Intervention de Jacky Le Menn

Réunion du 12 novembre 2012 à 21h45
Financement de la sécurité sociale pour 2013 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Jacky Le MennJacky Le Menn :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’appréciation de notre groupe sur la branche accidents du travail-maladies professionnelles, ou AT-MP, sur laquelle je souhaite intervenir ce soir, s’inscrit dans une volonté forte et permanente de voir consolidé notre système de protection sociale.

Dans cet esprit, mon intervention portera, tout d’abord, sur l’évocation des dernières statistiques inquiétantes de sinistralité, ensuite, sur la situation financière de la branche ATMP, enfin, sur les mesures de justice ayant trait à cette branche contenues dans le présent PLFSS.

Selon les derniers chiffres officiels disponibles, ceux de l’année 2010, le nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles a augmenté. On compte ainsi 680 000 accidents du travail, soit une hausse de 1, 1 %, dont 45 000 accidents graves, et 55 057 maladies professionnelles, soit une augmentation de 2, 7 %.

Chaque jour, plus d’une personne décède d’un accident du travail ou des suites d’une maladie professionnelle ; chaque année, 3 000 personnes meurent en France en raison de l’amiante.

Par ailleurs, on observe une augmentation du travail de nuit, qui concerne aujourd’hui 3, 5 millions de personnes.

Pour les femmes, cette hausse constitue un facteur de risque supplémentaire. L’étude CECILE, menée en 2010 par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM, dans mon département d’Ille-et-Vilaine et dans celui de la Côte-d’Or, montre que le risque de cancer du sein augmente de 30 % chez les femmes ayant travaillé de nuit.

Les conditions de travail ont un impact direct sur la santé. Les personnes les plus exposées à la pénibilité sont celles dont l’espérance de vie à 35 ans est la plus faible.

Les conditions d’emploi ont aussi une incidence non négligeable. Les salariés sous contrat précaire sont plus exposés à des troubles dépressifs, à des accidents et à des maladies, dans la mesure où leur formation à la sécurité est moindre et où ils travaillent sur des postes à risques.

Enfin, il faut rappeler que, sur une longue période, depuis 2001, les dépenses de la branche AT-MP pour les maladies professionnelles sont passées de 1 milliard d'euros à 2, 2 milliards d'euros, soit 20 % des dépenses de la branche.

Cette évolution négative de la sinistralité liée au travail n’est pas admissible sur le plan humain et elle est de moins en moins supportable sur le plan financier.

La situation financière de la branche AT-MP est très fragilisée depuis 2003. La dette cumulée a notamment augmenté, et la branche se trouve en déficit après une quarantaine d’années au cours desquelles elle était excédentaire.

Depuis 2003, la branche a connu une succession de déficits allant de 100 millions d'euros à 700 millions d'euros en 2009 et 2010, ce qui explique que la dette cumulée atteigne 1, 7 milliard d’euros, selon le rapport sénatorial d’information de Jean-Pierre Godefroy et Catherine Deroche au mois de juillet 2012.

En 2012, pour la deuxième année consécutive, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de la branche AT-MP : « Les insuffisances cumulatives du contrôle interne [...] et de l’activité de recouvrement portent atteinte à l’exhaustivité et à l’exactitude des cotisations sociales affectées à la branche AT-MP. » Vocabulaire inimitable pour qualifier l’obscurité de gestion...

Les causes de la dette sont tout autant structurelles que conjoncturelles.

Les transferts vers d’autres régimes ont été, en 2011, de 2, 562 milliards d'euros, en augmentation de 1, 8 % par rapport à 2010. Ils représentent maintenant 21, 7 % des charges imputables à la branche AT-MP, ce qui, sur le plan structurel, ne manque pas d’étonner.

En 2012, le transfert vers la branche maladie s’élève à 790 millions d’euros, au motif habituel de la sous-déclaration et de la sous-reconnaissance des AT-MP.

En ce qui concerne la branche vieillesse, la contribution pour les départs anticipés à la retraite pour pénibilité est de 110 millions d’euros en 2012, après 35 millions d'euros en 2011. Elle ne figure pas dans l’avant-projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Le Gouvernement indique que les crédits non utilisés de 2012 sont suffisants pour couvrir les prévisions de 2013, à raison de 300 à 400 demandes par mois. Il est prévu que cette contribution n’existe plus à la suite de la prochaine réforme de 2013 sur les retraites, ce qui nous semble sain et opportun.

J’en viens aux fonds destinés aux victimes de l’amiante.

Pour 2013, les montants proposés sont respectivement de 115 millions d’euros pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA, soit une économie de 200 millions d'euros par rapport à 2011 et à 2012, et de 890 millions d'euros pour le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, le FCAATA. Pour le FIVA, le Gouvernement indique que le fonds de roulement de 350 millions d'euros est suffisant pour couvrir 2013, ce dont nous prenons acte, et que la dotation sera revue au niveau nécessaire pour couvrir les besoins en 2014. Sur ce dernier point, nous faisons totalement confiance au Gouvernement.

La faiblesse de la progression de la masse salariale – chômage partiel, licenciements, précarité, etc. – dans les secteurs à forte sinistralité constitue une autre raison de la dette. Dans ces conditions, il est absolument nécessaire de relancer la croissance. C’est ce à quoi s’attelle le Gouvernement.

