Séance en hémicycle du 23 novembre 2012 à 9h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • contentieux
  • magistrats
  • tribunaux

La séance

Source

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application des articles 3 et 6 de la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales, le rapport sur l’expérimentation conduite dans certains bureaux de poste pour permettre l’accès des usagers à internet haut débit à partir de leur terminal personnel, ainsi que le rapport sur le bilan d’exécution du contrat de service public 2008-2012 entre l’État et La Poste.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Ils ont été transmis à la commission des affaires économiques.

Ils sont disponibles au bureau de la distribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi relative aux juridictions de proximité, présentée par M. Jean-Pierre Sueur (proposition n° 72, texte de la commission n° 125, rapport n° 124).

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner une proposition de loi relative aux juridictions de proximité, proposition que je me suis permis de soumettre à votre bienveillante attention. Vous le savez, ce sujet a déjà donné lieu à plusieurs débats dans cette enceinte, et beaucoup d'entre nous, mes chers collègues, alors minoritaires, avaient marqué leur opposition à la création de telles juridictions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il n’est nul besoin de rappeler les propos tenus par nombre de nos collègues, et ce sur différentes travées, madame Goulet.

Robert Badinter avait expliqué, comme toujours avec beaucoup d'éloquence, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

… qu’il fallait surtout développer les missions de médiation, de conciliation et d'arbitrage en amont, afin d’éviter d’aller jusqu’au procès, ce qui est plus souvent possible qu’on ne le prétend.

Mme Klès l'explique d'ailleurs avec beaucoup de clarté dans son rapport et nous avions aussi été nombreux à le faire remarquer : il existait déjà une juridiction de proximité, constituée des tribunaux d'instance ; il aurait fallu les conforter, leur donner davantage de moyens et, surtout, créer les postes de magistrat qui s’imposaient.

Les juridictions de proximité ont finalement été créées. Elles ont petit à petit pris leur place, non sans entraîner des problèmes que les différents rapports rendus par les sénateurs sur ce sujet ont mis en exergue.

Chacun a pu mesurer le dévouement, la disponibilité et la forte implication des juges de proximité. Je tiens d’ailleurs, du haut de cette tribune, à rendre hommage à leur action.

Puis, récemment, lors de l’examen de la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles, il a été décidé de supprimer purement et simplement les juridictions de proximité, tout en maintenant à titre résiduel les juges de proximité auxquels seraient confiées de nouvelles compétences. C'est d’ailleurs la même majorité qui a voté la création des juridictions de proximité et a entériné leur suppression ! Certes, on aurait pu concevoir qu'il en aille ainsi ; mais, comme nous avons déjà eu l'occasion de le souligner, cette décision a eu lieu dans un contexte particulier, celui de la suppression d’un grand nombre de tribunaux d'instance.

Le rapport d’information de Nicole Borvo Cohen-Seat et d’Yves Détraigne a très clairement montré les dysfonctionnements issus de la réforme de la carte judiciaire. Certes, une telle réforme était sans doute nécessaire et je ne crois pas, quelles qu’aient été les circonstances, qu’elle aurait pu être menée facilement. Je l’ai souligné lors du débat sur ce sujet organisé à la suite de la publication de ce rapport.

Aujourd'hui, il faut en prendre acte, beaucoup de tribunaux d'instance ont disparu, éloignant la justice des justiciables. Pourtant, la meilleure proximité, c'est encore un bon maillage territorial. Au regard de cette situation, la suppression des juridictions de proximité n'aurait pu se concevoir que si des postes de juge d'instance avaient parallèlement été créés.

Il est indiqué, dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi, que la réforme prévue par la loi du 13 décembre 2011 aurait « nécessité pour sa mise en œuvre dans de bonnes conditions la création de 60 emplois de juges d’instance afin qu’ils assument la charge de travail aujourd’hui assumée par les juges de proximité », et c’est là une estimation basse au regard des besoins constatés.

Madame la garde des sceaux, aujourd'hui, nous sommes face à la situation suivante.

Premièrement, la suppression des juridictions de proximité à compter du 1er janvier 2013 a provoqué des réactions fort compréhensibles de la part des juges de proximité et de leur association dont nous avons reçu le président.

Deuxièmement, la réforme de la carte judiciaire a eu des effets négatifs.

Troisièmement, il n’y a pas de créations de postes de juges d’instance.

Certes, je n'ignore pas – madame la garde des sceaux, vous l’avez déjà annoncé en commission et nous en rediscuterons dans quelques jours en séance publique – que le projet de loi de finances pour 2013 prévoit le recrutement de 142 magistrats, parmi lesquels 50 seront directement affectés aux tribunaux d'instance.

Ces créations seront évidemment les bienvenues dans les juridictions de nos différents départements, mes chers collègues. Toutefois, ces nouveaux magistrats n’intégreront leur juridiction qu'à l’issue de leur formation à l'École nationale de la magistrature, c'est-à-dire après le 1er janvier 2015 !

Dans ces conditions, est-il raisonnable de maintenir la suppression des juridictions de proximité sur lesquelles nous avions émis en d'autres temps quelques réserves, alors que les postes ne sont pas au rendez-vous et que les conséquences issues de la réforme de la carte judiciaire se font bel et bien sentir ?

Il nous faut être réalistes et prendre en compte la situation dans laquelle nous nous trouvons.

En outre, madame la garde des sceaux, je rappelle que vous avez déclaré devant le Sénat le 1er octobre dernier, au sujet des juges de proximité : « Leur utilité est grande, c'est indiscutable. Je réfléchis d'ailleurs à la façon de les maintenir. […] Il faut savoir apprécier le travail qu'ils ont effectué et leur utilité dans nos juridictions. » Par conséquent, nous pensons que la suppression des juridictions de proximité doit absolument être reportée de deux ans.

Pendant ce temps, que ferons-nous ?

Madame la garde des sceaux, pour votre part, vous avez annoncé vouloir réfléchir à une nouvelle configuration de la justice de proximité dans notre pays.

De son côté, la commission des lois a chargé Mme la rapporteur et l’un de nos collègues d’une mission d’information, afin de présenter, dans les prochains mois sans doute – et d’ici à un an au plus tard –, un rapport complet sur la justice de proximité.

Nos efforts conjoints, madame la garde des sceaux, sans oublier la réflexion des organisations professionnelles, doivent à mon avis nous permettre non pas de prendre une simple décision de report – nous connaissons bien les décisions de report suivies d’autres décisions de report, et cela indéfiniment –, mais de travailler pour repenser la juridiction de proximité, de telle sorte qu’une réforme d’ensemble puisse être présentée en 2015.

C’est dans cette perspective que je vous invite, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi, qui vise seulement à changer une date. Cependant, au-delà de cette modification formelle, c’est le rapport entre nos concitoyens et la justice qui est en cause pour une part non négligeable. Une bonne justice, c’est une justice impartiale, et donc une justice qui suppose une certaine distance ; mais cette distance doit aller de pair avec la garantie du meilleur accès possible à la justice, en vertu du principe d’égalité de tous les citoyens devant l’institution judiciaire. §

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Je ferai d'abord un bref historique factuel des juridictions de proximité. Ces dernières ont été créées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, complétée à deux reprises par la loi organique du 26 février 2003 relative aux juges de proximité et par la loi du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d’instance. Les premiers juges ont été nommés cette même année, pour une durée de sept ans. Cette période arrivant aujourd'hui à son terme, certains d’entre nous souhaitaient supprimer ces juridictions au 1er janvier 2013, très peu de temps donc après les avoir créées : tel était l’objet de la loi du 13 décembre 2011.

La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui tend non pas à annuler la suppression programmée des juridictions de proximité, mais à la reporter au 1er janvier 2015. Cela nous donne un délai supplémentaire de deux ans.

Si souvent femme et loi varient, le Sénat, quant à lui, a fait preuve d’une relative constance sous des majorités différentes. Déjà, lors de la création des juridictions de proximité, le Sénat s’était interrogé sur la complexité et la lisibilité pour les citoyens de l’organisation judiciaire qui en découlerait. Plus tard, toujours sous une majorité différente de la majorité actuelle, le Sénat, quand il fut question de supprimer ces juridictions, émit des réserves sur les modalités de cette suppression et le transfert des compétences et des missions des juges de proximité à d’autres institutions judiciaires, les tribunaux de grande instance notamment. De nombreuses questions ont alors été soulevées ; en particulier, nous nous sommes demandé s’il était vraiment nécessaire de supprimer les juridictions de proximité ou s’il ne valait pas mieux attendre un peu et prendre le temps de la réflexion.

La commission des lois vous proposera aujourd'hui de reporter la suppression des juridictions de proximité. De nombreuses raisons motivent ce choix, plusieurs d’entre elles ayant été excellemment exposées par M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi.

Notre organisation judiciaire est complexe. Les juridictions de proximité n’apportent certes aucune simplification ni n’améliorent réellement la lisibilité pour le citoyen. Les juges de proximité gèrent les contentieux civils d’un montant inférieur à 4 000 euros – au-delà, c’est le juge d’instance ou de grande instance qui est compétent – et, en matière pénale, les contraventions des quatre premières classes. En outre, ils peuvent siéger dans certaines formations collégiales des tribunaux correctionnels. Cependant, quand aucun juge de proximité n’est nommé dans le ressort d’un tribunal d’instance, les contentieux civils d’un montant inférieur à 4 000 euros sont gérés par un juge d’instance ; cela pose un problème de compréhension pour le citoyen. Et lorsque le montant du contentieux civil dépasse 4 000 euros, c’est systématiquement un juge d’instance qui en est chargé ; d’où un autre problème de compréhension pour le citoyen, qui a parfois du mal à s’y retrouver.

Toutefois, la complexité de notre système juridique ne dépend pas uniquement des juridictions de proximité. En matière de droit de la famille, comme l’a récemment fait remarquer notre excellent collègue Jean-Pierre Michel en commission, certains contentieux sont gérés par le tribunal d’instance – les contentieux relatifs aux tutelles, notamment, dont l’actualité récente nous a fourni un exemple –, tandis que d’autres – les contentieux relatifs aux divorces, à l’autorité parentale, etc. – sont gérés par le tribunal de grande instance. Comment les familles peuvent-elles s’y retrouver ? Cela montre bien que la complexité de notre organisation judiciaire n’est pas attribuable exclusivement aux juridictions de proximité. Par conséquent, il ne suffit pas de supprimer ces juridictions pour simplifier notre organisation. Le justiciable n’y verra pas forcément plus clair. Cela ne signifie certes pas que la suppression des juridictions de proximité ne doit pas être envisagée, mais il faut être conscient que cette suppression, si elle n’est pas suivie d’une réflexion générale, ne permettra pas à elle seule de simplifier notre organisation judiciaire.

Au-delà de ces problèmes de complexité, la suppression des juridictions de proximité s’accompagnerait – M. Jean-Pierre Sueur l’a excellemment souligné – d’un transfert des missions de ces juridictions aux tribunaux d’instance. Or ce transfert n’a été ni préparé ni anticipé, et les moyens nécessaires n’ont pas été mis en place. On a évoqué tantôt 60, tantôt plus de 100 équivalents temps plein d’emplois de juges d’instance pour compenser la suppression des juridictions de proximité. La vérité se situe peut-être entre les deux ; il est difficile de trancher aujourd'hui, d’autant que, depuis quelques années, les juges de proximité, pour différentes raisons, dont certainement l’instabilité de leur statut et de leurs missions, gèrent moins d’affaires nouvelles, tant au civil qu’au pénal, et sont moins nombreux dans les tribunaux d’instance et de grande instance.

Pour autant, les juges de proximité sont indispensables, même si leurs compétences, leurs motivations et l’accueil qui leur est fait sont extrêmement variables d’un tribunal à l’autre. Les juges de proximité exercent des missions obligées en matière de conciliation et d’humanité, car ils peuvent y consacrer du temps, contrairement aux juges d’instance, qui ont trop de dossiers à gérer simultanément. J’estime que la justice doit aussi prendre le temps de la conciliation et de l’humanité. Or les juges de proximité ont une réelle compétence dans ce domaine.

Nous ne devons pas oublier le contexte actuel. Les tribunaux d’instance ont payé un très lourd tribut – ce sont sans doute les tribunaux qui ont payé le plus lourd tribut – lors des réformes qui se sont succédé ces dernières années : la réforme de la carte judiciaire – on en a beaucoup parlé –, la réforme des tutelles – on en parle encore, parce qu’elle n’est pas terminée et parce qu’elle affecte l’organisation des tribunaux d’instance, qu’elle surcharge de travail –, mais aussi toutes les autres réformes qui ont modifié l’organisation de notre justice, par petits morceaux peut-être, mais en déséquilibrant et surchargeant certains secteurs et en provoquant des effets dominos et des conséquences multiples et multiformes sur l’ensemble des tribunaux et des cours.

Qu’il s’agisse de dispositions concernant la garde à vue, la profession d’avoué, la récidive, la comparution immédiate, la collégialité, les citoyens assesseurs ou encore les tribunaux pour mineurs – sur ce point, je partage les interrogations de fond de notre collègue Jacques Mézard, qui nous en fera part tout à l'heure –, toutes ces réformes ont profondément désorganisé notre justice et, à une époque où la judiciarisation de la société s’accentue, ont alourdi la charge de dossiers que la justice doit traiter.

Par conséquent, il faut prendre le temps de la réflexion et reporter la suppression des juridictions de proximité. Cependant, nous devons non pas simplement attendre et regarder, mais travailler à la réorganisation globale de notre justice.

Madame la garde des sceaux, je crois savoir que votre ministère est prêt à publier ou a déjà publié les circulaires nécessaires pour que les ordonnances de roulement qui sont prises, ou le seront, puissent éventuellement être modifiées, selon la décision du Parlement. Je crois savoir également que vos services ont vérifié que la réaffectation aux tribunaux d’instance du contentieux civil d’un montant compris entre 4 000 et 10 000 euros ne poserait pas de problème, compte tenu des effets dominos que provoquera le report que nous souhaitons décider aujourd'hui.

Je le répète, ce report de la suppression des juridictions de proximité n’est pas une fin en soi, mais doit s’accompagner d’une nécessaire réflexion. Comme l’a indiqué M. Jean-Pierre Sueur, une mission d’information est en cours et a déjà fixé des échéances très précises. Nous nous appuierons sur les nombreux autres travaux qui ont été réalisés : je pense notamment au rapport sur la réforme de la carte judicaire de nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne, mais il faut également citer d’autres noms illustres, comme ceux de notre ancien collègue Pierre Fauchon et de Catherine Tasca, laquelle a beaucoup travaillé sur la question des crédits budgétaires et peut nous apporter des informations et des idées précises sur le sujet.

En conclusion, un texte de loi peut – et j’ai envie de dire « doit » – être court. Cela ne l’empêchera pas d’être efficace, concret et indispensable, ni de marquer un point de départ. C’est précisément ce qu’est cette proposition de loi. Cette dernière constitue également la reconnaissance de la grande utilité, de l’investissement, de la compétence et de la qualité des juges de proximité, ainsi que de leur place incontestable dans l’organisation judiciaire actuelle, même si cette place doit être déterminée de façon plus précise et plus posée, en concertation avec eux-mêmes et les autres membres de l’organisation judiciaire.

Cette proposition de loi constitue également, à mon sens, la reconnaissance des difficultés profondes que rencontre aujourd'hui la justice dans son ensemble, et auxquelles sont particulièrement confrontés les tribunaux d’instance, dans toutes leurs composantes – j’y insiste –, qu’il s’agisse des greffiers, des magistrats ou des fonctionnaires. Ces tribunaux doivent assumer une charge croissante, tant en volume qu’en complexité, et se voient confier des responsabilités de plus en plus importantes du fait des changements sociétaux – la judiciarisation de la société, dont j’ai déjà parlé – mais aussi des multiples réformes, pas toujours bien préparées, qui se sont additionnées sans que les tribunaux soient dotés des moyens nécessaires à leur application. En outre, ces réformes, qui ont été mises en œuvre sans délai et sans qu’un moment d’évaluation soit prévu, ont ensuite été modifiées plusieurs fois, en dépit du contexte financier que nul n’ignore plus désormais et de l’intégration de plus en plus poussée de notre droit dans les droits européen et international, qui ne simplifie rien.

Par conséquent, la pause que je vous invite à faire aujourd'hui, même si elle insuffisante, est un signe adressé à nos concitoyens par la commission des lois, à travers le texte de son président, M. Jean-Pierre Sueur, et, au-delà, par le Sénat tout entier. Notre assemblée montre ainsi qu’elle prend en compte l’ensemble des difficultés de la justice et qu’elle a la volonté d’y apporter, grâce à la mission d’information mise en place et en lien avec les travaux engagés par Mme la garde des sceaux, des réponses concrètes, pragmatiques et efficaces. §

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer l’initiative de M. Jean-Pierre Sueur, dont la proposition de loi, extrêmement pertinente, nous fournit le moyen de régler en douceur les problèmes posés par la suppression des juridictions de proximité, prévue par la loi du 13 décembre 2011. Cette initiative est opportune dans la mesure où, alors que la fin de l’année approche, nous constatons que les conditions qui auraient permis le transfert en douceur aux tribunaux d’instance des missions des juridictions de proximité ne sont pas réunies.

Vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, les juridictions de proximité ont été créées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, complétée à deux reprises : par la loi organique du 26 février 2003 relative aux juges de proximité et par la loi du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d’instance. Les juridictions de proximité constituent le troisième ressort de première instance de notre organisation judiciaire, aux côtés des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance. Les juges de proximité interviennent dans des procédures tant pénales, essentiellement pour les contraventions des quatre premières classes, que civiles, pour les contentieux d’un montant inférieur à 4 000 euros. Lorsque le montant du contentieux est compris entre 4 000 et 10 000 euros, ce sont les tribunaux d’instance qui sont compétents ; au-delà, ce sont les tribunaux de grande instance.

Néanmoins, la compétence de ces juges et juridictions de proximité a été taillée de telle façon qu’ils se retrouvent sur une ligne parallèle à celle des tribunaux d’instance. De fait, les contentieux pris en charge par les juridictions de proximité sont ceux dont ont été déchargés les tribunaux d’instance.

Les juges de proximité, dont vous avez eu raison, monsieur Sueur, de souligner l’utilité au sein de nos juridictions, sont recrutés parmi les professions judiciaires ou juridiques. Il s’agit de personnes soit en activité, soit à la retraite, tels des anciens gendarmes, policiers ou magistrats. Il peut aussi s’agir de juristes d’entreprise, d’avocats, de notaires. Tous les candidats viennent donc du milieu judiciaire ou juridique et ont, sinon une formation, du moins une compétence et une expérience professionnelles dans ces domaines.

Ce sont des magistrats de l’ordre judiciaire, qui jouissent des mêmes garanties que les autres, c’est-à-dire qu’ils sont nommés par le Président de la République, sur proposition du garde des sceaux, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM. Ils n’exercent pas à plein temps et sont payés à la vacation. Actuellement, les juges de proximité sont au nombre de 460.

Lors de la création des juridictions de proximité, des protestations assez vives ont été entendues, émanant d’abord de magistrats professionnels et, ensuite, de parlementaires des deux chambres, et ce pour de bonnes raisons : ces juges de proximité allaient statuer sur le quotidien des justiciables sans obligation pour ces derniers de recourir à l’assistance d’un avocat ; en outre ils allaient le faire souvent en dernier ressort, alors que les conditions de leur formation ne semblaient pas satisfaire aux exigences qu’on était en droit d’attendre de la part de magistrats exerçant dans un tel cadre.

Le processus s’est néanmoins mis en place ; les juges de proximité ont pris leurs fonctions et, finalement, ont à peu près trouvé leur place. En tout cas, tout le monde convient assez volontiers qu’ils ont rendu des services, même s’il importe de regarder comment le dispositif peut être amélioré.

La loi de 2011 a décidé, sans toucher aux juges de proximité, de supprimer les juridictions de proximité, comme le prévoyait d’ailleurs la préconisation n° 22 du rapport Guinchard. Mme la rapporteur l’a dit, une loi est venue en défaire une autre, dans un délai assez rapproché, ce qui prouve que, dans certaines circonstances, la loi varie infiniment plus que les femmes ! §

Nous sommes dans une situation qui ne nous permet pas d’envisager un passage harmonieux des juridictions de proximité, troisième ressort de première instance, à l’état antérieur de l’organisation judiciaire, avec deux juridictions de première instance, ne serait-ce que du point de vue des effectifs. Sur les 460 juges de proximité, 324 sont actuellement en fonction et auraient dû être reconduits, puisqu’ils n’ont pas été supprimés. Je rappelle que les juges de proximité siègent aussi en tant qu’assesseurs dans les tribunaux correctionnels. Le nécessaire aurait donc dû être fait auprès du CSM pour la « renomination » de ces 324 magistrats. Il y a, de plus, 99 juges de proximité en formation, dont la proposition de nomination aurait également dû être transmise au CSM. Or tel n’a pas été le cas !

De même, il aurait fallu, pour assurer la transition de décembre 2012 à janvier 2013 à la suite de la suppression des juridictions de proximité, qu’un décret en Conseil d’État établisse les modalités selon lesquelles les juges de proximité devaient rejoindre les tribunaux d’instance et de grande instance. Or un tel décret n’a pas été publié !

Il aurait fallu également anticiper les conditions dans lesquelles, en cours d’année, des modifications d’affectation auraient pu survenir. Or rien de tel n’a été préparé !

Pourtant, ces juges de proximité, qui vont cesser de siéger dans des juridictions de proximité pour rejoindre les tribunaux d’instance et de grande instance, auraient besoin d’une formation, notamment parce que ces derniers ont été informatisés, dans le cadre du processus de dématérialisation de certains types de procédures en cours, voire en phase d’achèvement. Il faudrait donc s’assurer que tous les magistrats pourront s’intégrer correctement dans ce nouvel environnement technique.

Il est important de vérifier que nombre de tâches seront effectuées de la façon la plus efficace possible. Je pense notamment à la rédaction d’instructions pour les greffes, aux trames, à certaines circulaires. Un travail important, pouvant incomber à ces juges de proximité, requiert donc une formation adéquate.

Un dialogue de gestion se déroule actuellement, sous l’autorité de la direction des services judiciaires de la Chancellerie. Il en ressort que deux tiers des tribunaux de grande instance préviennent qu’ils n’auront pas recours à ces juges de proximité, et ce pour deux raisons principales : tout d’abord, il y a assez peu de cas où ils siègent en formation collégiale, la plupart des procédures civiles se déroulant sous l’autorité d’un juge rapporteur ; ensuite, ils ont à juger des contentieux techniques, ce qui renvoie au problème de la formation de ces magistrats, que j’évoquais à l’instant.

Il faut noter – cela éclaire l’utilité de votre proposition de loi, monsieur Sueur – que, pour absorber le transfert de contentieux de ces juridictions de proximité aux tribunaux d’instance, il aurait fallu recruter 110 juges. Ce recrutement n’a pas été prévu ni préparé.

Vous l’avez rappelé, dans le budget triennal de la justice, j’ai prévu le recrutement, pour la seule année 2013, de 142 magistrats pour la justice civile, dont 50 seront directement affectés aux tribunaux d’instance. Mais il n’est pas question de provoquer aujourd’hui une embolie des tribunaux d’instance en destinant le renfort en personnel en vue d’une justice civile plus diligente, plus efficace, plus proche du citoyen à l’absorption du transfert du contentieux des juridictions de proximité !

Tous ces éléments d’opportunité plaident en faveur de l’adoption de cette proposition de loi prévoyant le report de la suppression des juridictions de proximité de janvier 2013 à janvier 2015.

Évidemment, il nous reste beaucoup à faire ! Après le vote probable de ce texte, nous disposerons de deux années pour mener à bien le travail de fond que nous avons engagé. Je me suis récemment exprimé devant le Sénat – c’était il y a un peu plus d’un mois, mais je viens si souvent ici que j’ai l’impression de ne jamais vous quitter… §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

C’est extrêmement aimable, madame la garde des sceaux !

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est ainsi que je le ressens, monsieur Sueur, je vous l’assure !

À l’occasion du débat que nous avons eu, une nuit, sur la carte judiciaire, je vous ai dit que je menais une réflexion sur la redéfinition des périmètres de contentieux dans la justice civile, de façon à procéder aux ajustements nécessaires les plus pertinents possible pour améliorer, comme s’y est engagé le Président de la République, le fonctionnement de nos juridictions en termes d’accessibilité, de proximité, d’efficacité, et donc de diligence.

Une telle réforme suppose, selon les ressorts et la nouvelle configuration issue du redécoupage de la carte judiciaire, que nous mettions en place des dispositifs adaptés, pertinents. Cela implique éventuellement, dans certains cas, une réouverture de juridictions, et, dans d’autres, une expérimentation des guichets uniques de greffe dans les tribunaux de première instance. A également été évoquée l’hypothèse, que je sais controversée, d’audiences foraines, sans parler des maisons de justice et du droit, qualifiées de « nouvelle génération », dont les critères de définition sont encore en suspens. Toute une palette de réponses s’offre donc à nous, la meilleure des possibilités devant être choisie selon le ressort considéré. Nous sommes bien dans la réflexion sur l’organisation judiciaire.

J’ai saisi l’Institut des hautes études sur la justice de la réalisation d’une étude. Celle-ci devra porter, notamment, sur la mission et le périmètre d’intervention du juge, ainsi que sur l’exercice de son office, c’est-à-dire également sur l’équipe qui intervient autour de lui : non seulement les greffiers, mais aussi les assistants, spécialisés ou non. En effet, nous voyons bien que, pour certains contentieux, nous avons un besoin réel et urgent d’assistants spécialisés. Au-delà, s’agissant de l’office même du juge, les textes votés ces dernières années ont confié aux magistrats nombre de tâches, qui ont relativement dilué sa mission en l’obligeant à se disperser. Cela nous conduit à mener une véritable réflexion sur le sujet.

Considérant qu’il nous faut également profiter de l’expérience des magistrats et des greffiers, j’ai par ailleurs demandé à la direction des services judiciaires de mettre en place deux groupes de travail avec ces derniers pour nous aider dans notre réflexion, non seulement sur la mission du juge, mais aussi sur l’organisation judiciaire. Cela nous permettra de tenir compte, notamment, de l’évolution du métier de greffier.

Ces travaux en cours devraient aboutir au premier trimestre 2013. Nous disposerons alors d’éléments nous permettant de prendre des décisions éclairées pour que, à l’échéance que vous nous proposez, monsieur Sueur, une nouvelle organisation de la justice soit prête, fondée sur la proximité et l’efficacité. Il s’agira de faire en sorte que la justice civile, si nécessaire dans des périodes difficiles puisqu’elle traite du surendettement, de la famille, des pensions, du handicap ou de l’aide sociale – bref, c’est la justice du quotidien de nos concitoyens –, soit performante. Ce nouveau délai devrait nous permettre de réussir la réforme.

Je rappelle qu’une expérimentation concernant le seul contentieux de la famille, c’est-à-dire le droit de garde des enfants et les contributions afférentes, sera menée de début 2013 à fin 2014 dans les juridictions d’Arras et de Bordeaux. Là aussi, nous devrions récolter des éléments nous permettant d’apprécier les conditions dans lesquelles la médiation peut soulager les juridictions. Si la justice n’est pas diligente, c’est non pas parce que les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires ne travaillent pas assez ou assez vite, mais parce que les contentieux de masse se développent, engorgeant nos juridictions.

Il y a plusieurs façons convergentes sinon de désengorger, du moins de dégonfler le contentieux. Cela passe, bien évidemment, par le recrutement de magistrats et de greffiers, ce que nous sommes en train de faire. L’informatisation permet également, d’une part, de dégager du personnel de tâches fastidieuses pour l’affecter à d’autres opérations plus élaborées, ce qui améliore la qualité du service rendu aux magistrats et aux greffiers, et, d’autre part, d’accélérer et de sécuriser les procédures.

Par ailleurs, nous devons nous interroger sur la judiciarisation croissante de la société, laquelle se traduit par une demande de justice de plus en plus massive. C’est particulièrement visible en période de crise, avec une hausse importante des contentieux.

Il faut d’abord poser comme principe qu’une telle demande est légitime. Il est normal qu’un citoyen, se trouvant devant une difficulté pour laquelle il n’a pas de solution à sa portée, en appelle à l’État pour résoudre son litige. C’est par la justice que l’État lui répond.

En même temps, nous devons concevoir qu’un certain nombre de litiges puissent être réglés autrement que par le biais de procédures judiciaires lourdes, sans pour autant que l’équité et l’efficacité des décisions prises en soient affaiblies.

C’est en ce sens que les études, les groupes de travail et les expérimentations que je viens de citer vont contribuer à éclairer notre réflexion.

Si nous reconnaissons le travail fourni par les juges de proximité, nous considérons qu’il faut améliorer le contenu et les conditions de leur formation, et réfléchir très précisément aux moyens de rendre ces magistrats encore plus utiles dans nos tribunaux d’instance et de grande instance.

Madame la rapporteur, j’ai d'ores et déjà adressé aux magistrats une première circulaire pour les alerter sur les effets à attendre de cette proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur, car il faut notamment faire très attention au traitement des contentieux en cours. Une fois que le texte sera adopté, j’adresserai évidemment une autre circulaire pour tirer très précisément toutes les conséquences du report de deux ans de l’échéance concernant les juridictions de proximité. Il n'y a donc aucun risque de modification ou de translation, dirai-je, s’agissant des limites de contentieux, mais vous avez eu raison de soulever la question.

Les juges de proximité, qui ont déjà une expérience judiciaire et juridique, doivent acquérir une formation en vue de s’adapter aux nouvelles méthodes de travail, à des exigences particulières, aux procédures, à la complexité de nos textes. Ils sont nommés pour sept ans, et leur formation présente donc plus d’utilité que celle des citoyens assesseurs qui, rémunérés à la vacation comme les juges de proximité, sont tirés au sort et formés pour la seule période durant laquelle ils sont appelés à siéger. La formation des juges de proximité ne se résume donc pas à un éternel recommencement !

Les juges de proximité contribuent à l’efficacité de la justice, car le risque est faible qu’ils alourdissent les audiences ou retardent les procédures. S’ils ont toute leur utilité, ils doivent être encore plus performants, ce qui passe par la formation. Dire cela n’enlève bien évidemment rien au rôle que nous leur reconnaissons et aux services qu’ils rendent.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se réjouit de l’initiative prise par M. Jean-Pierre Sueur, salue la qualité du travail conduit par Mme Klès dans le cadre du rapport écrit et souhaite que le débat d’aujourd'hui nous permette d’amorcer très concrètement et très sérieusement la réorganisation judiciaire en matière de justice civile. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par cette proposition de loi, M. Jean-Pierre Sueur nous évite une augmentation du désordre. Je l’en remercie !

La justice mérite en effet mieux que des processus législatifs chaotiques et contradictoires. Comment appliquer sereinement la loi quand cette dernière ignore la ligne droite, quand la nation qui a créé le code civil a perdu l’esprit de la codification et privilégié l’empilement de textes sans cohérence globale ? Ces derniers n’ont eu pour but essentiel que de répondre aux demandes et aux besoins immédiats de l’administration et de contraintes budgétaires ayant rarement privilégié le budget de la justice.

En 2002, l’actuelle majorité, alors opposition, contestait la création des juges de proximité. Aujourd'hui, elle souhaite les maintenir, alors que l’ancienne majorité elle-même avait décidé, voilà quelques mois, de les supprimer.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Prenons le temps de synthétiser une vision moderne de la justice, de l’appareil judiciaire au niveau de la première instance dans ses différents aspects : civil, pénal, commercial, social. Là se situe le grand niveau de la proximité, celui qui préoccupe au premier chef nos concitoyens et dont l’importance ne nous a pas échappé, à nous qui sommes majoritairement des élus locaux et pouvons, de ce point de vue, apporter au Sénat l’expérience du terrain ; du moins tant qu’il nous sera permis de le faire…

M. Jean-Jacques Hyest sourit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Le niveau d’après, autrement dit les cours d’appel, n’est plus celui de la proximité. Il doit être traité différemment.

Sur ce sujet de la justice de proximité, je ne vois pas de meilleur exemple d’incohérence que la politique menée ces dernières années.

Cela commença en 2002, année de la création des juridictions de proximité, pour pallier l’insuffisance du nombre de magistrats d’instance.

Cela se poursuivit en 2010, avec la mise en place de la réforme de la carte judiciaire, conduisant à la suppression de 178 tribunaux d’instance, donc de la proximité.

J’espère, madame la garde des sceaux, que l’avenir ne se résumera pas simplement à la réouverture du tribunal de grande instance de Tulle ! §Puisse être retenue une vision un peu plus large.

Cela se termina par la loi du 13 décembre 2011, laquelle emporta la suppression de la juridiction de proximité, mais, effectivement, pas celle des juges de proximité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Pour ceux-ci fut prévu un déploiement vers les tribunaux de grande instance et, surtout, vers les tribunaux correctionnels, au moment même où le précédent gouvernement créait les citoyens assesseurs. C’était pour le moins illogique.

Ce fut une politique de gribouille, une déclinaison partielle, hachée et bégayante de plusieurs rapports de commissions confiés à d’éminents spécialistes ; inutile d’en dire davantage.

Aujourd'hui, c’est l’incohérence qui caractérise la situation procédurale.

Au début de 2011, 12 % des juridictions de proximité se trouvaient sans juge de proximité, le juge d’instance assurant une double fonction. Outre que cela rendait la situation ubuesque, la démonstration était faite que la justice ne fonctionnait pas de la même manière selon le territoire considéré.

En 2012, le nombre de juges de proximité est passé de 672 à 460. Nombreuses sont les nouvelles juridictions qui en sont désormais dépourvues.

On nous expose qu’il faudrait l’équivalent de 110 emplois temps plein de magistrats pour compenser la suppression des juridictions de proximité. On en conclut que mieux vaut gagner du temps et réfléchir pendant encore deux ans pour permettre au système de fonctionner. Voilà ce que j’appelle une politique de gribouille.

Mes chers collègues, le but initial était de recruter des magistrats professionnels peu rémunérés pour pallier les carences budgétaires et l’inflation des contentieux, qu’il s’agisse des injonctions de payer, de la gestion des tutelles, du traitement des surendettements. Telle est la réalité que vous avez rappelée, madame la garde des sceaux. C’est du replâtrage, du colmatage, du bricolage ; cela ne fait pas une politique judiciaire.

Nous avons besoin de magistrats de proximité. Je ne partage d’ailleurs pas tout à fait l’opinion de notre excellent rapporteur, qui déclara devant la commission : « L’humanité, les juges d’instance n’en ont pas le temps. » Au vu du nombre d’affaires, les juges de proximité sont soumis à la même cadence que les autres, sans avoir ni la même compétence ni la même expérience. Pour ce qui est de l’humanité, en fait, on l’a dans son être ou on ne l’a pas.

L’essence même de la première instance, c’est la conciliation, madame la garde des sceaux. C’est ce vers quoi doivent tendre nos magistrats, d’abord et surtout à ce niveau, celui, je le répète, de la proximité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Dois-je une nouvelle fois rappeler ne serait-ce d’ailleurs que les dispositions des articles 829, 830, 831 et suivants du code de procédure civile ? Par une citation devant le tribunal d’instance, on cite à fin de conciliation et, à défaut, de jugement. Il est même possible de convoquer en conciliation sans citation.

C’est cela qu’il faut restaurer tout autant que la spécificité de la procédure. Ce n’est plus le cas aujourd'hui : conciliateurs de justice, juges de proximité, juges d’instance, délégués du procureur, médiateurs de tous poils, associations parajudiciaires ; la coupe est pleine, elle déborde !

