Intervention de Pierre Hérisson

Commission des affaires économiques — Réunion du 14 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « économie » - examen du rapport pour avis

Photo de Pierre HérissonPierre Hérisson, rapporteur pour avis :

Je vais évoquer avec vous le volet « Poste et communications électroniques » de la mission « Economie ». Je le ferai en deux temps : tout d'abord, une analyse des évolutions budgétaires pour 2013, puis quelques développements sur la situation actuelle du secteur des communications électroniques.

L'analyse budgétaire, pour commencer, porte sur les actions n° s 4 et 13 du programme 134. Elles correspondent à des sommes faibles -33 millions d'euros- au regard du poids du secteur dans la richesse nationale.

L'action n 4 est consacrée au « développement des télécommunications, des postes et de la société d'information ».

1,5 million d'euros est affecté au remboursement de La Poste pour l'acheminement des correspondances ordinaires reçues par le Président de la République et pour des cécogrammes, qui se fait en franchise postale. Cette dotation était l'an passé de 158 millions d'euros. Cette baisse drastique s'explique essentiellement par le transfert à la mission « Médias » de la totalité de la compensation par l'Etat des surcoûts de la mission de service public de la presse par voie postale.

En outre, au sein de cette action n° 4, 8,6 millions d'euros - soit une hausse de 3 % -sont attribués par la France à divers organismes internationaux, dont l'Union postale universelle et la Conférence européenne des postes et télécommunications.

Signalons qu'il existe d'autres crédits consacrés à La Poste en-dehors de cette mission « Économie ».

D'une part, l'allègement de fiscalité dont bénéficie le groupe au titre de sa mission d'aménagement du territoire. Il a été fixé à 170 millions d'euros par an par le contrat de présence postale territoriale de 2011-2013, contre 135 millions dans le précédent.

D'autre part, les sommes versées à la Banque Postale pour la rémunération de 0,75 % du livret A ainsi qu'au titre de sa mission de service public d'accessibilité bancaire. Elles sont en baisse récurrente, passant de 280 millions d'euros en 2009 à 235 millions prévus pour 2013.

L'action n° 13 est consacrée à la « régulation des communications électroniques et des postes ». Outre la subvention à des organismes internationaux et des associations oeuvrant à la promotion de la société de l'information, qui augmente de 3 %, ces crédits financent deux autorités de régulation du secteur.

D'une part, l'Agence nationale des fréquences (ANFR). Avec 34,7 millions d'euros, son budget recule de 3 %. L'Agence a engagé un effort de réduction des coûts très important, allant jusqu'à fermer l'un de ses sites en région parisienne. Or, elle se trouve dans le même temps devoir faire face à la multiplication de ses missions. A ce titre, elle doit par exemple gérer la réception de la télévision numérique terrestre (TNT), qui se trouve brouillée par les fréquences 4G sur la bande des 800 MHz et nous l'avions d'ailleurs souligné au Sénat.

L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) est la seconde autorité indépendante également financée sur cette action. S'élevant à 22,9 millions d'euros, son budget est en baisse de 2,9 %. Hors dépenses de personnel, les crédits de l'Autorité ont diminué de 15 % au cours des quatre dernières années. En matière de personnel, elle se voit priver d'un emploi, avec 173 employés. Cela alors que ses missions ne cessent de s'étendre, du fait des lois que nous votons, notamment. Et que, paradoxalement, elle rapporte massivement des ressources à l'Etat : de par les systèmes d'enchères qu'elle a mis en place, les licences de téléphonie mobile ont été cédées pour 5,6 milliards d'euros depuis 2010 !

Pour faire face à ces restrictions budgétaires, l'ARCEP a « taillé dans le vif » : renégociation de son bail immobilier, réduction accélérée du parc de voitures, baisse des dépenses d'études ... Elle constitue à cet égard un « modèle de vertu budgétaire », dont devraient s'inspirer bon nombre d'autres administrations, et reste plus productive que ses homologues d'autres pays européens. Mais elle arrive aujourd'hui à la limite de ses possibilités : le risque est que ses fonctions de régulateur soient mises à mal, ce qui aurait un effet très négatif sur le bon fonctionnement du marché des télécoms. La question ne manquera pas de se reposer à l'occasion d'un rapprochement éventuel entre l'ARCEP, le CSA et l'ANFR.

Je voudrais à présent vous dire quelques mots de ce marché des télécommunications, justement, auquel je consacre des développements dans le rapport.

Si on le regarde du point de vue du consommateur, il ne s'est jamais aussi bien porté. Avec près de 23 millions d'abonnements haut débit, 760 000 abonnements très haut débit et 70,4 millions de clients mobiles, des records sont battus cette année. Signe d'un changement de modèle, le nombre d'abonnements téléphoniques passant par le réseau ADSL est supérieur pour la première fois au nombre d'abonnements téléphoniques classiques. Les prix ne cessent de baisser sur le mobile. Sur le fixe, ils ont légèrement remonté du fait de la hausse de la TVA sur le triple play, mais la qualité a été considérablement accrue, avec des offres fibre quasiment au même tarif que l'ADSL, et de nouveaux services.

Si l'on regarde maintenant le marché du côté de l'offre, la vision est un peu différente. L'ouverture à la concurrence, dans les années 90, a provoqué l'émergence de très nombreux opérateurs, avant un mouvement de concentration dans les années 2000 autour de quelques grands acteurs, disposant chacun d'un réseau d'infrastructures et proposant des offres fixe-mobile.

Or, comme cela a été le cas dans le fixe, l'arrivée d'un nouvel opérateur dans le mobile, Iliad-Free, en tout début d'année, a bouleversé l'équilibre du secteur. La simplicité de ses offres, leur grande compétitivité et le découplage entre abonnement et terminal ont provoqué une fuite massive des clients des autres opérateurs à son profit. Ces opérateurs historiques ont du s'adapter et réduire leurs tarifs, comprimant ainsi leurs marges et réduisant leurs profits.

Ce « tsunami » dans le paysage numérique intervient dans un contexte par ailleurs tendu pour les opérateurs nationaux. Leur parc d'abonnés mobiles était déjà en érosion au profit d'opérateurs virtuels, qui possèdent désormais 11 % du marché. La baisse des prix des terminaisons d'appel et d'itinérance leur a fait perdre 15 milliards d'euros. Ils paient chaque année 1,2 milliard d'euros de sur-fiscalité spécifique au secteur, quoique souvent déconnectée de celui-ci. La création de valeur est de plus en plus captée par des acteurs mondiaux quasiment non imposés en France, du fait de stratégies d'optimisation fiscale, tels que Google.

Ces contraintes se traduisent par une baisse des revenus des opérateurs, s'aggravant depuis cette année, et par un recul de leur rentabilité. Cette évolution les place en situation de fragilité à l'égard d'investisseurs hostiles, tels que l'opérateur mexicain America Movil, quatrième plus gros opérateur au monde. Elle fragilise toute la filière en aval, notamment nos équipementiers de réseau, tels que Alcatel-Lucent, en situation très difficile. Elle limite les investissements de nos opérateurs dans les réseaux de demain, fibre optique et 4G, pourtant essentiels à leur redressement futur.

Toutefois, des motifs d'espoir existent pour l'avenir, et je souhaite terminer sur cette note plus optimiste. Des relais de croissance apparaissent : montée en gamme avec les offres 4G, dont les tarifs devraient être plus élevés ; équipement des entreprises, au fort potentiel de croissance ; marché des cartes « machine to machine », qui équiperont toutes les voitures neuves dès 2015 et les compteurs intelligents ...

Le secteur devrait se consolider, comme le montrent les rumeurs de rapprochement entre SFR et Numericable ou SFR et Free. Il leur permettrait d'atteindre une véritable masse critique et les mettrait à l'abri d'un rachat agressif ;

La réflexion semble désormais bien lancée, y compris à l'échelle européenne, sur la façon d'« atteindre au portefeuille » les grands acteurs mondiaux de l'internet pour leur activité sur notre territoire. Notre collègue Philippe Marini est particulièrement impliqué sur ce point.

Enfin, le régulateur sera amené, si de grands déséquilibres persistent, à réorienter son intervention pour réunir à nouveau les conditions d'une concurrence saine et efficace.

Je conclurai, Monsieur le Président, mes chers collègues, en donnant un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie », en cohérence avec les développements budgétaires que je viens de vous exposer.

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