J'ai l'honneur de vous présenter pour la deuxième année consécutive les crédits du programme 147 « Politique de la ville » inscrits au projet de loi de finances.
L'examen des crédits de ce programme pour 2013 intervient quatre mois après la publication par la Cour des Comptes de son rapport intitulé « La politique de la ville. Une décennie de réformes », rapport à l'occasion duquel notre commission avait d'ailleurs auditionné M. Didier Migaud, premier président de la Cour des comptes.
Contrairement à ce que certains ont pu dire, ce rapport ne dresse pas, à mes yeux, un réquisitoire accablant pour la politique de la ville. Il s'agit au contraire d'un plaidoyer pour l'améliorer encore.
L'examen du projet de loi de finances est donc l'occasion pour moi, non seulement d'analyser les moyens que l'État consacrera en 2013 à la politique de la ville, mais également de voir dans quelle mesure le Gouvernement compte mettre en oeuvre les recommandations de la Cour.
Avant d'examiner l'évolution des crédits du programme 147 « Politique de la ville » inscrits au projet de loi de finances pour 2013, je souhaite formuler deux observations.
D'une part, le programme 147 « Politique de la ville » ne couvre qu'une partie de l'effort budgétaire de la Nation en faveur des quartiers. Outre les dispositifs spécifiques de la politique de la ville financés par ce programme, les quartiers de la politique de la ville bénéficient également de dispositifs de droit commun financés par les ministères compétents.
Le document de politique transversale (DPT) « Ville » annexé au projet de loi de finances estime ainsi que l'ensemble des crédits budgétaires consacrés à la politique de la ville atteignent près de 2,7 milliards d'euros pour 2012, quand le programme 147 ne prévoit que 500 millions d'euros. Je vous rappelle qu'en 2013, les dépenses du budget général devraient atteindre 290 milliards d'euros. La politique de la ville représente donc moins d'1 % du budget, alors qu'elle s'adresse à près de 6 millions d'habitants. Certains s'inquiètent d'un éventuel transfert des crédits de droit commun : on en est loin !
D'autre part, à l'occasion du projet de loi de finances pour 2013, le périmètre du programme 147 a été modifié par rapport à l'année dernière. L'action « Grand Paris » a disparu : plus précisément, elle a été transférée au sein du programme 135 « Urbanisme, territoires et amélioration de l'habitat ».
J'en viens donc maintenant à l'analyse de l'évolution des crédits du programme 147 pour 2013. Je souhaite tout d'abord rappeler les conclusions qui étaient les miennes l'année dernière. J'estimais que le projet de loi de finances pour 2012 symbolisait « le désengagement de l'État de la politique de la ville » et je soulignais la baisse continue des crédits de ce programme depuis sa création.
Quelques chiffres l'illustrent : entre 2007 et 2012, les crédits du programme 147 ont diminué de près de 55 %. Autrement dit, ils ont été divisés par deux. Sur la période la plus récente, c'est-à-dire entre 2009 et 2012, les crédits ont diminué de près de 250 millions d'euros, soit une diminution de plus de 30 %.
Après une analyse approfondie des crédits pour 2013, je ne peux que me féliciter des évolutions prévues. En effet, le projet de loi de finances pour 2013 marque un coup d'arrêt à la très forte diminution des crédits du programme. A périmètre constant, ils sont en diminution de 4,1 % en autorisations d'engagement (AE) et de 6,3 % en crédits de paiement (CP). En valeur absolue, cela représente une diminution d'environ 20 millions d'euros en AE.
Cette diminution n'est cependant qu'apparente. Comme l'a confirmé la semaine dernière François Lamy, ministre délégué à la ville, lors de son audition par notre commission, la baisse des crédits du programme 147 est presque intégralement compensée par la prise en charge par le Fonds interministériel pour la prévention de la délinquance (FIPD) des actions de prévention jusque là financées par l'Agence pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé), à hauteur de 20 millions d'euros.
En tenant compte de ces 20 millions d'euros, les crédits destinés à la politique de la ville sont stables d'une année sur l'autre. Je ne peux que saluer cette stabilité dans le contexte de l'effort national de redressement des finances publiques. J'y vois pour ma part, après la feuille de route pour les habitants des quartiers rendue publique en août dernier, une nouvelle illustration de la mobilisation du Gouvernement pour répondre aux difficultés de ces quartiers.
S'agissant de l'évolution des différentes actions du programme 147, plusieurs éléments me paraissent intéressants.
Tout d'abord, l'action « actions territorialisées et dispositifs spécifiques de la politique de la ville », qui représente les deux tiers des crédits du programme (environ 330 millions d'euros en 2013) voit ses crédits diminuer d'environ 20 millions d'euros.
La très grande majorité des crédits de cette action sont gérés par l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé). Je ne peux que me féliciter du maintien des crédits destinés à l'Agence, qui finance notamment les actions des associations sur le terrain.
L'action « revitalisation économique et emploi » voit ses crédits diminuer d'environ 2 %. Cette action finance, je vous le rappelle, les crédits destinés à la compensation des exonérations de charges sociales en zones franches urbaines (ZFU) mais aussi la subvention de charges de service public de l'établissement public d'insertion de la défense (EPIDe). La diminution des crédits de cette action s'explique par la diminution du coût des exonérations fiscales et sociales liées aux zones franches urbaines (ZFU). Cette année, une partie de la diminution des crédits finance les « emplois francs ».
Cette disposition prévue par le projet de loi de finances pour 2013, financée par l'action « revitalisation économique et emploi », me paraît particulièrement importante. La logique diffère donc des zones franches : l'exonération n'est pas attachée au lieu d'implantation de l'entreprise mais au lieu de résidence du salarié. Plusieurs rapports ont montré que les ZFU donnaient des satisfactions, mais pas en termes d'emplois. Le gain en emplois espéré n'a pas été atteint. Le dispositif des emplois francs va être expérimenté : quel que soit le lieu d'implantation de l'entreprise, elle bénéficiera d'une exonération si elle embauche un jeune diplômé de zone urbaine sensible (ZUS). Cela présente l'avantage de favoriser l'emploi et de permettre à des jeunes de sortir de leur quartier. Quatre villes sont concernées par l'expérimentation : Marseille, Amiens, Grenoble et Clichy-sous-Bois.
Je me réjouis de ce dispositif, qui est salué par les acteurs de la politique de la ville que j'ai auditionnés. J'espère que, au terme de la période expérimentale, il pourra être étendu à l'ensemble des quartiers prioritaires.
Comme je vous l'indiquais en préambule, la politique de la ville est une politique transversale dont le champ dépasse le simple programme 147. En conséquence, il m'est impossible de ne pas évoquer deux éléments du projet de loi de finances pour 2013 extérieurs au programme 147 qui concourent directement à la politique de la ville :
- d'une part, il convient de relever que les outils de péréquation financière verticale sont renforcés. C'est une évolution importante. Le montant de la dotation de solidarité urbaine (DSU), qui joue un rôle incontournable pour les communes concernées par la politique de la ville, devrait atteindre un niveau historique en 2013, en augmentation de près de 120 millions d'euros par rapport à 2012. Par ailleurs, après le vote intervenu la semaine dernière à l'Assemblée nationale, la dotation de développement urbain (DDU) augmentera de 50 % pour atteindre 75 millions d'euros en 2013.
Je ne peux que me féliciter de ces décisions. Pour autant, le ministre a indiqué qu'une réflexion devait être menée sur ces dispositifs de péréquation. Il a donc confié une mission sur le sujet à notre collègue député François Pupponi : l'association des maires « Ville et banlieue » sera associée à ces travaux.
- l'autre élément du projet de loi de finances pour 2013 - et plus globalement de la politique gouvernementale - que je souhaite souligner et saluer est la mobilisation des dispositifs de droit commun en faveur des quartiers.
S'agissant des dispositifs de droit commun, la Cour des comptes a souligné « le risque de substitution des crédits spécifiques aux crédits de droit commun ». Autrement dit, l'existence des dispositifs spécifiques de la politique de la ville conduirait à une diminution corrélative des crédits de droit commun.
Dans ce contexte, je me réjouis que, conformément à la feuille de route du Gouvernement pour les habitants des quartiers du 22 août dernier, le droit commun soit de retour dans les quartiers. Deux exemples me paraissent particulièrement révélateurs : les 1 000 postes créés dans l'Éducation nationale devraient être orientés pour un quart d'entre eux vers les élèves de l'éducation prioritaire ; les emplois d'avenir concerneront au premier chef les jeunes des zones urbaines sensibles (ZUS).
L'examen du projet de loi de finances pour 2013 est également l'occasion pour moi de souligner la nécessité, notamment après le rapport de la Cour des Comptes, de repenser et de réformer la politique de la ville. Je souhaite insister sur deux points à mes yeux essentiels.
Tout d'abord, la nécessaire interministérialité de la politique de la ville.
La Cour des comptes a souligné l'absence de pilotage interministériel de la politique de la ville au cours des dernières années, estimant qu'il s'agissait d'une des explications des résultats en demi-teinte de cette dernière.
La politique de la ville ne peut en effet être efficace qu'avec la mobilisation de tous les ministères, c'est-à-dire à la fois des dispositifs spécifiques gérés par le ministère de la ville et des dispositifs de droit commun gérés par les autres ministères.
Les différentes tentatives pour renforcer l'interministérialité de la politique de la ville ont échoué. La meilleure illustration en est le document de politique transversale (DPT), qui est censé retracer l'ensemble des crédits des ministères concourant à la politique de la ville. Ce document est très clairement lacunaire. Un seul exemple : l'Éducation nationale. La contribution de ce ministère est limitée, dans le DPT, à l'évaluation des moyens supplémentaires mis en oeuvre dans les établissements relevant de l'éducation prioritaire. Comment est-il possible d'assurer une coordination interministérielle quand on ne peut évaluer la contribution de chacun ?
A ce titre, je me réjouis que le ministre de la ville ait annoncé sa volonté de signer avec ses collègues du Gouvernement des conventions pour fixer des objectifs et des engagements, notamment financiers, de leurs mobilisations dans leurs domaines de compétence. Cette démarche est salutaire : il est indispensable que les autres ministres jouent le jeu car il en va de l'efficacité de la politique de la ville.
Je me félicite également que la ministre de l'égalité des territoires ait lancé une mission de réflexion sur la mise en place d'un Commissariat général à l'égalité des territoires, instance qui permettrait, le cas échéant, de rapprocher les différentes instances des politiques de l'aménagement du territoire et de la politique de la ville.
Autre aspect que je souhaite évoquer cette année : la réforme de la géographie prioritaire. Celle-ci est, comme l'indique la Cour des Comptes, un « préalable » à toute nouvelle mesure de la politique de la ville. Le ministre souhaite l'actualiser et concentrer les actions sur certains sites prioritaires.
Cette réforme a été annoncée à plusieurs reprises au cours du quinquennat passé. La loi de finances pour 2008 prévoyait ainsi une actualisation tous les cinq ans de la géographie prioritaire et imposait une première révision en 2009. Cependant, malgré un livre Vert produit par le secrétariat général du Comité interministériel des villes (SG-CIV) et le rapport remis en 2009 par notre collègue Pierre André et notre collègue député Gérard Hamel, cette réforme n'a jamais été menée à terme. Plus de trois années ont donc été perdues.
Pourquoi cette réforme est elle indispensable et urgente ? Parce que la géographie prioritaire actuelle conduit à saupoudrer les moyens et à rendre illisible la politique de la ville. Les quartiers prioritaires se sont multipliés au fil du temps et les différents zonages se sont enchevêtrés. Quelques chiffres l'illustrent : on compte dans notre pays 751 zones urbaines sensibles (ZUS), au sein desquelles existent 416 zones de redynamisation urbaine, comprenant elles-mêmes 100 zones franches urbaines (ZFU). A côté de ces différentes zones, existent 494 quartiers en rénovation urbaine et 2 492 quartiers ciblés par des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS), dont près des trois quarts ne sont pas classés en ZUS...
Cette situation est unique en Europe : en effet, on ne compte que 392 quartiers prioritaires en Allemagne, 39 quartiers ont été sélectionnés en Grande-Bretagne et seulement 17 en Espagne... même si, bien entendu, la dimension de la politique de la ville n'est pas la même dans ces pays.
La concertation sur la réforme de la géographie prioritaire doit donc aboutir à simplifier les zones et concentrer les interventions publiques sur les territoires qui en ont le plus besoin, ceci sur la base d'indicateurs objectifs.
Je ne cache pas que cette réforme sera très difficile à mener : il est clair que la réduction probable du nombre de quartiers prioritaires ne sera pas aisée et fera de nombreux mécontents. Pour autant, elle est indispensable pour renforcer la politique de la ville.
Je me félicite en tout cas que cette réforme, maintes fois reportée, soit prise à bras le corps par le Gouvernement. Elle aura un impact sur l'ensemble des autres dispositifs de la politique de la ville : ainsi, par exemple, l'éventuelle généralisation des emplois francs sera mise en oeuvre parallèlement à la réforme de la géographie prioritaire.
En conclusion, au vu des crédits pour 2013 du programme 147 mais aussi au vu des engagements pris par le Gouvernement, je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Égalité des territoires, logement et ville ».