Oui, je suis un peu – peut-être beaucoup – jacobin, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

N’oublions pas, madame Benbassa, que c’est ainsi que la République a fonctionné. Il est temps de revenir à certains fondamentaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Madame la ministre, regardez Portalis, dont la statue se dresse devant vous, revenez aux fondamentaux : c’est d’une belle et grande loi d’organisation judiciaire que nous avons besoin.

Nous voterons l’excellente proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur, dans l’attente d’un texte encore meilleur : je veux parler d’un projet de loi mettant en place une organisation enfin pérenne de la justice ; il faut que ce soit fait dans les deux ans à venir !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après ces paroles hautement républicaines de M. Mézard, je n’ai quasiment plus rien à dire !

Comme vous le savez, en 1790, l’assemblée constituante, prenant en compte le besoin de proximité des citoyens avec la justice, instaura les juges de paix, symboles d’une justice rapide, accessible, gratuite et équitable. Ceux-ci avaient pour ressort territorial le canton et pour principale mission de régler les petits litiges de la vie quotidienne, dans une démarche conciliatrice.

Les juges de paix furent supprimés par l’ordonnance n° 58-1273 du 22 décembre 1958 et remplacés par les tribunaux d’instance, juridiction d’exception dont le ressort, plus vaste, est fixé par décret. Cette extension de la taille des ressorts, associée à la professionnalisation du juge et à l’accroissement des compétences dévolues par le législateur, a fait perdre à cette juridiction le caractère de proximité qui avait assuré le succès du bon vieux « juge cantonal ».

Or cette judiciarisation de la société n’a pas tout résolu et certainement pas le problème de l’égalité des citoyens devant l’accès au droit. C’est ce souci, ancien et maintes fois réaffirmé, de rapprocher les citoyens de leur justice qui a poussé le législateur à créer, en septembre 2002, les juridictions de proximité, celles des petits litiges du quotidien.

Selon les chiffres donnés par la Chancellerie, on comptait, en 2011, 672 juges de proximité. Ils traitèrent cette année-là 90 000 affaires nouvelles en matière civile et 370 000 affaires en matière pénale.

Le contentieux est donc important et concerne les citoyens dans leur rapport premier avec la justice, celle de tous les jours.

En 2011, la loi du 13 décembre relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles a prévu, pour le 1er janvier 2013, la suppression des juridictions de proximité et le rattachement des juges de proximité aux tribunaux de grande instance.

Plusieurs arguments ont alors été avancés pour justifier ce changement : d’abord, l’existence de deux juridictions de première instance, qui complexifie manifestement l’organisation judiciaire puisque, en l’absence de juge de proximité dans un ressort, le tribunal d’instance retrouve sa compétence initiale ; ensuite, le faible nombre de juges de proximité, qui ne parvient pas à désengorger les tribunaux de manière significative ; enfin, la présence de membres de la société civile dans l’institution judiciaire.

En un mot, les juridictions de proximité auraient donc échoué à rapprocher les citoyens de la justice et à simplifier la juridiction de première instance.

Malgré ces reproches, dont certains sont justifiés, la proposition de loi présentée par Jean-Pierre Sueur, que nous examinons aujourd’hui en petit comité, vise à reporter la suppression des juridictions de proximité au 1er janvier 2015. Si le texte était adopté, les juridictions de proximité bénéficieraient donc d’un sursis de deux années encore.

Les réformes de ces dernières années n’ont fait qu’ébranler un peu plus la confiance des citoyens en leur justice et leurs juges. À cet égard, la réforme de la carte judiciaire, initiée en 2007 par Mme Rachida Dati, alors ministre de la justice, est emblématique : manque de méthode, absence de concertation, … On se souviendra longtemps des manifestations de magistrats et d’avocats !

En outre, si le délai imposé par la loi du 13 décembre 2011 est respecté, c’est tout le contentieux qui sera transféré aux tribunaux d’instance, alors que leurs moyens n’ont pas été augmentés, loin s’en faut, et que la dernière réforme de la carte judiciaire a abouti à la suppression de 178 d’entre eux.

Une réforme ambitieuse ainsi que l’apport de moyens financiers et humains plus importants seront nécessaires dans les années à venir. En fait, c’est tout l’appareil judiciaire de première instance qu’il faudrait revoir. Mais pour que cette réforme ne constitue pas un énième rendez-vous manqué, nous devons nous donner du temps : le temps de la réflexion mais, surtout, celui de la concertation.

Ce délai de deux années supplémentaires nous paraît, dès lors, raisonnable et utile. Voilà pourquoi les écologistes voteront ce texte.

Je veux profiter de l’optique de la réforme pour vous dire, madame la ministre, en poursuivant sur le mode lyrique employé par M. Mézard, que les écologistes – bien que n’étant pas jacobins, nous n’en sommes pas moins de gauche – sont convaincus que l’accès au droit est un rempart contre la précarité et un outil indispensable pour plus de dignité et de cohésion sociale. Nous considérons que l’accès au droit de tous doit constituer une priorité pour notre gouvernement. En effet, si nul n’est censé ignorer la loi, tous les citoyens doivent être égaux devant elle. Le temps est donc venu de rétablir la confiance des Français dans leur justice, qui n’est ni laxiste ni incompétente !

Pour conclure, je reprendrai simplement les mots du candidat Hollande, qui faisait de la justice de proximité celle des « oubliés, des humbles, des accidentés de la vie, cette justice du travail, de l’aide sociale, du handicap, des pensions, des allocations familiales qui concerne chaque année environ 250 000 personnes ». Je vous dirai aussi tout l’espoir que nous, écologistes, avons dans la réforme à venir. Et nous comptons sur vous, madame la ministre !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, M. Sueur a bien fait de proposer le report de la suppression des juridictions de proximité. Comme Mme la garde des sceaux l’a démontré à l’envi, l’état d’impréparation de cette réforme rend pratiquement impossible son application au 1er janvier 2013. Il fallait donc faire quelque chose, sinon la situation des tribunaux d’instance s’en serait trouvée aggravée.

Je rappelle que la loi du 13 décembre 2011 reprenait les préconisations du rapport Guinchard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

On peut en penser ce qu’on veut, mais ce rapport n’en contenait pas moins des pistes très intéressantes et qui valent peut-être encore d’être explorées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

La commission Guinchard avait par exemple avancé deux arguments pour justifier la disparition de cet ordre de juridiction, tout en reconnaissant par ailleurs les qualités humaines des juges de proximité qui le composent : la complexité de l’organisation judiciaire mise en place, que je confirme, et la complexité croissante du contentieux soumis au juge de proximité du fait à la fois de l’élévation de son taux de compétence de 1 500 euros à 4 000 euros et de la nécessité, même pour les plus petits litiges, de s’assurer du respect des règles d’ordre public qui se multipliaient.

C’est Michel Mercier, alors garde des sceaux, qui a présenté la loi de 2011 visant à supprimer la juridiction de proximité et à rattacher les juges de proximité au tribunal de grande instance. Aux termes de ce texte, les juges de proximité peuvent être appelés à siéger au sein d’une formation collégiale du tribunal de grande instance, statuer sur requête en injonction de payer, sauf sur opposition, et procéder à certaines mesures d’instruction.

La loi de 2011 a également rétabli la compétence du tribunal d’instance sur des litiges civils inférieurs à 4 000 euros. C’est précisément là où se trouve la difficulté puisqu’il lui faudra reprendre tout ce qui n’est plus traité par les juges de proximité.

De même, la loi a restitué aux tribunaux de police des compétences en matière de contraventions. Si elle est souvent oubliée, la compétence pénale des tribunaux d’instance existe bel et bien et porte sur un contentieux extrêmement important, même si l’on a tout fait, notamment en matière automobile, pour éviter aux gens d’aller devant le juge, avec toutes les incertitudes que cela peut comporter pour les justiciables.

Bref, les juridictions d’instance ne seront pas en mesure d’absorber la charge contentieuse qui leur sera transférée. Vous avez d’ailleurs cité, madame la garde des sceaux, le nombre de juges d’instance qu’il aurait fallu recruter pour parvenir à accomplir cette tâche.

Il est évident que le groupe UMP votera la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur.

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Il est effectivement nécessaire de mettre à profit le délai ouvert par ce texte pour conduire une réflexion d’ensemble sur la justice de proximité et la justice de première instance.

On a parlé des juges de paix. Il y en avait dans mon canton, donc je m’en souviens bien. Supprimé en 1958, cet échelon de juridiction comportait des aspects tout à fait positifs. Notre ancien collègue Fauchon défendait d’ailleurs avec ardeur cette justice de proximité. Pour autant, n’exagérons rien, ce n’était pas une justice idéale.

À mon avis, la création des juridictions de proximité a été une erreur. La commission des lois du Sénat s’est d’ailleurs toujours montrée réservée sur le sujet. Je précise que je parle bien des juridictions de proximité, et non des juges de proximité. L’un de nos rapports préconise même le recrutement de juges de proximité auprès des juges d’instance. Mais il va de soi que ceux-ci doivent avoir toutes les qualifications juridiques requises, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, et relever du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire ; un décret pris en Conseil d’État doit compléter ces garanties. L’objectif est d’offrir aux juges d’instance le concours, pour un certain nombre de contentieux, de juges très expérimentés.

Ce système, nous semble-t-il, améliorerait nettement la situation. En tout cas, c’est une piste à explorer. Ce genre d’expérience s’est d’ailleurs multiplié dans d’autres domaines de la justice, et personne ne le remet en cause. Va-t-on revenir sur les délégués du procureur ? Je ne le pense pas, madame la garde des sceaux.

Au-delà des réticences, et même si les choses restent encore un peu compliquées, vous avez, au demeurant, développé ce qui était possible en matière de conciliation, de médiation. On le voit bien, l’utilisation, dans de bonnes conditions, des juges de proximité auprès des juridictions d’instance ou de grande instance est une question qui mérite d’être posée.

Cela ne veut pas forcément dire que cette catégorie va être supprimée. Certes, les organisations judiciaires ont un art consommé pour rejeter les greffons, et cela vaut quelles que soient les époques. Il y a eu d’autres réformes de la justice, sous d’autres majorités, qui n’ont pas abouti parce que l’institution judiciaire résiste ; elle résiste même aux évolutions de la société. C’est quand même formidable !

Regardons ce que qui se passe ailleurs. La justice de proximité fonctionne plutôt bien en Grande-Bretagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Pourquoi ne pas nous en inspirer ?

On l’a dit à de nombreuses reprises, peut-être faudrait-il décharger les magistrats d’un certain nombre des multiples tâches qui leur incombent. La tutelle, jadis du ressort du juge, est désormais confiée au greffier. Mais, parce qu’il est surchargé de travail, peut-être ce dernier ne contrôle-t-il pas les comptes de tutelle avec toute la rigueur nécessaire.

Madame la garde des sceaux, vous avez annoncé la création de groupes de travail, l’intervention de l’Institut des hautes études sur la justice. Souhaitons que nous puissions avancer dans ce domaine.

Parmi les juges de proximité, il y a d’anciens magistrats qui souhaitent poursuivre leur carrière quelques années après leur retraite, ce qui me semble d’ailleurs très heureux pour la justice. Il y a aussi de nombreuses personnes issues de la société civile. N’est-ce pas le cas pour les conseils de prud’hommes ? Cela vaut également, même si je ne cite plus l’exemple qu’à titre anecdotique, pour les tribunaux des baux ruraux. C’est vrai aussi pour les tribunaux de sécurité sociale, pour les tribunaux de commerce, dont on peut dire tout ce que l’on veut, mais dont le fonctionnement s’est globalement bien amélioré depuis quelques années.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Il paraît que, dans ce domaine aussi, la Chancellerie conduit des réflexions.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

C’est exact !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

Il y a donc des personnes de toutes sortes qui exercent des fonctions de justice dans notre système judiciaire. Pourtant, cela n’empêche pas beaucoup de gens d’être extrêmement hostiles à la présence de citoyens assesseurs pour juger les délits, arguant qu’ils ralentiront la justice parce qu’ils auront besoin d’être formés. Or les mêmes considèrent comme un principe sacré la présence des jurés citoyens pour juger les crimes. Voilà un paradoxe sur lequel je m’interroge.

Les juges de proximité, tels qu’ils existent actuellement – je dis bien les juges –, remplissent toutes les garanties, ont toutes les qualifications juridiques requises. Ils répondent à un réel besoin de rapprocher la justice des citoyens, dans un environnement marqué à la fois, cela a été dit, par la judiciarisation de notre vie quotidienne et la complexité des procédures.

Il faut dire que plus on complique les procédures, plus le risque de contentieux s’accroît. Vous avez ainsi dû être frappés, mes chers collègues, par le fait que la jurisprudence de la Cour de cassation porte de plus en plus, depuis les dernières décennies, sur des questions de procédure, plutôt que de fond. Le nombre de grands arrêts diminue au profit de points procéduraux !

Par ailleurs, plus les procédures sont complexes, plus s’accroît aussi le risque que soient commises, de bonne foi, des erreurs. Sans doute nous faut-il donc réfléchir à une simplification des procédures afin de prévenir un mauvais fonctionnement de la justice.

On pourrait citer comme exemple de cette complexité croissante le contentieux du surendettement, successivement judiciarisé, déjudiciarisé, puis rejudiciarisé. Les juges d’instance ne peuvent plus faire face à l’augmentation de ces dossiers, et ceux qui en subissent les conséquences sont les plus démunis, ceux-là mêmes qui sont concernés par ces procédures. Reconnaissons que l’allongement des délais, dans ce domaine comme dans d’autres, peut être particulièrement dramatique !

Nous avons donc le devoir d’approfondir notre réflexion sur cette question, devenue centrale pour le quotidien des Français, et nous en suivrons l’évolution avec attention. La commission des lois a d’ailleurs l’intention de procéder à des investigations et à des évaluations afin d’enrichir cette réflexion commune et de contribuer au meilleur fonctionnement de la justice de proximité dans notre pays.

Applaudissements sur diverses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, personne ne niera ici, et les premières interventions l’ont confirmé, que la situation actuelle de nos juridictions, en particulier celle des juridictions de proximité et des tribunaux d’instance, avait été prédite.

Les alertes n’ont pas manqué. En témoignent les rapports des juges d’instance, les écrits de l’Association nationale des juges d’instance, ceux des organisations syndicales ainsi que les nombreux courriers envoyés à votre prédécesseur, madame la ministre.

Cette situation calamiteuse avait également été annoncée par les sénateurs de gauche. Notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat avait ainsi alerté à de nombreuses reprises l’ancienne majorité sur les dangers de cette méthode visant à réformer la justice par « petits bouts », dont le seul objectif était en réalité d’éviter de traiter des vrais enjeux de la justice.

Depuis le début, notre position est claire, et elle le demeure : la seule juridiction de proximité qui doit exister est le tribunal d’instance ; les juges de proximité doivent donc être les juges d’instance.

Le groupe CRC s’était opposé à la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, qui, en créant les juridictions de proximité, a ajouté, de fait, une troisième juridiction de première instance à côté des tribunaux de grande instance et des tribunaux d’instance. Nous avions alors souligné la complexité juridique dont pâtiraient les justiciables du fait de l’application de cette loi et critiqué les choix de la majorité et du gouvernement de l’époque, qui ont préféré retirer des compétences aux juges d’instance au profit des nouveaux juges de proximité plutôt que de doter les tribunaux d’instance des moyens nécessaires à leur bon fonctionnement.

Cette réforme ayant échoué six ans seulement après son adoption, la loi du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles est venue supprimer les juridictions de proximité, tout en prévoyant que cette suppression ne serait effective qu’à compter de janvier 2013.

Les sénateurs s’étaient alors opposés à cette suppression des juridictions de proximité en raison du manque de moyens prévisibles des tribunaux d’instance, mais le gouvernement avait donné sur ce point le dernier mot à l’Assemblée nationale. L’analyse développée par le Sénat, et que nous partagions, s’appuyait notamment sur le constat selon lequel les tribunaux d’instance ne disposeraient pas des effectifs nécessaires pour absorber le contentieux civil dévolu jusqu’alors aux juridictions de proximité.

Nous voilà donc aujourd’hui, comme en 2011, contraints de maintenir pendant quelques années encore un système dont nous ne voulions pas. Mis au pied du mur, il nous faut agir dans l’urgence pour éviter que la situation ne se dégrade davantage.

L’objet de la présente proposition de loi est de pallier rapidement le manque d’anticipation par le gouvernement précédent des conséquences de la suppression des juridictions de proximité. Ce texte prend bien évidemment en compte la charge supplémentaire de travail que représenterait pour les juges d’instance, déjà victimes d’un effet de ciseaux, la reprise de ce contentieux civil. Ces magistrats ont en effet vu leurs effectifs diminuer tandis qu’augmentait dans le même temps leur charge de travail, du fait des nombreuses réformes entreprises : réforme catastrophique de la carte judiciaire ; transfert du contentieux du surendettement aux tribunaux d’instance ; report différé d’un an, dans des conditions surréalistes, du transfert du service des tutelles des mineurs aux tribunaux de grande instance, et j’en passe.

Il s’avère nécessaire, dans un tel contexte, de prolonger de deux ans le maintien en fonction des juridictions de proximité. Nous voterons donc cette proposition de loi, …

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

… tout en soulignant combien il est urgent, au-delà de la prorogation du délai de suppression de ces juridictions, de répondre au cri d’alarme lancé par les professionnels de la justice. Les travaux de notre commission doivent y contribuer.

Nous espérons que ce cri sera entendu par la gauche. Quoi qu’il en soit, le train semble lancé sur de bons rails puisque notre collègue Jean-Pierre Sueur, auteur de la proposition de loi, nous invite à mettre à profit le délai ouvert par ce texte pour conduire une réflexion d’ensemble sur la justice de proximité. Il a rappelé que la commission des lois s’était d’ores et déjà mise au travail ; une mission d’information sur le sujet a ainsi été confiée à nos collègues Yves Détraigne et Virginie Klès.

Vous vous êtes aussi engagée sur cette question, madame la garde des sceaux, lors du débat sur le rapport de la mission d’information sur la réforme de la carte judiciaire. Nous soutenons votre engagement de remettre sur pied une justice efficace et rapide, au bénéfice de nos concitoyens et des personnels de la justice.

Au-delà de ce travail engagé sur le moyen terme, je tiens à souligner l’urgence de prendre à bras-le-corps la question prégnante des moyens de la justice. Nous y serons invités dans quelques jours.

Debut de section - PermalienPhoto de Cécile Cukierman

Cela tombe bien ! À cet égard, eu égard aux restrictions budgétaires affectant les autres ministères, on ne peut qu’approuver l’accroissement des effectifs de la justice prévu dans le projet de loi de finances pour la période 2013-2015.

Le projet de budget prévoit le recrutement de 142 magistrats, dont 50 seront directement affectés à l’instance. Ceux-ci n’intégreront néanmoins leur juridiction qu’une fois achevée leur formation à l’École nationale de la magistrature, soit après le 1er janvier 2015, date de la suppression des juridictions de proximité, si toutefois nous votons la prorogation du délai en vigueur ; à moins que nous nous retrouvions en novembre 2014 pour voter de nouveaux statuts, ce que je n’envisage pas dans la mesure où nous avons décidé cette fois-ci d’anticiper la situation.

Il nous faut mobiliser dès à présent tous les moyens possibles pour renforcer les tribunaux d’instance et pour permettre aux magistrats et aux greffiers de faire face à la réforme des tutelles, dont la date butoir est actuellement fixée au 1er janvier 2014.

Madame la garde des sceaux, les syndicats nous ont alertés sur cette situation. Là encore, nous espérons qu’ils seront entendus.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, voilà un texte – dont nous débattons en très petit comité – comme on aimerait en voir plus souvent : court, efficace, attendu. Sans suspense, nous le voterons.

Son examen me donne l’occasion de faire le point sur la situation de l’accès au droit dans mon beau département de l’Orne après la « tornade Rachida », que je m’honore de n’avoir pas soutenue. Je veux notamment appeler votre attention sur le désert judiciaire complet résultant de la fermeture du tribunal de Mortagne-au-Perche, à laquelle le maire ne s’est pas opposé par fidélité politique au gouvernement de l’époque. Par délibération du 13 octobre 2008, il a créé une maison des services publics, qui, en toute hypothèse, ne remplace pas le tribunal qui a été supprimé.

Cette fermeture prive le Perche et le pays d’Ouche de tout service judiciaire de proximité : pas de tribunal d’instance, pas de conseil de prud’hommes ni de maison de justice et du droit. C’est pourquoi je vous indique de la façon la plus officielle que le maire de L’Aigle, en concertation avec le président du tribunal de grande instance d’Alençon, est d’accord pour accueillir cette maison de justice et du droit qui sera, ainsi que vous nous l’avez indiqué, madame la garde des sceaux, de nouvelle génération. Il offre ainsi un local approprié et assurerait les charges d’un personnel à temps plein. Je tiens à votre disposition le courrier dans lequel cet élu en fait la demande officielle.

En somme, il ne vous reste qu’à fournir une borne. Cette opération, indispensable pour ce tiers du département de l’Orne, pourrait être mise en place très rapidement.

Plus généralement, nous répétons ici inlassablement, à l’occasion de chaque projet de loi de finances, combien le fait de recourir une fois par an aux décrets d’avance afin de boucler des budgets trop courts est humiliant pour cette institution si importante qu’est la justice.

Je tiens également à aborder la question des besoins en personnel.

La formation des greffiers doit être courte et efficace, les magistrats ne pouvant travailler sans greffiers.

Nous avons aussi besoin de magistrats pour répondre aux critères fixés par le Conseil de l’Europe, en raison de l’ouverture prochaine du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe, qui comportera un quartier de 204 places pour les longues peines et un quartier nouveau de 45 places pour les courtes peines. Tout cela nécessite que l’on revoie complètement la composition du tribunal de grande instance d’Alençon.

Le rapport de 2012 de la CEPEJ, la commission européenne pour l’efficacité de la justice, dont des extraits ont été publiés dans Le Monde du 21 février 2012, atteste de ce que le nombre de dossiers par procureur est en France de 2 333, alors qu’au Danemark il est de 227.

Par ailleurs, le nombre de procureurs en France est de 3 pour 100 000 habitants, alors qu’au Danemark il est en moyenne de 13, 5.

Vous ne serez pas étonnée que je plaide, dans ces conditions, pour un accroissement du nombre de magistrats, en particulier auprès du tribunal de grande instance d’Alençon. Après tout, nous l’avons assez répété, la justice est un pilier de notre société.

Madame la garde des sceaux, la tribune du Sénat est un outil.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Je prends d’ailleurs des notes...

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je le vois, et je vous remercie de prendre mes demandes en considération.

Alors que la justice est un fondement de notre République, nos concitoyens s’en éloignent de plus en plus en raison de la complexité des procédures, de l’éloignement des juridictions, des délais de jugement et surtout de mise œuvre des décisions.

La grande loi sur l’organisation de la justice que vous avez annoncée est attendue, car des travaux de réorganisation sont absolument nécessaires. De ce point de vue, il faudrait un peu de stabilité et de cohérence. À l’adage sous forme de boutade cité par Mme le rapporteur, « Souvent loi varie, bien fol est qui s’y fie », je préfère celui-ci : Hora fugit stat jus.

Applaudissements sur les travées de l'UDI -UC et du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, notre excellent président de la commission des lois, Jean-Pierre Sueur, nous accorde un sursis, sans mise à l’épreuve, pour rétablir la justice. (Sourires.) Il va sans dire que le groupe socialiste approuve totalement sa démarche et remercie la rapporteur, Virginie Klès, pour son travail.

Vous le savez, madame la garde des sceaux, la réforme de la carte judiciaire a été faite à la hache, sans grande concertation. Pour ma part, alors même que j’avais quelques contacts dans les milieux judiciaires, je n’ai été consulté ni par les chefs de cour ni par qui que ce soit d’autre dans ma région. J’avais pourtant des propositions à faire...

Cette réforme de la carte judiciaire a été faite dans le seul souci de supprimer un certain nombre de tribunaux, y compris pour des raisons politiciennes. Pourquoi conserver Brive et supprimer Tulle, par exemple, pour parler du cas le plus emblématique ? Aucune considération n’a été portée aux compétences des tribunaux ou à l’éloignement des justiciables.

À ce propos, à l’instar de ma collègue Nathalie Goulet, je citerai à titre d’illustration mon propre département, la Haute-Saône. Le contentieux qui relevait du tribunal d’instance de Gray, qui a été supprimé, est maintenant traité à Vesoul alors que les deux villes sont distantes d’environ soixante kilomètres et qu’il n’y a aucun moyen de locomotion entre l’une et l’autre, sinon la voiture personnelle. Je peux témoigner ici que les audiences du tribunal de Vesoul consacrées aux affaires de la région de Gray se déroulent sans justiciables, ce qui, vous l’avouerez, est tout de même quelque peu gênant, notamment en matière de tutelle.

Il faut donc d’abord revoir la question des compétences. Mon point de vue, qui n’est peut-être pas partagé par tout le monde, est qu’il ne faut prévoir qu’une seule juridiction de premier ressort, ce qui veut dire qu’il n’y aurait plus de juridiction d’instance et de grande instance, tout cela ne signifiant d’ailleurs pas grand-chose.

Il faut revoir aussi, vous l’avez dit, madame la garde des sceaux, le rôle du juge. Le juge, ce n’est pas celui qui médiatise, qui concilie, qui remplit le rôle d’une association de défense des droits des victimes ; le juge, c’est celui qui tranche au nom du droit et de la loi.

J’estime que la dévolution des compétences doit se faire sur un territoire donné – le département ou la région –, par pôles de contentieux attribués à diverses juridictions ou « antennes » – appelons-les comme on voudra – de juridiction.

Il existe, et Virginie Klès y a fait allusion, un pôle du droit de la famille, droit dont, avec la question du mariage, on parle beaucoup en ce moment. Pour quelle raison est-ce le tribunal de grande instance qui traite le divorce et ses conséquences, et le tribunal d’instance les tutelles ? Toutes ces affaires devraient, à mon avis, être rassemblées dans un pôle du droit de la famille.

Les contentieux relevant du droit des contrats, du logement, de la consommation devraient, de même, être rassemblés dans un pôle unique.

À partir du tribunal de grande instance pourraient ensuite être organisées sur l’ensemble d’un territoire des audiences foraines, des antennes, afin que, dans les situations que Nathalie Goulet et moi-même avons évoquées, les justiciables retrouvent la proximité avec la juridiction du juge qui traite de ce qu’on appelle la « justice quotidienne », bien plus importante pour nos concitoyens – en particulier pour nos concitoyens les plus défavorisés, ce qui est une raison de plus pour que l’accès au juge soit le plus facile possible – que les grandes affaires criminelles que l’on voit à la télévision et qui n’ont pas au fond un grand intérêt social, si ce n’est la condamnation d’un criminel.

Puis il y a le droit pénal, notamment le droit pénal des mineurs. J’ai cru comprendre, madame la garde des sceaux, que, dans ce domaine aussi, vous vouliez remettre les choses à plat. Il faut en effet le faire.

Le droit pénal, c’est aussi, bien entendu, la procédure pénale.

Une grande polémique est née lorsqu’il a été annoncé que les juges d’instruction allaient être supprimés du jour au lendemain et leurs compétences pratiquement transférées aux procureurs de la République, alors que ces derniers sont – il faut quand même le dire – dépendants, du fait non seulement de leur nomination et de leur régime disciplinaire, mais aussi du lien de subordination qui les lie à vous, madame la garde des sceaux, et au Gouvernement. Tout cela n’était pas réaliste et ne s’est d’ailleurs pas fait, le gouvernement d’alors ayant dû reculer en rase campagne. Il n’empêche que nous pensons que la procédure pénale peut être réformée.

Sur ce sujet, comme d’ailleurs sur beaucoup d’autres, la commission des lois, sous la présidence à l’époque de Jean-Jacques Hyest, avait commandé un rapport qu’avec mon collègue Jean-René Lecerf j’ai produit. Nous nous sommes déplacés à Berlin et à Rome, où les statuts des magistrats du parquet et du siège sont très différents des nôtres. Nous avons vu comment la procédure pénale fonctionnait en Allemagne, pays fédéral, et en Italie. Nous avons procédé à de nombreuses auditions et, dans notre rapport, nous avons fait des propositions pour une procédure pénale équilibrée.

Ces propositions, qui avaient recueilli l’assentiment unanime de la commission des lois, ne doivent peut-être pas toutes être reprises, mais sans doute pourraient-elles contribuer à tracer les lignes d’une nouvelle réforme de la procédure pénale.

Il y a, par ailleurs, le problème des citoyens assesseurs, auxquels vous avez fait allusion lorsque vous êtes venue présenter votre budget devant la commission des lois. Les résultats des expériences conduites sont très inégaux.

En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas contre la participation des citoyens à l’œuvre de justice et j’en ai moi-même été partisan dans des années antérieures, alors que j’étais peut-être un peu plus virulent

Sourires sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Si l’on veut l’échevinage dans les tribunaux correctionnels, et, personnellement, je crois que ce serait une bonne chose, il faut s’y prendre autrement, se donner les moyens de le faire et peut-être prendre exemple sur ce qui se fait pour les jurys d’assises et n’est finalement pas si mauvais.

On le voit donc, et je n’hésite pas à le dire, tout est à reprendre, après des années de plomb, des années de mépris exprimé, notamment, par la plus haute autorité de l’État, qui sortait d’ailleurs hier du cabinet d’un juge d’instruction comme témoin assisté…

Je précise, mes chers collègues, pour ceux qui ne sont pas très au fait de la procédure pénale, que vous pouvez tous être convoqués chez un juge pour être interrogés sur ce que vous savez d’une affaire. Convoqués comme témoin, vous pouvez ressortir comme témoin, et les choses s’arrêtent là. Mais si, à la suite de votre témoignage, il y a quelques présomptions qui laissent à penser que les investigations pourraient être poursuivies et peut-être conduire un jour à votre mise en examen, eh bien, on vous accordera le statut de témoin assisté, introduit dans notre droit sur l’initiative du général Aubert, à l’époque député des Alpes-Maritimes, statut qui vous permettra d’avoir l’assistance d’un avocat et d’accéder au dossier. C’est en somme un grade intermédiaire entre simple témoin et mis en examen…

Un grand périodique a fait la liste de tous les procès qui pourraient, après ses cinq ans d’exercice, amener l’ancien Président de la République devant les tribunaux ; il est assez amusant en même temps que consternant de voir à quel point le mépris de cet ancien Président de la République se retournera bientôt contre lui…

Je veux quand même dire ici, même s’il n’est pas présent dans cet hémicycle, que notre collègue Michel Mercier a essayé de panser les plaies. Il a finalement réussi à apaiser, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

… et je crois qu’il faut lui en donner acte.

Madame la garde des sceaux, nous attendons donc beaucoup de vous et, si je me livre ici à ces développements, c’est que nous ne sommes par certains de pouvoir nous exprimer devant vous à l’occasion de la présentation des crédits de la mission « Justice » puisque son examen par le Sénat est suspendu au vote de la première partie du projet de budget. Si notre assemblée vote contre les recettes, elle ne pourra, bien entendu, pas examiner les dépenses.

Je le dis comme je le pense, notamment à ceux qui, peut-être, n’ont pas suffisamment évalué leurs responsabilités en la matière, si cela doit arriver, cela signifiera que le Sénat ne sert à rien.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Lorsqu’une commission mixte paritaire se réunira, les sénateurs, qui auront rendu copie blanche, ne pourront rien proposer aux députés, rien modifier de ce que l’Assemblée nationale aura voté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Un certain nombre de députés se réjouissent peut-être de cette situation.

Nous sommes plusieurs ici à avoir siégé à l’Assemblée nationale. Souvent, nous disions : ah, le Sénat, le Sénat…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Madame la garde des sceaux, on connaissait votre courage, votre volonté, votre ténacité. Certains – j’en suis – ont découvert votre puissance de travail extraordinaire. En commission, dans cet hémicycle, vous parlez de chic, vous citez des chiffres de mémoire, ce qui prouve que vous avez parfaitement assimilé des sujets qui n’étaient pas les vôtres auparavant.

On sait aussi – vous l’avez montré pour la procédure pénale et pour la récidive, vous l’avez redit aujourd'hui à propos de la réforme de la procédure civile et du rôle du juge – que vous voulez vous entourer d’experts et vous appuyer sur leurs études pour être en mesure de prendre des décisions éclairées. Vous refusez, vous, de vous laisser emporter par les faits divers, même les plus dramatiques, contrairement à ce qui s’est pratiqué pendant les cinq années précédentes et a fait tant de mal à l’institution judiciaire et à ses acteurs, qui, vous le savez, l’ont très durement ressenti.

Autre temps, autres mœurs, autres méthodes : c’est ça l’alternance, et puisqu’elle s’exprime de cette façon, vive le changement !

Vous le constatez, mes attentes sont grandes, mais je suis à peu près convaincu que vous ne les décevrez pas. J’ai encore, je l’ai dit, quelques contacts avec le monde judiciaire ; je sais donc que ses acteurs attendent eux aussi beaucoup de vous. Nous sommes tous très sensibles au fait que vous vous rendiez dans toutes les assemblées, diverses et variées, qui réunissent les magistrats, les avocats, les huissiers, les notaires. Je crois pouvoir dire que vos prises de parole, auxquelles nous sommes très attentifs, sont très appréciées par ces professionnels, et Dieu sait que tous sont très différents !

Cela nous donne l’espoir que, pendant ces cinq ans, les procédures seront modifiées et l’institution judiciaire réformée, car elle doit l’être. Il faut, comme le souhaite notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest, qu’elle soit en prise avec son temps, avec la société telle qu’elle est aujourd'hui. Voilà ce que nous attendons de vous ! C’est très lourd, mais je crois que vous avez les épaules pour supporter cette charge. Par avance, je vous remercie.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je salue la très grande qualité des interventions, qu’il s’agisse de celles de M. le président de la commission et de Mme la rapporteur comme de celles des différents orateurs inscrits dans la discussion générale.

Je sais depuis plus de quinze ans que le Sénat est une maison où le travail législatif est toujours pris au sérieux, ayant, en tant que députée, souvent eu l’occasion au cours des « navettes » de constater combien ses travaux enrichissaient les textes.

S’agissant du projet de loi de finances, je suis respectueuse de la séparation des pouvoirs. Je fais donc semblant de ne pas entendre les interrogations sur l’opportunité extraordinaire qu’aurait le Sénat de faire la démonstration de sa précieuse utilité…

Monsieur Mézard, vous me permettrez de ne pas évoquer le TGI de Tulle. J’ai bien compris qu’il s’agissait d’une boutade de votre part. J’éviterai donc tout commentaire qui pourrait faire croire qu’il y a là un sujet.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira

Vous souhaitez des juges de proximité. J’ai rappelé quelles conditions de recrutement et, surtout, de nomination nous prévoyons. Je vous propose que nous en reparlions au cours d’une séance de travail pour voir cela de plus près.

L’essence de la première instance, c’est la conciliation, dites-vous. C’est vrai que dans le cadre des contentieux de masse nous nous rendons compte qu’il y a une nouvelle réflexion à mener. Il a tout de même existé une culture de la conciliation et de la médiation dans notre pays, mais les choses se sont peu à peu diluées avant de se dissoudre tout à fait.

Je crois qu’une forte demande sociale existe en faveur d’un retour de la médiation et de la conciliation, mais encore faut-il bien préciser les choses, car les désaccords surgissent lorsqu’il s’agit de dire quels contentieux sont concernés par la conciliation et selon quelles procédures ? Cela étant, j’ai bien compris que votre propos était un peu différent et que vous vous attachiez plus à la finalité de la première instance qu’aux procédures de conciliation et de médiation elles-mêmes.

