Monsieur le sénateur, il n’y a aucune hésitation mémorielle, bien au contraire. La politique mémorielle de la France n’a jamais été aussi engagée et le Président de la République, on le constate mois après mois, s’implique personnellement dans cette démarche.
S’agissant de la loi du 15 mai 1985, nous n’avons assurément pas pour volonté de ne pas l’appliquer. Notre souci est de surmonter des erreurs ou des difficultés d’interprétation de ce texte, qui est un bon texte, obstacles ayant freiné l’examen et la régularisation de ces dossiers.
Monsieur le sénateur, je partage votre point de vue : il est effectivement de notre devoir, non seulement de répondre à ces attentes des familles de déportés, mais aussi de le faire à un rythme accéléré. Vous avez cité les chiffres. Je les rappelle de mémoire : si 56 000 dossiers ont été réglés, le volume des dossiers encore pendants avoine le double de ce nombre. Plus de soixante ans après les faits, le travail reste à faire !
Justement, mon équipe, que vous avez citée à plusieurs reprises, a cherché à savoir d’où provenaient les difficultés.
Très précisément, Mme la garde des sceaux, saisie par notre secrétariat d’État, a transmis, le 29 octobre dernier, une circulaire à tous les parquets afin que ceux-ci appliquent uniformément la loi de 1985. Cette démarche va vraiment dans le sens de votre attente, et non dans le sens des critiques que vous avez formulées. Il s’agit bien de faire en sorte que la mention « Mort en déportation » puisse figurer sur les actes et jugements déclaratifs de décès.
Mais, pour pouvoir apposer cette mention, il est indispensable de détenir un dossier régularisé sur le plan de l’état civil et comportant toutes les pièces officielles nécessaires.
Concrètement, cette exigence se traduit par de nombreux courriers adressés aux mairies, notamment pour savoir s’il existe un jugement déclaratif de décès dont le service n’aurait pas forcément connaissance. Ces investigations sont parfois longues, par exemple dans les cas de recherche d’actes de naissance pour des étrangers d’Europe de l’Est, et, si toutes les pièces nécessaires à la constitution du dossier ne sont pas réunies, une instruction est nécessaire pour permettre l’apposition de la mention.
Néanmoins, pour la grande majorité de ces dossiers, les services de mon secrétariat d’État qui sont en charge de cette mission peuvent appliquer d’emblée les dispositions de la loi : « lorsqu’il est établi qu’une personne a fait partie d’un convoi de déportation sans qu’aucune nouvelle ait été reçue d’elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, au lieu de destination du convoi ».
En définitive, s’agissant des convois et des convois seulement, il existe deux cas de figure. Si la personne a fait partie d’un convoi de déportation et si aucune nouvelle n’a été reçue d’elle postérieurement à la date du départ de ce convoi, son décès est présumé survenu le cinquième jour suivant cette date, en application de la loi. Si la personne a fait partie d’un convoi, mais a été vue dans le camp d’arrivée ou dans tout autre camp postérieurement au délai de cinq jours prévu par la loi, c’est au tribunal de grande instance de régulariser le décès. D’où l’intérêt de cette circulaire de clarification de Mme la garde des sceaux.
Le travail de l’administration ne se limite donc pas à appliquer uniformément la règle des cinq jours. Il s’attache également à rechercher des informations contenues dans des documents d’archives, ce qui peut soulever des difficultés quand les archives proviennent de certains pays.
Dans ce cas, évidemment, la compétence du tribunal de grande instance est totale et lui seul rend le jugement déclaratif de décès, d’où, encore une fois, l’importance de la circulaire précisant la lecture qui doit être faite de la loi de 1985.
J’ai rappelé précédemment le nombre de dossiers encore en instance. Il est vrai que certains d’entre eux ne répondent pas aux critères définis pour l’application de la loi et, même en admettant que toutes les conditions sont réunies, certains sont inexploitables en raison du manque de pièces indispensables à leur instruction, par exemple des pièces d’état civil.
L’administration est tout à fait consciente d’avoir à honorer par un acte mémoriel toutes ces victimes, mais elle doit aussi mener sa mission en respectant ces critères.
Vous le savez, monsieur le sénateur, j’ai également été interpellé sur ce sujet par votre collègue de l’Assemblée nationale M. Charles de Courson. Celui-ci a d’ailleurs fait une intervention très émouvante, en évoquant le cas de ses grands-parents.
De mon côté, j’ai examiné de très près la situation de nos administrations. Quels moyens humains mettre en œuvre ? Comment former le personnel ? Par conséquent, je ne me contente pas de vous répondre que nous avons clarifié l’interprétation des textes, avec le soutien de Mme la garde des sceaux. Je balaie aussi devant ma porte, si je puis employer cette expression, afin que nous soyons en mesure, dans les prochains mois et les prochaines années, en tout cas le plus vite possible, de mener cette démarche à terme.
Nous avons mis en œuvre cette méthode de travail en 2009 et nous entendons, à juste titre, pouvoir honorer la mémoire de toutes ces personnes. C’est bien le moins que nous devons à leur famille !