Le coût des procédures contentieuses pour la branche AT-MP a explosé depuis plusieurs années. Il a augmenté de 70 millions d'euros par rapport à 2010, pour atteindre 520 millions d'euros en 2011. Il pèse donc de façon non négligeable sur le résultat comptable de la branche.

La réforme de l’instruction des procédures d’AT-MP, prévue par le décret du 29 juillet 2009 et entrée en application le 1er janvier 2010, a pour objet de limiter cette inflation procédurière.

C’est en effet un véritable marché qui s’est peu à peu créé sur ce point avec l’externalisation de la gestion du risque AT-MP vers des cabinets spécialisés et la systématisation des recours. Ce faisant, nombre de grandes entreprises ont cessé de s’impliquer dans la gestion de ce risque, ce qui est particulièrement regrettable.

Quelle solution peut être proposée pour assainir la situation de cette branche ?

Avec un déficit cumulé de 1, 7 milliard d’euros, que l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, estime à 2, 2 milliards d’euros en prenant en compte les besoins du fonds de roulement et le calendrier des transferts sur d’autres branches, il est évident qu’une augmentation des cotisations des employeurs devient inévitable.

Au demeurant, il convient de rappeler que, si le taux moyen actuel n’est que de 2, 385 % de la masse salariale, il était en 1981 de 4 %. Depuis lors, il a connu une série de baisses, dont une importante diminution en 1993, passant alors à 2, 6 %, sans que celle-ci soit justifiée par une réduction significative des accidents du travail et maladies professionnelles ou une responsabilisation particulièrement remarquable des entreprises en matière de prévention.

Considérant que 0, 1 point de cotisations représente environ 500 millions d'euros payés par 2, 3 millions d’employeurs cotisants, une augmentation unique de 0, 4 point représenterait immédiatement la résorption de la dette. Ce pourrait être une solution. Toutefois, cette mesure budgétaire est inappropriée dans le contexte économique actuel.

Le Gouvernement propose donc une autre approche, plus adaptée, pour à la fois prendre en compte la fragilité de la situation financière de la branche AT-MP et commencer à apurer la dette cumulée, tout en créant et finançant des mesures de justice pour mieux accompagner les victimes du monde du travail. Cela ne peut que recueillir l’adhésion de notre groupe parlementaire.

Comment améliorer la structure financière de la branche ?

En 2013, en tendanciel, c’est-à-dire sans mesures correctrices, le déficit de la branche devrait atteindre 154 millions d’euros. Avec les nouvelles mesures proposées dans le projet de budget qui nous est présenté, à savoir le relèvement de 0, 05 point des cotisations dues par les employeurs, l’amélioration du recouvrement des sommes dues en cas de faute inexcusable de l’employeur prévue à l’article 66, qui devrait rapporter 10 millions d’euros en 2013, et la diminution, aujourd’hui possible, de la dotation au FIVA, le régime général de la branche AT-MP sera excédentaire à hauteur de 300 millions d’euros. Il s’agit donc là d’un point très positif, puisque serait enfin stoppée l’augmentation de la dette avec, en perspective, sa résorption à moyen terme.

S’agissant des mesures de justice et d’équité prévues dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, elles étaient attendues avec impatience par les intéressés et leurs associations représentatives.

Ainsi, l’actuelle majoration pour tierce personne sera remplacée par la création de la prestation d’aide à l’emploi pour tierce personne pour les victimes d’AT-MP, mesure prévue à l’article 65. Cette dernière disposition répond à une revendication justifiée des partenaires sociaux dans l’accord interprofessionnel du 12 mars 2007 sur la prévention, la tarification et la réparation des risques professionnels.

Les salariés dont l’incapacité permanente, à la suite d’un sinistre professionnel, est d’au moins 80 % et qui sont dans l’incapacité d’effectuer les actes ordinaires de l’existence sans l’assistance d’autrui bénéficient d’une majoration pour tierce personne.

Aujourd’hui, le montant de cette prestation n’est pas fondé sur leurs besoins réels.

L’article 65, applicable au 1er janvier 2013, crée donc une nouvelle prestation, dont le montant ne dépendra plus de celui de la rente, mais sera fonction des seuls besoins d’assistance de la personne.

Il s’agit bien d’une mesure de justice sociale et d’équité qui est tout à l’honneur du Gouvernement. Le financement de cette mesure représente 0, 01 point de hausse des cotisations employeurs, inclus dans le 0, 05 point dont j’ai fait état précédemment.

Il en est également ainsi des mesures prévues à l’article 66, comme l’obligation d’un remboursement immédiat par l’employeur du capital représentatif de la hausse de la rente, en cas de faute inexcusable ayant causé un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Enfin, pour les travailleurs victimes de l’amiante, l’article 67 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 étend à tous les régimes de retraite la possibilité pour les bénéficiaires d’une allocation de cessation anticipée d’activité de liquider leur pension dès 60 ans en cas de carrière complète. Auparavant, cette possibilité n’était ouverte que dans certains régimes. Des différences de traitement injustifiées et particulièrement choquantes pourront donc être corrigées.

Je conclurai mon intervention en soulignant que les mesures contenues dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, notamment celles qui concernent le volet AT-MP, vont dans le bon sens. Mon groupe votera donc les articles relatifs à la branche accidents du travail et maladies professionnelles, tout comme il votera, en toute confiance, l’ensemble de ce texte.

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