Le budget de la justice, érigé, avec l'Éducation nationale et la sécurité, en priorité, fait figure d'exception dans ce projet de loi de finances. Les dépenses progressent de 3 % hors pensions ; 480 postes sont créés dont 142 pour la justice judiciaire, 133 pour l'administration pénitentiaire et 205 pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Cette inflexion nouvelle se retrouve dans la politique immobilière, tant pour ce qui concerne le TGI de Paris que les partenariats public-privé (PPP) ou les centres éducatifs fermés (CEF).
Le programme « Justice judiciaire » progresse de 3,6 % en crédits de paiement. Il n'en va pas de même des autorisations d'engagement, étant entendu que la garde des Sceaux a, à bon droit, choisi de prendre le temps de la réflexion sur les PPP. Les 142 postes créés iront aux magistrats, aux greffiers ainsi qu'à la transformation d'emplois de catégorie C. Les greffiers ne sont pas pleinement satisfaits, cependant, et j'espère que l'effort en leur faveur se poursuivra en 2014, car le ratio de un greffier pour un magistrat n'est toujours pas atteint. Si la création d'un secrétariat administratif des services judiciaires est positive, elle n'a cependant pas suffi à recentrer les greffiers sur leur corps de métier. Sans compter qu'ils ne bénéficient pas d'une revalorisation indiciaire. L'enveloppe d'un million d'euros prévue à cet effet l'an dernier n'a pas été engagée. Quelques nominations symboliques me paraîtraient, dans ces conditions, de nature à apaiser les esprits.
Je ne m'étends pas sur les frais de justice, dont on dénonce depuis longtemps, depuis le premier rapport de M. du Luart jusqu'à l'enquête conduite par la Cour des comptes en octobre, la sous-évaluation chronique. Celle-ci nuit à l'image de la justice et pose de vrais problèmes à certains experts, parmi lesquels les psychiatres. L'augmentation des frais de justice est mécaniquement liée à l'augmentation du contentieux, dont nous sommes en partie responsables, pour avoir multiplié les lois prévoyant des investigations sophistiquées, jusqu'à la recherche ADN. On peut se féliciter, cette année, de choix judicieux - révision des tarifs forfaitaires, procédures d'appels d'offres -, sources d'une économie substantielle, de 13 millions d'euros. Toutefois l'enveloppe des frais de justice continue de progresser : 532,5 millions d'euros contre 477 en 2012. Sachant que nombre de frais dépendent de commandes de la police et de la gendarmerie qui peuvent échapper aux procureurs, il faut saluer les efforts de concertation engagés, sous forme de réunions trimestrielles destinées à anticiper. La liberté de prescription du magistrat pose le problème de l'égalité des justiciables : si l'un d'eux réclame une expertise et que le magistrat lui refuse, il peut, s'il en a les moyens, la faire réaliser lui-même.
J'en viens à ce serpent de mer qu'est le dossier du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, dont le déménagement de l'île de la cité aux Batignolles est prévu pour 2015. A un coût de 623 millions en 2009 passé à 671 millions en 2012, s'ajoute l'augmentation du loyer, sur un contrat de 27 ans, de 84 millions à 114 millions. Au point que la garde des Sceaux a diligenté un audit de l'inspection générale des services juridiques (IGSJ) sur les conditions de financement de l'opération. Ce dossier est symptomatique d'un réel problème sur l'immobilier à Paris et dans sa région. Il manque sans nul doute un patron pour traiter cette question.
Les crédits du programme « Administration pénitentiaire » augmentent de 6 %, ceux dédiés spécifiquement au personnel progressant de 4,8 % : 133 créations nettes d'emplois sont prévues, auxquels s'ajouteront 160 redéploiements. L'effort portera sur l'équipement des nouveaux établissements, le renforcement des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et la lutte contre la récidive. La création, enfin, de 15 emplois équivalent temps plein (ETP) au bénéfice des aumôneries musulmanes traduit une nouvelle conception de la laïcité dans l'univers pénitentiaire. Je m'en réjouis, car j'avais attiré, dès 2009, l'attention du garde des Sceaux de l'époque sur le grand déséquilibre entre les aumôneries, sachant combien la présence d'un représentant qualifié est un élément d'équilibre propre à éviter les dérives. Reste à trouver des candidats qui se soumettent à l'éthique républicaine et à les former.
Les SPIP bénéficieront de 33 postes supplémentaires. Vous trouverez, dans mon rapport, un tableau retraçant l'épineux problème de la surpopulation carcérale, par établissement. Le taux moyen, de 117 %, atteint 134 % dans les maisons d'arrêt et jusqu'à 200 % dans six établissements.
La programmation des investissements pour la période 2013-2015 se centrera sur les opérations engagées en mai 2012 et sur les mises en conformité les plus urgentes. La garde des Sceaux a décidé de revoir les financements à la baisse, pour tenir compte des nouvelles orientations de la politique pénale.
La question du transfert des détenus mérite que l'on s'y arrête. Jusqu'en 2011, ces transferts étaient de la responsabilité de la gendarmerie et de la police. Par souci de simplification, c'est le personnel pénitentiaire qui en a été depuis chargé, et le reversement de 800 ETP, dont 65 % issus de la gendarmerie et 35 % de la police, était prévu à cette fin. Mais c'était sans compter avec les différences de fonctionnement et de formation, qui ont conduit à suspendre le processus à la demande de l'administration pénitentiaire. Une mission d'étude a été diligentée, qui rendra son rapport fin 2012.
La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) constitue l'une des grandes priorités de ce budget. Elle bénéficie de 250 emplois supplémentaires, dont 178 d'éducateurs, après avoir perdu, entre 2009 et 2012, du fait de la révision générale des politiques publiques (RGPP), 140 postes. L'objectif est que toute mesure judiciaire soit traitée dans les cinq jours, sachant qu'il existe de grandes disparités selon les régions. En Bretagne, le délai moyen est de trois heures, ce qui est loin d'être le cas partout.
La proposition du candidat François Hollande de doubler le nombre des CEF, de 43 aujourd'hui à 80 en 2017, ayant suscité la polémique, la garde des Sceaux a décidé de faire dresser un état des lieux par l'IGSJ et l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui rendront leur rapport début 2013. Pour moi, tout ne doit pas reposer sur les centres fermés. Je rends hommage au dévouement des familles d'accueil, dont la rémunération, limitée à 31 euros par jours, passera, grâce à un redéploiement de crédits, à 36 euros. Le prix de journée dans les CEF sera quant à lui ramené de 578 euros en 2012 à 558 euros en 2013, le taux d'encadrement passant de 27 à 24 ETP dans les CEF publics.
Le secteur associatif habilité est également un partenaire important, puisqu'il gère 1 168 établissements. Or, nous cumulons, d'année en année, les retards. Il est ici proposé d'abonder les crédits de 10 millions d'euros pour limiter les arriérés de paiement, sachant que le report de charge était de 34,4 millions d'euros fin 2010, de 40,2 millions d'euros fin 2011 et devrait atteindre 38 millions d'euros fin 2012. Il est bon de rappeler que 75 % des jeunes pris en charge n'ont pas récidivé.
Le programme « Accès au droit et à la justice » regroupe 4,4 % des moyens de la mission. Ses crédits sont en baisse en raison d'une diminution des coûts liés à la réforme de la garde à vue. A ceux qui s'inquiètent, dans les départements, du devenir des maisons de la consommation et de l'environnement, dont la mission principale est juridique, j'indique que ces dépenses ne sont pas prises en compte dans ce programme.
J'en arrive au programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice ». En ce qui concerne l'immobilier parisien, l'éclatement des compétences, entre l'administration centrale et l'agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ) ne favorise pas l'unité. L'administration centrale est aujourd'hui dispersée sur sept sites, l'objectif étant, depuis 2008, de réunir cinq de ces implantations. Le loyer pour ces cinq sites s'élevant encore à 23,9 millions en 2013, il est prévu un regroupement dans le XIXème arrondissement, rue de la Gare, après livraison au premier trimestre 2015, pour un coût de 180 millions dont le mode de financement n'est pas encore arrêté.
La place du privé dans le parc pénitentiaire mérite réflexion. Les crédits destinés aux marchés de gestion déléguée et au paiement des loyers liés aux PPP qui s'élevaient respectivement à 295 millions et 114 millions, passeront à 304 et 124 millions en 2013, soit 13,5 % du budget de l'administration pénitentiaire. Les PPP concernent 51 établissements qui regroupent 49 % de la population pénale. Coûts croissants, difficultés du contrôle, durée de l'engagement, affaiblissement des politiques et du Parlement, autant de motifs qui ont déterminé la garde des Sceaux à écarter tous les projets de PPP non encore engagés, ainsi qu'elle s'en est expliqué, le 25 septembre, en réponse à M. Mirassou. Seuls les projets déjà bien avancés ou les rénovations urgentes de bâtiments vétustes ne sont pas annulés.
Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), installé avenue de Ségur, ne paie pas de loyer mais seulement 60 000 euros de participation aux charges. Contraint cependant de déménager, il est prévu qu'il soit réinstallé, à terme, dans les locaux rendus vacants par le déménagement du TGI de Paris, en 2018. Il faudra donc trouver, dans l'intervalle, un autre lieu, d'où l'augmentation des crédits pour 2013.