Intervention de Roland du Luart

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 30 octobre 2012 : 1ère réunion
Examen de la proposition de résolution européenne relative aux perspectives européennes pour les régions ultrapériphériques à l'horizon 2020

Photo de Roland du LuartRoland du Luart, co-rapporteur :

Avant de vous présenter la communication de la Commission européenne dont nous nous sommes saisis pour faire valoir notre point de vue sur l'avenir des régions ultrapériphériques dans le concert européen, je vous situerai le champ de notre initiative et vous livrerai quelques éléments de contexte.

Le 20 juin dernier, la Commission européenne publiait une communication intitulée « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive », exposant la stratégie de l'Union européenne (UE) à l'égard des régions ultrapériphériques (RUP).

La publication de ce document a fourni à notre délégation l'occasion de se saisir, en application de l'article 88-4, alinéa 2, de la Constitution qui permet aux assemblées d'adopter des résolutions sur « tout document émanant d'une institution de l'Union européenne » ; cependant, les négociations pour définir la nouvelle stratégie européenne succédant à celle de Lisbonne, dénommée « Europe 2020 : une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive », sont lancées depuis mars 2010 et le nouveau cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 doit être examiné par un Conseil européen extraordinaire les 22 et 23 novembre prochains.

Notre initiative permettra au Sénat de se prononcer en séance publique le 19 novembre, soit quelques jours avant l'échéance financière que je viens d'évoquer, avec la volonté, comme pour la pêche, de peser dans les négociations et de conforter la voix de la France portée par le Gouvernement.

Cet appui sera d'autant plus précieux dans un contexte budgétaire tendu : je vous rappelle qu'il a été annoncé la semaine dernière que la présidence chypriote de l'Union entendait proposer 40 milliards de coupes budgétaires ; or, la politique agricole commune (PAC), dont on connaît l'importance pour notre pays, et la politique de cohésion en faveur des régions en retard de développement représentent 80 % des dépenses ! Les restrictions budgétaires risquent donc de peser lourd sur les moyens dévolus à la politique de cohésion.

Cependant, la proposition de résolution que Georges Patient et moi-même vous soumettons aujourd'hui n'aborde pas directement ces considérations financières qui sont intimement liées à la conduite de la politique de cohésion. En effet, notre initiative est complémentaire d'une initiative parallèle de la commission des affaires européennes qui statuera sur les perspectives de la politique de cohésion proprement dites ainsi que sur la question de l'octroi de mer. Pour éviter les redondances, nous nous en remettons à la commission sur ces sujets ; elle examinera d'ailleurs conjointement les deux propositions de résolution le mercredi 7 novembre, lors d'une réunion où les membres de la délégation seront conviés.

J'en viens maintenant à la communication qui traduit la position de la Commission européenne sur la place des RUP dans la nouvelle stratégie européenne et à l'appréciation que nous pouvons porter sur son contenu.

Je vous dirai d'emblée que l'accueil réservé à cette communication par les RUP elles-mêmes, qu'il s'agisse des RUP françaises mais également des RUP espagnole (Canaries) et portugaises (Açores, Madère), a été extrêmement mitigé. Cela fut exprimé très clairement au Forum des régions ultrapériphériques, tenu à Bruxelles début juillet, et réitéré à la Conférence des présidents des RUP, aux Açores, en septembre. Le point de vue des deux députés européens que nous avons auditionnés le 11 octobre, MM. Younous Omarjee et Patrice Tirolien, avait exactement la même tonalité.

Tout en reconnaissant, d'une part, que les RUP constituent un atout pour l'Union européenne et présentent de réelles spécificités, et, d'autre part, en traçant de grandes orientations stratégiques globalement acceptables, la communication de la Commission européenne prête à maints égards le flanc à la critique et reflète une position en net décalage avec les attentes et la situation concrète des RUP.

Deux points plutôt positifs tout d'abord.

La communication confirme que les RUP constituent un atout pour l'Union européenne et, fait nouveau, reconnaît leur diversité. Elle appelle, en outre, à leur intégration régionale.

Une nouvelle fois, la Commission affirme que les RUP constituent un atout pour l'Europe et que « toute stratégie en faveur des RUP doit reconnaître leur valeur pour l'Union européenne dans son ensemble ». En outre, la Commission, et cela apparaît comme une nouveauté, reconnaît que « chaque RUP est différente et des pistes spécifiques doivent être envisagées pour chacune d'entre elles ».

Cette volonté affichée de prise en compte de la situation propre de chaque RUP rejoint une proposition formulée en 2009 par la mission commune d'information du Sénat sur la situation des DOM. Celle-ci appelait en effet à « inciter l'Union européenne à développer, non seulement une approche différenciée des régions ultrapériphériques par rapport au reste de l'Union européenne, mais aussi un traitement individualisé de chacune de ces régions ». Les RUP ne constituent pas en effet un ensemble homogène. Cependant, cette reconnaissance par la Commission européenne de la diversité des situations reste à ce jour une satisfaction toute théorique !

La communication de la Commission européenne appelle par ailleurs à l'intégration régionale des RUP : si cet objectif est unanimement partagé, encore faut-il que les politiques européennes, et notamment la politique commerciale, ne l'entravent pas. Comme le souligne le rapport Solbes, « c'est en veillant à ce que la réciprocité commerciale créée par les APE ne pénalise pas structurellement les économies des RUP que l'on pourra résolument faciliter l'intégration des RUP dans leur environnement régional ».

La communication fixe pour les RUP de grandes orientations stratégiques globalement acceptables mais qui ne présentent cependant pas d'innovation majeure. Elle définit cinq axes pour la stratégie renouvelée de l'UE pour les RUP : l'amélioration de l'accessibilité au marché unique ; l'accroissement de la compétitivité ; le renforcement de l'intégration régionale ; le renforcement de la dimension sociale du développement des RUP ; l'intégration de la lutte contre le changement climatique dans toutes les politiques pertinentes.

Pour autant, le contenu de cette communication est largement redondant avec celui des deux communications précédentes. La communication de 2004 comprenait ainsi trois axes d'action : la réduction du déficit d'accessibilité des RUP, leur compétitivité et leur insertion régionale, trois thématiques qui figurent également dans la communication de 2012.

De nombreux griefs peuvent en revanche être adressés à la communication :

Tout d'abord, la définition de la stratégie européenne pour les RUP dans le nouveau paradigme arrive tardivement dans le processus de négociation, ce qui accroît la difficulté à intégrer avec pertinence les RUP dans la stratégie globale.

Deuxième constat : le contenu de la communication est en décalage avec les attentes des RUP. Comme l'a indiqué M. Didier ROBERT, président du conseil régional de La Réunion, dans un courrier adressé au président de notre délégation, « les Présidents des régions ultrapériphériques ont manifesté solidairement [lors de la XVIIIème conférence des présidents des régions ultrapériphériques de l'Union européenne en septembre 2012] leur plus vive préoccupation face à la faiblesse de la stratégie européenne rénovée ».

Dans sa déclaration finale, la Conférence des présidents des RUP a également indiqué « [regretter] l'insuffisance manifeste de mesures concrètes et adaptées, ainsi que le calendrier tardif de son adoption, au regard des ambitions affichées » et « [contester] le choix de la Commission de s'appuyer uniquement sur le droit commun et [réaffirmer] à cet égard la pertinence des propositions contenues dans les Memoranda de 2009 et 2010 sur l'ultrapériphérie, notamment celles en faveur d'instruments sectoriels spécifiques ».

La communication est effectivement en net retrait au regard du Memorandum de mai 2010 de l'Espagne, de la France, du Portugal et des RUP, intitulé « Une vision rénovée de la stratégie européenne à l'égard de l'ultrapériphérie » : ce document appelle à la valorisation des atouts des RUP et, dans le même temps, à la prise en compte des contraintes de ces régions. Il souligne le nécessaire équilibre entre les volets interne et externe des politiques de l'Union et préconise la mise en place d'instruments sectoriels spécifiques aux RUP.

La communication est également en retrait au regard du rapport intitulé « Les régions ultrapériphériques européennes dans le marché unique : le rayonnement de l'UE dans le monde », document remis en octobre 2011 par M. Pedro Solbes Mira à M. Michel Barnier, Commissaire européen chargé du marché intérieur et des services.

Troisième constat : la communication de la Commission européenne accentue les contradictions de la stratégie européenne envers les RUP en fixant des objectifs ambitieux qui risquent de demeurer virtuels si, parallèlement, ces régions restent incapables de combler leur retard en matière d'équipements structurants.

Quatrième et dernier constat : la Commission européenne continue à donner une interprétation minimaliste de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en consentant des adaptations du cadre général des politiques européennes et de leurs instruments mais en limitant strictement les contours de ces adaptations et en refusant les régimes dérogatoires et les instruments propres aux RUP.

La communication de la Commission se contente d'inviter chaque région à « trouver sa propre voie vers une prospérité accrue, en fonction de ses particularités ». Estimant que les RUP « sont parfois mieux soutenues par des adaptations des règles de l'UE ou la prise en compte de leurs besoins spécifiques au moment de la mise en oeuvre », elle reste hostile à l'instauration d'instruments spécifiques d'aide aux RUP bien que, reconnaît-elle, « certains (...) aient fait leurs preuves ».

Cette communication ne fait en conséquence que de rares références à l'article 349 du TFUE qui justifie que des mesures spécifiques soient prises en faveur des RUP afin de tenir compte de leurs handicaps. De l'avis général à part la Commission européenne, cet article 349 constitue un fondement juridique sous-utilisé.

Le rapport Solbes relève ainsi que « l'article 349 (...) n'a pas été pleinement mis en oeuvre jusqu'ici. Les particularités communes à toutes les RUP, mais aussi leurs réalités hétérogènes, ne sont pas toujours complètement prises en compte dans des domaines tels que les transports, l'énergie ou le commerce extérieur ». Le Parlement européen a souligné quant à lui, dans une résolution du 18 avril 2012 sur le rôle de la politique de cohésion dans les régions ultrapériphériques de l'Union européenne dans le contexte de la stratégie « Europe 2020 », que « l'article 349 du TFUE, qui prévoit l'adoption de mesures spécifiques visant à atténuer l'impact des caractéristiques de l'ultrapériphérie, devrait être plus utilisé et se voir conférer la portée juridique, institutionnelle et politique nécessaire pour assurer aux RUP une intégration juste et permettant leur développement économique et social au sein du marché intérieur et plus largement au sein de l'Union ». La Conférence des Présidents des RUP, enfin, réunie en septembre 2012 aux Açores, « exige l'application de la lettre et de l'esprit de l'article 349 du TFUE, base et fondement premier des interventions adaptées dans toutes les politiques de l'Union en faveur de nos régions ; et s'inquiète particulièrement de sa faible mise en oeuvre ».

Cet article a servi de fondement à la mise en place du Programme d'option spécifique à l'éloignement et à l'insularité (POSEI) au début des années 1990 dont tous se félicitent de l'efficacité, la Commission européenne y compris. Bien que ce programme ait été initialement conçu dans une logique plurisectorielle, la Commission en a cependant cantonné le champ à l'agriculture.

Très peu de dispositifs spécifiques aux RUP ont été mis en place et très peu de textes européens visent l'article 349 du TFUE. Il est d'ailleurs révélateur que la proposition de règlement visant à refondre le POSEI ne mentionne pas initialement cet article.

Après ce panorama qui « plante le décor » de notre résolution, je cède la parole à Georges Patient pour expliciter les préconisations.

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