Intervention de Jean-René Lecerf

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 novembre 2012 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2013 — Mission « justice » programme « administration pénitentiaire » - examen du rapport pour avis

Photo de Jean-René LecerfJean-René Lecerf, rapporteur pour avis des crédits affectés au programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » :

Le budget de l'administration pénitentiaire marque des inflexions plutôt qu'une rupture évidente par rapport aux budgets précédents. Il connait une augmentation de 6% des crédits de paiement et des moyens de fonctionnement mieux ajustés aux dépenses constatées.

Toutefois, la priorité donnée aux aménagements de peine dans la continuité des orientations de la loi pénitentiaire ne trouve pas de traduction concrète, l'effort de création des emplois de conseillers d'insertion et de probation (CIP) demeurant décevant. Ensuite, le gouvernement a renoncé à porter à 80 000 le nombre de places de détention à l'horizon 2017. Si votre commission s'était interrogée sur cet objectif, la remise en cause du nouveau programme immobilier laisse cependant place à de nombreuses incertitudes sur les rénovations et les constructions à venir. Enfin, l'administration pénitentiaire et l'ensemble des acteurs ont besoin aujourd'hui d'un projet de nature à mobiliser les énergies et les volontés.

Les principes posés par la loi pénitentiaire ont, pour l'essentiel, conservé toute leur actualité. Pourtant, la dynamique des changements engagés avec cette loi s'est ralentie et, parfois, enrayée.

Certains indicateurs de performance ont été redéfinis dans le sens des souhaits exprimés par votre rapporteur l'an dernier. Alors que le nombre de détenus par cellule ne distinguait pas les maisons d'arrêt - où la surpopulation est permanente - des établissements pour peine, un nouvel indicateur porte spécifiquement sur les taux d'occupation des maisons d'arrêt. A contrario, alors que j'avais indiqué l'an passé que la sécurité des établissements devrait s'apprécier à l'aune du nombre d'incidents affectant non seulement les personnels mais aussi les personnes détenues, tel n'est pas le cas et les arguments qui nous sont opposés ne sont pas convaincants.

On peut en outre regretter le manque d'ambition des prévisions retenues pour plusieurs indicateurs. Le taux de personnes détenues supposées bénéficier d'une activité rémunérée n'a ainsi cessé d'être revu à la baisse. Dés lors, quid de l'obligation d'activité posée par la loi ?

Les marges de manoeuvre sont étroites. Le programme « Administration pénitentiaire » représente 41,5 % des crédits de la mission « Justice », soit une dotation en crédits de paiement de 3,2 milliards d'euros. L'évolution des crédits est largement déterminée par les créations d'emplois liées à l'ouverture des nouveaux établissements, ainsi que par les charges contractuelles dues aux partenaires privés pour les établissements en gestion déléguée.

Le plafond d'autorisations d'emplois pour 2013 s'élève à 35 700 ETPT contre 35 511 en 2012. Cette progression correspond à l'extension en année pleine de 74 ETPT décidée en 2012 et à la création de 165 ETPT. M. Henri Masse, directeur d'administration pénitentiaire, nous a indiqué que les crédits avaient été obtenus par la création de 715 emplois sur trois ans, complétés par des redéploiements, soit au total 787 emplois pour assurer l'ouverture des nouveaux établissements et 288 emplois pour accompagner les actions d'insertion et de probation.

L'organigramme des établissements est souvent sous-dimensionné au regard de la surpopulation carcérale et l'effectif réel des surveillants ne correspond pas à celui inscrit dans l'organigramme. Le transfert des missions d'extraction judiciaire s'avère extrêmement complexe et les créations d'emplois liés à l'insertion ou à la prévention de la récidive se limitent à 63. Est-ce à la mesure d'une politique ambitieuse d'aménagement des peines ? D'une façon générale toutefois, la situation des personnels a été améliorée, à l'exception des personnels de direction dont certains quittent cette administration.

Saluons un effort de sincérité du budget, ce qui n'empêche pas une double inquiétude : d'une part, l'enveloppe consacrée à la lutte contre l'indigence est ramenée de 4,8 millions d'euros à 2,8 millions d'euros et, d'autre part, la subvention accordée à l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) passe de 27,4 à 25,6 millions d'euros.

Autre aspect du programme, la lutte contre la surpopulation carcérale. Au 1er octobre 2012, le nombre de personnes écrouées détenues s'élevait à 66 704, soit 4 % de plus que l'an dernier. Au 1er septembre 2012, les établissements pénitentiaires disposaient de 57 385 places opérationnelles. Le nombre d'établissements présentant une densité supérieure à 120, 150 et même 200 % a augmenté depuis 2010. Toutefois, les situations étant très disparates selon les catégories d'établissements, le taux d'occupation moyen de 115 % n'est pas un indicateur pertinent. Aussi, convient-il sans doute de ne retenir que le nombre de détenus en surnombre calculé à partir des établissements surpeuplés. Face à cette pression, les réponses ont jusqu'à présent combiné augmentation des capacités de détention et aménagement des peines.

Le programme immobilier a aussi été profondément revu. Si le programme Perben, décidé par la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) en 2002 prévoyant la création de 13 200 et la fermeture de 2 485 places sera totalement réalisé en 2015, celui qui aurait dû prendre son relais sera profondément révisé. La France, qui devait en 2017 être dotée de 70 400 places, réparties en 62 500 cellules, disposera en fait de 61 303 places pour 52 490 cellules. Les modalités de financement, notamment liées aux partenariats public-privé (PPP), sont également remises en cause. Il est indispensable de revoir la taille de l'architecture des établissements pénitentiaires, tout en étant conscient que le coût de construction d'une cellule est inversement proportionnel à la capacité de la prison.

L'aménagement des peines constituant une alternative efficace et économique à l'accroissement des capacités de détention, les personnes condamnées à une peine inférieure à un an représentaient, au 1er janvier 2012, 36 % de la population sous écrou. La loi pénitentiaire a créé un cadre juridique très favorable à cette solution : désormais, en matière correctionnelle et hors condamnations en récidive légale, une peine d'emprisonnement ne peut être prononcée qu'en dernier recours. Lorsque c'est le cas, la peine doit faire l'objet d'un aménagement si la personnalité et la situation du condamné le permettent. Cependant, hormis le bracelet électronique qui s'est considérablement développé ces dernières années, les autres mesures d'aménagement, telles que la liberté conditionnelle, la semi-liberté ou le placement à l'extérieur, stagnent ou hélas se réduisent. L'objectif affiché de Mme Taubira d'un doublement du nombre des 8 000 placements sous surveillance électronique (PSE) laisse perplexe car cette solution fait trop rarement l'objet d'un accompagnement socio-éducatif. De même qu'une politique pénitentiaire ne se limite pas à l'augmentation du nombre de places, la politique d'aménagement ne saurait consister en une simple multiplication des bracelets. Des effectifs de conseillers d'insertion et de probation (CIP) demeurent insuffisants. Alors que l'étude d'impact annexée à la loi pénitentiaire estimait nécessaire de réduire de 80 à 60 le nombre de dossiers suivis par chaque CIP, ce ratio était de 88,4 au 1er janvier 2011. Enfin, si la lutte contre la récidive passe par le développement des aménagements, elle implique une évaluation de la dangerosité pendant la détention. C'est notamment à l'initiative de votre rapporteur que le champ de cette évaluation a été progressivement élargi, conduisant à multiplier les centres nationaux d'évaluation et à renforcer leur rôle. Au centre de Fresnes, se sont ajoutés ceux de Réau et de Lille Sequedin.

Les conditions de détention font l'objet d'un bilan très contrasté. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, M. Jean-Marie Delarue, observe que l'érosion des moyens de l'administration pénitentiaire entraîne une détérioration des conditions de détention. Les détenus sont amenés à cantiner des produits qui leur étaient auparavant fournis. Le progrès qu'a représenté la fixation à 8 euros par mois de l'accès à la télévision a entraîné des difficultés financières pour nombre d'associations culturelles qui vivaient du bénéfice réalisé grâce à ce service. La mise en cause de la responsabilité de l'Etat en raison des conditions de détention a connu une forte hausse, passant de moins de 50 000 euros pour la période 2007-2009 à 323 000 euros en 2011. Cette même année, 775 agressions physiques touchant 1016 membres du personnel ont été recensées, s'accompagnant d'une augmentation de leur taux de violence. Les agressions contre les détenus - 8 365 - ont crû de 7% et le nombre de suicides reste élevé (123 en 2011). La croissance des suicides chez les personnes bénéficiant d'un aménagement de peine pose la question du caractère insupportable du bracelet électronique pour certains détenus.

L'indispensable renforcement de la sécurité des personnes au sein des établissements renvoie en premier lieu à la question des fouilles. La sécurité des personnes constitue le premier argument avancé par les personnels en faveur de la pratique systématique des fouilles intégrales, en contradiction avec les principes de la loi pénitentiaire. En effet, les principes de nécessité et de proportionnalité ne sauraient être oubliés. Il convient notamment de multiplier les portiques à ondes millimétriques qui existent déjà à Lannemezan ou à Saint-Maur. Les 600 000 euros prévus dans le PLF 2013 permettant de financer 4 portiques : à ce rythme, il faudra sans doute tout le troisième millénaire pour équiper nos établissements... Les projections réalisées de l'extérieur vers la prison constituent un phénomène très préoccupant. Au cours du week-end précédent notre visite du centre pénitentiaire d'Avignon, pas moins de 108 colis introduits de cette façon avaient été retrouvés par les surveillants. Contre le trafic florissant de téléphones portables, l'administration pourrait développer les brouillages et faciliter l'accès aux points Phone.

Autre préoccupation, la lutte contre l'islamisme radical passe par la présence renforcée d'aumôniers musulmans suffisamment formés. Il s'agit de favoriser une pratique religieuse apaisée et l'éviction des imams autoproclamés. Quant à la prise en charge sanitaire des personnes détenues, elle a progressé notamment par la mise en place des unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) pour les soins somatiques et des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les soins psychiatriques.

La mobilisation est insuffisante en faveur de l'activité des détenus, qui est pourtant l'un des objectifs de la loi pénitentiaire. En 2011, 24 934 personnes détenues ont eu une activité rémunérée, soit un taux de 39%, demeuré stable. Comment mieux faire ? Sans doute par le développement des activités de la régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP), la multiplication des initiatives de l'administration pénitentiaire en complément des activités gérées par le secteur privé, ainsi qu'avec un peu d'imagination. Par exemple, à Douai, les détenus sont formés au tri sélectif des déchets, ce qui bénéficie à la prison et leur assure un emploi à la sortie pendant une durée minimale de six mois. Il conviendrait aussi de donner, comme je l'avais demandé, la priorité aux productions pénitentiaires dans les marchés publics et pour le moins hâter l'implantation de structures d'insertion par l'activité économique, sujet sur lequel les décrets d'application sont toujours en attente. Si la loi pénitentiaire avait prévu de remplacer la rémunération à la pièce par l'instauration d'un taux horaire minimum fixé par décret, cette mesure rencontre de vives réticences car elle risque d'évincer les détenus les plus fragiles.

Les possibilités d'intervention des régions doivent être élargies. Si en 2011, le nombre des détenus ayant bénéficié d'une formation professionnelle - 25 437 - a crû de 6,5 % par rapport à l'année précédente, les budgets consacrés à la formation n'ont cessé de se contracter. La décentralisation des actions de formation, envisagée par la loi pénitentiaire, bute sur la nécessité d'indemniser les partenaires privés délégataires de ces activités. Ce problème ayant conduit les régions Provence-Alpes-Côte-D'azur et Nord-Pas-de-Calais à renoncer à ce transfert, la solution doit passer par une modification des contrats des délégataires.

Je recommande un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

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