J’ai entendu votre besoin d’une grande et belle loi sur l’organisation judiciaire. C’est un plaidoyer auquel je souscris. Je porte la responsabilité de présenter un tel texte, mais je sais que je pourrai m’appuyer sur vos travaux, vos réflexions et vos divers rapports pour que nous aboutissions ensemble à cette grande et belle loi. Je dis cela sans vanité aucune : il s’agit simplement d’une condition essentielle pour faciliter la vie de nos concitoyens de manière durable.

Madame Benbassa, j’ai évidemment été très sensible à votre souci de placer le justiciable au premier rang de nos préoccupations. C’est bien là tout le sens du service public de la justice. Si nous sommes souvent accaparés par des besoins de restructuration interne et d’organisation ou par des réponses urgentes à apporter aux différents métiers de la justice – magistrats, greffiers, fonctionnaires, avocats, notaires, huissiers –, nous ne devons jamais perdre de vue que c’est pour les justiciables que nous œuvrons. Parmi eux, les plus démunis, et pas seulement les plus démunis financièrement, constituent notre première préoccupation, car ils ne peuvent se tourner que vers la justice pour appeler au secours. Je vous remercie de votre intervention, que je partage pour l’essentiel.

Monsieur Hyest, j’ai pris bonne note de vos propos sur la Grande-Bretagne, qui ont d’ailleurs été confirmés par Jean-Pierre Michel.

Nous avons nos contradictions et nos ambivalences, j’en conviens. Si elles peuvent transparaître dans les œuvres humaines, c’est aussi ce qui en fait à la fois la faiblesse et la grandeur. Nous voulons mettre le citoyen au cœur de certaines institutions mais pas dans d’autres et pas à n’importe quelle place... Nous ne savons pas non plus quelles responsabilités et quelles tâches lui demander d’assumer. C’est tout le paradoxe que vous évoquiez à propos des délits et des crimes. Reste que je pense comme vous qu’il est utile que les citoyens entrent dans l’institution judiciaire pour y apporter leur connaissance de la vie et de la société et contribuer à l’œuvre de justice.

Sur la question des citoyens assesseurs et des réticences qui se sont fait jour à leur égard, sachez que j’ai décidé en juin 2012 – Mme la rapporteur et Mme Cukierman l’ont rappelé – de mettre un terme non pas à l’expérimentation en cours dans les ressorts de Dijon et de Toulouse mais à son extension décidée par décret deux ou trois mois plus tôt, ce qui me paraissait prématuré. Avant de prendre ma décision, j’avais réuni à la Chancellerie les chefs de cour de Dijon et de Toulouse pour qu’ils me fassent connaître leur bilan.

Il est apparu que cette expérimentation créait des problèmes dans le fonctionnement des juridictions. Inclure des citoyens assesseurs au cœur des juridictions et constater, au bout de quelques mois, que les audiences se prolongent, qu’elles sont plus compliquées, que plusieurs procédures ont pris du retard, que le ressort est désorganisé, qu’il y a des problèmes de coût et qu’il faut recruter davantage de magistrats, n’a rien d’absolument extraordinaire ni de surprenant.

Il est donc indispensable de prendre le temps d’évaluer ses effets avant d’étendre l’expérimentation. C’est le sens de la décision que j’ai prise, et je l’applique de manière rigoureuse : j’ai mis en place un dispositif pour poursuivre l’évaluation de cette expérimentation à Dijon et à Toulouse, dont le bilan a été établi il y a quelques jours, et j’ai demandé à deux magistrats de la Cour de cassation de porter une appréciation qualitative, et non pas seulement quantitative. D’ici à la fin de l’année, je serai en mesure de voir si cette expérimentation mérite d’être étendue.

La présence des citoyens assesseurs, c’est-à-dire de la société civile, dans les juridictions est une bonne chose, mais elle ne doit pas contribuer à fragiliser le fonctionnement de cette institution ni, puisque le justiciable est notre principal souci, à rendre la justice à la fois moins accessible et plus lente.

Sur la question de la simplification des procédures, je partage votre avis : notre dispositif législatif est devenu plus complexe ces derniers temps, plus sophistiqué, sous l’influence d’abord d’une fabrication législative parfois désordonnée, voire incohérente, ensuite sous l’influence de notre appartenance à l’Union européenne. Le poids des directives et des règlements européens ainsi que celui de nos différents engagements internationaux, accords bilatéraux compris, ont des effets considérables sur notre législation et sur le fonctionnement de notre appareil judiciaire.

Nous devons faire en sorte que le justiciable ne soit plus déçu par un jugement, en tout cas pour des raisons de procédure car il y a toujours une partie insatisfaite…

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Vous avez raison, c’est la culture de Salomon…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Hyest

M. Jean-Jacques Hyest. Alors, c’est un bon jugement !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Madame Cukierman, vous avez évoqué le problème des tutelles. Les juges d’instance, à travers leur association nationale notamment, ont fait savoir qu’ils comptaient bien sur la suppression des juridictions de proximité pour que les juges de proximité puissent être répartis dans les tribunaux d’instance et de grande instance afin de les aider à résorber ces dossiers.

J’ai fait estimer l’état de résorption des dossiers : à la moitié de l’année, on en était à peu près à 40 % et, deux mois plus tard, grâce à un travail considérable auquel je tiens à rendre hommage, le taux de 60 % était atteint. Dans quelques mois, nous devrions en être à 75 %. Il n’est donc pas exclu que la résorption soit totale d’ici à janvier 2014. Si tel est le cas, les magistrats concernés auront vraiment mérité notre respect et notre gratitude. Dans le cas contraire, je saisirai le Parlement de manière anticipée pour demander un report du délai. Comme vous le rappeliez récemment en commission, monsieur Hyest, cette disposition a été prise pour protéger les personnes sous tutelle.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Madame Goulet, j’ai entendu vos suggestions très précises sur une réorganisation territoriale de la justice dans votre circonscription.

J’ai expliqué ma méthode de travail à l’occasion du très beau débat que nous avons eu autour du rapport Borvo-Détraigne sur la carte judiciaire : je souhaite travailler avec les élus, qui s’y prêtent très volontiers, dans chaque ressort. C’est de cette façon que nous trouverons les meilleures solutions.

En ce qui concerne le renforcement des effectifs, vous savez que la direction des services judiciaires, dont la directrice est présente ici, s’efforce de faire en sorte qu’il y ait des effectifs suffisants dans chaque ressort de juridiction. Je ne vais pas vous cacher que nous ne sommes pas encore en mesure de combler tous les manques. Nous avons perdu des dizaines de postes de magistrats ces dernières années à cause de la réforme de la carte judiciaire et de la révision générale des politiques publiques. D’ailleurs, la réforme de la carte judiciaire n’était qu’une application pure et simple de la RGPP.

Lorsque je circule dans les juridictions – je le fais très fréquemment –, il est rare que l’on ne me signale pas qu’il manque un magistrat, un greffier ou un autre fonctionnaire.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Parfois, il n’en manque pas du tout, et je ressors avec le sourire jusqu’aux oreilles. J’ai peu d’occasions de me réjouir sur ces questions.

Nous avons des juges placés, nous essayons de trouver des solutions, le temps de tenir. Je vous propose une séance de travail pour voir très précisément comment faire au mieux pour Mortagne-au-Perche, L’Aigle et Alençon.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Monsieur Michel, je vous remercie de la confiance que vous me témoignez. J’y suis extrêmement sensible et je mesure le poids qui pèse sur mes épaules. Je me donne à moi-même l’obligation de faire en sorte que l’institution judiciaire soit réhabilitée, qu’elle soit modernisée, qu’elle soit réorganisée et que nous réussissions à rendre la justice plus accessible et plus efficace sur tous les types de contentieux, et à mettre plus de cohérence dans les procédures.

Je me suis imposé de faire le mieux possible au cours des cinq ans qui viennent. La confiance que vous exprimez me l’impose plus fortement encore. Je l’avoue, j’ai confiance en notre succès. J’observe en effet toute la richesse des expériences accumulées, la grande qualité des réflexions portées sur celles-ci, que ce soit par les professionnels, les parlementaires, les élus locaux ou les personnels qui gravitent au cœur même de la justice, notamment le personnel pénitentiaire. Je travaille de plus en plus à l’unité de l’institution judiciaire. Ce ne sont pas des mondes à part ; c’est un seul service public.

Surtout, ce qui est au moins aussi précieux que cette expérience et cette réflexion sur l’expérience, c’est la disponibilité. Nous y arriverons parce que les parlementaires, les élus, les magistrats et les personnels, qui défendent une très belle ambition pour la justice, ont cette grande disponibilité.

S’agissant de la carte judiciaire et de la répartition des compétences, je vous ai également entendu, monsieur Michel. Il faut revoir d’abord la répartition des compétences et le rôle du juge en matière de médiation et de conciliation, sujets que j’ai développés précédemment.

Vous avez dit que votre idée d’une seule juridiction de premier ressort n’emportait pas la majorité pour l’instant. Cela étant, c’est un peu le principe du tribunal de première instance.

Je vais lancer une expérimentation des tribunaux de première instance, puisque je travaille, je vous l’ai dit, à la modification du périmètre des contentieux. Si je souhaite procéder ainsi, c’est parce qu’il faut que la juridiction participe réellement à cette expérimentation et que les élus locaux puissent donner leur avis. Quant aux justiciables, ils doivent être spécialement sensibilisés à cette organisation particulière de la justice

J’ai donc déjà lancé une étude – je la voulais de trois mois, mais il semble qu’une durée plus longue soit nécessaire – pour déterminer les ressorts où sera menée l’expérimentation des tribunaux de première instance.

Les observations du Conseil d’État sur certaines juridictions, là où des anomalies fortes ont été constatées à la suite de l’application de la carte judiciaire, là où il n’y a pas eu rétablissement du tribunal, constitueront pour nous un point d’ancrage. Je proposerai en priorité à ces ressorts l’expérimentation d’un tribunal de première instance. Nous verrons ce qu’il en sortira.

J’ajouterai que les problématiques liées au pôle famille et au code de l’enfance sont tout à fait intéressantes. Doit-on regrouper, soit dans un même code tout ce qui concerne l’enfance du point de vue de son intégrité, soit dans une même juridiction tout ce qui peut concerner la famille ?

Selon moi, deux notions doivent être considérées de façon très attentive. La première, c’est celle du regroupement thématique, qui permet de construire un univers particulier en lui donnant de la cohérence. La deuxième, qui n’est à mon avis ni dérisoire ni négligeable, c’est celle de la transversalité, afin de prendre en compte la pluralité et la complexité des situations d’une même entité, qu’il s’agisse de l’enfant ou de la famille.

Quoi qu’il en soit, ces pistes de réflexion sont intéressantes, et je suis sûre que le Sénat apportera, comme à son habitude, un riche matériau pour l’alimenter.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si, par inadvertance, j’ai omis de répondre à quelques-unes de vos observations, n’hésitez pas à me le signaler. Je m’engage à vous répondre par courrier ou par le biais de mes conseillers parlementaires. Vous le savez, je suis moi-même à votre portée au moins une fois par semaine et joignable par téléphone chaque fois que vous le souhaitez.

Pour conclure, je tiens à remercier Mme la rapporteur de l’excellent travail qu’elle a mené au nom de la commission des lois et M. Sueur de sa très judicieuse initiative, qui rendra service à nos juridictions et alimentera la réflexion en vue de décisions éclairées concernant l’organisation judiciaire.

Ce texte nous permet de nous engager vers une conception globale de la justice civile, afin de renforcer son efficacité et son utilité pour nos concitoyens. La détermination avec laquelle je vous ai entendus formuler vos observations et vos suggestions me convainc que nous pourrons concevoir la meilleure organisation possible. Une fois de plus, je vous dis toute ma gratitude pour le travail réalisé. Je n’insiste pas davantage, car vos méthodes et la densité de vos travaux me contraindront très souvent à vous exprimer un tel sentiment.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

L’article 70 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, est modifié comme suit :

1° Au I, les mots : « Les articles 1er à 14 » sont remplacés par les mots : « Les articles 3 à 14 » ;

2° Au début du III, il est inséré un premier alinéa ainsi rédigé :

« Les articles 1er et 2 de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2015. » ;

3° À la première phrase du deuxième alinéa du III, les mots : « au I » sont remplacés par les mots : « au présent III » ;

4° À la deuxième phrase du deuxième alinéa et à la deuxième phrase du troisième alinéa du III, la référence : « I » est remplacée par la référence : « III ».

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 4, présenté par Mme Klès, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 1

À la fin de cet alinéa, remplacer les mots :

modifié comme suit

par les mots :

ainsi modifié

II. – Alinéas 3 à 6

Remplacer ces alinéas par cinq alinéas ainsi rédigés :

2° Le III est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, après les mots : « présente loi », sont insérés les mots : « entrent en vigueur le 1er janvier 2015 et » ;

b) À la première phrase du deuxième alinéa, la référence : « I » est remplacée par la référence : « premier alinéa du présent III » ;

c) À la seconde phrase du deuxième alinéa, la référence : « même I » est remplacée par la référence : « premier alinéa du présent III » ;

d) À la seconde phrase du troisième alinéa, la référence : « audit I » est remplacée par la référence : « au premier alinéa du présent III ».

La parole est à Mme la rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Cet amendement purement rédactionnel vise à simplifier la lecture du texte.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Favorable.

L'amendement est adopté.

L'article unique est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 1 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Baylet, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Alfonsi, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. - Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 52-1 et l’article 397-7 sont abrogés ;

2° Les II et III de l’article 80, le dernier alinéa de l’article 118, la dernière phrase du troisième alinéa de l’article 397-2 sont supprimés ;

3° Au premier alinéa de l’article 85, la référence : «, 52-1 » est supprimée ;

4° L’article 83-1 est ainsi modifié :

a) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :

« Le président du tribunal de grande instance ou, en cas d’empêchement, le magistrat qui le remplace, peut désigner, dès l’ouverture de l’instruction, d’office ou si le procureur de la République le requiert dans son réquisitoire introductif, un ou plusieurs juges d’instruction pour être adjoints au juge d’instruction chargé de l’information. »

b) La troisième phrase du troisième alinéa est supprimée ;

c) Le quatrième alinéa est ainsi rédigé :

« En l’absence d’accord du juge chargé de l’information ou, à défaut, de désignation par le président du tribunal de grande instance dans le délai d’un mois, la cosaisine peut être ordonnée par le président de la chambre de l’instruction agissant d’office, à la demande du président du tribunal, sur réquisition du ministère public ou sur requête des parties. Le président statue dans un délai d’un mois à compter de la réception de la demande qui est déposée conformément à l’avant-dernier alinéa de l’article 81 si elle émane d’une partie. »

II. - Les articles 1er à 5 de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale sont abrogés et les II et III de l’article 30 de la même loi sont supprimés.

La parole est à M. Jacques Mézard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Si cet amendement est sans doute un cavalier, il n’en présente pas moins un intérêt fondamental pour nos concitoyens.

Nous sommes profondément attachés à résoudre les problèmes de la justice pénale, car il y va, dans bien des cas, de la liberté de nos concitoyens. Or, depuis quelques années, l’accès à la justice pénale, qu’il s’agisse des victimes ou de ceux qui sont poursuivis, pose manifestement un réel problème de défense pénale, aggravé par un certain nombre de dispositions. Aussi souhaiterais-je que vous puissiez nous apporter, madame la garde des sceaux, des réponses précises, mes questions écrites étant jusqu’ici restées lettre morte.

Nous nous souvenons tous du consensus qui avait suivi les résultats de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau.

La loi du 5 mars 2007 avait ainsi introduit deux novations destinées – c’est ce qui était annoncé à l’époque – à mettre fin au splendide isolement du juge d’instruction : les pôles de l’instruction et la collégialité de l’instruction. Le garde des sceaux de l’époque, Pascal Clément, avait expliqué à cette tribune que ces deux dispositifs dans les affaires les plus complexes constituaient un renforcement des garanties accordées aux justiciables et aux victimes. Mais il notait déjà que l’entrée en vigueur de l’ensemble de la réforme nécessiterait des moyens budgétaires et humains colossaux, dont 240 postes de magistrats et 400 postes de fonctionnaires de greffe supplémentaires.

Cinq ans et demi plus tard, quel bilan peut-on tirer de cette double réforme ?

La mise en œuvre de la collégialité de l’instruction a été reportée à deux reprises, dont une fois au détour d’une loi de finances – il faut le rappeler quand on parle de cavaliers ! -, pour entrer hypothétiquement en vigueur au 1er janvier 2014. Or les problèmes mis en avant par Mme Alliot-Marie et relatifs au coût de la réforme s’étaient posés exactement dans les mêmes termes au moment du vote de la loi de 2007. C’était d’ailleurs l’une des raisons qui avait poussé le Parlement à laisser plusieurs années à la Chancellerie pour la préparer. Certes, le projet de loi de finances pour 2013 prévoit la création de 10 postes supplémentaires de juges d’instruction en vue de préparer l’entrée en vigueur fixée à 2014. Vous comprendrez toutefois, madame la garde des sceaux, qu’il n’y a là rien pour nous rassurer.

S’agissant des pôles de l’instruction, dont la loi de 2007 prévoyait initialement de doter chaque département, le bilan est également négatif et a même été aggravé par la réforme de la carte judiciaire. Qu’il ait été nécessaire de revoir l’implantation des juridictions, nous en convenons, mais pas au prix de la création de déserts judiciaires, comme c’est incontestablement le cas aujourd’hui.

L’évolution des effectifs des juges d’instruction a contrarié les objectifs recherchés par le législateur. Le nombre de postes localisés a baissé de 13, 32 % en trois ans, soit 83 postes, et près de 32 pôles sur les 92 existants disposent de deux postes d’instruction seulement, alors que trois sont nécessaires, selon la circulaire de localisation des emplois pour 2012.

Ainsi, les affaires relevant du ressort du tribunal de grande instance de Rodez en région Midi-Pyrénées – ce n’est pas dans ma circonscription – dépendent du pôle de l’instruction de Montpellier, situé en région Languedoc-Roussillon et distant de 175 kilomètres, soit plus de deux heures et demie de route. L’exercice de la justice pénale connaît une situation véritablement catastrophique !

À l’évidence, les pôles de l’instruction tels qu’ils existent ne peuvent remplir la mission qui leur avait été assignée et contribuent même, paradoxalement, pour les justiciables, à l’éloignement de la justice.

En déposant cet amendement, nous souhaitions simplement connaître vos intentions, madame la garde des sceaux, car il s’agit d’un problème de plus en plus préoccupant, relevé par beaucoup de professionnels et de nos concitoyens, dans un nombre important de départements. Certes, il ne s’agit pas des départements les plus peuplés, mais au regard de l’objectif d’égalité des territoires et des citoyens, la situation semble vraiment problématique.

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

La commission partage tout à fait les interrogations de notre collègue Jacques Mézard, qui s’inquiète d’une justice chaotique et quelque peu bousculée ces derniers temps.

Le problème est d’importance. Or aucune audition n’a pu être réalisée sur le sujet. Par conséquent, sous le bénéfice des explications qui seront apportées par le Gouvernement, la commission demande le retrait de cet amendement.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Monsieur Mézard, je vous ai entendu dire que vos questions écrites demeuraient sans réponse, ce dont je suis confuse. Je m’assurerai qu’on me les présente, afin qu’une réponse vous soit adressée avec diligence. Je veille en effet à répondre à chaque parlementaire.

Concernant la justice pénale et ses difficultés, vous avez raison. Mais, vous l’avez dit vous-même, cet amendement est un cavalier. Pour cette seule raison, le Gouvernement serait fondé à vous demander avec un sourire d’une grande cordialité – vous connaissez l’estime que j’ai pour vous et votre travail – son retrait.

Je vous propose que nous organisions prochainement une séance de travail sur le sujet. Nous aurons ainsi l’occasion d’examiner le fond du problème, afin d’apporter la réponse la mieux adaptée, notamment en ce qui concerne le véhicule législatif qui devra être privilégié.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Le groupe socialiste partage vos inquiétudes, cher collègue Mézard, relatives à la justice pénale, au sujet desquelles nous nous étions d’ailleurs entretenus.

Votre amendement, cela ne fait guère de doute, avait pour objet de provoquer la réaction de Mme la garde des sceaux. Cette dernière nous propose une séance de travail.

L’instruction est aujourd’hui dans un piteux état, et pas seulement dans votre département.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Dans le mien, elle n’existe plus. Les avocats vont quelquefois à Besançon, quelquefois à Montbéliard, on ne sait pas trop ! Tout se déroule donc dans une très grande confusion.

Bien entendu, nous nous rangeons à la position du Gouvernement, et notre collègue acceptera probablement de retirer son amendement, mais sachez, madame la garde des sceaux, que nous appuyons sa démarche.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cointat

Notre collègue Mézard a soulevé là un véritable problème, et je tiens à l’en féliciter.

Madame la garde des sceaux, la désertification judiciaire du monde rural est une réalité à laquelle il faut s'attaquer, et je regrette que votre réponse n’ait pas été plus étayée. Certes, vous nous avez fait part de vos bonnes intentions, mais ne pourriez-vous pas nous en dire davantage, car nous sommes là au cœur du problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Nous aurions aimé que le Gouvernement nous indique une orientation, une direction. Comme vient de l’expliquer à l’instant notre excellent collègue Christian Cointat, dont je partage pleinement le constat, le problème est réel et requiert une réponse rapide, car la situation devient extrêmement difficile dans nombre de départements.

Cela étant, je retire l’amendement.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 1 rectifié bis est retiré.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

M. Michel, M. Mézard ainsi que M. Cointat, que je connais bien pour avoir eu le plaisir de l’accueillir en Guyane lorsqu’il préparait la rédaction d'un rapport de très grande qualité, comme le sont d’ailleurs, généralement, tous les rapports du Sénat, ont eu raison d'insister sur ce sujet de fond.

Vous vous doutez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, même si je n’ai pas pris le temps de le préciser, que je partage vos préoccupations et vos interrogations. Néanmoins, non seulement cet amendement ne trouvait pas sa place dans cette proposition de loi, mais encore je ne suis pas certaine que la solution avancée par son auteur soit la meilleure qui soit. C’est la raison pour laquelle j'ai proposé que nous organisions une séance de travail.

Il n’en demeure par moins que cette question de la désertification reste pour moi bien évidemment un sujet de préoccupation. Je crois avoir suffisamment affirmé notre volonté que, s’agissant tant de la justice civile que de la justice pénale, soient respectés les principes de la République, à savoir l'unité de l'institution sur l'ensemble du territoire et la faculté pour tout justiciable, pour tout citoyen, d'avoir accès à la justice dans les mêmes conditions sur l’ensemble du territoire, qu’il habite dans un petit village ou dans une grande métropole. Cette volonté ne peut pas être mise ne doute.

S’agissant de l'instruction en tant que telle, vous savez les évolutions qu’ont connues ces dernières années le juge d'instruction, les pôles de l'instruction et le principe de collégialité. À cet égard, je peux d'ores et déjà vous annoncer que nous n'envisageons pas de reporter l’entrée en vigueur du principe de collégialité, désormais inscrit dans la loi ; j’ai néanmoins demandé à mes services de me proposer des pistes de réflexion pour répondre à la question suivante : faut-il envisager une collégialité globale et systématique ou bien une collégialité limitée à certaines procédures et à certains moments ou à certains actes de l’instruction ?

Voilà où nous en sommes dans notre réflexion, mais le principe même de la collégialité n'est pas remis en cause.

Je le répète, nous sommes déterminés à ce que la justice soit rendue pareillement sur l’ensemble du territoire.

Monsieur Mézard, encore une fois, nous partageons vos préoccupations, faisons nôtre le constat que vous dressez et sommes parfaitement conscients de l’urgence qui s’attache à traiter la situation que vous décrivez. C’est pour cette raison que je vous propose que nous travaillions ensemble pour faire œuvre législative dès que possible.

M. Jean-Pierre Michel applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 2 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collombat, Baylet, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Alfonsi, est ainsi libellé :

Après l’article unique

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Au dernier alinéa du I de l'article 5 de la loi n° 2011-1940 du 26 décembre 2011 visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants, après les mots : « assurée par », la fin de cet alinéa est ainsi rédigée : « un magistrat du siège désigné par ordonnance du premier président. »

La parole est à M. Jacques Mézard.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

M. Jacques Mézard. Un second cavalier fait un petit escadron…

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Mézard

Cet amendement porte sur la justice des mineurs, très malmenée ces dernières années.

La création du tribunal correctionnel des mineurs en a été le dernier avatar et nous attendons avec impatience, madame la garde des sceaux, de connaître le contenu de la grande réforme du droit pénal des mineurs, que non seulement nous appelons tous de nos vœux, mais dont notre système judiciaire a absolument besoin.

La spécificité de la justice des mineurs autorise que des spécialistes de l’enfance siègent comme assesseurs au tribunal pour enfants. Autre particularité : un même juge des enfants peut à la fois instruire une affaire – et donc ordonner les mesures nécessaires de protection du mineur – et siéger au sein du tribunal pour enfants qui connaîtra de l’affaire.

Le Conseil constitutionnel a validé ce dispositif dans sa décision du 8 juillet 2011. Mais, dans le même temps, il a estimé que le juge des enfants ne pouvait, dans cette hypothèse, présider la formation de jugement.

La loi du 26 décembre 2011 a donc prévu que, à compter du 1er janvier 2013, le président de la cour d’appel pourra désigner un juge des enfants d’un tribunal sis dans le ressort de la cour d’appel pour siéger. Cette mesure ne facilite pas le fonctionnement des juridictions pour mineurs dans les territoires ruraux mal desservis dans la mesure où elle oblige les magistrats concernés à parcourir deux cents kilomètres et faire deux heures trente de route pour rejoindre le tribunal.

Or l’article L. 252-1 du code de l’organisation judiciaire prévoit déjà qu’un juge des enfants peut être suppléé par un magistrat du siège désigné par le président du tribunal de grande instance en cas d’absence ou d’empêchement du juge en place. Ce dispositif est bien plus simple et souple à mettre en œuvre. Par conséquent, nous souhaitons qu’il s’applique aussi lorsque survient l’incompatibilité que nous venons d’évoquer.

En fait, le nouvel article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire est quelque peu incohérent avec l’article L. 252-1 du même code. À mon sens, il serait préférable de faciliter le recours à ce dernier article. Pour ne rien vous cacher, c’est la demande que formulent un certain nombre de magistrats dans ces départements ruraux. Il y a urgence !

Debut de section - PermalienPhoto de Virginie Klès

Comme précédemment, la commission demande à son auteur de bien vouloir retirer son amendement, sous le bénéfice des explications du Gouvernement. Malgré l’urgence de la situation, il lui paraît nécessaire de prendre le temps d'engager une concertation générale. Or nous n’avons pas pu aborder le sujet au cours de nos auditions.

Plus encore sans doute que sur la question précédente, la commission partage les interrogations de M. Mézard. La justice des mineurs est un sujet qui nous tient vraiment à cœur.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Comme le reconnaît lui-même M. Mézard, son amendement est encore un cavalier, mais, ayant été moi-même parlementaire pendant quatre législatures, je sais qu’il peut être utile de contraindre l'exécutif à s'exprimer sur des sujets urgents et importants sur lesquels il n’est pas toujours possible d’engager une action immédiate.

Sur le fond, l'utilité de cette mesure n'est pas contestable, mais, comme toute disposition législative, elle aura une portée générale puisque vous ne limitez pas son champ d’application aux territoires ou aux parties de territoires dans le ressort desquels il peut être nécessaire, dans certaines circonstances, de remplacer un juge des enfants par un magistrat du siège. Dans la réalité, elle est destinée à s’appliquer dans des juridictions qui sont faiblement dotées en juges des enfants.

Nous devons donc concilier une position de principe que nous approuvons sans doute tous, celle de la spécialisation de la justice des mineurs, et une contrainte, la nécessité de remplacer un juge des enfants par un autre magistrat, dans certaines circonstances. C’est bien là la difficulté du sujet que vous soulevez.

Outre qu’il ne serait pas raisonnable d’adopter cet amendement du seul fait qu’il constitue un cavalier, nous sommes particulièrement attachés à rétablir la spécialisation de la justice des mineurs et nous avons l’intention d’en revenir à une organisation que nous estimons conforme à cette spécialisation. À cette fin, nous proposerons un certain nombre d'aménagements et d’améliorations portant sur la procédure, par exemple la « césure du procès pénal » des mineurs, et sur le rôle du juge des enfants et des assesseurs dans certaines procédures bien précises.

J'entends votre requête, monsieur Mézard, je la sais justifiée, je la sais urgente pour le bon fonctionnement des juridictions, en particulier dans les zones rurales que vous évoquez. Je comprends que ces demandes émanent plus particulièrement de parlementaires qui ont connu des parcours judiciaires…

Exclamations amusées sur plusieurs travées.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je parle bien sûr de vos parcours en tant qu’avocat, magistrat, professionnel de la justice. Pardonnez-moi ce raccourci qui a pu créer une certaine émotion chez quelques-uns d'entre vous !

Sourires.

Debut de section - Permalien
Christiane Taubira, garde des sceaux

Puisque vous connaissez les choses de l'intérieur, si j’ose dire, à tout le moins eu égard à votre expérience directe, monsieur Mézard, je vous propose que nous nous retrouvions très rapidement pour travailler ensemble sur le sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L'amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Baylet, Collin, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Requier, Tropeano, Vall et Alfonsi, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet intitulé :

Proposition de loi visant à rapprocher la justice des citoyens

Cet amendement n’a plus d’objet.

Personne ne demande la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

La proposition de loi est adoptée.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie le Sénat d'avoir adopté à l'unanimité cette proposition de loi.

Notre débat aura été extrêmement utile dans la perspective de la prochaine réforme de la justice de proximité qui nous attend. Nous avons deux années devant nous.

Mme Klès et M. Détraigne vont mener à bien la mission que nous leur avons confiée, et nous attendons le rapport qu’ils rendront à l’issue de celle-ci. Quant à vous, madame la garde des sceaux, comme à votre habitude, vous vous apprêtez à travailler assidûment sur ce thème.

Dans un an, nous pourrions fixer un premier rendez-vous pour envisager les contours d’un futur texte de loi. D’ores et déjà, notre réflexion peut se nourrir des nombreuses suggestions qu’ont faites tous ceux qui ont pris part à ce débat, et que je remercie.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à midi.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire (projet n° 133, texte de la commission n° 142, rapport n° 141).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.

Debut de section - Permalien
Kader Arif

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens avant tout à saluer le travail effectué par la commission de la défense, sous la houlette de son président, Jean-Louis Carrère, dont je sais que le programme de travail comprend un large volet consacré à l’Algérie, dans le cadre des relations entre la France et le Maghreb.

Je salue également Jean-Pierre Chevènement, qui, non seulement au titre de ses fonctions parlementaires, mais aussi via la présidence de l’association France-Algérie, créée en 1963 sous l’égide d’Edmond Michelet, a accompli un grand travail au sujet des relations entre la France et l’Algérie.

Mon intervention traduit la volonté du Gouvernement d’aborder cette relation entre la France et l’Algérie dans l’ensemble de ses composantes. Je songe notamment à la question mémorielle, à laquelle je suis très sensible, et au sujet de laquelle nous avons pu, il y a peu, nous exprimer.

Nous nous inscrivons dans une approche dynamique. C’est le souhait du Président de la République et du Gouvernement de s’orienter vers l’avenir et de construire un partenariat stratégique très fort entre les deux pays.

Après avoir été limitées pendant de nombreuses années, les relations militaires et de défense entre la France et l’Algérie sont entrées, depuis 2000, dans une nouvelle dynamique. En 2003, la visite d’État à Alger du Président Jacques Chirac, puis celle du chef d’état-major des armées – la première depuis l’indépendance – ont illustré la volonté des deux pays de relancer leur coopération en la matière.

Cette politique s’est concrétisée par diverses actions : concertations à haut niveau, stages, exercices, enseignement du français, et bien d’autres choses encore. Toutefois, ces initiatives restaient jusqu’à présent dépourvues de cadre juridique adapté, puisque la coopération militaire bilatérale ne reposait que sur la convention de coopération technique du 6 décembre 1967. À cette époque, la coopération entre les deux pays était d’une nature différente.

Des négociations ont été engagées en 2002, et à leur terme la France et l’Algérie ont signé, le 21 juin 2008, un accord relatif à la coopération dans le domaine de la défense, qui définit, d’une part, le cadre des initiatives menées dans ce domaine et prévoit, d’autre part, des dispositions relatives au statut des membres du personnel français et algérien.

Cet accord décrit les modalités, les procédures et les garanties qui doivent désormais entourer les activités de coopération entre nos deux pays. Il recense une douzaine de domaines de défense dans lesquels une coopération sera développée au bénéfice des deux parties. On peut citer, notamment, l’organisation d’exercices conjoints, la tenue d’escales de navires de guerre et de visites dans les bases et unités, ou encore l’acquisition de systèmes d’armes, d’équipements et de matériels de défense.

Cet accord fixe par ailleurs le rythme des réunions de concertation qui permettront de garantir l’équilibre et la réciprocité de la relation. Une commission mixte plénière annuelle est prévue, précédée par quatre sous-commissions, respectivement nommées « stratégique », « militaire », « armement » et « santé ». La première constitue le cadre privilégié d’échanges de vues et d’analyses sur les questions de défense et de sécurité. L’intitulé des trois autres est suffisamment explicite.

D’autres articles de l’accord traitent du statut des personnels, du règlement des contentieux et différends ainsi que du soutien financier et logistique des activités. Néanmoins, les dispositions figurant dans l’accord sont rédigées de manière à ménager une grande souplesse dans les arrangements qui seront définis au cas par cas pour la programmation d’exercices communs.

La partie algérienne a ratifié l’accord le 27 mai 2009, mais la procédure de ratification française a buté sur la question de l’extradition des personnels passibles de la peine de mort. La section des finances du Conseil d’État a en effet rejeté, le 2 juin 2009, le projet de loi autorisant l’approbation de cet accord et a subordonné la poursuite du processus d’approbation de l’accord à la conclusion d’un échange de lettres interprétatif qui assurerait une interprétation de l’accord conforme à nos exigences constitutionnelles et conventionnelles relatives à la peine de mort.

Debut de section - Permalien
Kader Arif, ministre délégué

Dans cette perspective, la France a, en accord avec les autorités algériennes, communiqué à celles-ci, le 15 mai 2011, une déclaration interprétative unilatérale précisant que, en vertu de sa Constitution et de ses engagements internationaux, la France ne pourrait pas remettre aux autorités algériennes des personnels civils ou militaires, ou des membres de leur famille susceptibles d’encourir la peine capitale en Algérie.

Le ministère des affaires étrangères algérien y a répondu de manière positive par note verbale du 2 août 2011. Le Conseil d’État a accepté la validité de cet échange de notes valant déclaration interprétative, dans son avis du 22 juin 2012. Le Conseil des ministres a, enfin, adopté le projet de loi de ratification le 4 juillet 2012.

L’approbation de cet accord par la France et son entrée en vigueur confirmeront le renouveau de la coopération franco-algérienne de défense, que j’ai évoqué il y a quelques instants, et qui est déjà constaté dans les faits, et permettront un développement attendu de part et d’autre. De plus, sa ratification pourrait intervenir dans un contexte bilatéral favorable, marqué en particulier par la visite en Algérie du Président de la République, prévue à ce stade pour le mois de décembre prochain.

Telles sont les principales observations qu’appelle l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, signé à Alger le 21 juin 2008, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui soumis à votre approbation.

Pour conclure, je tiens à saluer de nouveau le travail accompli par l’ensemble des sénateurs, en particulier par le rapporteur.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Namy

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France et l’Algérie ont conclu, le 21 juin 2008, un accord de coopération dans le domaine de la défense. Ce texte fournit un cadre juridique adapté à cette coopération déjà active et appelée à se développer à la demande même de l’Algérie.

Monsieur le ministre, vous l’avez rappelé, ce texte, élaboré sous la présidence de Nicolas Sarkozy, marque l’aboutissement de négociations lancées en 2002, sous la présidence de Jacques Chirac. Il s’inscrit donc dans une politique française de long terme, que le Président François Hollande souhaite poursuivre avec « un nouvel élan donné à la relation bilatérale », selon les termes mêmes du courrier adressé à son homologue algérien à l’occasion de la fête nationale du 5 juillet 2012.

Avant de présenter le contenu de cet accord, je tiens à le situer dans le contexte de notre relation bilatérale.

Vous le savez, l’élection de M. Bouteflika à la présidence de la République algérienne en avril 1999, sur un programme de réconciliation nationale, a permis à la France de reprendre contact avec l’Algérie, après la tourmente de la guerre civile qui a marqué ce pays durant la décennie quatre-vingt-dix. Le présent texte est le fruit de ce rapprochement. Souhaité par Alger, conclu après la visite d’État du Président Sarkozy de décembre 2007, il a déjà été ratifié, côté algérien, par décret présidentiel en 2009.

Ce texte, signé en 2008 par les deux ministres de la défense de l’époque, a été adopté en Conseil des ministres le 4 juillet 2012. Ce délai de quatre ans est dû à des remarques formulées sur le texte par le Conseil d’État, notamment en raison des problèmes d’application de la peine de mort.

J’en viens à présent à la coopération de défense entre la France et l’Algérie, qui s’est longtemps limitée à l’envoi en France d’une trentaine de stagiaires algériens chaque année. L’Algérie est intéressée par notre enseignement militaire supérieur – notamment par les formations dispensées par l’école de guerre ou l’école du commissariat – et par des spécialités au titre desquelles la maîtrise de ses forces est insuffisante.

Cet intérêt a conduit l’Algérie à prendre financièrement en charge la scolarité de certains de ses militaires. Parallèlement, la direction de la coopération de sécurité et de défense, relevant du ministère des affaires étrangères, propose également – mais sur le budget français – des formations en France visant à l’enseignement et à la maîtrise du français ou permettant à des élèves officiers de suivre les cours du service de santé des armées ou des écoles militaires de l’armée de terre, de l’air et de la marine.

Ce texte, soumis à notre examen, reprend les dispositions classiques des accords de ce type et va permettre de donner un cadre juridique clair à une coopération en croissance entre nos deux pays.

En effet, certains aspects de l’accord sont déjà mis en œuvre, comme le fonctionnement de l’instance de concertation, la commission mixte franco-algérienne, qui établit le contenu de la coopération, l’organise et la coordonne. Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, cette instance est divisée en quatre sous-commissions. Ces organes se réunissent depuis 2008. La quatrième commission mixte s’est tenue à Marseille au début de 2012 et les quatre sous-commissions, « stratégie », « militaire », « armement » et « santé militaire », à la fin de 2011.

Quelles sont les nouveautés qu’apporte ce texte ? Les deux points forts de ce dernier sont le renforcement de la concertation entre les autorités militaires des deux pays et l’établissement d’un cadre juridique approprié à l’échange de troupes.

Ce texte reprend l’ensemble des éléments traditionnels d’un accord de coopération dans le domaine de la défense. Il ne saurait néanmoins être assimilé à un accord dit de défense, dans la mesure où il ne comporte pas de clause d’assistance en cas de menace ou d’agression extérieure, ou encore de crise interne.

La France a déjà conclu de nombreux accords de ce type avec un grand nombre d’États très divers, dont le Maroc. Il apparaît donc à la commission que cet accord de coopération et de défense avec l’Algérie est indispensable au renforcement de la relation bilatérale encore très limitée dans ce domaine.

Élaboré à la demande de l’Algérie, ce texte est mutuellement bénéfique. En effet, il renforce le statut de puissance régionale de ce pays, répond à son désir de se familiariser avec le modèle occidental d’organisation militaire et de faire bénéficier ses personnels de l’exemple des atouts spécifiques de nos forces.

Pour la France, la stabilité de l’Algérie commande largement celle de la Méditerranée occidentale. De plus, le rôle que peut jouer ce pays en faveur du règlement de la question malienne renforce encore l’importance d’une relation aussi confiante que possible.

Alger attache à l’adoption de ce texte par Paris une importance que nous ne mesurons peut-être pas totalement. Nos partenaires considèrent en effet que, nonobstant sa portée pratique, ce texte revêt une valeur symbolique forte de la qualité de notre relation bilatérale.

Cette relation s’est déjà approfondie sur le plan économique depuis 2010, notamment grâce à l’action de notre collègue Jean-Pierre Raffarin, nommé en septembre 2011 représentant spécial du gouvernement français, et confirmé à ce poste le 28 août dernier, pour faire avancer plusieurs dossiers d’investissement français.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées estime que c’est en progressant dans des réalisations concrètes que la relation entre la France et l’Algérie pourra trouver une forme d’apaisement, et peut-être de réconciliation, à l’image de celle intervenue entre la France et l’Allemagne dans les années soixante. Elle propose donc d’adopter cet accord.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis de débattre d’un texte qui entend enfin construire un partenariat bilatéral tourné vers l’avenir.

L’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire doit ouvrir une nouvelle ère dans les relations franco-algériennes.

Ce texte, aboutissement d’un processus lancé en 2003, a été signé par nos deux pays le 21 juin 2008. Il marque une étape importante dans la mise en place d’un nouveau partenariat stratégique entre l’Algérie et la France, puisque la coopération bilatérale ne reposait jusqu’alors que sur la convention de coopération technique du 6 décembre 1967.

En effet, la coopération circonscrite par ce nouvel instrument couvre un large domaine, défini à l’article 2 du titre Ier, « Objets et formes de la coopération ». Elle concerne notamment la stratégie, la lutte antiterroriste, la formation des personnels, la tenue d’escales navales, la santé militaire, la technologie et la recherche scientifique.

Le pilotage de cette coopération est assuré par la mise en place d’une commission mixte franco-algérienne dont les dispositions sont précisées à l’article 3.

Toutefois, ne commettons pas de contresens : cet accord entre nos deux pays n’est pas une alliance militaire, mais bien une coopération dans le domaine de la défense. À ce titre, au travers de ses dix-sept articles, ce texte revêt une importance stratégique de premier ordre.

En outre, même si aucune disposition ne concerne directement la problématique de la zone sahélienne, et de la crise malienne en particulier, il est évident que l’Algérie est un acteur incontournable dans tout processus d’apaisement des tensions à l’échelle de cette région.

Dotée de robustes institutions de défense, l’Algérie dispose de renseignements et d’une expertise en contre-terrorisme pour avoir combattu pendant dix ans le groupe islamique armé, et d’une influence auprès des Touaregs pour avoir plusieurs fois facilité des pourparlers entre l’État malien et la rébellion.

Il faut rappeler que, depuis avril, des membres d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, leurs alliés touaregs d’Ansar Dine et les djihadistes du mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest, ou MUJAO, sont présents dans le nord du Mali et souhaitent imposer une partition de ce pays, qui partage plus de 1 400 kilomètres de frontière avec l’Algérie.

Il est aussi nécessaire de garder à l’esprit que le Sahel est devenu un haut lieu de trafics en tout genre, en particulier d’armements depuis le conflit libyen en 2011.

Cependant, si cet accord est d’un intérêt stratégique majeur, il reste à mes yeux imparfaits, car dépourvu d’articles spécifiques liés à la problématique environnementale. Plus précisément, l’absence d’un volet proprement environnemental, établissant un mécanisme de prévention écologique des conflits au sein de l’article 2, constitue une faiblesse non négligeable de ce texte.

Mes chers collègues, en matière de défense et de géopolitique, la question environnementale n’est pas accessoire. Elle revêt même une dimension stratégique essentielle. En effet, dans les années à venir, si l’on en croit Harald Welzer dans son ouvrage Les Guerres du climat, « de plus en plus d’hommes disposeront de moins en moins de bases pour assurer leur survie. Des conflits violents opposeront tous ceux qui prétendront se nourrir sur une seule et même portion de territoire ou boire à la même source en train de se tarir. Bientôt la distinction entre les réfugiés fuyant la guerre et ceux qui fuiront leur environnement, entre les réfugiés politiques et les réfugiés climatiques […] ne sera plus pertinente, tant se multiplieront des guerres nouvelles générées par la dégradation du milieu ».

Ainsi, la crise environnementale du Sahel illustre parfaitement cette problématique et souligne l’importance de la mise en place d’un dispositif de prévention écologique des conflits.

Comme le rappelle l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la menace conjuguée de la sécheresse, de la hausse des prix des denrées alimentaires, des déplacements de population et de la pauvreté chronique touche en 2012 des millions de personnes, alors qu’une nouvelle crise alimentaire est aux portes de la région du Sahel.

L’insécurité alimentaire et la malnutrition sont récurrentes dans la région avec plus de 16 millions de personnes directement menacées cette année.

La sécheresse a réduit la production céréalière du Sahel de 26 % par rapport à l’année dernière. De graves pénuries de fourrage conduisent à la transhumance précoce et à des changements dans les voies empruntées par le bétail, ce qui amplifie les tensions entre communautés et aux frontières.

La situation est aggravée par les prix élevés des denrées alimentaires et une diminution des envois de fonds en raison de la crise économique mondiale et du retour des migrants en provenance de Libye. La détérioration de la sécurité dans les zones du nord du Sahel aggrave encore plus la situation.

Protéger les moyens d’existence des ménages les plus vulnérables ; renforcer la résilience des éleveurs, des agro-pasteurs et des agriculteurs ; appuyer la gestion et la conservation des ressources naturelles comme l’eau, les arbres et le sol ; mettre en œuvre des interventions d’urgence intégrées pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle en direction des familles les plus vulnérables, en particulier les femmes ; renforcer la gestion et la réduction des risques de catastrophe aux niveaux local, national et régional ; soutenir la coordination et renforcer enfin la gestion de l’information sur la sécurité alimentaire et les systèmes d’alerte précoce : telles sont, notamment, les priorités pour la région.

Des capacités d’intervention rapide sont nécessaires pour empêcher une nouvelle détérioration de la situation de la sécurité alimentaire et éviter une crise alimentaire et nutritionnelle à grande échelle. Outre les activités d’urgence et de réhabilitation, des interventions à moyen et long terme sont nécessaires pour inverser enfin le cycle de pénuries alimentaires et de crises dans le Sahel et s’attaquer à la vulnérabilité structurelle.

Mes chers collègues, il est essentiel de comprendre, je ne le répéterai jamais assez, que la paix et le développement durable sont intimement liés.

Ces réserves faites, je voterai en faveur de ce traité, qui ouvre une nouvelle ère, je l’espère tournée vers l’avenir, dans les relations entre nos deux pays.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinq ans après le début des négociations, la France et l’Algérie ont enfin trouvé un cadre juridique satisfaisant pour coopérer en matière de défense. Conclu sous la présidence de Nicolas Sarkozy, cet accord de coopération, avec les responsabilités qui en découlent, mérite la plus grande attention de part et d’autre de la Méditerranée.

En effet, avec plus de 35 millions d’habitants et un territoire de 2 millions de kilomètres carrés, l’Algérie est l’un des plus vastes États africains, dont la situation géostratégique est singulière. Tant par son ouverture sur la Méditerranée que par ses frontières communes avec le Mali, la Libye, le Niger, le Maroc et la Tunisie, l’Algérie demeure une puissance régionale incontestable.

Une puissance qu’elle a également acquise en matière de défense, à laquelle l’Algérie consacre 3, 3 % de son PIB – en ces temps de disette économique et à l’heure où les Européens rabotent leurs budgets consacrés à la défense, ce budget est évidemment remarquable et nous laisse parfois rêveurs.

Cet investissement important de défense permet ainsi à ce pays de disposer d’une armée professionnelle, entraînée et bien équilibrée de 400 000 hommes. Grâce à cette capacité d’intervention militaire significative, l’Algérie participe naturellement à bon nombre de coopérations multilatérales dans le domaine de la défense.

L’Algérie est partie prenante à l’initiative « 5+5 défense » depuis 2004, qui associe cinq États du nord de la Méditerranée – France, Espagne, Italie, Portugal et Malte – et cinq États du sud – Algérie, Maroc, Tunisie, Mauritanie et Libye. L’Algérie joue à ce titre un rôle essentiel dans la sécurité de cette région.

Elle est par ailleurs membre de l’Union africaine, au sein de laquelle elle a participé à la création de la force africaine en attente, ou FAA, qui doit être opérationnelle en 2015, ce projet visant à assurer la paix, avec notamment une force d’intervention d’urgence déployable rapidement en cas de crise grave sur l’ensemble de continent.

Je tiens également à rappeler que, malgré des moyens plus modestes, l’Algérie est membre du dialogue méditerranéen de l’OTAN, le DM, et qu’elle est représentée dans les instances de l’Alliance atlantique par le biais d’un ambassadeur à Bruxelles. Cela montre l’importance du rôle joué par l’Algérie dans ce secteur géographique de la planète.

De plus, l’Algérie a développé des relations militaires bilatérales avec des pays aussi importants que la Russie, le Royaume-Uni et la Turquie, et vingt-cinq pays ont installé des attachés militaires à Alger.

Enfin, et nous ne pouvons que nous en féliciter, en 2010, un comité d’état-major opérationnel conjoint, le CEMOC, a été créé entre l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Celui-ci, installé à Tamanrasset, a pour objectif de lutter contre le crime organisé et le terrorisme. Vous en conviendrez, mes chers collègues, il y a beaucoup à faire dans cette partie du monde.

Aussi était-il plus que temps qu’un partenariat de défense intervienne entre la France et l’Algérie, car, comme l’a très justement souligné notre excellent rapporteur, Christian Namy, ce texte succède à un accord de coopération technique militaire qui datait du mois de décembre 1967, et dont les dispositions étaient à l’évidence dépassées.

La convergence entre le France et l’Algérie est d’autant plus nécessaire qu’il s’agit d’un pays avec lequel beaucoup nous unit et, paradoxalement, beaucoup nous divise en même temps. Nous devons réussir à décomplexer nos relations bilatérales, qui ont trop souffert de gestes et de mots rouvrant à chaque fois les blessures passées.

Permettez-moi, monsieur le ministre, de me réjouir, au nom de notre groupe, de la ratification de cette convention, qui doit permettre au Président de la République de se rendre à Alger au mois de décembre avec un accord qui place, enfin, les relations franco-algériennes sous un nouveau jour et ouvre une nouvelle page de la coopération entre nos deux pays. C’est du moins ce que nous espérons.

Je note au passage que le Sénat aura beaucoup contribué à ce que nous espérons être la réussite du voyage du Président de la République en Algérie, en adoptant la proposition de loi sur la reconnaissance du 19 mars 1962 comme date officielle de la fin des hostilités en Algérie et, aujourd’hui, en autorisant l’approbation – je le souhaite en tout cas – de cet accord de défense. Nous formulons beaucoup d’espérance dans ce voyage présidentiel et nous espérons que le chef de l’État reviendra avec des résultats importants.

Notre groupe votera donc ce texte, mais souhaite formuler quelques recommandations.

Il serait notamment souhaitable que le Président Hollande incite bien évidemment l’Algérie à s’impliquer plus directement et plus clairement dans l’affaire du Sahel, comme l’ont rappelé les orateurs précédents.

Cette implication nous semble indispensable à l’émergence d’une future solution. Personne n’imagine qu’une solution puisse être trouvée sans que l’Algérie joue tout son rôle dans la résolution de ces conflits. Par ailleurs, vous permettrez au président du groupe d’amitié France-Maroc de souhaiter que l’Algérie prenne aussi des initiatives pour résoudre le différend qu’elle entretient de longue date avec le Maroc, ce qui pourrait conduire à une ouverture de la frontière commune. Je rappelle que 160 000 soldats marocains sont affectés à la garde de cette frontière, alors qu’ils seraient plus utilement employés à lutter contre les mouvements terroristes sévissant dans la région.

De même est-il temps que soit prise en compte la situation des quelque 150 000 réfugiés regroupés dans le camp de Tindouf et qui subsistent dans des conditions humanitaires vraiment préoccupantes, pour ne pas dire lamentables.

Monsieur le ministre, notre relation bilatérale doit solder les dossiers du passé pour mieux résoudre les difficultés actuelles et regarder vers l’avenir.

À l’occasion d’une interview accordée au Journal du dimanche, le 21 octobre dernier, vous avez déclaré : « Il faut qu’avec l’Algérie nous puissions tourner la page ensemble, ce qui signifie que les Algériens soient eux aussi capables de faire des gestes. » Nous souhaitons saluer ces propos.

Il faudra donc que, à Alger, le Président de la République discute avec les Algériens d’une urgence de stabilité au Sahel. C’est bien là l’un des résultats essentiels que nous attendons de cette future visite.

Le 8 novembre dernier, malgré un débat houleux, nous avons tous appelé de nos vœux l’établissement de nouvelles relations entre nos deux pays.

Ces accords de défense sont l’occasion d’écrire un nouveau chapitre de notre histoire.

Ce projet de loi, parce qu’il crée les conditions d’une coopération bilatérale en matière de défense dont l’objectif est la résolution des crises, représente une formidable occasion pour nos deux pays. En réalité, si chacun respecte ses engagements et assume ses responsabilités, c’est une promesse de paix supplémentaire qui sortira aujourd’hui de cet hémicycle.

Nul ne peut nier l’influence que peut exercer l’Algérie dans la crise malienne et dans la lutte contre AQMI. N’oublions pas qu’au cours de la décennie quatre-vingt-dix et, plus récemment, en 2007, Alger et l’Algérie en général ont été eux-mêmes la cible de vagues d’attentats meurtriers.

Le peuple algérien fut l’une des premières victimes de la lâcheté des djihadistes et des groupes tels que le mouvement islamique armé, le MIA, le groupe islamique armé, le GIA, et le groupe salafiste pour la prédication et le combat, le GSPC.

Avant de conclure, je souhaite appeler votre attention sur un dernier point. Le vent du printemps arabe souffle encore du Maghreb au Machrek. Les braises des révolutions sont encore incandescentes et les nouveaux régimes sont encore chancelants.

Sans jugement ni condescendance, nous ne pouvons qu’encourager ces transitions dans la mesure où elles expriment les attentes d’une génération dont la soif de liberté est proportionnelle à l’espoir et aux souffrances qu’elles ont endurées.

L’histoire n’a eu de cesse de le prouver : toutes les transitions politiques comportent leurs lots de violences et les révolutions sont souvent mères des pires excès.

Aussi, puisqu’en 2014 le peuple algérien se rendra aux urnes et que la succession du Président Bouteflika est d’ores et déjà ouverte, il importe que l’Algérie demeure un pôle de stabilité responsable, sans céder à d’obscures sirènes. Il y va de la paix dans toute l’Afrique.

Debut de section - PermalienPhoto de Thierry Foucaud

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet accord de coopération dans le domaine de la défense entre la France et l’Algérie est à la fois symbolique, très concrètement politique et purement technique.

Toutefois, c’est un simple accord de coopération dans certains domaines de défense ; ce n’est pas un traité entre nos deux pays. Il faut donc le relativiser et le considérer pour ce qu’il est : une coopération, somme toute réduite d’un strict point de vue militaire, mais donnant un cadre à de futurs développements.

J’apprécie pour ma part qu’il ne s’agisse pas d’un accord de défense classique, tels que nous en avons longtemps eu avec des États africains.

En effet, il ne prévoit en aucun cas l’aide ou l’assistance militaire de la France en cas de menaces ou d’agression contre l’Algérie. Il interdit aussi expressément au personnel militaire ou civil de l’une des parties présente, dans le cadre d’une coopération, sur le territoire de l’autre partie de prendre part à des opérations de guerre, à des actions de maintien ou de rétablissement de l’ordre, de la sécurité publique ou de la souveraineté nationale.

Nous rompons ainsi avec une très mauvaise tradition interventionniste de notre pays sur le continent africain, et ce point nous semble très important. Nous aurions également eu quelque réticence à accepter qu’un tel accord puisse renforcer le régime militaire et insuffisamment démocratique de l’Algérie.

Cet accord a une valeur symbolique en ce qu’il scelle une forme de réconciliation entre deux armées qui se sont à une époque durement combattues. Symbolique aussi est le fait que la France ratifie un accord de coopération militaire avec l’Algérie cinquante ans exactement après la fin de la guerre qui nous a opposés.

Une simple convention de coopération technique militaire, datant de 1967, constituait jusqu’ici le cadre principal de notre coopération bilatérale en matière de défense. Elle est aujourd’hui trop limitée pour répondre aux besoins de nos deux pays dans ce domaine.

Ainsi, elle ne prévoyait pas la possibilité d’exercices communs sur le territoire algérien, ni la mise en place d’une structure permanente de dialogue destinée à faciliter les échanges. En outre, son champ d’application ne couvrait pas le personnel civil du ministère de la défense, qui ne pouvait donc bénéficier de protection juridique dans le cadre d’une coopération technique.

C’est pour répondre à ces manques qu’un accord a été signé le 21 juin 2008, que l’Algérie a ratifié en mai 2009.

Néanmoins, cet accord a également pour vocation de permettre le développement de coopérations dans des domaines très divers : lutte antiterroriste, formation des personnels, organisation d’exercices conjoints, échange de vues et de renseignements, acquisition de systèmes d’armes, recherche scientifique et de technologie, ou bien encore santé militaire.

En réalité, il n’est que la normalisation d’une coopération militaire qui existe depuis plusieurs décennies, mais qui, en raison des séquelles de la douloureuse histoire commune à nos pays, était restée embryonnaire. Souvenons-nous qu’elle avait également été suspendue dans les années 1990 en raison de la situation intérieure troublée de l’Algérie.

Le principal mérite de cet accord réside donc dans les structures et le cadre juridique qu’il crée pour sécuriser et encadrer ces coopérations.

Il a un autre aspect, moins technique mais d’ordre politique et diplomatique : il reconnaît, entre nos deux pays, l’existence d’une communauté d’intérêts stratégiques dont la lutte contre l’implantation de groupes terroristes dans la région sahélienne. Il traduit aussi leur volonté partagée de promouvoir un partenariat constructif autour du bassin méditerranéen. En cela, il s’inscrit dans une nouvelle étape de la relation euro-méditerranéenne, dont la donne a changé à la suite de ce que l’on a pu appeler les « printemps arabes ».

Très concrètement, il est de l’intérêt bien compris de notre pays que l’Algérie demeure un État stable et bien intégré dans son environnement régional.

Ratifier cet accord revient aussi à admettre le rôle essentiel que ce pays peut jouer à l’avenir en matière de prévention des crises régionales. Il l’a déjà montré, par exemple en 2006, lorsque les Algériens s’étaient interposés entre les Touaregs et les autorités maliennes.

À cet égard, je voudrais citer un extrait de l’excellent rapport d’information du président de notre commission des affaires étrangères et de la défense sur la révision du Livre blanc sur la défense, qui soulignait le rôle déterminant de l’Algérie : « L’apaisement des relations avec le Maroc et le règlement de la question du Sahara occidental, l’approfondissement du processus de Bamako avec les pays du Sahel, sont autant d’enjeux pour la stabilité du Maghreb et la sécurisation du Sahel ».

Enfin, nous devons être conscients que nous avons besoin de l’Algérie. Il ne peut y avoir de solution à la situation de crise au nord du Mali sans accord politique, diplomatique et militaire des pays limitrophes. Sa capacité de médiation, d’influence, mais aussi sa connaissance et son expérience de la lutte contre les groupes armés qui sévissent dans cette région rendent l’Algérie incontournable dans ce dossier. Cette dernière peut également jouer un rôle décisif pour la libération de nos compatriotes détenus en otages par ces groupes.

Mes chers collègues, à la veille de la visite de la visite du Président de la République en Algérie, et pour toutes les raisons que j’ai évoquées, le groupe communiste, républicain et citoyen votera la ratification de cet accord de défense avec l’Algérie.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Hue

Les relations entre la France et l’Algérie reviennent aujourd’hui au cœur de nos débats. Les échanges sont sans aucun doute moins passionnels que ceux qui ont animé l’examen récent des deux textes visant à reconnaître la répression de la manifestation du 17 octobre 1961, et à entériner le choix du 19 mars comme date commémorant la mémoire des victimes de la guerre d’Algérie.

Le projet de loi relatif à l’accord franco-algérien dans le domaine de la défense intervient opportunément après cette séquence qui, en creux, vise à réconcilier la France avec son passé.

En effet, comment envisager un véritable approfondissement de notre coopération avec l’Algérie sans la reconstruction d’une mémoire collective débarrassée de ses dissimulations ? Comment tisser des liens de confiance avec ce pays sans mettre en œuvre le devoir de vérité ?

En décembre 1981, François Mitterrand déclarait devant l’Assemblée populaire nationale algérienne : « Le moment que nous vivons prendra sa dimension si nos deux pays savent maîtriser les contentieux de l’histoire ». Il savait de quoi il parlait ! La France et l’Algérie se sont déchirées dans une guerre violente et traumatisante. C’est une réalité. Nous devions néanmoins franchir une étape. Nous l’avons fait, au cours de ces dernières semaines, en adoptant, sur l’initiative de la nouvelle majorité, les deux textes évoqués au début de mon intervention.

Le Sénat va ainsi contribuer à officialiser l’hommage si attendu aux victimes militaires et civiles de la guerre d’Algérie et permettre d’avancer sur la voie de l’amitié. Comme je l’ai déclaré dans cet hémicycle il y a exactement un mois : la reconnaissance lucide de ses erreurs par la République nous permet de regarder notre avenir commun avec l’Algérie, habités d’un sentiment de respect mutuel, d’une solidarité utile et de la volonté de mettre en place une coopération sincère.

Dans cette perspective, l’accord franco-algérien dans le domaine de la défense pourrait être un pont supplémentaire, parmi tous ceux qui relient déjà la France à l’autre rive de la Méditerranée. Nous sommes en effet déjà unis par un certain nombre de traités et d’accords. Malgré les tourments nés de l’aspiration légitime des Algériens à retrouver leur liberté, nos deux pays se sont employés très tôt à fonder une coopération dans les domaines économique, culturel et militaire.

Je reviens sur la défense, qui nous intéresse ce matin. La France et l’Algérie ont mis en place, deux ans seulement après les accords d’Évian, une mission militaire de liaison et de coordination. Celle-ci a été suivie, bien sûr, par la convention de coopération militaire et technique du 6 décembre 1967.

Certes, cette coopération est restée modeste, et elle a été victime, dans les années 1990, d’incompréhensions persistantes et de graves tensions politiques. Toutefois, un rapprochement est à l’œuvre depuis le début des années 2000, et je m’en félicite. Le déplacement très prochain en Algérie du Président de la République confirmera cette volonté d’établir un dialogue fructueux entre nos deux peuples.

Cet effort diplomatique est une nécessité. Nous partageons avec l’Algérie des intérêts stratégiques communs. La géographie, d’abord, rapproche nos deux pays, et leur confère des responsabilités communes dans l’espace méditerranéen. À cet égard, je rappellerai que l’accord du 21 juin 2008, que nous nous apprêtons à transposer, est déjà appliqué, s’agissant de l’organisation d’exercices conjoints. L’opération de surveillance et de sécurité maritime en Méditerranée baptisée « Raïs Hamidou » en est l’illustration.

Nous avons également en commun le souci de la lutte contre le terrorisme, qui figure à l’article 2 de l’accord. C’est un enjeu sécuritaire qui préoccupe nos deux pays depuis longtemps. Si notre territoire n’a pas connu récemment d’attentats de grande ampleur, le développement inquiétant des réseaux terroristes, en particulier d’Al-Qaida au Maghreb islamique, AQMI, justifie une coopération poussée entre les services de sécurité algériens et les services français compétents en la matière. Je souhaite que l’accord amplifie encore davantage cette coopération.

Enfin, l’Algérie est une pièce maîtresse dans la gestion des crises régionales. Comme vous le savez, mes chers collègues, Alger est particulièrement attendu sur le dossier du nord du Mali. Notre pays est bien sûr attentif à cette région, dont les soubresauts nous touchent directement, hélas, avec les détentions tragiques de ressortissants français, au nombre de sept depuis avant-hier.

L’influence de l’Algérie dans la région, qu’elle tire notamment de la puissance de son armée, n’est plus à démontrer, et la France a tout intérêt à coordonner dans cette zone sa diplomatie avec Alger. Néanmoins, il faut bien reconnaître que ce n’est pas toujours aisé.

En ce qui concerne le Mali, l’Algérie privilégie une sortie de crise négociée alors que la France a adopté une posture plus interventionniste et pousse à la mise en œuvre d’une force africaine. J’espère que la visite du Président de la République permettra de dégager une position convergente, même si l’on peut comprendre les réserves du président Bouteflika, dont le pays partage 1 400 km de frontière avec le Mali.

Mes chers collègues, ces enjeux, combinés à bien d’autres rappelés par plusieurs orateurs, nous invitent à approuver le projet de loi permettant d’entériner l’accord de coopération du 21 juin dans le domaine de la défense. En conséquence, le RDSE l’approuvera à l’unanimité.

Son adoption contribuera encore un peu plus à l’apaisement des relations entre nos deux pays. Je ne doute pas, monsieur le ministre, que le Gouvernement encouragera aussi toutes les autres formes de coopération. Je pense en particulier aux actions de développement que la France devra engager en faveur de l’amélioration des conditions de vie des Algériens.

La situation économique et sociale du pays reste très fragile, malgré les mesures décidées par le président Bouteflika au moment des « printemps arabes ». Nous savons d’expérience que les crises politiques se nourrissent de la pauvreté et que les extrémismes prospèrent quand les injustices sont profondes. C’est pourquoi notre solidarité à l’égard du peuple algérien doit s’exercer sur tous les fronts, au nom d’une amitié retrouvée. §

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Monsieur le président, monsieur le ministre, je n’aurai pas besoin des huit minutes de temps de parole qui m’ont été imparties, parce que je suis la dernière à intervenir et parce que ce texte fait l’unanimité de cette assemblée.

Les conventions internationales ont cette particularité qu’on ne peut pas les amender : on ne peut que les voter, les rejeter ou s’abstenir. Tout au plus pouvons-nous exprimer quelques réserves en commission ou à la tribune. Il s'agit en réalité, tout simplement, de faire le bilan des coûts et des avantages d’un accord pour les deux parties et pour notre image dans la communauté internationale.

En l’espèce, les avantages dominent sans aucun doute, et l’UC-UDI votera cette convention, comme l’ensemble des groupes de cette assemblée.

J’ai déjà été rapporteur de tels accords de coopération pour les Émirats arabes unis et pour l’Arabie saoudite. Je ne suis pas du tout une spécialiste du Maghreb, m’intéressant plutôt aux régions du golfe Persique et du Caucase ainsi qu’à l’Asie centrale. Néanmoins, comme cela a été souligné, ce projet de loi nous est présenté dans un contexte qui se veut apaisé, ce dont je me réjouis, et il vient en discussion après plusieurs textes concernant l’Algérie.

Ainsi que l’a relevé notre collègue Christian Cambon, l’Algérie demeure un point de stabilité au Maghreb, et cette coopération est totalement nécessaire dans cet endroit évidemment stratégique, eu égard à la crise qui sévit actuellement au Mali et ailleurs.

Les retards de l’approbation de l’accord sont liés à l’application de la législation locale à nos ressortissants, une question importante que nous avons déjà eu à régler s’agissant de la base militaire située à Abou Dhabi – où c’était la charia, pas moins, qui prévalait ! Le problème de la peine de mort a été réglé au travers d’une note parallèle.

Je ne sais pas si c’est nécessaire – je le dis surtout à l’intention de nos collègues ou de nos concitoyens qui suivent nos travaux sur cette valeureuse chaîne télévisée qu’est Public Sénat ou qui lisent le compte rendu de nos débats –, mais je voudrais vous rendre attentifs à l’article 5 de cet accord, qui prévoit l’interdiction de participer à la préparation ou à l’exécution d’opérations de guerre ou de maintien de l’ordre. Dans la zone qui nous occupe, il s’agit d’une disposition majeure.

Je ne reviendrai pas sur le contenu de cet accord, pas davantage que sur la nécessité de l’approuver, car cela a été largement évoqué.

Toutefois, j’observe qu’une coopération navale en Méditerranée occidentale est aussi la bienvenue. Elle sera de nature à conforter la position de notre flotte en Méditerranée et aussi – pourquoi pas ? – de soutenir notre industrie navale, qui en a bien besoin !

Alors que l’enthousiasme, peut-être un peu naïf, à l’égard des printemps arabes retombe en cet automne frais, il est nécessaire de conforter le statut de puissance régionale d’un pays important. Nous attendons beaucoup de la visite du Président de la République en Algérie, pour renforcer notre amitié avec l’autre rive, comme aime à le dire notre ami Jean-Claude Gaudin, et ce dans l’intérêt général de l’Algérie et de la France.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre délégué.

Debut de section - Permalien
Kader Arif

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je me félicite du consensus qui se dégage sur ce texte, car il contribue au renforcement des relations entre la France et l’Algérie. Ce consensus politique est un bon signe pour nos deux pays.

Ce texte s’inscrit dans la dynamique indispensable des nouvelles relations que nous avons envie d’établir avec l’Algérie.

Pour répondre aux questions qui m’ont été posées, j’indique que le déplacement, dans le courant du mois de décembre prochain, de M. le Président de la République en Algérie portera, au-delà de cet accord de défense, sur la coopération industrielle, avec, éventuellement, un pacte d’alliance industrielle, sur une convention de partenariat agricole, sur des accords relatifs à l’énergie, avec la question de la gestion des déchets et celle des risques pour ce qui concerne le gaz et le pétrole, sur des accords maritimes, ainsi que certains d’entre vous l’ont évoqué, sur les politiques de l’anti-pollution, sur une coopération judiciaire civile et, bien entendu, sur des investissements dans le domaine de la culture, de l’éducation et de la formation. Toutefois, cette liste n’est pas exhaustive, car bien d’autres sujets encore seront abordés.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous souligné le rôle stratégique de l’Algérie, en particulier concernant la question du Nord-Mali. À cet égard, je tiens à dire que le gouvernement algérien a évolué sur cette question au cours de ces dernières semaines, ce dont il faut se féliciter. En la matière, les relations entre nos deux pays sont aujourd'hui très bonnes, et elles évoluent dans le bon sens.

Nombre d’accords internationaux sont signés, mais, au-delà de la relation singulière qu’il consacre entre nos deux pays, cet accord aura un impact sur nos relations internationales et aussi, par la force symbolique qui est la sienne, sur notre politique intérieure.

La multiplication des accords avec l’Algérie, qui sont de nature à apaiser nos relations, et le déplacement du Président de la République, dont nous avons tous la volonté qu’il se déroule dans les meilleures conditions possibles, permettront d’établir des relations internationales essentielles avec la rive sud de la Méditerranée, cette partie du globe qui souffre depuis trop longtemps d’une certaine instabilité, et adresseront des signaux forts à une partie de notre population.

Applaudissements.

Est autorisée l'approbation de l'accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire, signé à Alger, le 21 juin 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

La parole est à M. Michel Teston, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Le groupe socialiste votera ce projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire.

Cet accord de coopération est, à nos yeux, essentiel dans le rapprochement entre l’Algérie et la France. Nous sommes convaincus aussi que le prochain voyage du Président de la République française en Algérie contribuera très largement à l’apaisement des relations entre les deux pays ; c’est en tout cas ce que nous souhaitons ardemment. §

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi.

Le projet de loi est définitivement adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. le président. Je constate que ce projet de loi a été adopté à l’unanimité des présents.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures.