Intervention de Vincent Eblé

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 21 novembre 2012 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « culture » - examen des rapports pour avis

Photo de Vincent EbléVincent Eblé, rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Patrimoines » :

En introduction, je souhaiterais dire que je me suis attaché, dans ce rapport, à analyser non seulement les crédits destinés aux différentes catégories de patrimoine, mais aussi à essayer de définir les sujets clés qui mériteront toute notre attention dans les mois à venir. Ceci est d'autant plus important que la ministre a annoncé un projet de loi sur les patrimoines en 2013 et il est évident que notre commission aura un grand rôle à jouer à cette occasion. Avec le programme 175, qui regroupe les crédits de la mission « Culture » destinés à soutenir le patrimoine sous toutes ses formes, le ministère de la culture contribue aujourd'hui à l'effort budgétaire collectif proposé par le Gouvernement.

On observe une diminution des crédits en 2013 :

- de 5,5 % pour les autorisations d'engagement qui s'établissent à 760,49 millions d'euros ;

- et de 9,9 % des crédits de paiement qui s'élèvent à 775,92 millions d'euros.

Ceci constitue la plus forte baisse de la mission « Culture », en comparaison avec les programmes « Création » et « Transmission des savoirs ». Une bonne partie de la diminution des crédits est toutefois liée à l'achèvement de grands travaux (je pense ici au MuCEM ou aux Archives nationales) ou à l'annulation de projets comme la Maison de l'Histoire de France, qui avait d'ailleurs suscité de vives inquiétudes au sein de notre commission dès l'année dernière.

Seule l'action 2, relative à l'architecture, est préservée puisque ses crédits augmentent de 4,2 % en autorisations d'engagement et de 0,8 % en crédits de paiement. Je me félicite de cette bonne nouvelle pour le patrimoine de demain, et de la cohérence de l'action du ministère puisque le même effort est prévu dans le programme 224 « Transmission des savoirs ». Ces crédits vont permettre en 2013 de soutenir la profession d'architecte, et de valoriser la promotion de la qualité architecturale, urbaine et paysagère. 3,35 millions d'euros sont prévus pour accompagner la transformation des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) en aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (AVAP) en application de la loi dite « Grenelle 2 ». Parallèlement, la ministre a indiqué son souhait de revenir sur le délai couperet de 2015, ce dont je me réjouis car sur les 675 ZPPAUP, 100 d'entre elles au plus auraient été prêtes à devenir des AVAP dans les délais définis par la loi.

L'action 1 « Patrimoine monumental » enregistre des baisses de crédits importantes, jusqu'à 12,9 % pour les crédits de paiement qui s'établissent à 328 millions d'euros, tandis que les autorisations d'engagement, avec 339 millions d'euros, diminuent très peu (de 0,9 %). Les crédits de paiement hors grands projets s'élèvent à 297 millions d'euros. Si les crédits destinés à la restauration diminuent de 13,3 % par rapport à 2012, en revanche les autorisations d'engagement des crédits déconcentrés ont augmenté de 10 millions d'euros depuis 2 ans, ce qui est une bonne nouvelle pour nos territoires. Mais, au-delà du montant des crédits qui correspondent à l'effort budgétaire jugé nécessaire en temps de crise, je crois qu'il faut surtout s'inquiéter de deux phénomènes :

- le premier est la sous-consommation des crédits dont les acteurs de terrain comme la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC), le G8 ou le groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques (GMH) ressentent les effets. Tant les volumes consommés que le taux d'exécution des crédits de paiement ont chuté ces dernières années. On est ainsi passé d'un taux de plus de 93 % en 2004-2005 à 73 % en 2011. Cette tendance risque fortement de s'accentuer avec le désengagement des collectivités qui doivent faire des arbitrages, souvent au profit des dépenses sociales. L'effet multiplicateur des financements croisés agit aussi malheureusement à la baisse.

- le second concerne la réforme de la maîtrise d'ouvrage, désormais confiée aux propriétaires. Même si le code du patrimoine prévoit une assistance à maîtrise d'ouvrage, celle-ci est méconnue et peu utilisée, comme le montrent les tous premiers résultats d'une étude menée par l'observatoire de la réforme, structure mise en place en 2010.

Sans qu'aucune analyse chiffrée ne soit disponible, et au regard des témoignages relayés lors de mes auditions, je crois que les petites collectivités, les plus fragiles, se trouvent dans une situation difficile. La maîtrise d'ouvrage est une mission complexe qui requiert de fortes compétences techniques. Or l'architecte en chef des monuments historiques, qui jouait autrefois un rôle de juge et partie en diagnostiquant les travaux qu'il dirigeait ensuite, ne prodigue plus de conseils en amont.

