Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 23 novembre 2012 à 9h30
Juridictions de proximité — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Christiane Taubira, garde des sceaux :

C’est ainsi que je le ressens, monsieur Sueur, je vous l’assure !

À l’occasion du débat que nous avons eu, une nuit, sur la carte judiciaire, je vous ai dit que je menais une réflexion sur la redéfinition des périmètres de contentieux dans la justice civile, de façon à procéder aux ajustements nécessaires les plus pertinents possible pour améliorer, comme s’y est engagé le Président de la République, le fonctionnement de nos juridictions en termes d’accessibilité, de proximité, d’efficacité, et donc de diligence.

Une telle réforme suppose, selon les ressorts et la nouvelle configuration issue du redécoupage de la carte judiciaire, que nous mettions en place des dispositifs adaptés, pertinents. Cela implique éventuellement, dans certains cas, une réouverture de juridictions, et, dans d’autres, une expérimentation des guichets uniques de greffe dans les tribunaux de première instance. A également été évoquée l’hypothèse, que je sais controversée, d’audiences foraines, sans parler des maisons de justice et du droit, qualifiées de « nouvelle génération », dont les critères de définition sont encore en suspens. Toute une palette de réponses s’offre donc à nous, la meilleure des possibilités devant être choisie selon le ressort considéré. Nous sommes bien dans la réflexion sur l’organisation judiciaire.

J’ai saisi l’Institut des hautes études sur la justice de la réalisation d’une étude. Celle-ci devra porter, notamment, sur la mission et le périmètre d’intervention du juge, ainsi que sur l’exercice de son office, c’est-à-dire également sur l’équipe qui intervient autour de lui : non seulement les greffiers, mais aussi les assistants, spécialisés ou non. En effet, nous voyons bien que, pour certains contentieux, nous avons un besoin réel et urgent d’assistants spécialisés. Au-delà, s’agissant de l’office même du juge, les textes votés ces dernières années ont confié aux magistrats nombre de tâches, qui ont relativement dilué sa mission en l’obligeant à se disperser. Cela nous conduit à mener une véritable réflexion sur le sujet.

Considérant qu’il nous faut également profiter de l’expérience des magistrats et des greffiers, j’ai par ailleurs demandé à la direction des services judiciaires de mettre en place deux groupes de travail avec ces derniers pour nous aider dans notre réflexion, non seulement sur la mission du juge, mais aussi sur l’organisation judiciaire. Cela nous permettra de tenir compte, notamment, de l’évolution du métier de greffier.

Ces travaux en cours devraient aboutir au premier trimestre 2013. Nous disposerons alors d’éléments nous permettant de prendre des décisions éclairées pour que, à l’échéance que vous nous proposez, monsieur Sueur, une nouvelle organisation de la justice soit prête, fondée sur la proximité et l’efficacité. Il s’agira de faire en sorte que la justice civile, si nécessaire dans des périodes difficiles puisqu’elle traite du surendettement, de la famille, des pensions, du handicap ou de l’aide sociale – bref, c’est la justice du quotidien de nos concitoyens –, soit performante. Ce nouveau délai devrait nous permettre de réussir la réforme.

Je rappelle qu’une expérimentation concernant le seul contentieux de la famille, c’est-à-dire le droit de garde des enfants et les contributions afférentes, sera menée de début 2013 à fin 2014 dans les juridictions d’Arras et de Bordeaux. Là aussi, nous devrions récolter des éléments nous permettant d’apprécier les conditions dans lesquelles la médiation peut soulager les juridictions. Si la justice n’est pas diligente, c’est non pas parce que les magistrats, les greffiers et les fonctionnaires ne travaillent pas assez ou assez vite, mais parce que les contentieux de masse se développent, engorgeant nos juridictions.

Il y a plusieurs façons convergentes sinon de désengorger, du moins de dégonfler le contentieux. Cela passe, bien évidemment, par le recrutement de magistrats et de greffiers, ce que nous sommes en train de faire. L’informatisation permet également, d’une part, de dégager du personnel de tâches fastidieuses pour l’affecter à d’autres opérations plus élaborées, ce qui améliore la qualité du service rendu aux magistrats et aux greffiers, et, d’autre part, d’accélérer et de sécuriser les procédures.

Par ailleurs, nous devons nous interroger sur la judiciarisation croissante de la société, laquelle se traduit par une demande de justice de plus en plus massive. C’est particulièrement visible en période de crise, avec une hausse importante des contentieux.

Il faut d’abord poser comme principe qu’une telle demande est légitime. Il est normal qu’un citoyen, se trouvant devant une difficulté pour laquelle il n’a pas de solution à sa portée, en appelle à l’État pour résoudre son litige. C’est par la justice que l’État lui répond.

En même temps, nous devons concevoir qu’un certain nombre de litiges puissent être réglés autrement que par le biais de procédures judiciaires lourdes, sans pour autant que l’équité et l’efficacité des décisions prises en soient affaiblies.

C’est en ce sens que les études, les groupes de travail et les expérimentations que je viens de citer vont contribuer à éclairer notre réflexion.

Si nous reconnaissons le travail fourni par les juges de proximité, nous considérons qu’il faut améliorer le contenu et les conditions de leur formation, et réfléchir très précisément aux moyens de rendre ces magistrats encore plus utiles dans nos tribunaux d’instance et de grande instance.

Madame la rapporteur, j’ai d'ores et déjà adressé aux magistrats une première circulaire pour les alerter sur les effets à attendre de cette proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur, car il faut notamment faire très attention au traitement des contentieux en cours. Une fois que le texte sera adopté, j’adresserai évidemment une autre circulaire pour tirer très précisément toutes les conséquences du report de deux ans de l’échéance concernant les juridictions de proximité. Il n'y a donc aucun risque de modification ou de translation, dirai-je, s’agissant des limites de contentieux, mais vous avez eu raison de soulever la question.

Les juges de proximité, qui ont déjà une expérience judiciaire et juridique, doivent acquérir une formation en vue de s’adapter aux nouvelles méthodes de travail, à des exigences particulières, aux procédures, à la complexité de nos textes. Ils sont nommés pour sept ans, et leur formation présente donc plus d’utilité que celle des citoyens assesseurs qui, rémunérés à la vacation comme les juges de proximité, sont tirés au sort et formés pour la seule période durant laquelle ils sont appelés à siéger. La formation des juges de proximité ne se résume donc pas à un éternel recommencement !

Les juges de proximité contribuent à l’efficacité de la justice, car le risque est faible qu’ils alourdissent les audiences ou retardent les procédures. S’ils ont toute leur utilité, ils doivent être encore plus performants, ce qui passe par la formation. Dire cela n’enlève bien évidemment rien au rôle que nous leur reconnaissons et aux services qu’ils rendent.

Pour toutes ces raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement se réjouit de l’initiative prise par M. Jean-Pierre Sueur, salue la qualité du travail conduit par Mme Klès dans le cadre du rapport écrit et souhaite que le débat d’aujourd'hui nous permette d’amorcer très concrètement et très sérieusement la réorganisation judiciaire en matière de justice civile. §

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion