Intervention de Françoise Laborde

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 14 novembre 2012 : 2ème réunion
Écoles de production — Examen du rapport

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde, rapporteure :

Cette proposition de loi donne aux écoles de production, à titre expérimental, un nouveau cadre juridique. Ces écoles se caractérisent par une méthode pédagogique spécifique privilégiant la formation par la pratique : la formation en atelier représente les deux tiers du temps pédagogique, le dernier tiers étant consacré à la formation théorique en classe. Destinées principalement à des jeunes de 14 à 18 ans ayant décroché du système éducatif traditionnel, elles se proposent de former leurs élèves en les plaçant en situation réelle de production, en réponse à des commandes de clients, sans les contraindre à alterner comme les apprentis entre l'école et l'entreprise. Elles revendiquent donc leur statut d'« écoles-entreprises ».

Les écoles de production n'étant pas sous contrat avec l'État, elles ne sont pas soumises au contrôle pédagogique du ministère de l'éducation nationale. Elles sont cependant agréées comme centres d'examen de certains diplômes de niveau V et IV tels que le certificat d'aptitude professionnelle (CAP), le brevet d'études professionnelles (BEP) ou le baccalauréat professionnel. Les métiers enseignés couvrent une large palette de secteurs économiques : des métiers de la métallerie et de la menuiserie à la mécanique industrielle et automobile, en passant par des métiers d'art ou de services tels que l'ébénisterie, la haute couture, la restauration et l'hôtellerie. La Fédération nationale des écoles de production (FNEP) dénombre aujourd'hui quinze écoles de production, dont huit en région Rhône-Alpes.

La FNEP indique qu'en juin 2010, 85 % des élèves des écoles de production ont obtenu leur diplôme. Pour ce qui est de l'insertion professionnelle, l'efficacité de cette voie de formation semble démontrée : la moitié des diplômés accèdent sans grande difficulté à un emploi, l'autre moitié choisissant en général de poursuivre leurs études. Ces écoles sont un élément intéressant de notre réseau national d'enseignement technique, qui a fait la preuve de son succès.

Toutefois, le statut hybride taillé sur mesure par cette proposition de loi me paraît inopportun ; on peut douter de la proportionnalité des mesures envisagées, qui favorisent une quinzaine d'établissements regroupant tout au plus 700 élèves, autant que de leur faisabilité juridique.

Tout d'abord, les articles 2 et 3 transfèrent l'agrément et le contrôle des écoles de production du ministère de l'éducation nationale à celui de la formation professionnelle, car ces structures privées refusent de soumettre leur organisation pédagogique aux règles des contrats d'association de la « loi Debré », ce qui supposerait de mettre en conformité leurs enseignements théoriques avec les règles et programmes de l'enseignement public, de recruter leurs enseignants par concours, de respecter un volume horaire minimal d'enseignement théorique. En rattachant ces établissements au ministère de la formation professionnelle, on les assimilerait à des organismes de formation par l'apprentissage, afin qu'ils en tirent des bénéfices financiers - recettes de la taxe d'apprentissage au titre du quota - et statutaires - les élèves, considérés comme des apprentis, recevraient la carte « Étudiant des métiers ».

Or les services d'inspection du ministère de la formation professionnelle ne disposent pas des compétences nécessaires pour évaluer les méthodes pédagogiques des écoles de production. Faut-il rappeler que même les formations par apprentissage s'appuient sur des diplômes dont le contenu et l'organisation pédagogiques ont été préalablement validés par le ministère de l'éducation nationale ? Il est inenvisageable de transférer à l'inspection du travail le contrôle d'écoles scolarisant des élèves mineurs, soumis aux exigences de l'instruction obligatoire jusqu'à 16 ans.

L'article 4 vise à faire bénéficier les entreprises partenaires des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du hors quota, correspondant à la part « barème » de la taxe d'apprentissage. Contrairement aux intentions exprimées dans l'exposé des motifs, l'article ne garantirait pas aux écoles de production le bénéfice de la part « quota » de la taxe d'apprentissage : il rappelle seulement que les écoles dont les formations technologiques et professionnelles figurent sur la liste publiée annuellement par le préfet de région peuvent bénéficier des versements exonératoires de la taxe d'apprentissage au titre du barème, à raison des dépenses effectivement réalisées par les employeurs partenaires en faveur du fonctionnement et des équipements de ces établissements. Étendre le bénéfice d'une partie du quota de la taxe d'apprentissage aux écoles de production serait incompatible avec la législation en vigueur, car le quota de cette taxe, qui correspond à 53 % de son produit global, finance exclusivement les établissements formant des apprentis - ce que les écoles de production ne sont pas, puisque leurs élèves ne sont pas rémunérés : le rattachement au ministère de la formation professionnelle n'y changerait rien.

De même, l'article 5 tend à octroyer aux élèves des écoles de production la carte « Étudiants des métiers », qui leur offrirait des avantages et des réductions tarifaires identiques à ceux dont jouissent les apprentis et les étudiants. Or ils ne sauraient être assimilés à des apprentis : certains d'entre eux n'ont que 14 ans, alors que l'apprentissage est réservé aux plus de 15 ans, et ils ne perçoivent aucune rémunération en l'absence de contrat d'apprentissage.