Seules les collectivités les plus grandes parviennent à s'organiser pour pallier cette carence, sous forme de société d'économie mixte (SEM) ou d'agences par exemple. Il me semble urgent de demander à l'État d'agir, que ce soit au travers d'études réalisées par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC), ou à travers une mission de conseil que l'Observatoire des publics, des professionnels et des institutions de la culture (OPPIC), l'opérateur immobilier de la culture, pourrait réaliser compte tenu de son expérience de plus de deux ans en la matière. Le directeur général des patrimoines a en outre indiqué que le ministère rappellera très prochainement aux DRAC les possibilités d'avance existantes, pouvant aller jusqu'à 30 % du montant total de la subvention.

Les crédits de la politique muséale sont répartis entre deux actions : l'action 3 « Patrimoine des musées de France » et l'action 8 « Acquisitions et enrichissement des collections publiques ». Au sein de l'action 3 on note une baisse des crédits très mesurée, et, pour la première année, la budgétisation des 18 millions d'euros destinés à compenser la gratuité d'accès aux collections permanentes pour les 18-25 ans. En revanche les crédits d'acquisition chutent cette année de près de 49 %, ce qui devrait faciliter le travail de récolement qui doit s'achever en 2014. Les crédits de paiement en faveur des musées territoriaux sont maintenus, démontrant ici encore l'effort du ministère en direction de nos territoires.

Au-delà de la question des crédits, il me semble urgent de s'intéresser à la question du renouvellement du corps des conservateurs. Leur démographie est particulièrement inquiétante. A tire d'illustration, 60 % des conservateurs territoriaux partiront en retraite dans les dix prochaines années. Une réflexion a d'ailleurs été initiée avec le centre de formation de la fonction publique territoriale pour produire une étude sur l'ensemble des métiers de la conservation.

Je souhaite aussi relayer l'alerte lancée par l'association générale des conservateurs des collections publiques au sujet du patrimoine scientifique, technique et naturel (PSTN). Une réflexion interministérielle s'impose à mon sens afin que ce patrimoine, géré à la fois par le ministère de la culture (pour les effectifs) et par celui de l'enseignement supérieur et de la recherche (pour les crédits), ne soit plus systématiquement marginalisé.

Un rapide mot des Archives nationales, puisque le site de Pierrefitte va ouvrir en janvier prochain sa salle de lecture, ce qui pourrait d'ailleurs faire l'objet d'une visite de notre commission. Je souhaite simplement soulever la question de la numérisation qui constitue un enjeu pour les Archives nationales mais aussi et surtout pour les archives départementales puisque des sociétés privées proposent désormais leurs services pour la mise en ligne des documents. Il me semble que l'on pourrait à tout le moins réfléchir à une action de coordination et pourquoi pas à une plateforme commune et publique qui permettrait d'éviter un phénomène de privatisation des archives.

Enfin l'archéologie préventive, comme vous le savez, est en cours d'évaluation puisqu'une commission a débuté ses travaux et doit rendre un livre blanc en mars 2013. J'ajoute qu'aujourd'hui même ont lieu les premières rencontres nationales de l'archéologie préventive, le ministère ayant mis en oeuvre l'une des recommandations d'Yves Dauge et de notre collègue Pierre Bordier. En ce qui concerne le budget, j'attire votre attention sur l'article 63 du projet de loi de finances, rattaché à la mission « Culture ». Il propose de revenir sur l'exonération de la redevance d'archéologie préventive (RAP) des constructions individuelles, reprenant ainsi l'amendement que nous avions adopté, au sein de notre commission et au Sénat, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative en décembre dernier. L'assemblée nationale était malheureusement revenue sur sa version initiale. Je propose donc de donner un avis favorable à l'adoption de cet article pour trois raisons :

- c'est une question de justice sociale, puisqu'il n'y a pas de raison d'exonérer la construction de maisons individuelles alors que les logements sociaux sont soumis à la RAP ;

- ce choix est plus cohérent avec l'objectif de lutte contre l'étalement urbain ;

- enfin, j'y vois une raison économique puisque grâce à cet élargissement d'assiette on pourra atteindre le rendement nécessaire au bon fonctionnement de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), ce qui constitue la première condition pour réduire les délais de chantiers.

En conclusion, et au regard de toutes les observations que je viens de partager avec vous, je vous propose de rendre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture ».

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