Les réformes adoptées sous la précédente législature, qui ont fortement affecté les juridictions, pèsent lourdement sur ce budget. En même temps, la garde des sceaux porte un autre projet pour la justice. Signe tangible de ce changement, la priorité donnée à cette mission se traduit par une hausse de ses crédits de 4,3 % en 2013. Je salue cet effort significatif en période de difficultés budgétaires. Je le salue d'autant plus que, contrairement à l'an passé, les services judiciaires profitent autant de l'augmentation que l'administration pénitentiaire : leurs crédits progresseront de 3 %.
La priorité donnée à la justice se décline aussi en créations de postes : 150 pour les magistrats, 17 pour les greffiers en chef, 85 pour les greffiers. Le total, si l'on tient compte des 110 emplois de catégorie C supprimés, est de 142 ETPT. L'accent est légitimement mis sur deux juridictions en grande difficulté : l'instance, avec 50 postes de magistrats et 25 de greffiers, et l'application des peines, qui bénéficie de 70 postes de magistrats et de 12 de greffiers. Les 20 postes restants de magistrats se partagent pour moitié entre l'instruction, où la collégialité est désormais de mise, et les tribunaux pour enfants, qui doivent être présidés par un juge autre que celui qui a renvoyé le mineur devant la juridiction.
Les magistrats bénéficieront de la dernière tranche de la revalorisation indemnitaire prévue dans le cadre de la programmation budgétaire triennale. Les greffiers, eux, devront attendre 2015. Compte tenu de leur dévouement et de l'absence de revalorisation de leur grille indiciaire depuis plusieurs années, le Gouvernement, me semble-t-il, devrait s'engager à une revalorisation au moins partielle dès 2014.
En dépit des efforts du Gouvernement, deux points appellent notre vigilance. D'abord, la dotation pour les frais de justice en hausse de 15 % par rapport à l'an passé. Si la Chancellerie s'engage à apurer par cette augmentation les retards de paiement considérables des juridictions, la dépense reste dynamique. Les recommandations de la Cour des comptes sont à mettre en oeuvre sans tarder. Ensuite, l'aide juridictionnelle. Sur ce front, les nouvelles semblent plutôt bonnes puisque la dépense a baissé en 2012. Cela tient à une surévaluation de la réforme de la garde à vue mais aussi, ce qui est plus grave, à un défaut de disponibilité des avocats. À l'inverse, le produit de la contribution pour l'aide juridique semble moins important que prévu. Cette contribution, dont le Sénat avait voté la suppression l'an dernier, restreint-elle l'accès à la justice ? Les premiers chiffres disponibles le confirment : en 2011, les affaires civiles ont diminué de 7,3 %. La baisse est plus forte pour les contentieux de faible montant : le nombre de demandes d'injonctions de payer a baissé de 13 % entre les premiers semestres 2011 et 2012. La garde des sceaux a pris la sage décision de supprimer cette contribution dans le budget pour 2014. Les travaux de notre mission d'information arriveront à point nommé.
Trois réformes récentes méritaient un examen attentif, à commencer par la nouvelle organisation budgétaire des cours d'appel. Si elle n'a pas fait beaucoup de bruit, certains y voient une réforme rampante des cours d'appel ; je l'ai constaté à Dijon et à Montpellier où je me suis rendue. De la création d'un corps de fonctionnaires des greffes dans les années 1960 à l'attribution aux présidents de cours d'appel de la qualité d'ordonnateur secondaire en 2005, l'indépendance juridictionnelle allait jusqu'à présent de pair avec l'autonomie budgétaire. Puis, l'on a élevé, pour faciliter la mutualisation de certaines ressources, 14 cours d'appel au statut de budget opérationnel de programme interrégional et limité 23 autres cours d'appel au statut « d'unité opérationnelle ». Concrètement, c'était placer les secondes sous la tutelle des premières. Comment comprendre que Toulouse préside aux destinées budgétaires de Montpellier ? En tout cas, à Montpellier, on ne le comprend pas... La carte des BOP interrégionaux, parce qu'elle est calquée sur celle des plateformes interrégionales et, partant, de l'administration pénitentiaire, ne présente aucune cohérence avec l'activité juridictionnelle : Nîmes relève ainsi de Toulouse, Poitiers de Bordeaux, Orléans et Reims de Dijon. La ministre, dès son arrivée, a pris des mesures conservatoires pour garantir aux juridictions une marge d'autonomie budgétaire. En toute hypothèse, il faudra revenir sur ce dossier dans le cadre d'une véritable réforme des cours d'appel.
À considérer les exemples de Toulouse et de Dijon, la réforme des citoyens assesseurs est peu concluante : une procédure de sélection des candidats lourde et complexe, la charge importante que représente l'accueil des citoyens assesseurs dans les juridictions, l'allongement des délais d'audience - parfois le double ! - au détriment des justiciables, une procédure inadaptée au tribunal d'application des peines qui demande des compétences techniques particulières et, enfin, son coût d'au moins 35 millions en année pleine si elle était généralisée. Certes, l'expérience est très enrichissante pour les 534 citoyens assesseurs qui ont siégé au premier semestre 2012, mais ce bénéfice personnel vaut-il les inconvénients soulignés ? Surtout, la participation des citoyens, parce qu'elle est trop brève, ne peut pas être capitalisée. Réfléchissons à une autre façon d'associer les citoyens à la justice.
Enfin, la réforme de la scolarité des greffiers. L'ENG doit faire face à une augmentation très notable de son plan de charge qui correspond aux importants recrutements décidés les années passées. Les métiers du greffe évoluent : les directeurs s'apparentent de plus en plus à des gestionnaires soumis à une logique de performance, les greffiers, doivent s'adapter à la mutation des outils et développer des compétences d'encadrement intermédiaire. En outre, il faut tenir compte de l'élévation significative de leur niveau : recrutés à BAC +2, ils ont la plupart du temps BAC+4 ou +5. La réforme articule plus finement formation initiale à l'ENG, formation continue obligatoire dans les cinq ans après l'école et formation continue facultative. La question-clé est celle des stages, en particulier du dernier. Ce stage de pré-affectation dans le poste choisi par le stagiaire, d'une durée de six mois, représente un tiers de la scolarité à l'école. Le risque est de voir les stagiaires utilisés comme titulaires sans encadrement approprié. Pour s'en prémunir, plusieurs pistes sont envisageables : réduire la durée du stage ou supprimer la faculté d'instrumenter à l'égal des titulaires que le Conseil d'État a reconnue aux stagiaires.
Ce budget va dans le bon sens, un plan triennal consolide l'augmentation des crédits de la justice. Je propose de lui donner un avis favorable.