Intervention de Jean-Pierre Sueur

Réunion du 23 novembre 2012 à 9h30
Juridictions de proximité — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-Pierre SueurJean-Pierre Sueur :

… qu’il fallait surtout développer les missions de médiation, de conciliation et d'arbitrage en amont, afin d’éviter d’aller jusqu’au procès, ce qui est plus souvent possible qu’on ne le prétend.

Mme Klès l'explique d'ailleurs avec beaucoup de clarté dans son rapport et nous avions aussi été nombreux à le faire remarquer : il existait déjà une juridiction de proximité, constituée des tribunaux d'instance ; il aurait fallu les conforter, leur donner davantage de moyens et, surtout, créer les postes de magistrat qui s’imposaient.

Les juridictions de proximité ont finalement été créées. Elles ont petit à petit pris leur place, non sans entraîner des problèmes que les différents rapports rendus par les sénateurs sur ce sujet ont mis en exergue.

Chacun a pu mesurer le dévouement, la disponibilité et la forte implication des juges de proximité. Je tiens d’ailleurs, du haut de cette tribune, à rendre hommage à leur action.

Puis, récemment, lors de l’examen de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, il a été décidé de supprimer purement et simplement les juridictions de proximité, tout en maintenant à titre résiduel les juges de proximité auxquels seraient confiées de nouvelles compétences. C'est d’ailleurs la même majorité qui a voté la création des juridictions de proximité et a entériné leur suppression ! Certes, on aurait pu concevoir qu'il en aille ainsi ; mais, comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner, cette décision a eu lieu dans un contexte particulier, celui de la suppression d’un grand nombre de tribunaux d'instance.

Le rapport d’information de Nicole Borvo Cohen-Seat et d’Yves Détraigne a très clairement montré les dysfonctionnements issus de la réforme de la carte judiciaire. Certes, une telle réforme était sans doute nécessaire et je ne crois pas, quelles qu’aient été les circonstances, qu’elle aurait pu être menée facilement. Je l’ai souligné lors du débat sur ce sujet organisé à la suite de la publication de ce rapport.

Aujourd'hui, il faut en prendre acte, beaucoup de tribunaux d'instance ont disparu, éloignant la justice des justiciables. Pourtant, la meilleure proximité, c'est encore un bon maillage territorial. Au regard de cette situation, la suppression des juridictions de proximité n'aurait pu se concevoir que si des postes de juge d'instance avaient parallèlement été créés.

Il est indiqué, dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi, que la réforme prévue par la loi du 13 décembre 2011 aurait « nécessité pour sa mise en œuvre dans de bonnes conditions la création de 60 emplois de juges d’instance afin qu’ils assument la charge de travail aujourd’hui assumée par les juges de proximité », et c’est là une estimation basse au regard des besoins constatés.

Madame la garde des sceaux, aujourd'hui, nous sommes face à la situation suivante.

Premièrement, la suppression des juridictions de proximité à compter du 1er janvier 2013 a provoqué des réactions fort compréhensibles de la part des juges de proximité et de leur association dont nous avons reçu le président.

Deuxièmement, la réforme de la carte judiciaire a eu des effets négatifs.

Troisièmement, il n’y a pas de créations de postes de juges d’instance.

Certes, je n'ignore pas – madame la garde des sceaux, vous l’avez déjà annoncé en commission et nous en rediscuterons dans quelques jours en séance publique – que le projet de loi de finances pour 2013 prévoit le recrutement de 142 magistrats, parmi lesquels 50 seront directement affectés aux tribunaux d'instance.

Ces créations seront évidemment les bienvenues dans les juridictions de nos différents départements, mes chers collègues. Toutefois, ces nouveaux magistrats n’intégreront leur juridiction qu'à l’issue de leur formation à l'École nationale de la magistrature, c'est-à-dire après le 1er janvier 2015 !

Dans ces conditions, est-il raisonnable de maintenir la suppression des juridictions de proximité sur lesquelles nous avions émis en d'autres temps quelques réserves, alors que les postes ne sont pas au rendez-vous et que les conséquences issues de la réforme de la carte judiciaire se font bel et bien sentir ?

Il nous faut être réalistes et prendre en compte la situation dans laquelle nous nous trouvons.

En outre, madame la garde des sceaux, je rappelle que vous avez déclaré devant le Sénat le 1er octobre dernier, au sujet des juges de proximité : « Leur utilité est grande, c'est indiscutable. Je réfléchis d'ailleurs à la façon de les maintenir. […] Il faut savoir apprécier le travail qu'ils ont effectué et leur utilité dans nos juridictions. » Par conséquent, nous pensons que la suppression des juridictions de proximité doit absolument être reportée de deux ans.

Pendant ce temps, que ferons-nous ?

Madame la garde des sceaux, pour votre part, vous avez annoncé vouloir réfléchir à une nouvelle configuration de la justice de proximité dans notre pays.

De son côté, la commission des lois a chargé Mme la rapporteur et l’un de nos collègues d’une mission d’information, afin de présenter, dans les prochains mois sans doute – et d’ici à un an au plus tard –, un rapport complet sur la justice de proximité.

Nos efforts conjoints, madame la garde des sceaux, sans oublier la réflexion des organisations professionnelles, doivent à mon avis nous permettre non pas de prendre une simple décision de report – nous connaissons bien les décisions de report suivies d’autres décisions de report, et cela indéfiniment –, mais de travailler pour repenser la juridiction de proximité, de telle sorte qu’une réforme d’ensemble puisse être présentée en 2015.

C’est dans cette perspective que je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi, qui vise seulement à changer une date. Cependant, au-delà de cette modification formelle, c’est le rapport entre nos concitoyens et la justice qui est en cause pour une part non négligeable. Une bonne justice, c’est une justice impartiale, et donc une justice qui suppose une certaine distance ; mais cette distance doit aller de pair avec la garantie du meilleur accès possible à la justice, en vertu du principe d’égalité de tous les citoyens devant l’institution judiciaire. §

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