Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer l’initiative de M. Jean-Pierre Sueur, dont la proposition de loi, extrêmement pertinente, nous fournit le moyen de régler en douceur les problèmes posés par la suppression des juridictions de proximité, prévue par la loi du 13 décembre 2011. Cette initiative est opportune dans la mesure où, alors que la fin de l’année approche, nous constatons que les conditions qui auraient permis le transfert en douceur aux tribunaux d’instance des missions des juridictions de proximité ne sont pas réunies.
Vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, les juridictions de proximité ont été créées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, complétée à deux reprises : par la loi organique du 26 février 2003 relative aux juges de proximité et par la loi du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d’instance. Les juridictions de proximité constituent le troisième ressort de première instance de notre organisation judiciaire, aux côtés des tribunaux d’instance et des tribunaux de grande instance. Les juges de proximité interviennent dans des procédures tant pénales, essentiellement pour les contraventions des quatre premières classes, que civiles, pour les contentieux d’un montant inférieur à 4 000 euros. Lorsque le montant du contentieux est compris entre 4 000 et 10 000 euros, ce sont les tribunaux d’instance qui sont compétents ; au-delà, ce sont les tribunaux de grande instance.
Néanmoins, la compétence de ces juges et juridictions de proximité a été taillée de telle façon qu’ils se retrouvent sur une ligne parallèle à celle des tribunaux d’instance. De fait, les contentieux pris en charge par les juridictions de proximité sont ceux dont ont été déchargés les tribunaux d’instance.
Les juges de proximité, dont vous avez eu raison, monsieur Sueur, de souligner l’utilité au sein de nos juridictions, sont recrutés parmi les professions judiciaires ou juridiques. Il s’agit de personnes soit en activité, soit à la retraite, tels des anciens gendarmes, policiers ou magistrats. Il peut aussi s’agir de juristes d’entreprise, d’avocats, de notaires. Tous les candidats viennent donc du milieu judiciaire ou juridique et ont, sinon une formation, du moins une compétence et une expérience professionnelles dans ces domaines.
Ce sont des magistrats de l’ordre judiciaire, qui jouissent des mêmes garanties que les autres, c’est-à-dire qu’ils sont nommés par le Président de la République, sur proposition du garde des sceaux, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, le CSM. Ils n’exercent pas à plein temps et sont payés à la vacation. Actuellement, les juges de proximité sont au nombre de 460.
Lors de la création des juridictions de proximité, des protestations assez vives ont été entendues, émanant d’abord de magistrats professionnels et, ensuite, de parlementaires des deux chambres, et ce pour de bonnes raisons : ces juges de proximité allaient statuer sur le quotidien des justiciables sans obligation pour ces derniers de recourir à l’assistance d’un avocat ; en outre ils allaient le faire souvent en dernier ressort, alors que les conditions de leur formation ne semblaient pas satisfaire aux exigences qu’on était en droit d’attendre de la part de magistrats exerçant dans un tel cadre.
Le processus s’est néanmoins mis en place ; les juges de proximité ont pris leurs fonctions et, finalement, ont à peu près trouvé leur place. En tout cas, tout le monde convient assez volontiers qu’ils ont rendu des services, même s’il importe de regarder comment le dispositif peut être amélioré.
La loi de 2011 a décidé, sans toucher aux juges de proximité, de supprimer les juridictions de proximité, comme le prévoyait d’ailleurs la préconisation n° 22 du rapport Guinchard. Mme la rapporteur l’a dit, une loi est venue en défaire une autre, dans un délai assez rapproché, ce qui prouve que, dans certaines circonstances, la loi varie infiniment plus que les femmes ! §
Nous sommes dans une situation qui ne nous permet pas d’envisager un passage harmonieux des juridictions de proximité, troisième ressort de première instance, à l’état antérieur de l’organisation judiciaire, avec deux juridictions de première instance, ne serait-ce que du point de vue des effectifs. Sur les 460 juges de proximité, 324 sont actuellement en fonction et auraient dû être reconduits, puisqu’ils n’ont pas été supprimés. Je rappelle que les juges de proximité siègent aussi en tant qu’assesseurs dans les tribunaux correctionnels. Le nécessaire aurait donc dû être fait auprès du CSM pour la « renomination » de ces 324 magistrats. Il y a, de plus, 99 juges de proximité en formation, dont la proposition de nomination aurait également dû être transmise au CSM. Or tel n’a pas été le cas !
De même, il aurait fallu, pour assurer la transition de décembre 2012 à janvier 2013 à la suite de la suppression des juridictions de proximité, qu’un décret en Conseil d’État établisse les modalités selon lesquelles les juges de proximité devaient rejoindre les tribunaux d’instance et de grande instance. Or un tel décret n’a pas été publié !
Il aurait fallu également anticiper les conditions dans lesquelles, en cours d’année, des modifications d’affectation auraient pu survenir. Or rien de tel n’a été préparé !
Pourtant, ces juges de proximité, qui vont cesser de siéger dans des juridictions de proximité pour rejoindre les tribunaux d’instance et de grande instance, auraient besoin d’une formation, notamment parce que ces derniers ont été informatisés, dans le cadre du processus de dématérialisation de certains types de procédures en cours, voire en phase d’achèvement. Il faudrait donc s’assurer que tous les magistrats pourront s’intégrer correctement dans ce nouvel environnement technique.
Il est important de vérifier que nombre de tâches seront effectuées de la façon la plus efficace possible. Je pense notamment à la rédaction d’instructions pour les greffes, aux trames, à certaines circulaires. Un travail important, pouvant incomber à ces juges de proximité, requiert donc une formation adéquate.
Un dialogue de gestion se déroule actuellement, sous l’autorité de la direction des services judiciaires de la Chancellerie. Il en ressort que deux tiers des tribunaux de grande instance préviennent qu’ils n’auront pas recours à ces juges de proximité, et ce pour deux raisons principales : tout d’abord, il y a assez peu de cas où ils siègent en formation collégiale, la plupart des procédures civiles se déroulant sous l’autorité d’un juge rapporteur ; ensuite, ils ont à juger des contentieux techniques, ce qui renvoie au problème de la formation de ces magistrats, que j’évoquais à l’instant.
Il faut noter – cela éclaire l’utilité de votre proposition de loi, monsieur Sueur – que, pour absorber le transfert de contentieux de ces juridictions de proximité aux tribunaux d’instance, il aurait fallu recruter 110 juges. Ce recrutement n’a pas été prévu ni préparé.
Vous l’avez rappelé, dans le budget triennal de la justice, j’ai prévu le recrutement, pour la seule année 2013, de 142 magistrats pour la justice civile, dont 50 seront directement affectés aux tribunaux d’instance. Mais il n’est pas question de provoquer aujourd’hui une embolie des tribunaux d’instance en destinant le renfort en personnel en vue d’une justice civile plus diligente, plus efficace, plus proche du citoyen à l’absorption du transfert du contentieux des juridictions de proximité !
Tous ces éléments d’opportunité plaident en faveur de l’adoption de cette proposition de loi prévoyant le report de la suppression des juridictions de proximité de janvier 2013 à janvier 2015.
Évidemment, il nous reste beaucoup à faire ! Après le vote probable de ce texte, nous disposerons de deux années pour mener à bien le travail de fond que nous avons engagé. Je me suis récemment exprimé devant le Sénat – c’était il y a un peu plus d’un mois, mais je viens si souvent ici que j’ai l’impression de ne jamais vous quitter… §