Intervention de Martial Bourquin

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Martial BourquinMartial Bourquin, rapporteur pour avis :

Au-delà de la présentation générale des crédits, mon rapport porte sur les politiques d'appui à la création d'entreprise, ce qui regroupe trois choses : les politiques de simplification des démarches de création, les politiques d'accompagnement des créateurs et les politiques d'appui financier à la création.

De nombreuses réformes ont été conduites dans ce domaine au cours des dix dernières années. Des réformes nouvelles sont également annoncées, notamment la création de la Banque publique d'investissement. Il est donc utile de faire un bilan d'étape sur ce sujet complexe. En raison de la pluralité des objectifs poursuivis, de la multiplicité des outils mis en place, de la diversité des acteurs et de l'éparpillement de l'information qui en résulte, la lisibilité de ces politiques est aujourd'hui assez faible. Les actions de l'État en la matière sont inscrites dans sept programmes budgétaires différents. Par ailleurs, l'État intervient souvent de façon indirecte, via des établissements publics qui disposent d'une large autonomie, qu'il s'agisse des réseaux consulaires, d'Oséo, de Pôle-emploi ou encore de la Caisse des dépôts et consignations. Il intervient aussi en coopération avec des acteurs privés, notamment des associations spécialisées dans l'accompagnement des entrepreneurs, comme l'Adie ou le Réseau entreprendre. Enfin, l'action de l'État s'articule de plus en plus avec celle des collectivités territoriales - principalement les régions. Avoir une vision d'ensemble est donc un vrai défi

Concernant les politiques de simplification des démarches administratives, ce fut l'un des axes majeurs de la politique conduite par les précédents gouvernements, qui ont fait adopter plusieurs textes importants, notamment la loi pour l'initiative économique du 1er août 2003, la loi en faveur des petites et moyennes entreprises du 2 août 2005 et la loi de modernisation de l'Économie du 4 août 2008.

Les lois Dutreil I et II ont permis d'apporter un certain nombre de réponses concrètes à des difficultés ciblées, par exemple, en mettant en place un récépissé de création d'entreprise qui permet d'accélérer les démarches nécessaires à l'installation ; en donnant la possibilité de domicilier son entreprise à son domicile ou en facilitant la transition entre le statut de salarié et celui d'entrepreneur.

Un travail a également été accompli pour mettre en place un régime fiscal et social simplifié pour les micro-entreprises, qui dispense les micro-entrepreneurs d'établir une déclaration au titre des BIC ou des BNC, leur accorde une franchise de TVA et leur offre la possibilité, pendant deux ans, de demander que l'ensemble de leurs cotisations et contributions de sécurité sociale soient calculées trimestriellement au réel et non pas sur une assiette forfaitaire.

La création du régime de l'auto-entreprise a tenté d'aller vers encore plus de simplicité en réduisant à leur plus simple expression les formalités de création, en dispensant les auto-entrepreneurs de la formalité et des frais d'immatriculation et en rendant permanent le régime social qui existait de manière temporaire pour les micro-entreprises.

Enfin, depuis janvier 2010, s'est mis en place un guichet unique électronique de la création d'entreprise qui permet de réaliser l'ensemble des démarches administratives nécessaires à la création par internet et qui devrait être étendu pour dématérialiser aussi les procédures d'autorisation des activités réglementées.

Ces diverses mesures se sont accompagnées d'une augmentation du nombre de créations d'entreprises. On est passé de 200 000 entreprises par an au début des années 2000 à 330 000 en 2008, soit une hausse de 50 % en quelques années. Cette tendance s'est sans doute poursuivie par la suite, même si, à partir de 2009, l'entrée en vigueur de la réforme sur l'auto-entreprise a rendu les données très difficiles à interpréter. Le nombre brut de créations d'entreprises, auto-entrepreneurs inclus, atteint en effet 620 000 en 2010, soit le double de ce qui est enregistré en Allemagne, au Royaume-Uni ou en Italie. Cependant la moitié des auto-entreprises sont des coquilles vides qui ne génèrent aucune activité. Par ailleurs, une partie des auto-entrepreneurs qui dégagent un chiffre d'affaires sont des pluriactifs qui cumulent de façon permanente activité salariée et activité indépendante, et pour qui les revenus de l'entreprise sont simplement un revenu d'appoint. Finalement, les auto-entrepreneurs qui développent une activité entrepreneuriale exclusive sont minoritaires (un quart du total) et les revenus qu'ils dégagent sont en moyenne trois fois plus faibles que ceux des entrepreneurs classiques. Malgré ce bilan contrasté de l'auto-entreprise, il reste que la France fait désormais aussi bien que les autres grands pays européens en matière de créations d'entreprises sur le plan quantitatif.

Le bilan qualitatif est lui moins satisfaisant, comme l'illustrent trois observations. Le taux de pérennité à cinq ans des entreprises française, de 52 %, reste encore faible. La France crée de nombreuses entreprises, mais ces entreprises ont, dès le départ, un potentiel de croissance très insuffisant. La grande majorité des créateurs d'entreprises mobilisent des ressources très limitées pour créer leur entreprise : 94 % des entreprises en France sont créées sans salarié ; une entreprise sur cinq est créée avec moins de 2 000 euros ; une sur deux avec moins de 10 000 euros. Il est donc temps désormais, sans perdre l'acquis des simplifications administratives déjà réalisées, de réorienter les politiques d'appui en les faisant porter moins sur l'acte administratif de création lui-même et davantage sur la stimulation de la croissance des entreprises nouvelles.

Concernant l'accompagnement des porteurs de projet et des nouveaux entrepreneurs, quelques données de cadrage sont utiles. Seulement 28 % des créateurs de 2010 ont reçu l'appui d'une structure dédiée à la création d'entreprises. C'est trop peu. C'est même moins qu'en 2006. Deux créateurs sur trois n'ont suivi aucune formation. Ces chiffres montrent que l'enjeu de l'accompagnement est encore trop négligé. Et pourtant, l'accompagnement fonctionne : les chances de survie d'une entreprise accompagnée sont supérieures d'un tiers à celle d'une entreprise qui ne l'est pas, avec un taux de survie à 5 ans de 66 % au lieu de 50 %.

Comment faire mieux dans ce domaine ? Faut-il davantage de moyens ? Ce n'est pas certain. La fonction d'accueil et de suivi des créateurs est d'ores-et-déjà remplie par de nombreux réseaux. J'en ai recensé neuf d'importance significative : celui des chambres de commerce et d'industrie et celui des chambres de métiers, qui sont les plus importants par la taille et le volume d'activité du fait de leur vocation généraliste d'accueil ; celui de Pôle emploi ; et enfin ceux des associations labellisées : le Réseau des boutiques de gestion, France initiative, Adie, France active, le Réseau Entreprendre et l'Union des couveuses. D'après les chiffres fournis par la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), dans l'ensemble, les crédits publics mobilisés pour financer ces réseaux avoisinent 120 millions d'euros en 2011.

Si chaque réseau fournit des statistiques sur son activité, faute de référentiel normalisé de l'accompagnement et de système partagé des informations, il n'est pas possible d'agréger ces données. Un porteur de projet peut ainsi, au cours de son parcours de création, frapper à plusieurs portes, et être comptabilisé plusieurs fois dans les chiffres. Il n'est pas possible non plus de comparer l'activité et la performance des différents réseaux car la nature et l'intensité des actions d'accompagnement varie de l'un à l'autre. La priorité doit donc être de travailler sur l'organisation de l'offre d'accompagnement en mettant l'accent sur plusieurs éléments :

- produire des référentiels nationaux permettant d'harmoniser les normes d'accompagnement entre les réseaux et entre les régions, sans perdre le bénéfice d'un accompagnement personnalisé. C'est indispensable pour assurer une certaine équité entre les usagers. C'est nécessaire aussi pour piloter le système d'accompagnement et notamment pour identifier les dispositifs les plus efficaces ;

- améliorer la lisibilité de l'offre d'accompagnement. Il ne s'agit pas forcément de supprimer des réseaux, car une offre différenciée permet de répondre à des besoins eux-mêmes divers. En revanche, la mise en place de guichets d'orientation ou de plateformes de coordination des acteurs de l'accompagnement permettrait de mieux faire se rencontrer l'offre et la demande d'accompagnement. Je suis favorable a priori à ce que chaque région prenne en main la fonction de coordination des réseaux et que, dans le cadre de référentiels nationaux, elle sélectionne par appel à projet l'acteur le plus à même de remplir le rôle de guichet d'orientation ;

- développer l'accompagnement post-création dans les premiers mois ou les premières années de la création d'entreprise, notamment en direction des entreprises qui ont un fort potentiel de développement.

Concernant l'appui au financement des créations d'entreprise, on peut rappeler que les pouvoirs publics interviennent de façon substantielle, ce qui se justifie par la nécessité de pallier les insuffisances du système bancaire ou des marchés financiers, soit en prenant le relais des mécanismes de financement privés, soit le plus souvent en jouant un rôle d'impulsion destiné à impliquer les financeurs privés dans les tours de table. C'est alors un effet de levier qui est recherché à travers des mécanismes de cofinancement.

Cette intervention massive se fait à travers une gamme d'outils de financement très diversifiée, de manière à répondre à des besoins qui changent selon le profil du créateur, le secteur d'activité ou de la phase dans laquelle se trouve l'entreprise en cours de création. Cette grande diversité de l'offre devra sans doute conduire à une rationalisation de la gamme et surtout à la mise en place d'un guichet d'accueil destiné à mieux orienter les porteurs de projet vers les financements adaptés à leur profil spécifique. Ce sera assurément l'un des rôles de la future banque publique d'investissement.

Une première catégorie d'outils de financement est constituée de subventions ou d'exonérations fiscales ou sociales accordées directement aux créateurs d'entreprises. Les principales sont l'aide aux demandeurs d'emploi créant ou reprenant une entreprise (ACCRE), dont le coût de 245 millions d'euros est supporté par la sécurité sociale ; l'aide à la reprise ou à la création d'entreprise (ARCE), versée par Pôle emploi, qui représente un coût de 977 millions d'euros pour l'UNEDIC ; le maintien, sous certaines conditions, de l'allocation chômage pour les chômeurs créateurs d'entreprise, qui coûte à l'UNEDIC 227 millions d'euros ; les différentes exonérations sociales liées au régime de l'auto-entreprise, prises en charge par l'État à hauteur de 243 millions d'euros et, enfin, le dispositif Jeunes entreprises innovantes (JEI) qui coûte 107 millions d'euros, pris en charge également par l'État. Au total, ces aides directes aux créateurs ont représenté 1,865 milliards d'euros en 2011.

La deuxième grande catégorie d'outils du financement public de la création d'entreprise est constituée des financements donnant lieu à remboursement, qu'il s'agisse d'aides remboursables ou de prêts bonifiés, voire de prêts à taux zéro. Ces prêts ou avances sont le plus souvent utilisés conjointement avec des systèmes de garantie publique, ce qui permet de démultiplier l'effet de levier. Les principaux outils répondant à cette logique d'appui sont les Prêts à la création d'entreprise (PCE) accordés par Oséo (16 000 prêts en 2011 pour un montant de 92 millions d'euros) ; les subventions et avances remboursables octroyées dans le cadre du programme Aide à l'innovation d'Oséo, pour un coût annuel de 315 millions d'euros et les prêts à taux zéro Nacre qui sont financés par le ministère de l'Emploi pour un coût annuel de 78 millions d'euros.

Ces outils de co-financement et de garantie sont particulièrement intéressants. D'une part, grâce à leur effet de levier, ils limitent l'importance de l'engagement de fonds publics à un niveau raisonnable. Ainsi, les 170 millions d'euros de fonds publics consacrés au PCE et à Nacre ont permis de lever un financement total de 793 millions d'euros. D'autre part, ce ne sont pas des financements publics aveugles, comme peuvent l'être les dépenses fiscales, mais des dispositifs ciblés et contrôlés : les pouvoirs publics instruisent les dossiers et peuvent vérifier que leurs fonds sont investis conformément aux objectifs d'intérêt général recherchés. Pour rendre ces outils encore plus intéressants, il pourrait être utile de réfléchir à leur adaptation au soutien de projets de création plus ambitieux en s'inspirant du cas allemand. La banque publique KfW propose en effet trois grands types de crédits spécifiquement tournés vers la création d'entreprises : le Gru·nderkredit Universell (1,9 milliards d'euros de financements en 2011), le Startsgeld (249 millions) et l'aide à la formation d'un capital. Les deux premières formules concernent des prêts respectivement de 10 millions d'euros sur 20 ans et de 100 000 euros sur 10 ans. L'aide à la formation d'un capital consiste quant à elle en un prêt à taux réduit d'un montant maximal de 500 000 euros sur 15 ans. On est donc sur un ordre de grandeur très différent du cas français. Par comparaison, nos outils de financement paraissent davantage ciblés vers des projets de taille modeste ou moyenne.

La troisième catégorie d'outils d'appui financier aux créateurs d'entreprise comporte les outils de renforcement des fonds propres. Ils peuvent suivre deux logiques : la première consiste pour l'Etat, le plus souvent indirectement via la Caisse des dépôts et consignations ou Oséo, à renforcer le haut de bilan des sociétés ; la seconde consiste à inciter des financeurs privés, au moyen d'incitations fiscales, à orienter leur épargne vers le capital des PME.

Concernant le premier axe, plusieurs initiatives intéressantes ont été prises ces dernières années :

- le Programme des investissements d'avenir, partant du constat qu'il existait en France un vide dans la chaîne du capital-risque au niveau de l'amorçage, a créé un Fonds national d'amorçage, doté de 400 millions d'euros. Il vise des tours de table de l'ordre de 0,5 à 1,5 millions d'euros et est opérationnel depuis juin 2011 ;

- CDC Entreprises investit directement en fonds propres dans des PME ou des ETI ou bien investit dans des fonds d'investissement partenaires, dits fonds de fonds, qui souscrivent à leur tour au capital de PME. En 2011, elle a investi dans 257 fonds d'investissement, dont 138 fonds nationaux et 84 fonds régionaux ; elle a ainsi apporté 1,25 milliards d'euros dans 844 PME, dont 881 millions d'euros dans 422 entreprises nouvelles ;

- pour répondre au souci des créateurs d'entreprises d'attirer des capitaux sans perdre le contrôle de leur société, les pouvoirs publics ont également mis sur pied des outils de financement en quasi fonds propres. Il en existe une gamme assez large, mais le produit le plus connu est sans doute les prêts participatifs d'amorçage d'Oséo.

Les outils de renforcement des fonds propres sont efficaces et je lance un appel pour qu'ils soient renforcés, car la situation du capital-risque français s'est fortement détériorée au cours des dernières années : alors que 12,5 milliards d'euros avaient été investis par le capital-investissement français en 2007, on est tombé à 4,5 milliards en rythme annuel en 2012. Si on ne corrige pas cette situation, il y a un risque majeur pour la croissance française.

Enfin, le renforcement des fonds propres passe aussi par des dépenses fiscales :

- la déduction Madelin permet de réduire l'impôt sur le revenu au prorata des souscriptions effectuées auprès de sociétés non cotées. Cette niche a été progressivement réduite mais devrait coûter à l'Etat 150 millions d'euros en 2013 ;

- la déduction ISF-PME, créée par la loi TEPA du 21 août 2007, a été réformée de manière substantielle par la loi de finances pour 2011, en vue d'être recentrée sur les entreprises rencontrant des difficultés d'accès au financement en fonds propres et de mettre fin à certaines situations abusives. Le taux de déduction a été ramené de 75 % à 50 % et sont dorénavant exclues du dispositif, les entreprises exerçant des activités immobilières et financières, ou encore celles dont l'actif est constitué de façon prépondérante de métaux précieux, d'oeuvres d'art, d'objets de collection, d'antiquités, de chevaux de courses ou encore de vins. Même ainsi recentrée, cette niche fiscale devrait coûter 480 millions d'euros l'année prochaine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion