle vient de faire, en portant un tel jugement de valeur sur un ancien Premier ministre, est inadmissible !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

J’imagine, madame, que vos propos ont largement dépassé votre pensée. Si vous ne les retirez pas, pour ce qui nous concerne, le débat s’arrête là.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Vos propos engagent votre groupe. J’attends une réaction du président du groupe UMP ou de celui qui le remplace.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Je demande donc à celui ou à celle qui représente officiellement le groupe UMP de dire ce qu’il pense des propos de Mme Joissains. Ceux-ci engagent-ils le groupe auquel elle appartient ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Oui, merci, monsieur le président.

Vous m’avez interrompue, monsieur Carrère, en me posant une question qui n’avait absolument rien à voir.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Non, je ne vous ai pas posé de question, c’était une affirmation !

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Si, vous avez justifié vos interruptions en me posant une question implicite. Je vous ai répondu, mais il est évident que ces propos ne concernent que moi. J’ai exprimé une conviction, non sur le PS en général, mais sur un homme en particulier.

Je me dois de le dire, le groupe UMP n’y est pour rien. Je ne suis pas du tout certaine qu’un autre de ses membres partage mes convictions car je n’en ai parlé avec personne. Je n’étais donc pas le porte-parole de mon groupe au moment où je vous ai dit le fond de ma pensée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’incident est clos.

La parole est à Mme Christiane Kammermann, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Avant tout, je regrette profondément le climat dans lequel nous avons à examiner cette proposition de loi, car les modifications de l’ordre du jour nuisent à la concorde nécessaire à un tel débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Merci de cette remarque. Mais attendez votre tour, vous allez voir !

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Monsieur Carrère, sur des sujets aussi graves, peut-être pourriez-vous être correct.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Je ne comprends vraiment pas votre réaction. Sur cette question, il y va de l’honneur du Sénat et de la France !

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Gillot

On a vu à quel niveau certains plaçaient l’honneur du Sénat !

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Depuis cinquante ans, le sujet demeure plus que sensible et provoque, de toutes parts, tant en France qu’en Algérie, des réactions épidermiques.

Quoi que l’on en pense, le choix de la date du 19 mars restera, dans nombre de familles de militaires et de rapatriés, un traumatisme. L’officialiser reviendrait à graver dans le marbre la douleur et les déchirements de milliers de harkis.

À mon sens, notre devoir, en tant que responsables politiques élus, c’est non pas de raviver de telles blessures, mais de créer les conditions du rassemblement de nos concitoyens dans la sérénité, l’apaisement et, surtout, le respect de tous.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Y compris à l’endroit d’un ancien Premier ministre !

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Dans une république démocratique, il est primordial que chacun puisse adhérer pleinement au patrimoine historique de son pays. À cet égard, je tiens solennellement à rendre hommage à toutes les associations d’anciens combattants, qui, au quotidien, participent à la transmission de notre patrimoine mémoriel, notamment auprès des jeunes. Sur tout le territoire français, dans les grandes villes, dans les plus petites communes rurales, mais aussi à l’étranger, ces associations garantissent l’accomplissement du devoir de mémoire et la transmission des valeurs sur lesquelles repose le socle républicain.

Plus que jamais, notre pays et nos jeunes ont besoin d’être rassemblés autour de symboles forts et porteurs des valeurs de la République. Nul besoin, en ces temps ô combien difficiles pour tant de jeunes en quête d’identité, d’ajouter des troubles et d’accroître les clivages.

Croyez-moi, mes chers collègues, en tant que sénateur des Français établis hors de France, pour avoir vécu à Beyrouth la guerre du Liban, pays déchiré hier et encore aujourd’hui par la guerre et son souvenir permanent, je sais que nous devons être vigilants face à l’exhortation du passé.

À agiter des symboles ou des souvenirs qui ne recueillent pas de consensus national, à quoi allons-nous aboutir ? Que se passera-t-il devant nos monuments aux morts, où toutes les générations du feu doivent être honorées pour le sacrifice rendu à la nation ?

Monsieur le ministre, lors de votre dernière audition devant la commission des affaires sociales, vous avez déclaré vouloir cesser de faire des distinctions entre les générations du feu, soulignant que toutes ont leurs « spécificités » et qu’elles « composent avant tout l’histoire de notre pays ».

Nous ne pouvons que nous féliciter de vos propos. Mais, en soutenant ce texte, vous cédez aux exigences de votre homologue algérien, qui, le 30 octobre dernier, a souhaité de la France « une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre par le colonialisme français ». Pourquoi ?

Le jeudi 25 octobre dernier, vous en appeliez à la sagesse du Sénat. La raison sénatoriale doit-elle fluctuer en fonction des injonctions depuis l’étranger ? Ce serait manquer de responsabilité, et cela au plus haut niveau de l’État.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Surtout, permettez-moi d’appeler votre attention sur la situation en Algérie et, plus généralement, en Afrique du Nord. Le vent des printemps arabes souffle encore sur tout le Maghreb.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Nul ne peut nier que les braises des révolutions en Tunisie et en Égypte ont ébranlé les démocraties voisines.

C’est valable pour l’Algérie, où la succession du Président Bouteflika est ouverte. Chacun, ici, doit bien mesurer et tenter d’envisager le climat politique qui règne dans ce pays, où, déjà, les grands leaders politiques sont entrés en campagne. D’ailleurs, en commission, il aurait été intéressant de prendre l’attache du groupe d’amitié France-Algérie sur la question du 19 mars.

Monsieur le ministre, vous avez déclaré dans une interview, le 21 octobre : « Il ne faut pas être dans une course qui soit perçue comme une provocation et ravive les conflits. » Alors, mes chers collègues, je vous le demande, que faisons-nous ici même ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Si la France et l’Algérie doivent tourner la page et écrire un nouveau chapitre de leur relation, cela ne peut se faire en sacrifiant les mémoires d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

C’est parce qu’il est l’heure de conclure !

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Kammermann

Mme Christiane Kammermann. Il s’agirait plus, pour de vrais responsables politiques, de trouver de nouvelles synergies entre nos deux pays plutôt que d’emprunter le chemin d’une repentance qui paralyse l’avenir de nos pays et entretient des rancœurs tout à fait stériles.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

J’ai écouté attentivement les différents orateurs, en particulier ceux de l’opposition. J’ai été très frappé par la manière dont ces derniers abordent le débat. Ils en appellent au consensus, à une approche apaisée de notre histoire et de ses événements. Pourtant, ils ne cessent d’en faire une description extrêmement brutale, parfois presque violente. Nous venons d’en avoir un exemple avec l’intervention malheureuse de Mme Joissains, qui a à ce point déplacé le débat qu’elle est allée jusqu’à mettre en cause un ancien Premier ministre, ce qui n’avait rien à voir.

Au fond, cette attitude montre une perte de sang-froid ; elle traduit bien une évolution que je ne peux pas manquer de pointer à l’attention de tous ceux qui siègent sur les travées de l’opposition et qui sont fidèles à une mémoire, celle de la nation et du gaullisme.

Au cours du débat, certains ont parlé de la guerre d’Algérie comme s’ils nourrissaient le regret de la perte de la puissance et de l’influence coloniales de la France, …

Debut de section - PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

… comme s’ils nourrissaient le regret d’une époque où la France pensait construire son avenir sur l’oppression d’un peuple.

Beaucoup ont dit que commémorer le 19 mars reviendrait à célébrer une défaite. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Le 11 novembre, par exemple, nous commémorons non pas une victoire, mais la fin d’une guerre, qui a représenté un moment terrible pour tous ceux qui ont été impliqués entre 1914 et 1918 ; cette guerre a saigné nos nations, nos peuples et mis l’Europe à genoux, et nous en ressentons encore aujourd’hui les effets.

En faisant référence à la date du 19 mars 1962, dont nous voulons célébrer le souvenir, nous n’évoquons ni une victoire ni une défaite ; nous saluons l’acte courageux pris par un gouvernement et un Président de la République, approuvé par l’essentiel de la représentation nationale, pour mettre un terme à un conflit choquant et qui n’avait plus aucun sens.

Comme cela a été très bien dit par l’un de nos collègues, évoquant les événements auxquels il avait lui-même participé, la date du 19 mars 1962 mérite d’être commémorée parce qu’elle marque, au fond, la libération des peuples de l’emprise coloniale qui avait débouché sur une guerre et un affrontement sans issue.

Si vous parlez de défaite, comme l’a fait M. Legendre, si vous entrez dans cette logique, alors, vous remettez en cause non seulement la lecture que font la majorité des Français de cette période, mais également celle que faisait le général de Gaulle.

Ce qui m’inquiète dans l’approche qui est la vôtre, c’est de voir peu à peu s’éloigner de vous la mémoire du gaullisme de la Résistance, la mémoire de la guerre pour libérer notre pays et reconstruire la République – sur des bases que l’on peut discuter, mais qui étaient tout de même celles de la démocratie – et de voir resurgir une mémoire de la revanche, qui distincte entre les Français, entre les peuples, entre les nations pour distiller toujours la même idéologie, celle de la haine et de l’affrontement. Ce n’est pas là l’apanage d’une France rassemblée, d’une France démocratique.

Prenez garde à l’évolution vers laquelle certains d’entre vous essaient de vous amener.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. François-Noël Buffet, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

J’ai du mal à accepter ce qui a été dit par notre collègue Jean-Jacques Mirassou, qui a laissé entendre que, du côté gauche de l’hémicycle, il y avait à la fois lucidité, intelligence et sincérité, ….

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

… ce qui donne à penser que, de notre côté, ces qualités n’existent pas.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Cela étant, je rappelle à notre collègue Gaëtan Gorce que le référendum organisé à la demande du général de Gaulle portait sur l’autodétermination de l’Algérie et que les Français ont massivement répondu oui. Il n’y a donc plus à discuter de ce sujet, et ce n’est d’ailleurs pas le débat d’aujourd’hui.

Dans la commune dont je suis maire depuis quinze ans, il existe un square du 19 mars. Voilà quelques années, nous y avons d’ailleurs érigé un petit monument avec l’association locale de la FNACA, et je me rends à toutes les manifestations.

J’écoutais M. le rapporteur dire tout à l’heure qu’il n’y a plus personne, en tout cas, peu de monde aux manifestations patriotiques et que seules les manifestations du type de celles dont nous parlons aujourd’hui regrouperaient une présence nombreuse. Or sachez, mes chers collègues, que la cérémonie du 11 novembre est toujours un succès dans ma commune. Tous les anciens combattants sont là, d’où qu’ils viennent, parce qu’ils sont frères d’armes. En revanche, pour les cérémonies du 19 mars, il y a moins de monde parce que les anciens combattants, volontaires ou non, portent un regard un peu différent sur la façon dont se sont déroulés ces événements.

Comme élu local, j’ai toujours veillé à ce que l’unité soit assurée et à ce que chacun, au cours de ces manifestations, puisse dire ce qu’il avait envie de dire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

C’est bien ! C’est pour cela que vous avez été réélu !

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

C’est le souci normal de rassemblement de la part d’un élu qui, de surcroît, a eu la chance de ne pas avoir été engagé dans un conflit.

Comme l’a rappelé M. Guerriau, choisir une date qui va engager la nation alors qu’une partie de ceux qui ont participé à ces événements sont fortement divisés pour toutes les raisons évoquées précédemment, y compris reconnues par vous-même – et c’est tant mieux, d’ailleurs ! –, c’est prendre le risque de diviser. Or, en tant qu’élus, notre rôle, quelle que soit la vision que nous pouvons avoir des choses, est d’assurer l’unité, et cette unité est absolument nécessaire.

En forçant le passage à tout prix, …

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

M. François-Noël Buffet. … de surcroît dans des conditions constitutionnelles rappelées à plusieurs reprises, vous allez semer la discorde. C’est regrettable !

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’amendement n° 3 rectifié, présenté par Mme Garriaud-Maylam, M. Retailleau et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Je retire cet amendement pour les raisons déjà exposées par notre collègue René Garrec.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’amendement n° 3 rectifié est retiré.

La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote sur l’article 2.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Je ne vous cacherai pas que ce débat me laisse un goût amer. Peut-être suis-je un peu trop vieux jeu, mais, pour moi, le devoir de mémoire envers ceux qui sont morts au champ d’honneur doit engager la nation tout entière et se dérouler dans la dignité, la sérénité, le calme.

« Le vrai tombeau des morts, c’est le cœur des vivants », disait Cocteau. Si l’on veut que les vivants rendent véritablement hommage aux morts, encore faut-il que leur cœur soit serein. Tel n’est pas le cas avec ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Non, la démocratie, c’est une voix de plus. L’hommage aux morts doit être rendu non pas par une partie de la France, mais par la nation réunie.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Peu importe ! Le problème n’est pas là. Il est dans l’unité qui fait défaut.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Je dois dire que j’ai trouvé tous les arguments, qu’ils viennent de gauche ou de droite, honorables.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Chacune des interventions contenait des éléments particulièrement pertinents. Mais, qu’on le veuille ou non, même si la date du 19 mars était la plus légitime, on est obligé de constater qu’elle ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut. Comment voulez-vous rendre hommage à ceux qui sont morts si la date retenue crée des conflits ? Ce n’est pas convenable !