L'article 6 rendrait ces élèves éligibles aux bourses nationales délivrées par l'éducation nationale, ce qui répond à un vrai problème, puisque cette éligibilité est aujourd'hui soumise à l'accord du Conseil supérieur de l'éducation nationale, qui y a donné un avis défavorable en 2006.

Les articles 5 et 6, en cela qu'ils constituent une aggravation des charges publiques, me semblent irrecevables sur le fondement de l'article 40 de la Constitution.

Au-delà des problèmes rédactionnels et juridiques, j'ai le sentiment que l'introduction d'un statut hybride taillé sur mesure en faveur des quinze écoles de production existantes, constituerait une rupture d'égalité à l'égard des 875 autres établissements d'enseignement technique privés recensés par l'Union nationale de l'enseignement technique privé (UNETP). L'incohérence du texte est manifeste : d'un côté, il retire les écoles de production du champ scolaire en en faisant des organismes de formation alternée placés sous l'autorité du ministère de la formation professionnelle, au même titre que les CFA ou les sections d'apprentissage, bénéficiant des recettes du quota de la taxe d'apprentissage comme du statut d'apprenti pour leurs élèves ; de l'autre, il est admis que ces élèves ne peuvent être tenus pour de véritables apprentis, puisqu'ils ne perçoivent aucune rémunération, et c'est pourquoi on veut les rendre éligibles aux bourses de l'éducation nationale pourtant réservées aux élèves placés sous statut scolaire.

Il faut cependant mettre fin à la situation ambiguë entretenue par le ministère de l'éducation nationale qui semble s'accommoder d'un réseau d'écoles de production prenant en charge des élèves auxquels l'offre scolaire traditionnelle n'est plus adaptée, sans toutefois leur reconnaître une réelle légitimité, ces écoles faisant seulement l'objet d'une reconnaissance formelle de l'État par arrêté qui n'emporte aucun droit. Il est donc indispensable de poursuivre la réflexion, afin de définir des règles minimales d'organisation de la scolarité, en concertation avec les écoles. Un temps de formation générale incompressible doit être garanti, au-delà des seuls enseignements théoriques appliqués dans le cadre de la production. Gardons à l'esprit qu'un certain nombre de ces jeunes ont entre 14 et 16 ans. Ils doivent acquérir les connaissances fondamentales - lecture, écrit, mathématiques - nécessaires à l'exercice de la citoyenneté. Pour votre information, un certain nombre sont des « primo-arrivants » qui maîtrisent difficilement le français.

Le contrôle de l'offre pédagogique devrait reposer sur une habilitation ou une accréditation du personnel appelé à accompagner les élèves dans leur formation théorique et générale. Non que cette accréditation doive être subordonnée à l'obtention d'un titre à l'issue d'un concours, comme c'est prévu par les contrats d'association : il faut préserver une certaine souplesse de recrutement, parmi les bénévoles et les professionnels de l'industrie.

Qu'ils soient inscrits dans un établissement sous contrat ou une école de production, tous les élèves en formation alternée doivent pouvoir bénéficier d'aides à la scolarité. Sans doute faut-il prévoir un traitement différencié des élèves en fonction de leur âge. De 14 à 16 ans, les élèves devraient idéalement être inscrits dans des établissements ou organismes proposant des voies de formation en alternance adaptées à leur situation, reconnues et sous contrat avec le ministère de l'éducation nationale. Maintenus sous statut scolaire, ils bénéficieraient d'aides à la scolarité. Plusieurs dispositifs agréés existent déjà : les élèves de 14 ans peuvent suivre une « formation d'apprenti junior », c'est-à-dire un parcours d'initiation aux métiers effectué sous statut scolaire dans un lycée professionnel ou un centre de formation d'apprentis ; les jeunes âgés d'au moins 15 ans peuvent avoir accès au dispositif d'initiation aux métiers de l'alternance (DIMA) et reçoivent alors une formation non rémunérée afin de commencer une activité professionnelle tout en demeurant sous statut scolaire ; les maisons familiales rurales peuvent aussi accueillir des jeunes de plus de 14 ans pour des formations par alternance. De 16 à 18 ans, les élèves qui le désirent pourraient être inscrits dans des écoles de production, réservées à la scolarité post-obligatoire. Ils se verraient alors reconnaître par les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle le statut de stagiaires de la formation continue non rémunérés, et bénéficieraient le cas échéant d'une allocation versée par le conseil régional.

Les pistes que je viens de tracer devraient être étudiées dans le cadre d'une mission conduite par les ministères de l'éducation nationale et de la formation professionnelle, destinée à évaluer l'ensemble des dispositifs de formation alternée existants. J'en ferai la demande au ministre.

Je vous propose donc de ne pas adopter de texte et de conclure au rejet de la proposition de loi en séance : il me semble plus raisonnable de nous donner le temps de la réflexion. Grâce à la mission que je viens d'évoquer, nous verrons s'il est opportun de réformer le cadre réglementaire de l'enseignement technique privé, et quelles modifications législatives s'imposent.

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