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

M. Christian Cointat. Pour la seule et unique raison que cette date, ou une autre d’ailleurs, ne recueille pas le consensus dont nous avons besoin pour rendre hommage à ceux qui sont morts pour nous, je voterai contre l’article 2.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Parlementaire depuis de nombreuses années, j’ai, de plus, le privilège de présider une commission au Sénat.

Sachez, mes chers collègues, que je n’ai pas d’attachement plus fort que celui qui me lie à la démocratie et, dans une démocratie, je n’ai pas trouvé de meilleur système que le suffrage universel, que le vote. Or sanctionner un débat, dont il vient d’être dit qu’il avait été honorable et étayé par de bons arguments – je partage d’ailleurs cette analyse –, par un vote est tout à fait représentatif de la démocratie.

Être minoritaire ou majoritaire à l’issue du vote ne me posera pas de problème. Je n’aurai donc pas d’état d’âme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

M. Jean-Louis Carrère. Telle est ma conception de la démocratie !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Monsieur Carrère, qui conteste votre conception de la démocratie ? Nous la partageons tous !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Elle vote les lois qu’elle entend voter. Personne, ici, ne pourrait avoir la moindre divergence avec vous sur le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mais vous n’avez eu de cesse de dire que le 19 mars était une date consensuelle permettant de rassembler les Français pour célébrer la mémoire de nos compatriotes tombés au champ d’honneur. Nous, nous nous bornons à vous répondre que cela est faux.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous ne doutons pas de vos bonnes intentions, mais il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions pour que la réalité s’y plie.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Or, la réalité, quelle est-elle ? Vous ne l’avez pas niée non plus ! La réalité, c’est celle de la division autour de la date du 19 mars.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous n’effacerez pas cette division en adoptant cette loi qui s’imposera, en effet, à tous. En tout cas, vous ne pouvez pas à la fois voter ce texte et prétendre qu’il va faire l’unité des anciens combattants. En disant cela, je me contente de faire un constat, sans porter de jugement.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

M. Philippe Bas. Je crois que vous commettez une erreur en voulant faire passer en force le choix du 19 mars, qui est une date de division et non de consensus et de rassemblement.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Avant de procéder au vote sur l’article, je tiens à saluer M. le ministre de l’intérieur, qui nous fait l’honneur d’assister à ce débat qui prend quelque retard. Mais on ne consacre jamais trop de temps à la démocratie…

Je mets aux voix l’article 2.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et, l’autre, du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Voici le résultat du scrutin n° 19 :

Le Sénat a adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point concernant le scrutin public n° 18 portant sur l’article 1er.

En effet, Mme Leila Aïchi souhaitait s’abstenir sur cet article et M. Jean-Vincent Placé voter pour.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Robert Tropeano, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Tropeano

En 2002, grâce à la ténacité de plusieurs familles politiques, dont celle des radicaux de gauche, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Aujourd’hui, au Sénat, nous sommes face à nos responsabilités. Pour ma part, je considère qu’il est temps de dépasser le tabou, le déni, le silence que l’État a trop longtemps entretenu sur la question de la guerre d’Algérie.

À l’échelon local, nous sommes nombreux à avoir choisi depuis longtemps la date du cessez-le-feu pour rendre hommage à tous les acteurs, à toutes les victimes de ce conflit. Chaque année, le 19 mars, dans de nombreuses communes, notamment la mienne, les élus et les associations d’anciens combattants laissent de côté les clivages et les passions pour permettre ce rassemblement du souvenir.

Oui, c’est vrai, les hostilités se sont malheureusement poursuivies après le 19 mars 1962. Personne ne souhaite oublier les blessures indélébiles infligées aux rapatriés et aux harkis. Terre natale pour les uns, terre ancestrale pour les autres, l’Algérie est encore une plaie ouverte pour beaucoup d’entre eux. On peut et on doit le comprendre. À mon sens, le choix du 19 mars ne retire rien au respect que la France leur doit éternellement.

Désormais, il faut avancer pour acter la réconciliation nationale. C’est l’objectif tacite de la proposition de loi.

Cette réconciliation, nous la devons tout d’abord à la troisième génération du feu, qui a besoin de se retrouver, de se rassembler autour d’une date symbolique ayant du sens et rappelant son retour définitif en métropole. Tous les anciens combattants qui ont été marqués dans leur chair et dans leur cœur par un conflit qui leur était à l’époque souvent étranger, mais néanmoins imposé par le sens du devoir, attendent désormais depuis trop longtemps.

Cette réconciliation, nous la devons aussi aux jeunes générations. Nous, leurs aînés, avons la charge de garantir la transmission d’une mémoire de vérité dépassionnée et objective. Cette exigence que nous devons toujours avoir pour l’histoire de notre pays est aussi, en l’espèce, le moyen de ne pas laisser naître de nouvelles incompréhensions, qui se manifestent parfois là où on ne les attend pas.

Enfin, cette réconciliation, nous la devons aussi à l’Algérie contemporaine. Un passé assumé est la condition de l’approfondissement des relations entre Alger et Paris. Cela vaut dans les deux sens. C’est d’ailleurs le vœu du gouvernement actuel, comme l’a récemment rappelé François Hollande à Dakar. C’était déjà celui de François Mitterrand, lorsqu’il déclarait à Alger, le 1er décembre 1981 : « Le passé est le passé. Regardons maintenant et résolument vers l’avenir. »

Mes chers collègues, en 1999, la guerre d’Algérie a retrouvé son nom. En votant cette proposition de loi aujourd’hui, cinquante ans après ce conflit, nous lui rendons sa mémoire, une mémoire dépouillée de ses traumatismes et commune à toutes les victimes, qu’elles soient militaires ou civiles.

Je rappellerai pour conclure, à la suite de Jean-Jacques Mirassou et de notre rapporteur Alain Néri, que c’est notamment grâce aux appelés du contingent, et à la demande du général de Gaulle, que le putsch d’avril 1961 fomenté par un quarteron de généraux n’a pas abouti. Comme notre collègue René Garrec, je faisais partie de ces appelés d’Algérie qui ont passé vingt-huit mois dans les Aurès.

Oui, ces appelés ont sauvé nos institutions républicaines, et ce serait leur rendre hommage que de reconnaître le 19 mars comme date officielle de la fin de la guerre d’Algérie ! Aussi, le RDSE votera-t-il majoritairement pour cette proposition de loi.

Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Hélène Lipietz applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Lipietz

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à mes yeux, ce texte a uniquement pour objet de rendre un hommage. Il ne supprime pas celui du 5 décembre, comme d’aucuns l’ont laissé penser, mais en ajoute simplement un nouveau, celui du 19 mars.

Pour l’instant, que se passe-t-il ? Seuls ceux qui se retrouvent le 5 décembre ont droit au drapeau et à la présence de M. le préfet ou de Mme la préfète. Ceux qui se retrouvent le 19 mars n’ont droit, quant à eux, qu’à leurs seuls souvenirs. Ils peuvent certes se recueillir devant le monument aux morts, qui est un lieu public, mais ils n’ont pas droit au décorum bouleversant de la cérémonie à laquelle nous avons assisté ce matin au Sénat, par exemple.

J’estime que cette proposition de loi n’encombrera pas notre calendrier. Notre histoire est déjà tellement encombrée de guerres gagnées ou perdues ! Comment intégrer en 365 jours une histoire de plus de 1 300 ans ? Nous n’aurons jamais assez de jours pour rappeler avec le poète Jacques Prévert « Quelle connerie la guerre ! »

Je voterai cette proposition de loi, avec onze autres sénateurs écologistes, pour que tous puissent se recueillir à une date qui fasse sens.

Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tout a été dit sur ce texte. Il n’en demeure pas moins que les positions des uns et des autres, malgré le temps consacré à ce débat, n’ont pas beaucoup évolué.

Le groupe UMP votera contre ce texte, à l’exception de quelques collègues. Je veux le rappeler, nous tenons à ce qu’il reste primordial pour notre République de rassembler nos concitoyens autour de notre patrimoine historique et mémoriel, sans clivage et surtout sans offense.

En conclusion, nous souhaitons rendre hommage aux associations qui continueront à honorer la mémoire de tous ceux ayant fait le sacrifice de leur vie pour la nation et le souvenir de toutes les générations du feu de 1918 à nos jours.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

À l’issue de ce débat passionné, et parfois passionnel, mais en tout état de cause de bonne tenue, à quelques exceptions près, le groupe socialiste tient à réaffirmer que le 19 mars est une date mémorielle incontournable de notre pays. À cela, deux raisons : la troisième génération du feu le mérite et c’est la première fois depuis un demi-siècle que notre pays n’est pas engagé dans une guerre.

Une fois la précaution prise d’associer, dans un geste de solidarité et de compassion, toutes les victimes qui ont eu à subir les exactions postérieures au 19 mars, nous pouvons établir une ligne de partage entre ceux qui s’apprêtent à voter ce texte avec sincérité et ceux qui ne le voteront pas. Ceux-là donnent l’impression d’être animés par une forme de nostalgie, le désir d’entretenir une ambiguïté que nous déplorons tous.

Nous faisons, pour notre part, le pari de l’avenir. Dès l’instant où cette date sera inscrite dans le patrimoine mémoriel de notre pays, rien ne s’arrêtera pour autant, mais cela servira peut-être d’outil éminemment pédagogique aux jeunes générations, qui méritent de connaître la vérité sur l’histoire de notre pays.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste votera ce texte de loi avec sincérité et détermination.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je voudrais, pour conclure ce débat, réfuter les arguments que nous avons entendus tendant à opposer à la date du 19 mars celles du 5 décembre et du 11 novembre. Selon nous, ces deux dernières dates ne sont pas légitimes s’agissant de la guerre d’Algérie.

Le 5 décembre est une imposture due au hasard d’un calendrier, fût-il celui d’un Président de la République. J’estime que toutes les victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie méritent une date ayant un lien avec ce qu’elles ont vécu. Vous le savez, une date qui n’a pas de sens ne mobilise pas, ne procure de réconfort à personne, ne sert pas la mémoire.

Quant au 11 novembre, je vous en prie, laissons-le aux héros et victimes de la Grande Guerre. Ne mélangeons pas tout !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

L’ancien gouvernement nous a fait adopter à la sauvette un projet de loi, qui plus est en procédure accélérée, prévoyant de rendre hommage à tous les morts pour la France à l’occasion du 11 novembre, jour anniversaire de l’armistice de 1918. Ce texte était prémédité pour faire obstacle à l’adoption de la date du 19 mars et pour en venir au bout du compte à une date unique dont certains souhaiteraient l’avènement.

En confondant les mémoires et les événements, en amalgamant des engagements qui n’ont pas la même portée historique et humaine, le risque est grand d’aboutir à une vision aseptisée de l’histoire et de la mémoire collective, qui ne permette plus de comprendre le passé ni de construire lucidement l’avenir.

S’agissant du 19 mars, j’affirme que les auteurs de la proposition de loi dont nous défendons l’adoption ne prétendent en aucun cas privilégier certaines catégories de victimes ou instaurer une sorte de hiérarchie dans la perte, la mort, la souffrance. Les historiens s’accordent sur le fait que cette guerre aura fait 25 000 morts et 65 000 blessés dans les rangs de l’armée française, essentiellement composée d’appelés du contingent, des dizaines de milliers parmi les harkis, 150 000 morts dans les rangs du FLN et de l’ALN. La population française ne fut pas épargnée et la population algérienne paya le lourd tribut de 300 000 à 400 000 victimes. Je n’omettrai pas non plus les psychotraumatismes de guerre, non pris en compte et non traités, qui ont durablement marqué nos jeunes appelés – toute une génération ! – dès leur retour en France.

Je souhaite enfin évoquer les victimes de l’OAS, dont le symbole est pour moi le commissaire central d’Alger, M. Roger Gavoury, assassiné le 31 mai 1961 par les sicaires de cette association criminelle et antirépublicaine. Son fils Jean-François Gavoury, présent dans les tribunes, a relevé le flambeau et se bat avec une ténacité qui force l’admiration pour faire reconnaître le tribut payé par les forces de l’ordre durant la guerre d’Algérie pour que ne soit pas occultée, comme elle l’est souvent, la responsabilité de l’OAS dans les événements de l’après-19 mars, et enfin pour que les nostalgiques, revanchards et autres tenants de l’Algérie française ne réécrivent pas impunément l’histoire et n’érigent pas des mausolées aux bourreaux.

Toutes ces victimes, à des titres divers, méritent une date unique pour se recueillir et panser leurs plaies. La mémoire a besoin d’un point d’ancrage.

Des deux côtés, des exactions furent commises après le 19 mars 1962, nous en sommes tous d’accord. De même, il y eut des victimes à déplorer après le 11 novembre 1918 et le 8 mai 1945.

Je suis convaincu que toutes les familles de victimes civiles ou militaires peuvent se recueillir et se souvenir à la même date, si celle-ci est véritablement en lien avec les événements vécus. Sauf peut-être ceux qui attisaient les braises et ne voulaient pas la fin de cette guerre…

Oui, en vertu de ce parallélisme des formes, le 19 mars est, qu’on le veuille ou non, la date que l’histoire légitime ! Le 19 mars doit être la date de la troisième génération du feu, et c’est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen adoptera cette proposition de loi identique à celles qu’il avait si souvent déposées sur le bureau de notre assemblée par le passé.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mes chers collègues, notre devoir, à nous, parlementaires, est de maintenir la cohésion sociale de notre nation, certainement pas de recréer artificiellement des divisions et des tensions qui n’ont pas lieu d’être.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Un consensus avait été obtenu sur la date du 5 décembre. Les débats d’aujourd’hui prouvent que la date du 19 mars est polémique, qu’elle est clivante, …

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

… alors même que c’est toute notre nation qui devrait se retrouver autour de telles dates.

Par ailleurs, trop de soupçons pèsent sur la procédure législative. Si vous teniez tant à cette proposition de loi, vous auriez dû à tout le moins l’amender pour pouvoir la soumettre à l’Assemblée nationale, …

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

… car se pose une véritable question de constitutionnalité et de légitimité, que nous soumettrons, je l’ai déjà annoncé, au juge constitutionnel.

En persévérant à priver l’Assemblée nationale de débats, vous ferez peser éternellement un soupçon d’illégitimité sur ce texte que vous prétendez pourtant capital. Une telle méthode n’est pas respectueuse du fonctionnement de notre démocratie et de notre Parlement.

Comme l’avait dit un de nos anciens Premiers ministres lors de la discussion d’une autre proposition de loi sur le droit de vote des étrangers, vous créez « un brouillage démocratique…

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

… qui affaiblit la cohérence politique de nos institutions », ce qui « pose un problème au regard de la clarté démocratique ».

Sur le plan de nos liens avec l’Algérie, il me semble primordial de ne pas faire de la mémoire de la guerre l’alpha et l’oméga de notre relation bilatérale. L’histoire de nos deux pays est certes entachée de beaucoup de sang – l’assassinat des moines de Tibhirine en a été un nouvel épisode tragique –, …

Debut de section - Permalien
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste

Ça n’a rien à voir !

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

… mais il est indispensable de tourner la page et d’adopter une attitude constructive. Sinon, où s’arrêtera la surenchère ?

Monsieur le ministre délégué, votre affirmation selon laquelle la France ne céderait pas aux exigences de repentance m’a beaucoup frappée ; vous avez été très applaudi de notre côté de l’hémicycle, et j’espère vraiment que vous continuerez en ce sens, car nous avons trop souffert !

L’Algérie est toujours largement francophone et compte aujourd’hui près de 30 000 Français, dont de très nombreux double-nationaux. C’est dire si nos destinées sont liées. Plutôt que de nous appesantir sur un passé douloureux, tournons-nous davantage vers l’avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Développons nos relations commerciales, étoffons notre coopération culturelle, ouvrons des écoles, nouons un traité d’amitié, préalable indispensable à l’établissement d’un partenariat stratégique, rendu particulièrement urgent face aux menaces régionales, notamment à celles que fait peser Al-Qaïda au Maghreb islamique.

Concentrons-nous sur les véritables enjeux au lieu de nous perdre en polémiques stériles et trop longtemps ressassées. Je doute fort que l’adoption d’une telle proposition de loi nous aide à faire progresser les négociations sur la sécurité au Sahel…

Oui, monsieur Fischer, nous avons besoin d’une date unique de recueillement à la mémoire de toutes les victimes, mais que ce ne soit pas une date qui marque l’intensification des exactions et des meurtres !

Au lieu d’ailleurs de perdre notre temps et de nous diviser pour instituer une date autre que celle, déjà choisie, du 5 décembre, ne ferions-nous pas mieux de nous préoccuper un peu plus des revendications légitimes de nos anciens combattants et de leurs associations ? Beaucoup se plaignent qu’il n’y ait pas de mesures nouvelles, pas de réponses aux demandes d’amélioration par ces associations pour les anciens combattants et pour leurs veuves dans le projet de budget.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Ce serait un beaucoup plus beau combat, dans lequel nous pourrions nous engager ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Par respect pour la mémoire des victimes, si nombreuses après le 19 mars, en particulier des harkis, qui ont tellement souffert dans leur chair et tant donné pour la France, je trouve inconcevable d’adopter la présente proposition de loi. Je vous engage, mes chers collègues de la majorité, à examiner en votre âme et conscience – il en est encore temps ! – s’il vous faut voter un texte qui ne fait que créer de la division, et en créera encore, ou au contraire y renoncer dans l’intérêt de tous, pour la sérénité, pour notre pays et pour la mémoire de toutes ces victimes.

Applaudissements sur les travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, peut-on légiférer sur la mémoire ? Telle est la question sous-jacente dans la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Il semble que, au lieu d’y répondre, le débat sème de nouvelles embûches à la réconciliation des peuples.

Une telle conception, si l’on n’y prend pas garde, pourrait nous mener à une certaine forme de relativisme historique, fût-ce pour des motivations louables. Mais, au-delà des discussions attachées aux questions de dates et de catégorisation, il s’agit, plus fondamentalement, d’une question de philosophie politique.

Le pouvoir ne doit jamais « dicter » l’histoire, fût-ce, je le répète, pour des raisons considérées comme louables. La sphère publique et l’histoire en tant qu’objet scientifique doivent rester, autant que faire se peut, indépendantes l’une de l’autre.

Certes, il est nécessaire de comprendre le passé. Il s’agit là d’une démarche essentielle dans la vie des sociétés humaines. En effet, la mémoire collective est le lien qui doit transcender les différences sociales, culturelles, ethniques et religieuses au sein de la cité et permettre le vivre-ensemble, même s’il faut évoquer les pages douloureuses ainsi que les épisodes tragiques.

Il est vrai que l’histoire des relations entre la France et l’Algérie est complexe, souvent conflictuelle et toujours passionnelle. Mais la période allant de 1830 à 1962 est encore trop fréquemment une pomme de discorde entre les deux rives de la Méditerranée.

Il n’est donc nul besoin « d’en rajouter », si j’ose m’exprimer ainsi, à l’heure où nous avons besoin de construire un solide partenariat avec les nations du Maghreb, aussi bien sur le plan économique que stratégique, avec toute la problématique de la sous-région sahélienne.

Dans cette perspective, il semble évident que la résolution de la crise malienne ne peut intervenir sans la coopération des États frontaliers, en particulier de l’Algérie.

Mes chers collègues, je sais bien qu’aujourd’hui les lois mémorielles semblent plébiscitées dans la mesure où elles apporteraient une forme d’apaisement aux victimes des tragédies qui, hélas ! scandent l’histoire. Cependant, il nous faut distinguer deux notions parfois employées de façon interchangeable et souvent abusive. Je veux parler des concepts de « mémoire » et d’« histoire ».

La mémoire se rapporte à l’individu. Elle est, par définition, subjective, donc émotionnelle. L’histoire est une science dont l’objet est l’étude des faits du passé se rapportant à une société. Se voulant la plus objective possible, elle s’appuie sur la raison.

En tant que personne, j’ai le plus grand respect pour la mémoire de chacun.

En tant qu’élue de la nation, je suis opposée à toute forme d’instrumentalisation de l’histoire. Un tel enjeu, si important dans la vie des peuples, ne peut être l’otage de considérations pouvant être perçues comme politiciennes ou électoralistes.

L’histoire est d’abord et avant tout l’affaire des historiens, tandis que seuls de longs débats peuvent apporter des réponses apaisées à des questions par essence ambiguës et antagoniques. Les historiens nous fournissent des instruments de réflexion, produisent des résultats et des questionnements qui ne s’acquièrent pas autrement.

Gardons-nous donc de trop vouloir régir les mémoires nationales ou locales, même si nos intentions sont nobles – et je ne doute pas un instant de la sincérité des propos et des convictions de notre rapporteur.

Même si nos intentions sont nobles, disais-je, je pense qu’il est très discutable, d’un point de vue historique et méthodologique, de placer sous une même date, soit la date du cessez-le-feu en Algérie à la suite des « accords d’Évian », une reconnaissance concernant trois conflits bien distincts, couvrant des réalités significativement différentes. Je vous rappelle d’ailleurs que les violences ont continué bien après cette date, et cela de part et d’autre.

Pourquoi, dans ce cas, ne pas pousser la logique jusqu’au bout ? Pourquoi ne pas aussi intégrer les morts de la guerre d’Indochine ? Si une date unique doit être choisie, alors qu’elle ne le soit pas en référence à un fait historique et, surtout, qu’elle ne fasse pas polémique au sein des communautés.

Ce qui me gêne cependant le plus et me pose problème, c’est l’indifférenciation entre les victimes civiles et militaires.

Il me semble illégitime, voire dangereux, de mettre sur un pied d’égalité des acteurs civils et militaires qui constitueraient, dans cette optique, une masse indiscriminée.

Peut-on, mes chers collègues, décemment comparer, d’une part, les morts de l’OAS et, d’autre part, les pertes civiles, les combattants du FLN, les jeunes hommes du contingent tombés pour une cause détestable – oui, une cause détestable – ? Je ne le crois pas.

Cette confusion est, à mes yeux, potentiellement dommageable et a longtemps perturbé la normalisation des rapports entre la France et les États du Maghreb, en particulier l’Algérie. Mais, au-delà, elle est également un sujet de tensions dans notre pays en raison de l’histoire personnelle de nos compatriotes.

Vous l’aurez compris, ma réflexion ne saurait nullement se confondre avec le positionnement rétrograde, voire vulgaire, de certains à droite.

Après beaucoup d’hésitations entre le vote contre et l’abstention, j’ai sereinement décidé de m’abstenir.

Monsieur le ministre délégué, je suis d’accord avec vous, chacun assume une partie de son histoire. En ce qui me concerne, je ne rendrai pas hommage au général Bigeard et je conclurai par une citation : « En politique il faut guérir les maux, jamais les venger. »

Mes chers collègues, ce qu’attendent, dans un monde instable, les nouvelles générations, c’est une Europe apaisée, une France rassemblée, dynamique, audacieuse, qui, certes, assume son passé, mais, surtout, sait regarder vers l’avenir.

Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Personne ne demande plus la parole ?….

Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe socialiste et, l’autre, du groupe CRC.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Voici le résultat du scrutin n° 20 :

Nombre de votants341Nombre de suffrages exprimés336Majorité absolue des suffrages exprimés169Pour l’adoption181Contre 155Le Sénat a adopté définitivement.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Nous voilà au bout d’un long cheminement : la date du 19 mars est officiellement reconnue comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire de tous ceux qui, lors de la cruelle guerre d’Algérie, ont souffert et fait le sacrifice suprême de leur vie. Nous avons enfin une date historique et symbolique pour rendre hommage à toutes ces victimes.

Il aura fallu cinquante ans pour obtenir ce résultat, pour que la nation, la République, la France rendent enfin honneur et dignité à la troisième génération du feu, à ces enfants de la guerre qui ont connu les privations non seulement matérielles, mais aussi affectives, nombre d’entre eux n’ayant connu leurs parents qu’à l’âge de cinq ou six ans, du moins pour ceux qui eurent le bonheur de voir revenir leur père ou leur mère de la Seconde Guerre mondiale.

Dans cet hommage que la nation doit rendre à tous ceux qui ont souffert, notre vœu est de rassembler et, parce que nous le voulons très fort, je suis sûr que nous parviendrons à unir le 19 mars ceux qui ont eu vingt ans dans les Aurès comme ceux qui ont souffert après le cessez-le-feu, les harkis qui ont été odieusement été abandonnés, nous l’avons assez dit, ceux qui ont été amenés à quitter cette terre d’Algérie qui les avait vu naître, en un mot tous ceux qui ont fait le sacrifice soit de leur vie, soit de leur jeunesse, dans la loyauté envers la République.

Merci à tous, mes chers collègues. Aujourd’hui, la France s’honore de rendre hommage à cette génération qui a tant souffert.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - Permalien
Kader Arif

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux simplement prendre acte du vote qui vient d’avoir lieu sur cette proposition de loi, sans faire de commentaire particulier. Je reste sur la ligne qui a toujours été la mienne, à savoir que l’exécutif n’interfère pas dans ce débat parlementaire.

Je veux toutefois vous remercier pour la qualité de ce débat empreint d’émotion, de conviction sur toutes les travées ; comme cela a été dit, les arguments pouvaient être entendus de part et d’autre.

Il est toujours compliqué d’évoquer les questions mémorielles. Mais, au-delà du résultat, cette discussion constituera un élément important parmi tous les débats relatifs à la mémoire de notre pays que nous aurons dans les mois et les années à venir.

Je veux aussi remercier Manuel Valls de sa présence, mais surtout de la patience qui a été la sienne, car les trois heures pendant lesquelles la discussion s’est prolongée ont été prises sur le temps qui aurait dû être consacré à l’examen de son projet de loi. Il a accepté ce retard non seulement de bonne grâce, mais surtout en comprenant tout l’intérêt des échanges que nous avons eus.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d’aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées (projet n° 789, texte de la commission n° 86, rapport n° 85).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, parler d’immigration, c’est parler aussi de la France, de son histoire – vous venez de le faire concernant une page douloureuse – et de ce qu’elle est.

Depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, notre pays a accueilli des étrangers venant de tous les horizons : parfois proches, parfois plus lointains.

Une vue un peu courte peut laisser penser que les migrations, les déplacements sont la marque de notre monde globalisé ; un monde dans lequel les distances semblent plus courtes et les déplacements plus faciles. Non, c’est plus compliqué que cela !

Les hommes ont toujours eu cet appel de l’ailleurs pour aller chercher une vie meilleure, pour fuir une existence difficile – la guerre, les persécutions, la faim, les catastrophes naturelles et climatiques, la pauvreté –, pour répondre aussi à la demande de main-d’œuvre des pays industrialisés ou pour étudier dans nos universités et nos grandes écoles.

Au fil des époques, la France a vu les nouveaux arrivants se succéder, d’abord de Belgique, d’Italie, d’Allemagne, d’Espagne, puis, un peu plus tard, de Pologne. Les arrivants vinrent ensuite du Portugal, d’Algérie, du Maroc, de Tunisie et aussi – je ne l’oublie pas – d’Amérique latine fuyant les dictatures, puis de Chine, du Sénégal ou encore du Mali. J’arrête la liste ! Ils viennent, aujourd’hui encore, de tous les continents.

La France a voulu parler, un jour, au nom de ses valeurs universelles, pour le monde entier. Depuis lors, du monde entier, on est venu en France. C’est ce qui a fait une part incontestable de notre richesse.

La France est une terre d’immigration, une terre d’accueil, une terre d’espoir. C’est cela sa singularité. C’est aussi cela son génie. C’est ce que nous sommes, profondément.

La France a une histoire faite d’apports et de brassages successifs. Sur cette vieille terre chrétienne s’est enracinée la tradition juive, qui remonte à deux mille ans. C’est sur cette terre catholique que les déchirements des guerres de religion ont été, peu à peu, surmontés et que le culte protestant a été reconnu en 1791. C’est sur cette terre républicaine et laïque qu’aujourd’hui l’islam, devenu la deuxième religion de France, trouve progressivement sa place.

Notre pays est riche de ses contrastes, de ses cultures, de ces apports différents, qui se retrouvent dans un idéal commun, celui de faire nation autour des valeurs essentielles de notre République, notamment la laïcité. De faire nation, c’est-à-dire, pour reprendre la belle formule de Jaurès, d’être cette « communauté des affections » qui nous empêche de retomber dans « l’étroitesse des égoïsmes ».

Par un drôle de renversement historique, la France s’est posée ces dernières années d’étranges questions. Le thème de l’immigration a été instrumentalisé, comme à d’autres époques, ici, en France, ou dans d’autres pays. Il a alimenté les débats et grossi les colonnes. On a joué sur les tensions. On a ravivé les peurs. Les étrangers, les immigrés, les musulmans ont été montrés du doigt. On a stigmatisé. Et on a préféré l’arbitraire.

Certains ont voulu engager la France sur un versant périlleux, celui d’où l’on regarde le monde avec méfiance. Ce versant-là n’est pas une trajectoire pour notre pays. L’immigration est un apport, une chance aussi pour notre nation, pour son économie, pour sa démographie, pour sa culture. Un apport qui doit bien sûr être préparé, régulé, organisé, maîtrisé. La phrase de Michel Rocard reste entièrement d’actualité, dans les deux sens d’ailleurs : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde », « mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ».

La France, comme l’Europe, traverse une période de crise sans précédent. Et quand vient la crise, il n’est pas long le chemin qui mène jusqu’au doute. Nous devons donc être attentifs aux interrogations et aux angoisses de nos concitoyens, de nos compatriotes. Mais la France ne peut pas douter de ce qu’elle est, car ce qu’elle est, c’est sa force. La France doit aborder la question de l’immigration dans un esprit d’apaisement et de réalisme, avec générosité, mais sans naïveté, avec fermeté, mais sans stigmatiser, avec le sens de l’intérêt général. C’est la volonté du Président de la République, garant de l’unité de la nation. Aussi, au cours des cinq derniers mois, des premières mesures concrètes et justes ont-elles été prises par le Gouvernement.

Des réponses ont donc été apportées aux questions les plus urgentes.

La circulaire du 31 mai 2011 relative à l’accès au marché du travail des étudiants étrangers a été abrogée. Combien de polémiques inutiles, d’injustices, cette circulaire a-t-elle pu générer ! Combien de tort fait à l’image de la France dans le monde ! En Afrique, en Chine, en Inde... Cette circulaire était un non-sens pour notre pays, puisqu’elle conduisait à refuser le séjour à des personnes étrangères hautement qualifiées, ayant étudié dans nos universités, dans nos grandes écoles. Des personnes qui souhaitaient, à l’issue de leurs études, exercer leurs talents dans notre pays. La circulaire du 31 mai 2012 que j’ai signée avec mes collègues Michel Sapin et Geneviève Fioraso est venue rectifier cette situation en favorisant le changement de statut pour les étudiants les plus méritants.

Conformément à l’engagement du Président de la République, la circulaire du 6 juillet 2012 a fait de l’assignation à résidence une alternative véritable à la rétention des familles avec enfants faisant l’objet d’une procédure d’éloignement. Si peu de familles, peu d’enfants étaient concernés, c’est cependant une avancée majeure pour notre pays, car la présence d’enfants en rétention ne peut être la règle, comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé à la France en janvier dernier.

Enfin, à la suite des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation a mis un terme à la garde à vue des étrangers au seul motif du séjour irrégulier sur notre territoire. C’est sans doute un progrès en matière de libertés publiques et un progrès dont le moteur est, là encore, l’existence de valeurs et surtout de normes communes en Europe. Il appelle toutefois des évolutions nécessaires pour assurer l’efficacité de notre politique d’éloignement. C’est la première raison du projet de loi que j’ai l’honneur de vous présenter.

Il y a beaucoup à faire en matière d’immigration, beaucoup à faire pour nous réinscrire pleinement dans notre histoire, dans notre tradition républicaine, qui est celle de l’accueil, de l’intégration, de l’assimilation – un mot que l’on n’utilise pas assez – et donc – j’y insiste aussi – de la naturalisation. Nous devons être fiers d’accueillir parmi nous de nouveaux Français. C’est le sens de la circulaire du 16 octobre 2012.

Notre tradition républicaine, c’est également celle de la solidarité, de l’aide désintéressée qui peut être apportée à des personnes dans le besoin, sans que leur situation sur le territoire, régulière ou non, soit prise en considération. Cette aide ne saurait être pénalisée. Voilà la seconde raison de ce projet de loi, qui est un élément au service d’une démarche d’ensemble.

Oui, je le répète, la volonté du Gouvernement est d’apaiser la question de l’immigration. Les décisions qui seront prises dans ce domaine doivent être pragmatiques, cohérentes et faire l’objet de la plus large concertation possible. C’est cette méthode que le Premier ministre a clairement définie dans son discours de politique générale.

Ainsi un débat sera-t-il organisé au Parlement, afin que la représentation nationale, sénateurs et députés, jouent leur rôle et se saisissent pleinement des enjeux liés à l’immigration économique et étudiante. Un premier débat sera organisé au début de l’année 2013. Il doit s’étendre à l’ensemble des parties prenantes, en particulier aux partenaires sociaux et au milieu associatif.

Cette méthode du dialogue a prévalu dans le cadre de l’élaboration, en liaison avec le ministre du travail, de la circulaire relative à l’admission exceptionnelle au séjour, qui sera publiée dans les prochains jours.

Je veux dire les choses de la manière la plus explicite : il n’y aura pas de régularisation massive comme en 1981 ou en 1997.

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

La situation économique et sociale de notre pays nous l’interdit. La pauvreté augmente en France. Le Secours catholique nous le rappelle encore aujourd’hui dans un rapport alarmant. Les étrangers en sont les premières victimes. Le devoir de la France, l’esprit de la France, c’est d’accueillir dignement, d’offrir les meilleures conditions de logement, d’éducation, d’emploi et d’insertion.

Aujourd’hui, même nos dispositifs d’hébergement d’urgence sont saturés. J’invite chacun à voir la réalité en face, à agir avec responsabilité, sans céder aux raccourcis, pire, aux contrevérités, qui nuisent profondément au débat public et, finalement, à l’unité de notre nation.

J’ai eu l’occasion de le dire, mais je le répète : il n’y aura pas globalement, à l’échelle du quinquennat, un nombre de régularisations supérieur à ce qui a été pratiqué par la majorité précédente. La différence – elle est de taille –, c’est que l’appréciation de l’administration ne sera plus discrétionnaire, elle sera fondée sur des critères définis et appliqués avec rigueur.

Cela entraînera peut-être, dans un premier temps, une augmentation ponctuelle des régularisations, qui correspondra à la reprise de situations difficiles n’ayant pas été résolues depuis des mois. Pour autant – nous devons la vérité aux Français –, la régularisation, c’est-à-dire la faculté pour l’administration d’admettre au séjour quelqu’un qui se maintient irrégulièrement sur le territoire, doit demeurer l’exception.

Les critères de régularisation porteront sur ce qui fait la réalité d’une vie construite sur le territoire : une durée suffisante de présence, des attaches familiales effectives, des enfants scolarisés de longue date, une capacité d’insertion dans la société française au regard des efforts d’intégration et de la situation par rapport au marché du travail.

Ces critères seront objectifs, transparents, compréhensibles et uniformément appliqués sur l’ensemble du territoire. La République ne peut, en effet, supporter l’arbitraire. Il est intolérable que des situations équivalentes entraînent des réponses différentes en fonction des préfectures ou des circonstances, comme cela a été le cas ces dernières années.

La République, ce sont les mêmes lois, les mêmes règles qui s’appliquent à tous, aux citoyens français comme à celles et ceux qui aspirent à s’installer en France.

Les conditions d’accueil des étrangers dans les préfectures doivent d’ailleurs faire l’objet d’améliorations profondes. Une démarche a été initiée en ce sens. J’y accorde une attention toute particulière. Les files d’attente qui s’allongent, le déficit d’information, la complexité des démarches, tout cela n’est pas conforme à l’exigence que nous devons avoir pour notre administration.

Il m’apparaît par ailleurs nécessaire de mener une réflexion quant au droit au séjour des étrangers malades, les plus vulnérables. Une mission d’inspection, menée conjointement avec le ministère de la santé, est en cours. Elle devra, à l’issue d’un bilan, préconiser d’éventuelles évolutions législatives et réglementaires.

Un projet de loi sera également soumis au Parlement au premier semestre 2013. Il visera notamment à créer un titre de séjour pluriannuel, très certainement d’une durée de trois ans. Ce titre, destiné aux étrangers ayant vocation à s’installer durablement sur notre territoire, constituera un titre intermédiaire entre la carte de séjour temporaire d’un an et la carte de résident de dix ans.

Il s’agira par ce biais, si le Parlement en est d’accord, de simplifier les démarches administratives, coûteuses en temps et en énergie pour l’administration comme pour les étrangers, et surtout, mesdames, messieurs les sénateurs, de réduire la part d’incertitude que peut entraîner le renouvellement annuel d’un titre de séjour. L’incertitude peut en effet être facteur d’instabilité et de fragilisation économique, voire psychologique, et finalement représenter une difficulté en termes d’intégration.

La France est une terre d’accueil ; elle est aussi une terre de refuge pour tous ceux qui, dans le monde, fuient les persécutions. Je veille à ne pas confondre asile et immigration. Nous aurons à tirer les conséquences législatives des négociations européennes actuellement en cours sur le « paquet asile », qui permettront de garantir des droits nouveaux aux demandeurs. Nous augmentons, dès cette année, les moyens consacrés à l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, avec la création de dix emplois supplémentaires d’officiers de protection. Conformément à l’engagement du Président de la République, nous devons abaisser les délais de traitement de manière significative, dans l’intérêt même des demandeurs. L’objectif d’un délai global de neuf à dix mois, incluant le passage devant l’OFPRA et la CNDA, la Cour nationale du droit d’asile, devra être atteint.

Vous le voyez, le Gouvernement entend mener une politique d’ensemble cohérente, sans l’inflation législative qui a été celle du passé. Je ne laisserai pas caricaturer, ni par les uns ni par les autres, la démarche que nous adoptons. Nous gouvernons ; il faut de la lucidité. Nous voulons agir dans un esprit de justice, dans le respect des personnes, avec réalisme, mais aussi avec la fermeté qui convient.

En tant que ministre de l’intérieur, je suis le garant de l’ordre républicain et de l’application des lois. Je suis également, je le rappelle chaque fois, le ministre des libertés publiques. Et c’est ce double impératif de respect des droits de chacun et d’application ferme de la règle qui doit caractériser notre politique en matière d’immigration. C’est cela ma conception de l’autorité républicaine.

Faire appliquer la législation, c’est le premier objectif, essentiel, de ce projet de loi. Le Gouvernement, d’une certaine manière, a été mis face à ses responsabilités. C’est donc avec cet esprit de responsabilité qu’il entend répondre à une situation de vide juridique qui a affaibli nos moyens de lutte contre l’immigration irrégulière.

Le projet de loi tire en effet toutes les conséquences des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne de juin et décembre 2011, confirmées par la Cour de cassation en juillet dernier. Rappelons que la directive du 16 décembre 2008, dite directive Retour, fait obligation aux États membres de privilégier systématiquement le retour, c’est-à-dire l’éloignement des étrangers en situation irrégulière, sur toute autre mesure ou sanction. Cet éloignement doit être réalisé dans le respect des droits de la personne et en adoptant des mesures privatives de liberté uniquement lorsque celles-ci sont indispensables. Dans ce nouveau contexte juridique, prévoir un délit puni d’une peine d’un an d’emprisonnement pour le seul motif de séjour irrégulier était évidemment impossible et c’est ce qu’ont rappelé les cours suprêmes, je veux parler de la Cour de justice de l’Union européenne au niveau européen et de la Cour de cassation au niveau national.

Le séjour irrégulier n’étant plus un délit passible d’emprisonnement, le placement en garde à vue des personnes étrangères présumées en situation irrégulière sur le territoire n’a donc plus de fondement juridique. Cette évolution, dont le gouvernement précédent, en toute connaissance de cause, n’a pas voulu anticiper les conséquences, a placé les services de police et de gendarmerie, ainsi que les préfectures face à un cadre d’intervention très fragilisé. Ils ne disposent plus que du délai, très contraint, de quatre heures prévu dans le cadre de la procédure de vérification d’identité, pour établir la situation de la personne interpellée au regard du droit de séjour : quatre heures donc pour procéder aux recherches nécessaires et prendre les décisions motivées qui s’imposent. Concrètement, nos modes de lutte contre l’immigration irrégulière courent le risque d’être moins opérants. Par ailleurs, les contraintes de temps ne permettent pas la mise en place d’un dialogue contradictoire effectif avec la personne interpellée.

C’est ce constat qui a amené le Gouvernement à proposer la création, dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, d’un nouveau cadre juridique pour vérification du droit au séjour. Il est prévu une retenue d’une durée maximale de seize heures, sous le contrôle continu de l’autorité judiciaire, afin de mener les vérifications nécessaires au regard du droit au séjour et d’entamer les procédures éventuelles. Cette retenue est bien évidemment assortie de garanties pour la personne interpellée : droit à un interprète, à un avocat, à un médecin et à l’aide juridictionnelle, mais aussi imputation des délais de la vérification d’identité sur ceux de la retenue et des délais de la retenue sur celui, le cas échéant, de la garde à vue. Les seize heures sont donc toujours un maximum : elles ne s’ajoutent jamais à la durée d’autres mesures éventuelles privatives de liberté.

Afin de prendre toute la mesure des contraintes de temps qui pèsent sur les démarches de vérification, il est utile d’en préciser les grandes étapes. Le temps de retenue débute dès le moment où les pièces et documents sont demandés à la personne par les services de police. S’ensuivent le temps de conduite au local de police, le temps destiné à l’information de la personne retenue de ses droits et le temps pour l’exercice de ces mêmes droits.

À l’issue de ces étapes commence la phase de dialogue à proprement parler avec la personne étrangère retenue, qui doit être « mise en mesure de fournir par tout moyen les pièces et documents requis », ce qui peut notamment impliquer un déplacement au domicile de la personne ou tout autre lieu utile. À ce temps de dialogue, il faut associer le temps d’investigation de l’officier de police judiciaire : il s’agit notamment de consulter les différents fichiers. S’ajoute enfin le temps de la coordination entre l’officier de police judiciaire et la préfecture compétente, qui doit, elle aussi, disposer d’un temps d’examen raisonnable, afin d’arrêter une décision : fin de la retenue, voire régularisation, si l’étranger a été en mesure de justifier de son droit au séjour, ou bien obligation de quitter le territoire français, pour l’exécution de laquelle il faut également établir les mesures assorties. Celles-ci sont devenues, depuis la loi du 16 juin 2011, particulièrement nombreuses et complexes à motiver et à mettre en œuvre.

Ainsi, dans un délai restreint, l’administration doit être en mesure de prendre cinq décisions obéissant chacune à un régime juridique complexe et faisant l’objet, sous le contrôle du juge, d’une motivation spécifique : l’étranger a-t-il un droit au séjour en France ? Peut-il faire l’objet d’une obligation de quitter le territoire français ? Dans ce cas, a-t-il droit à un délai de départ volontaire ? S’il en est privé, faut-il le placer en rétention, ou une assignation à résidence peut-elle suffire ? Enfin, au regard du trouble à l’ordre public qu’il a pu causer et de ses attaches en France, une mesure d’interdiction de retour sur le territoire français peut-elle et doit-elle être prise à son encontre ? Voilà toutes les questions auxquelles l’autorité administrative doit répondre. Elle ne peut le faire qu’après un examen particulièrement approfondi de la situation de l’étranger. Il s’agit, en effet, d’examiner avec lui non seulement son droit au séjour, mais aussi sa situation familiale et professionnelle ou encore ses attaches en France et dans son pays d’origine. Un traitement équitable, humain et respectueux des droits implique de prendre le temps de répondre à chacune de ces questions en examinant l’ensemble des éléments fournis par la personne retenue. Ce traitement n’était pas possible dans le délai actuel de quatre heures, qui pouvait conduire à un automatisme de la prise de décision, préjudiciable aux droits de l’étranger.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le temps de la retenue est donc un temps contraint où chaque étape a son importance, en particulier pour l’exercice effectif des droits de la personne étrangère retenue. C’est aussi, vous le savez en tant que législateurs avertis, un temps de privation de liberté. Il convient donc impérativement de veiller à ce qu’il soit proportionné aux objectifs recherchés. Le Gouvernement a entendu les préoccupations qui ont été exprimées lors de l’examen du texte par la commission des lois, que je tiens d’ailleurs à remercier. Celle-ci a veillé à renforcer les droits reconnus à l’étranger pendant la période de retenue, en prévoyant que, outre l’accès à un médecin, un avocat et un interprète, celui-ci puisse faire valoir également son droit à prévenir les autorités consulaires de son pays. Elle a également souhaité que soit clarifiée la question du lieu d’enfermement dès lors qu’aucun délit n’est reproché.

En revanche, je dois vous faire connaître mon désaccord sur le dispositif que vous avez adopté, prévoyant une durée de retenue de dix heures pouvant être prolongée de six heures après information du procureur de la République.

Au regard des contraintes et des obligations inhérentes à l’examen de la situation de la personne retenue, l’introduction de ces deux phases ajoute incontestablement une complexité supplémentaire. Je rappelle qu’il s’agit de coordonner, dans le délai le plus court possible, l’action des services de police et des services administratifs, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, le procureur pouvant mettre fin à la retenue à tout moment. Aussi, afin d’assurer l’efficacité et la sécurité juridiques du dispositif, le Gouvernement proposera, par voie d’amendement – je sais que vous en avez déjà débattu –, le retour à une durée de retenue de seize heures.

Cette durée constitue un progrès évident au regard de ce qui existait auparavant dans un cadre juridique étrange, aux termes duquel une mesure excessivement contraignante – une garde à vue de vingt-quatre heures – tendait à devenir la norme. Cette durée est la durée maximale compatible avec nos engagements constitutionnels et conventionnels durant laquelle l’étranger bénéficiera de tous les moyens de faire valoir ses droits. Elle permet ainsi de concilier l’efficacité administrative, qui nécessite une coordination complexe entre plusieurs services, y compris la nuit ou pendant les fins de semaine, et la garantie des droits des individus.

Avec ce dispositif, le Gouvernement entend se donner tous les moyens d’une lutte efficace et déterminée contre l’immigration irrégulière. Il s’agit également de mener un combat implacable contre les filières d’immigration clandestine, qui se nourrissent des faux espoirs qu’ils font naître chez ceux qui, parfois au péril de leur vie, tentent de rejoindre notre territoire.

Faire entrer volontairement une personne, de manière irrégulière, sur notre territoire dans le but d’en tirer un profit est un acte grave, un délit. Le Gouvernement agira dans ce domaine avec la plus grande fermeté.

À l’occasion de l’examen de ce texte, d’autres questions apparaissent qui intéressent le droit des étrangers et qui dépassent le champ de ce projet de loi.

Il en est ainsi de la question des recours juridictionnels ouverts aux étrangers pour contester une mesure d’éloignement. Notre droit est complexe en la matière puisqu’il marie l’intervention de deux juges, le juge administratif et le juge judiciaire, l’un chargé de statuer sur la légalité des actes administratifs permettant l’éloignement, l’autre statuant sur la prolongation de la rétention administrative.

La loi du 16 juin 2011 a modifié l’ordre d’intervention de ces juges, en repoussant l’intervention du juge judiciaire au cinquième jour après la décision de placement en rétention.

J’accorde la plus grande attention et la plus grande vigilance aux conséquences de cette réforme. Je demeure persuadé que, sur ce sujet complexe, il faut, avant toute décision, prendre le temps de l’étude et de la concertation. La seule question qui doit nous guider est la suivante : comment, dans notre cadre constitutionnel, garantir des voies de recours efficientes et effectives pour les étrangers ?

Sur ce thème, je souhaite disposer d’une étude approfondie qui, en transparence et avec l’ensemble des acteurs intéressés, pose l’ensemble des questions et, sans masquer les difficultés juridiques et techniques, s’efforce de définir des pistes et de proposer des solutions.

Je souhaite nommer très prochainement, en accord avec le Premier ministre, un parlementaire en mission en matière de droit des étrangers qui engloberait également les questions dites « pratiques », notamment celles qui sont liées à l’accueil en préfecture et aux délais que j’ai évoqués.

La proposition formulée dans l’un des amendements déposés sur ce texte fera l’objet d’un examen sérieux dans le cadre de cette mission.

Enfin, je veux dire quelques mots sur la fin du délit de solidarité pour les associations venant en aide aux étrangers

Quand une personne est dans l’épreuve, dans la difficulté, il est normal, humain, de lui venir en aide. C’est pourquoi apporter assistance et soutien, de manière désintéressée, à une personne en situation irrégulière sur notre territoire ne saurait être puni. Ce n’est pas cela la France, ce n’est pas cela la République !

Ce projet de loi, en son article 8, abroge donc le délit de solidarité, un délit peu poursuivi, voire pas du tout, …

Debut de section - Permalien
Manuel Valls, ministre

… mais qui pendait comme une épée de Damoclès au-dessus de ceux qui étaient susceptibles d’être poursuivis à ce titre, un délit qui revenait à mettre sur un même plan pénal ceux qui aident de bonne foi et ceux qui, sans foi ni loi, exploitent la misère des hommes.

Le gouvernement précédent n’avait répondu que partiellement aux demandes répétées et légitimes des associations en faveur de la suppression d’un aléa difficilement supportable : celui de se voir mis en examen pour aide au séjour irrégulier.

Partout sur notre territoire, et pas uniquement dans le Nord–Pas-de-Calais, des associations, des particuliers font vivre généreusement cet idéal d’entraide, de solidarité et, concrètement, sans considération de la nationalité, de la situation administrative des personnes, apportent une aide à l’hébergement, une aide alimentaire, des soins médicaux, des conseils juridiques. C’est un devoir moral de ne pas condamner de telles pratiques.

Des parlementaires, désormais membres de la majorité – mais je suis certain que bien d’autres s’interrogeaient –, avaient mis en avant les conséquences de l’existence d’un tel délit, en vain. Ils seront désormais entendus.

Des liens humains existent entre les personnes. Ils existent plus encore entre les membres d’une même famille. C’est pourquoi ce projet de loi entend également élargir le champ de l’immunité, dont les membres de la famille proche de l’étranger aidé peuvent bénéficier.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’immigration ne doit pas reposer sur le hasard, sur l’aléa, sur l’arbitraire. Un État de droit tient sa force des règles qu’il se fixe, mais aussi des moyens qu’il se donne pour les faire appliquer.

Avec ce projet de loi, nous voulons fixer des règles justes. Et c’est avec esprit de justice et de fermeté que nous les appliquerons.

Je veux sortir, sans naïveté, l’immigration de la logique dans laquelle on l’enferme depuis trop longtemps. Il nous faut trouver un chemin sincère, audacieux, entre ceux qui, dans l’excès, réclament ou, sans le dire, espèrent une « immigration zéro » et ceux qui, sans le dire complètement, voudraient que l’on accueille tout le monde.

Dans le débat public, la question de l’immigration a besoin de mesure, de discernement. Je compte sur le Sénat pour apporter, dans sa sagesse, son soutien à cette démarche.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, seul le bouleversement de notre ordre du jour me vaut l’honneur et la charge de remplacer, au banc de la commission, et son président, Jean-Pierre Sueur, et son rapporteur, Gaëtan Gorce, qui avaient fait savoir qu’ils ne pourraient pas être présents en séance à cette heure, mais qui nous rejoindront bien sûr dès la reprise de nos travaux après la suspension.

Le texte dont nous sommes saisis, mes chers collègues, n’a pas pour vocation de bouleverser le droit des étrangers ni même de procéder à une simple révision générale de la législation en vigueur. Il a seulement pour objet, comme l’a très bien expliqué M. le ministre, de mieux définir le cadre juridique dans lequel l’administration est amenée à contrôler la régularité de la situation d’un étranger, cadre déstabilisé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation.

Il permet en particulier de supprimer de notre droit une disposition particulièrement choquante, qualifiée de « délit de solidarité », qui conduisait à poursuivre pénalement des personnes, physiques ou morales, qui avaient porté assistance à des étrangers en situation irrégulière.

C’est dire que ce texte n’introduit pas une rupture, mais il apporte néanmoins un changement et, à tout le moins, un changement d’atmosphère !

En effet, le précédent gouvernement n’avait pas toujours su résister, c’est un euphémisme, à la tentation de stigmatiser les étrangers, les présentant comme des délinquants potentiels relevant de traitements d’exception.

Le projet de loi qui nous est présenté s’inscrit dans une autre logique en associant une fermeté indispensable dans l’application de la loi à une volonté constante de respecter les personnes. En témoigne la manière dont il répond aux trois questions qui le justifient et que votre commission s’est, pour l’essentiel, efforcée de conforter, sinon à l’unanimité, du moins à une très large majorité.

Premièrement, fallait-il instituer une procédure de retenue spécifique aux étrangers le temps nécessaire à la vérification de leur situation au regard des règles de séjour sur notre territoire ?

L’impossibilité faite désormais aux forces de police d’utiliser le mécanisme de la garde à vue, conséquence de l’enchaînement des jurisprudences de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, soulevait nécessairement ce problème. Une première option aurait pu consister à utiliser la procédure de vérification d’identité prévue à l’article 78–3 du code de procédure pénale. Mais les modalités spécifiques à cette procédure, qui a un caractère judiciaire alors que le contrôle de la situation au regard du séjour est administratif, devaient conduire à écarter cette option, d’autant plus que le délai maximum de quatre heures, comme vous l’avez justement relevé, monsieur le ministre, dans lequel elle est enserrée risquait de la rendre non opérationnelle.

Le Gouvernement a préféré instituer en toute transparence un mécanisme de retenue ad hoc « limitée au temps strictement nécessaire à la vérification » et ne pouvant dépasser seize heures.

Ce mécanisme constitue un progrès à plusieurs titres : d’abord, sa durée est inférieure à celle de la garde à vue ; ensuite, les protections qui l’entourent sont plus importantes que celles de la vérification d’identité ; enfin, son déroulement s’effectue sous le contrôle de l’autorité judiciaire.

La commission, sans réduire le délai de seize heures, a néanmoins souhaité introduire une obligation d’informer le procureur, après les dix premières heures de retenue, que la prolongation de celle-ci de six heures supplémentaires était nécessaire.

Par un amendement, vous avez cru devoir revenir sur ce texte adopté par la commission et celle-ci, contre l’avis de son rapporteur, vous a suivi, monsieur le ministre.

Vous qui citez si souvent Jean Jaurès, vous savez pertinemment qu’entre l’idéal et le réel, il existe tout de même une sacrée différence. Votre procédure est idéale pour tous les étrangers qui, retenus, feront immédiatement appel à un avocat, lequel saisira le procureur ou l’autorité judiciaire. Pour ces étrangers, tout ira pour le mieux. Malheureusement, pour ceux qui n’auront pas cette possibilité, vraisemblablement les plus nombreux, votre procédure sera beaucoup plus stricte et privative de liberté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

La commission a également souhaité préciser que, la retenue étant distincte de la garde à vue, elle ne pouvait donner lieu à une incarcération ni à des procédures telles que fouilles au corps, passage des menottes, etc.

Deuxièmement, fallait-il continuer de sanctionner pénalement l’entrée et le maintien sur le territoire ? Comme cela a été rappelé, la Cour de justice de l’Union européenne a indiqué, voilà plus d’un an, que, s’agissant d’étrangers en situation irrégulière, les procédures répressives étaient subordonnées à l’exécution des procédures administratives de rétention et d’éloignement. Cela revient non pas à proscrire une incrimination liée au maintien sur le territoire, mais à considérer que celui-ci n’était constitué que lorsque toutes les options laissées à l’administration auraient été mises en échec.

Sous réserve d’une clarification rédactionnelle à laquelle votre commission a procédé, c’est la solution qu’a choisie le Gouvernement et à laquelle nous adhérons.

S’il ne saurait en effet être question d’appliquer à l’étranger en situation irrégulière des sanctions disproportionnées, il ne serait pas non plus envisageable de priver l’État, la République, de la possibilité de punir une personne n’ayant plus aucun titre à rester en France, mais refusant absolument de quitter notre territoire.

Troisièmement, enfin, fallait-il supprimer le délit d’aide à l’étranger en situation irrégulière, sauf dans le cas où cette aide était intéressée, ou élargir les immunités pénales à tous les cas où cette aide répondait tout simplement à un élan de solidarité humaine ?

Afin d’éviter de bouleverser une réglementation sur la base de laquelle sont poursuivis de très nombreux délits, c’est cette seconde option que la commission, en accord avec vous-même, monsieur le ministre, a retenue, tout en mettant en cohérence le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile avec le code civil s’agissant des obligations – et donc des immunités – des époux.

Comme toujours lorsqu’il est question du droit des étrangers, derrière l’apparente simplicité de la problématique surgissent de grandes et délicates questions. Monsieur le ministre, vous y avez d’ailleurs consacré toute la première partie de votre intervention, laquelle, je le suppose, a beaucoup ému nos collègues.

Ce texte, en commission, n’a pas fait exception. Ainsi la question du contrôle des papiers des étrangers, prévue à l’article L. 611–1, n’a-t-elle pas manqué de faire surgir celle, plus générale, des risques de contrôle au faciès. Un amendement du Gouvernement nous a permis de résoudre, pour partie, cette question en reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation.

Celle de la retenue a entraîné l’ouverture d’un débat sur le moment où le juge des libertés devait être amené à intervenir, tous – ou presque – convenant que ce problème ne pouvait être réglé dans le cadre de ce texte.

Ce ne sont que quelques exemples !

Au final, et même si des explications restent nécessaires, la commission estime que le Gouvernement – son ministre de l’intérieur en particulier – a manifesté sa volonté de prendre en considération ses préoccupations, sauf à l’article 2, mais nous en débattrons tout à l’heure.

Nous sommes, monsieur le ministre, sensibles à la préoccupation qui est la vôtre de ne sacrifier ni l’efficacité de la loi ni le droit des personnes. C’est un difficile mais nécessaire équilibre qu’il nous faut trouver et vous avez la volonté de le trouver.

Chacun comprendra, tant cette approche est nouvelle, qu’il nous faille, pour y parvenir, sinon tâtonner, du moins discuter. C’est la raison pour laquelle, sous réserve de l’adoption des amendements qu’elle a déposés, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter ce projet de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 2002, de nombreuses lois ont été adoptées sous les gouvernements successifs de droite visant toutes à restreindre les droits des étrangers, le plus souvent en contradiction avec le respect des règles fondamentales dont bénéficie pourtant tout être humain.

Cet arsenal législatif s’est accompagné chaque fois d’un discours stigmatisant, voire méprisant à l’égard des étrangers, faisant peser un soupçon continuel sur les non-nationaux et alimentant la rhétorique envahissante de l’étranger fraudeur.

Aussi, après des années de gouvernance de la droite, nous espérions légitimement de la gauche au pouvoir autre chose qu’un texte minimaliste, perpétuant aussi bien une politique de criminalisation des migrants qu’une politique pénale d’exception.

Première source de désenchantement : le projet de loi perpétue une politique de criminalisation des migrants, et donc de stigmatisation de l’étranger en tant que délinquant.

En effet, la suppression du délit de séjour irrégulier par ce projet de loi a été rendue inévitable du fait des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne. À ce sujet, nous pouvons d’ailleurs nous émouvoir que le pays des droits de l’homme, des droits de tous les êtres humains, ait attendu d’être contraint pour en finir avec ce délit, la droite ayant toujours refusé de le supprimer.

Mais loin de profiter de cette condamnation pour y mettre un terme définitif, le projet de loi crée un délit le remplaçant. Est donc instauré un délit de maintien sur le territoire lorsque « les mesures […] propres à permettre l’exécution de la mesure d’éloignement ont été effectivement mises en œuvre… »

Nous espérions autre chose car, si la jurisprudence européenne n’interdit pas aux États membres de prévoir des sanctions pénales pour réprimer les infractions au séjour, elle ne les impose pas non plus.

Une alternative se présentait donc au Gouvernement à la suite des arrêts précités : abroger purement et simplement toute pénalisation du séjour irrégulier, ou se contenter de prévoir qu’une poursuite ne sera encourue qu’après la mise en œuvre de toutes les mesures coercitives prévues à l’article 8 de la directive Retour.

Face à ce choix, vous optez pour la seconde solution, monsieur le ministre, qui plus est, avec un article 6 large et imprécis, donc aussi bien inconstitutionnel que contraire au droit de l’Union européenne.

Pour notre part, nous optons pour l’abrogation pure et simple du délit de séjour irrégulier, puisque toute nouvelle incrimination, loin d’être nécessaire à l’éloignement, constitue en réalité un obstacle à sa mise en œuvre. Par ailleurs, cet article est redondant du fait du maintien, dans notre code, du délit d’obstruction à une mesure d’éloignement. En outre, même en dépénalisant le séjour, il sera malheureusement toujours possible de condamner sur la base de l’entrée irrégulière, contrairement à ce qui est énoncé dans l’étude d’impact, à la page 15.

Deuxième source de désenchantement, monsieur le ministre : le projet de loi perpétue une politique pénale d’exception avec la mise en place d’une garde à vue « bis » prévue à l’article 2.

Mes chers collègues, sous l’effet de multiples réformes que nous avons pu dénoncer ensemble, le droit pénal applicable aux immigrés est dorénavant porteur d’une série de spécificités qui permet à Günther Jakobs de le qualifier de « droit pénal de l’ennemi », à distinguer du droit pénal du citoyen.

Avec ce projet de loi, on nous propose de surajouter un dispositif d’exception inutile dans le CESEDA. D’ailleurs, le choix de ne pas mettre ce dispositif dans le code de procédure pénale, au côté des contrôles d’identité de droit commun, est symbolique.

Ainsi, pour en venir au fond de l’article 2, afin de pallier l’impossibilité de procéder, pour l’étranger en situation irrégulière, à une garde à vue du fait de la suppression du délit de séjour irrégulier, le projet de loi crée une retenue judicaire de seize heures. Cette retenue serait faite par un officier de police judicaire après simple notification au procureur de la République.

On crée donc un régime d’exception, et ce simplement pour pallier les carences de l’État. Voici donc venue, après la garde à vue de confort, la retenue de confort, instaurée pour remédier au manque de moyens des préfectures, qui ont du mal à répondre aux officiers de police judiciaire dans un délai de quatre heures.

Le plus dangereux est que ce nouveau régime de privation de liberté s’inscrira dans le dispositif d’éloignement en vigueur, en vertu duquel la plupart des étrangers ne bénéficient d’aucun contrôle du respect de leurs droits par un juge judiciaire du fait du recul de l’intervention du juge des libertés et de la détention.

Mes chers collègues, si le Conseil constitutionnel, sur saisine des socialistes, a validé ce dispositif, le bilan d’un an d’application démontre qu’il est en réalité incompatible avec le respect des droits fondamentaux : non seulement le contrôle du juge des libertés et de la détention est tardif pour les étrangers qui ont l’opportunité d’en bénéficier mais, bien plus grave, la plupart des étrangers sont éloignés sans bénéficier de son contrôle.

De plus en plus de personnes retenues sont donc éloignées avant que le juge des libertés et de la détention n’intervienne. Ce contrôle judiciaire est pourtant primordial puisqu’il porte notamment sur le travail réalisé par la police et l’administration, de l’interpellation à l’arrivée en rétention.

En 2010, déjà, 8, 4 % des étrangers placés en rétention étaient éloignés avant la fin du deuxième jour depuis le placement en rétention, donc en général sans que le juge des libertés et de la détention puisse exercer son contrôle. À partir de la réforme de l’été 2011, ce sont 25 % des personnes retenues qui sont éloignées au cours des cinq premiers jours, là aussi sans que le juge des libertés et de la détention intervienne.

Donc, contrairement à ce qui est affirmé dans l’étude d’impact du présent projet, le juge des libertés et de la détention ne vérifie pas dans chaque cas si la privation de liberté est régulière et si elle est nécessaire.

La baisse, voire l’absence du contrôle de la procédure judiciaire décrite précédemment est impropre à encourager un plus grand respect des droits par les services de police et l’administration. Tout comme dans le précédent régime de la garde à vue, on peut raisonnablement supposer que des atteintes fréquentes aux droits et libertés fondamentales seront perpétrées. Il faut y remédier dès à présent par un retour de l’intervention du juge des libertés et de la détention à quarante-huit heures.

Mise à part la question importante du juge des libertés et de la détention, le dispositif proposé ressemble fort à la garde à vue antérieure à la loi du 14 avril 2011, avec des droits garantis extrêmement limités. Or il sera utilisé à l’encontre de personnes qui n’auront commis aucune infraction. Dès lors, monsieur le ministre, comment justifier cette différence entre un dispositif actuel de garde à vue relativement protecteur – même si tout n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme –, qui concerne des délinquants ou criminels, et un dispositif ne garantissant pratiquement aucun droit et qui concernera pour sa part des personnes n’étant soupçonnées d’aucune infraction ?

Enfin, dernière source de désenchantement : nous attendions bien plus qu’un projet de loi minimaliste. Vraisemblablement, celui-ci a simplement pour objet de répondre aux diverses remises en cause de nos dispositions législatives par la Cour de justice de l’Union européenne, suivie par notre juridiction interne. Le texte répond à ces exigences par le biais d’une interprétation a minima de ces arrêts, et l’oubli délibéré, je l’ai déjà souligné, de la garantie des droits essentiels des personnes en situation irrégulière, nous exposant de fait à de nouvelles condamnations.

Outre l’article 2, nous retrouvons cette position minimaliste dans les articles 1er et 8 du projet de loi.

L’article 8 instaure une nouvelle immunité au délit de solidarité. N’allant pas au bout de sa logique, le projet de loi élargit ainsi simplement les immunités prévues par le CESEDA. Le caractère limitatif de cette énumération risque d’exposer certaines personnes fournissant une assistance à des étrangers en situation irrégulière à des poursuites. Ainsi, contrairement à ce que le Gouvernement laisse entendre, le délit de solidarité n’est pas totalement supprimé. Une solution plus simple, qui aurait évité tout oubli, consisterait à inverser le dispositif existant pour que l’immunité soit le principe et l’infraction l’exception.

Le projet de loi, dans son article 7, perpétue par ailleurs les possibilités de prononcer des interdictions judiciaires du territoire.

Il n’entend pas non plus, dans son article 1er, modifier l’alinéa 1 de l’article L.611-1 du CESEDA relatif au contrôle des titres de séjour sur l’ensemble du territoire. Cet article prévoit seulement un encadrement des contrôles aux frontières, là encore pour se plier à une décision de la Cour de cassation du 6 juin 2012.

Cette position minimaliste n’est pas satisfaisante au regard du principe de non-discrimination et de prohibition des contrôles au faciès qui fait actuellement débat. Il faut supprimer l’alinéa 1 de l’article L.611-1, comme étant contraire au principe général du droit de non-discrimination et de prohibition des contrôles au faciès. Les contrôles de titre de séjour ne pourraient ainsi se faire que dans le cadre du droit commun en renvoyant aux dispositions du code de procédure pénale.

Mes chers collègues, force est de constater qu’à l’heure actuelle la machine à expulser mise en place par le Gouvernement précédent est loin d’être grippée et qu’elle continue à bafouer quotidiennement les droits des étrangers enfermés.

Le bilan de cinq années de sarkozysme, sans compter les dégâts engendrés par le passage de l’intéressé au ministère de l’intérieur, aurait dû conduire à inverser l’ordre des priorités du calendrier législatif. En effet, c’est l’ensemble de la politique d’éloignement des étrangers, définie par Nicolas Sarkozy, qu’il faut réformer en priorité, afin de rompre avec les abus de la politique du chiffre et garantir les droits et libertés fondamentales de toute personne se trouvant sur notre territoire.

Seule la dépénalisation de l’ensemble des infractions à la législation sur les étrangers est à même de forger le socle sur lequel pourrait être reconstruite une politique d’immigration respectueuse des droits de chacun et chacune. Mais ce projet de loi, examiné en procédure accélérée, ne nous laisse pas le temps de travailler sur ces points essentiels.

On nous annonce une réforme du CESEDA à venir, mais profitons néanmoins du peu de temps que nous offre cette lecture accélérée pour avancer et redonner un minimum de garanties que les 50 000 étrangers enfermés chaque année dans les centres de rétention sont en droit d’attendre.

Quant à nous, nous attendons du Gouvernement qu’il n’ignore pas les combats que nous avons pu mener, souvent ensemble, et que nous continuerons à porter avec les associations pour la défense des droits des étrangers dans notre pays.

Le vote du groupe CRC est suspendu ; il dépendra de l’évolution du texte lors de la discussion des amendements. §

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour combler un vide juridique qui n’est pas sans conséquence pour l’action quotidienne de nos forces de police et de gendarmerie.

Cela a été rappelé, c’est l’évolution du droit communautaire qui nous oblige, une fois n’est pas coutume, à modifier notre législation en matière d’immigration.

Dans deux arrêts de 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a considéré que la directive Retour du 16 décembre 2008 ne permettait pas aux États membres de punir d’une peine d’emprisonnement le seul fait, pour un étranger, de séjourner irrégulièrement sur son territoire.

La Cour de cassation a tiré les conséquences de cette jurisprudence par trois arrêts du 5 juillet 2012. Elle a fermé le recours à la garde à vue sur le seul chef de l’infraction de séjour irrégulier. La Cour de cassation a jugé qu’un étranger en situation irrégulière ne pouvait encourir pour ce seul motif une sanction d’emprisonnement lorsqu’il n’a pas fait préalablement l’objet d’une mesure d’éloignement et des mesures propres à garantir son exécution.

Or la garde à vue était jusqu’à présent la principale procédure permettant aux services de police ou de gendarmerie de retenir un étranger pour faire le point sur sa situation et, le cas échéant, décider de le placer en rétention administrative en vue de son éloignement.

Si la garde à vue n’a jamais constitué un préalable pour la mise en œuvre d’une procédure d’éloignement d’une personne étrangère en situation irrégulière, elle a offert, de facto, un cadre juridique fréquemment utilisé pour établir l’infraction de séjour irrégulier.

Il faut noter que la jurisprudence judiciaire a, antérieurement aux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne précitées, dénoncé de nombreux cas d’absence de nécessité du recours à cette procédure dans la mesure où elle se fondait sur le seul chef de l’infraction de séjour irrégulier, donc sans délit connexe.

Aujourd’hui, le Gouvernement nous propose, afin de combler ce vide juridique, de créer une nouvelle mesure de retenue administrative, plus brève que la garde à vue, mais plus longue que la simple vérification d’identité.

Ce texte, chacun en convient, répond à une nécessité tant juridique qu’opérationnelle. En effet, la procédure de vérification d’identité prévue à l’article 78-3 du code de procédure pénale n’assure pas le cadre approprié pour garantir les droits de la personne retenue et l’examen sérieux de sa situation. Elle ne répond, ni dans son objet ni dans sa durée, limitée à quatre heures, aux objectifs et aux nécessités de la vérification du droit de séjour d’une personne étrangère.

La vérification d’identité ne pouvait donc pas servir de solution de repli. Elle est inadaptée à la question qui nous préoccupe.

L’article 2 du projet de loi tend donc à instaurer une nouvelle procédure de vérification du droit de circulation et de séjour sur le territoire français. Elle permettra à un officier de police judiciaire de retenir une personne étrangère le temps strictement nécessaire à l’établissement de sa situation.

Il est donc important d’insister sur ce point : la durée de seize heures fixée par le présent texte constitue un plafond, un maximum ; le principe fondamental, c’est que cette retenue ne devra pas excéder le temps strictement nécessaire.

En tout état de cause, le procureur de la République, informé de la procédure dès son commencement, pourra y mettre fin à tout moment.

En outre, cette mesure induisant une privation de liberté est assortie de garanties rappelées il y a quelques instants par M. le ministre, et sur lesquelles je ne reviendrai pas.

En commission des lois, un important débat a eu lieu au sujet de la proposition formulée par notre rapporteur, M. Gorce, qui suggère que cette rétention soit en principe de dix heures, avec une éventuelle prolongation de six heures par l’officier de police judiciaire.

À nos yeux, il vaudrait mieux s’en tenir au texte initial que vous avez proposé, monsieur le ministre. Le délai de seize heures reste très inférieur à celui de la garde à vue, fixé à vingt-quatre heures ; le procureur de la République exercera tout son contrôle dès le début de la rétention et pourra y mettre fin à chaque instant. Très complexe, le système prévu par le texte de la commission serait source de contentieux. Ce fait avait été justement souligné en commission par M. Mézard. Cette procédure impliquerait notamment que le procureur soit sollicité trois fois : tout d’abord au début de la rétention, ensuite en cas de prise d’empreintes, enfin après dix heures. Un tel seuil n’existe d’ailleurs pas pour la garde à vue.

Notre groupe apportera donc son soutien aux amendements déposés par les groupes UMP et RDSE, ainsi que par le Gouvernement ayant pour objet de rétablir le texte dans sa version initiale.

J’ajouterai un mot sur le second aspect de ce texte, qui tend à étendre l’immunité pénale pour l’aide aux étrangers, autrement dit à restreindre le champ de ce que l’on nomme couramment le « délit de solidarité ».

Afin de dissuader les personnes qui font du trafic de migrants une activité lucrative, notre droit punit de peines élevées le fait de faciliter ou de tenter de favoriser l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France. Cette législation sévère est ancienne puisque cette incrimination a pour origine un décret-loi du 2 mai 1938.

Les réseaux qui exploitent la détresse des migrants, en contrepartie de sommes parfois très importantes, et souvent sous la menace, doivent être lourdement sanctionnés. Néanmoins, force est de constater que notre législation ne distingue pas suffisamment les agissements des passeurs qui organisent le passage des migrants, et les actes de solidarité des organismes sociaux ou des associations à vocation humanitaire. Un tel amalgame a pour effet de mettre en cause des personnes qui apportent une assistance sans aucune contrepartie.

Plusieurs membres d’associations humanitaires engagées dans l’assistance aux étrangers sans papiers ont pu, sur le fondement du droit actuellement en vigueur, être interpellés, placés en garde à vue, poursuivis, voire, dans quelques cas, condamnés par un tribunal correctionnel.

C’est donc à juste titre que l’article 8 du présent projet de loi prévoit d’élargir significativement le champ des immunités pénales applicables à ce délit, d’une part, aux membres de la famille du conjoint de l’étranger et, de l’autre, aux associations humanitaires apportant une aide désintéressée aux étrangers sans papiers.

C’est également à juste titre que la commission a inclus expressément les soins médicaux dans la liste des actes qui, lorsqu’ils bénéficient aux étrangers en situation irrégulière, ne peuvent donner lieu à poursuites sur le fondement du délit d’aide au séjour irrégulier. §

Si, comme je l’ai rappelé, nous ne souscrivons pas aux modifications introduites à l’article 2, je tiens à saluer le travail important qu’ont accompli la commission et notre rapporteur, confortant opportunément les garanties qui accompagnent cette nouvelle procédure de rétention, notamment au travers du renforcement du rôle du médecin, tout en précisant le champ du nouveau délit de maintien sur le territoire. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

En premier lieu, je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, de la hauteur de vue dont vous avez fait preuve en rappelant ce que doit être la République laïque, ouverte à tous ceux qui la respectent en tant que telle.

Les questions du droit au séjour, de l’immigration et de l’asile suscitent bien des débats et des affrontements, d’autant qu’elles sont souvent invoquées de manière démagogique à des fins strictement électoralistes, et ce pas seulement d’un seul côté de l’échiquier politique.

Entre ceux qui font de l’absence de tout contrôle et de l’accueil de tout étranger une incantation d’autant plus déraisonnable qu’ils n’émettent aucune proposition sérieuse pour la rendre possible, et ceux qui souhaitent rétablir des barbelés à nos frontières en stigmatisant l’étranger et son cheval de Troie, l’Europe, il existe la solution de raison : conjuguer la règle de droit avec la tradition humaniste de notre République.

Monsieur le ministre, c’est la solution que vous nous proposez : en conséquence, les dix-huit sénateurs de notre groupe voteront unanimement ce projet de loi dans une version que nous espérons la plus proche de son état initial.

Le débat sur l’identité nationale a laissé un goût d’amertume au-delà des clivages politiques. François Baroin lui-même avait considéré ce débat « gros comme un hippopotame dans une mare desséchée » suscitant « la confusion, l’amalgame et les facilités de langage pouvant flatter les bas instincts ».

En réalité, la nation n’a pas de problème d’identité avec elle-même. Elle ne saurait oublier la contribution de tant de vagues d’immigration au cours des siècles, le sang à elle donné par tant d’enfants venus d’ailleurs. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est le fil conducteur de notre République : l’appliquer loyalement, c’est le premier programme de tout élu de la République. §

Au demeurant, sur ces questions d’accueil des étrangers, le décret-loi du 2 mai 1938 sur la police des étrangers, largement confirmé par l’ordonnance du 2 novembre 1945 – deux textes rédigés l’un avant et l’autre juste après la guerre – constitue encore le socle moderne de notre droit des étrangers. Le président du Conseil Édouard Daladier notait d’ailleurs à cette époque, dans son rapport au Président de la République, que ce projet créait « une atmosphère épurée autour de l’étranger de bonne foi », et qu’il maintenait « pleinement notre bienveillance traditionnelle pour qui respecte les lois et l’hospitalité de la République ».

Le précédent cycle législatif a été marqué par la restriction des droits des étrangers. Cinq lois votées en seulement huit ans fondent nécessairement une instabilité juridique mettant au jour la volonté qui animait la précédente majorité de ne pas fixer un cap clair et humaniste.

La majorité de notre groupe avait ainsi fermement combattu la loi du 16 juin 2011, qui, loin d’assurer une simple transposition des directives communautaires, consacrait une véritable pénalisation du droit des étrangers.

Dans un environnement toujours plus ouvert, marqué non seulement par la mondialisation économique, mais aussi par les aléas climatiques, les mouvements de population ne pourront que prendre de l’ampleur. Du reste, le 25 octobre dernier, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits des migrants a appelé les États à favoriser les migrations climatiques.

Cette tradition d’accueil dont la France peut s’enorgueillir, bien qu’elle ait été malmenée, ne signifie pas pour autant que nous pouvons accueillir sur notre sol tout étranger qui frapperait à notre porte : notre groupe n’est pas favorable à l’entrée et au séjour irréguliers d’étrangers, pas plus qu’à des régularisations massives. À cet égard, monsieur le ministre, nous avons entendu avec intérêt et très positivement les précisions que vous nous avez apportées.

La République doit assurer, conformément à sa Constitution et à ses engagements internationaux, dans le cadre de ses lois, une politique migratoire et d’asile respectueuse de la dignité de la personne humaine.

Cela signifie également que la lutte contre l’immigration clandestine est légitime, dans la mesure où elle se veut respectueuse de l’humain et impitoyable envers ceux qui tirent profit de la misère.

Le présent projet de loi ne procède pas à la nécessaire remise à plat du droit des étrangers que vous préparez. Il répond à l’urgence posée par des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation, lesquelles ont jugé qu’un étranger en situation irrégulière ne pouvait être placé en garde à vue pour ce seul motif, les mesures prévues par la directive Retour devant être mises en œuvre avant tout placement en détention.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la circulaire de Mme la garde des sceaux datée du 6 juillet 2012 précise qu’une garde à vue ne peut être envisagée que si une autre infraction punie d’une peine d’emprisonnement est relevée.

La nouvelle procédure de retenue d’un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français, prévue à l’article 2 du présent texte, tire simplement les conséquences de ces jurisprudences et tend à mettre notre droit en conformité avec nos engagements européens. Cette retenue, qui ne se confond pas avec une garde à vue, offre à l’étranger la possibilité d’exercer un certain nombre de droits.

Comme le rappelle le Gouvernement via l’amendement n° 26, la durée initialement prévue de seize heures maximum répond – précisément parce que c’est un plafond ! – à des considérations extrêmement précises et concrètes, à commencer par la durée nécessaire aux services compétents pour procéder aux vérifications requises et, le cas échéant, pour coordonner leur travail avec celui d’autres services.

Cette durée comprend également le temps de conduire la personne dans un local de police, de l’informer de ses droits, de permettre l’entretien avec son avocat, de procéder aux vérifications requises, de permettre un examen médical, de consulter les fichiers nécessaires ou encore de communiquer avec la préfecture.

De surcroît, le procureur de la République est avisé dès le début de la procédure et peut y mettre fin à tout moment.

Ces obligations qui incombent à l’officier de police judiciaire sont lourdes mais nécessaires à la garantie des droits de l’étranger. Scinder la durée de cette retenue en deux parties de dix heures, puis de six heures supplémentaires, ne paraît donc pas raisonnable : en effet, cette méthode conduirait mécaniquement à alourdir non seulement le travail des forces de police mais aussi celui du procureur.

De plus, si la situation de séjour irrégulier est avérée, les autorités préfectorales doivent prendre plusieurs décisions qui nécessitent une analyse juridique différenciée et complexe.

Une durée de retenue trop brève affaiblirait l’efficacité des services de l’État. L’action de ces services, au premier rang desquels figurent la police et la gendarmerie, est difficile : mes chers collègues, ce constat doit être signalé car, si la stigmatisation de l’étranger est inacceptable, celle de nos forces de sécurité l’est tout autant, n’en déplaise aux professionnels de l’angélisme. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le ministre, permettez-moi de citer les propos de l’un de vos prédécesseurs, qui vous est aussi cher qu’à moi : « Le Gouvernement n’a d’ennemis que ceux qui violent la loi. »

Respect de la personne dans tous les cas, sanction contre les abus de pouvoir, bien sûr, mais aussi respect de la loi de la République et sanction contre ceux qui la défient : voilà quel doit être, à nos yeux, le fil conducteur de la politique de la République.

Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UDI-UC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dresserai, en premier lieu, un constat simple : il est urgent de mettre notre législation en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice, faute de quoi les services de police et de gendarmerie seront dépourvus de tout instrument juridique approprié.

Permettez-moi de relever, une fois de plus, que, si ce texte exige la célérité, la procédure accélérée nous prive d’une navette nécessaire et utile sur deux sujets aussi importants l’un que l’autre dans le cadre de la politique d’immigration que nous menons sans relâche dans notre pays.

Ce texte, tel qu’il est, répond à une nécessité, mais il faut bien sûr observer dans le détail s’il sera opérationnel. Voilà pourquoi ce type de procédure nous paraît inapproprié.

Depuis les arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2012, il est interdit de placer en garde à vue les étrangers en situation irrégulière. À ce jour, les forces de l’ordre ne peuvent donc retenir les étrangers que pendant quatre heures, délai maximal prévu par la procédure de vérification d’identité. C’est tout à fait insuffisant, notamment pour que les préfectures puissent prendre des décisions solides et argumentées avant de lancer des procédures d’éloignement du territoire.

Vous avez donc inventé une procédure proche de la garde à vue : la retenue. Nous devons simplement nous assurer que celle-ci offre des protections suffisantes pour nos concitoyens et permette aux forces de l’ordre d’exercer au mieux leurs missions.

Nous avons déjà longuement débattu de l’aide humanitaire : personne n’a été condamné à ce titre. Nous devons veiller à ce que les passeurs et animateurs de filières qui exploitent les étrangers soient toujours poursuivis à l’avenir ; j’y reviendrai dans quelques instants.

Mes chers collègues, la France est une terre d’accueil de l’immigration. Elle continue à délivrer près de 180 000 titres de long séjour chaque année, ce qui la place désormais au deuxième rang mondial, derrière les États-Unis, pour l’accueil des réfugiés.

Cependant, notre pays doit rester une terre d’intégration. De fait, notre cohésion nationale ne s’est pas construite par la juxtaposition de communautés. Dans la conception française de la Nation, tout ressortissant étranger qui s’établit en France a vocation à s’intégrer, puis à s’assimiler, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, et donc à terme et sous conditions à devenir Français.

De fait, nous devons garder constamment à l’esprit la préoccupation d’assurer un équilibre entre le respect de notre tradition d’accueil et d’intégration, d’une part, et la fermeté de la lutte contre l’immigration illégale, de l’autre. Fermeté et humanité sont les deux pans d’une même politique ; c’est grâce à l’application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine que peut vivre la tradition d’accueil et d’intégration de la France.

Par ailleurs, nous concourons à la construction progressive d’une politique européenne de l’immigration et de l’asile, complément indispensable du grand espace de libre circulation issu des accords de Schengen. Elle est à l’origine du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité par l’ensemble des États membres de l’Union européenne le 16 octobre 2008, et négocié, à l’époque, par le ministre Brice Hortefeux et le gouvernement de François Fillon.

Trois directives européennes, adoptées par la suite et transposées en droit français à travers la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, que nous avons votée en 2011, créent un cadre juridique global et harmonisé pour une politique européenne de l’immigration.

Rappelons rapidement les principaux éléments de ce texte : le rééquilibrage entre l’immigration familiale et économique ; la création d’une administration centrale chargée de suivre l’ensemble du parcours d’un étranger candidat à l’immigration en France, depuis l’accueil au consulat jusqu’à l’intégration dans notre pays et l’éventuel accès à la nationalité française ; le renforcement de la lutte contre l’immigration illégale, au moyen notamment d’une augmentation du nombre d’éloignements effectivement réalisés et de l’intensification du démantèlement des filières et de la répression du travail clandestin ; la relance de la politique d’intégration autour d’un contrat d’accueil et d’intégration ; la promotion du développement solidaire et de la gestion concertée des flux migratoires ; enfin, la définition d’une politique de gestion des flux migratoires à l’échelon européen.

Mais nos efforts d’intégration de l’immigration légale et de lutte contre l’immigration illégale seront vains si l’ensemble de nos procédures sont inopérantes.

Nous devons poursuivre notre bataille contre l’immigration illégale, dont la lutte s’est manifestement intensifiée depuis 2007, comme en atteste notamment la hausse importante du nombre d’éloignements effectifs du territoire métropolitain.

Toutefois, s’agissant précisément des procédures administratives d’éloignement des étrangers, la garde à vue est désormais devenue impossible.

Or la garde à vue permettait à la préfecture, pendant les vingt-quatre – ou quarante-huit heures, en cas de prolongation – au cours desquelles la personne appréhendée était à la disposition des services de police ou de gendarmerie, de prendre une décision d’éloignement et de placement en rétention qui était immédiatement exécutée.

Depuis cet été, les services de police et de gendarmerie ne disposent plus que de la procédure de la vérification d’identité, dont la durée maximale est de quatre heures, pour mener à bien l’ensemble des opérations nécessaires au placement en rétention lorsque l’étranger se trouve dans une situation qui justifie une telle mesure.

Cette durée, comme l’ont régulièrement évoqué les représentants des forces de police et de gendarmerie, est beaucoup trop courte pour faire le point sur la situation administrative exacte de l’intéressé et pour que le préfet puisse éventuellement prendre une décision d’éloignement.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, votre proposition de créer une retenue de seize heures nous semble tout à fait pertinente. Elle l’est d’autant plus que vous y avez associé les garanties indispensables au regard des lois de la République.

La commission des lois, sur proposition du rapporteur, a souhaité scinder en deux temps ce délai de seize heures. Nous sommes un certain nombre, sur différentes travées, à penser que cette scission serait tout à fait déplorable.

Le délai de seize heures reste très inférieur à celui de la garde à vue. Le procureur pourra ainsi exercer son contrôle dès le début de la procédure et y mettre fin à tout moment. Cette scission risquerait de compliquer la procédure d’examen de la situation de la personne. Il nous apparaît donc important de rester sur cette durée intégrale de seize heures.

Enfin, en ce qui concerne le délit de solidarité, vous avez souhaité adjoindre des dispositions destinées à restreindre le champ du délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers.

Vous avez souhaité accéder, monsieur le ministre, à une revendication des associations en nous proposant d’élargir significativement le champ des immunités pénales applicables à ce délit, d’une part, aux membres de la famille du conjoint de l’étranger, d’autre part, aux associations humanitaires apportant une aide désintéressée aux étrangers sans papiers.

Vous avez également souhaité, monsieur le rapporteur, inclure dans la liste des personnes protégées par une immunité pénale les associations et leurs personnels engagés dans la fourniture de soins médicaux aux étrangers.

Jusqu’à la loi du 16 juin 2011, que nous avons voulue et soutenue, toute personne qui, par une aide directe ou indirecte, facilitait ou tentait de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France encourait cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Ces peines étaient applicables lorsque ce délit était commis par une personne se trouvant sur le territoire d’un État partie à la convention de Schengen. Ces mêmes peines étaient encourues par celui qui facilitait ou tentait de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale de 2000.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 mai 1998, avait rappelé « qu’il appartenait au juge, conformément au principe de légalité des délits et des peines, d’interpréter strictement les éléments constitutifs de l’infraction [...], notamment lorsque la personne morale en cause est une association à but non lucratif et à vocation humanitaire, ou une fondation, apportant, conformément à leur objet, aide et assistance aux étrangers ».

Dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil avait par ailleurs indiqué que « le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers », et que la qualification de cette infraction devait tenir compte « du principe énoncé à l’article 121-3 du code pénal, selon lequel il n’y a point de délit sans intention de le commettre ».

L’ensemble de ces dispositions, destinées à lutter contre les filières d’immigration clandestine et les réseaux de passeurs, étaient conformes à nos engagements internationaux et communautaires.

Mais, afin de ne pas inclure dans le champ de la répression des comportements relevant de l’assistance familiale ou humanitaire, nous avions toutefois institué une immunité pénale qui pouvait être invoquée par un certain nombre de personnes, s’inspirant ainsi de l’état de nécessité défini à l’article 122-7 du code pénal.

Nous le savions bien, en 2011, lorsque nous avons discuté de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dont j’étais le rapporteur : l’application de l’ensemble de ces dispositions suscitait un large débat, notamment au sein des réseaux associatifs impliqués dans l’assistance humanitaire aux étrangers, qui craignaient alors de faire l’objet de poursuites pénales sur le fondement de ce délit sans pouvoir se prévaloir de l’immunité pénale, dont le champ serait trop restreint.

C’est pourquoi le gouvernement de François Fillon avait décidé de répondre à ces inquiétudes en élargissant le champ de l’immunité pénale. Ainsi, ne pouvait faire l’objet de poursuites pénales la personne physique ou morale dont l’acte reproché est, face à un danger actuel ou imminent, « nécessaire à la sauvegarde de la personne de l’étranger ». Cette définition permet de viser, au-delà des situations de dangers extrêmes ou les périls quasi-mortels, les situations de dénuement auxquelles remédient les associations à vocation humanitaire notamment.

Nous sommes donc aujourd’hui quelque peu dubitatifs sur l’utilité de la précision apportée en commission par M. le rapporteur, qui étend explicitement l’immunité pénale aux personnes apportant des soins médicaux aux étrangers en situation irrégulière. Cette situation nous paraît pourtant évidente.

Nous attendons que le Gouvernement et le rapporteur nous apportent des éclaircissements sur ces propositions, afin que nous puissions délibérer avec plus de précisions.

Je conclurai en rappelant tous les efforts que nous avons menés, depuis plus de cinq ans, en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Je souhaite que cette lutte puisse se poursuivre. En vous écoutant, monsieur le ministre, j’ai cru comprendre que ce serait le cas. Le groupe UMP votera naturellement ce texte. Nous veillerons toutefois aux décisions qui seront prises pendant les débats, et nous rappelons que nous sommes très attachés au principe de l’unité de temps de seize heures prévue par le texte initial du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt-et-une heures quarante, sous la présidence de M. Jean-Patrick Courtois.