En même temps, les comptes publics sont, depuis longtemps, entrés dans le rouge, et ils le sont de plus en plus : dix années de gestion de droite ont profondément dégradé la situation du point de vue du déficit courant comme de la dette publique.
Je suis d’ailleurs toujours surprise d’entendre ceux-là mêmes qui étaient aux affaires hier nous conseiller sur la politique qu’il conviendrait de conduire aujourd’hui, notamment dans les matières fiscale et financière.
Comment peut-on, par exemple, accorder le moindre crédit aux assertions de ceux qui préconisent la maîtrise de la dépense publique et qui ont, entre autres dispositifs, étendu l’application des exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires, inventé la défiscalisation des heures supplémentaires, mis en place le coûteux dispositif de l’ISF-PME et appliqué en, dix ans, une réduction notoire des prélèvements sur les revenus les plus importants ?
Dans la loi de finances pour 2002, alors même que je participais pour la première fois à la discussion d’une loi de finances, le taux maximal de l’impôt sur le revenu était de 52, 75 % et nombre de nos impôts étaient plus productifs de ressources fiscales pour l’État qu’aujourd’hui.
Le grand mal dont souffre le budget de l’État est donc identifié de longue date : c’est celui de l’insuffisance des ressources budgétaires, une insuffisance générée par le mouvement perpétuel de mise en cause des recettes fiscales et de l’impôt, au nom du soutien à l’activité économique, politique qui a pourtant fait la brillante démonstration de son « efficacité » au fur et à mesure du gonflement de la dette publique…
C’est à dessein que je ne prendrai qu’un seul exemple pour illustrer mon propos, celui de la contribution économique territoriale, exemple ô combien pertinent, puisque nous sommes au Sénat.
Grande réforme du quinquennat précédent, présentée comme telle, en tout cas, pour répondre aux attentes des entreprises, la disparition de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, composée de la cotisation foncière des entreprises, perçue localement, et de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, elle, nationale, montre ses premiers effets.
D’abord, l’appel de fonds lancé aux entreprises s’est réduit, aux alentours de 4 milliards d’euros en moyenne par an, ce qui a automatiquement amélioré le rendement de l’impôt sur les sociétés au profit du budget de l’État.
Ensuite, si certaines industries ont vu leurs impositions locales se réduire, et souvent dans des proportions importantes, une partie de la charge fiscale a été reportée sur de plus petites entreprises.
Ainsi, dans le bonus fiscal des entreprises, on trouvait tout à la fois de véritables « gagnants », mais aussi beaucoup de petits « perdants », confrontés à une hausse soudaine de leur contribution.
Pour notre part, nous n’avons jamais partagé l’avis de ceux qui considèrent que cet impôt était imbécile et antiéconomique. On sait combien le tissu économique a bénéficié de l’intervention des collectivités pour se développer.
Nous ne pouvons nous satisfaire de la situation née de cette réforme.
Le pouvoir de lever l’impôt des élus locaux est désormais amoindri.
Pour ce qui est de développer l’emploi et l’investissement - cette réforme fiscale majeure avait été élaborée dans cet objectif, nous avait-t-on dit, au motif que les charges de cet impôt local constituaient une entrave à l’activité -, quel est le premier bilan ?
En 2012, l’investissement productif des entreprises est orienté à la baisse et l’INSEE estimait, à la fin du mois d’octobre, que le taux de chômage devrait atteindre 10, 6 % à la fin de l’année. Dans le même temps, les collectivités se retrouvent avec des ressources moins dynamiques, ce qui réduit leurs capacités d’action.
Réhabiliter l’impôt en tant qu’outil d’une politique publique au service du développement humain, voilà l’essentiel dans la conjoncture difficile qui est la nôtre.
La situation économique de notre pays est dégradée. Nous ne voyons pas, dans les orientations qui nous sont présentées comme dans le présent projet de loi de finances, de dispositif permettant de mettre réellement un terme à cette dégradation générale. Le pacte de compétitivité, dont nous parlerons bientôt, ne me semble pas non plus tirer toutes les leçons de l’expérience.
Le projet de loi de finances comporte un certain nombre de dispositions qui méritent d’être examinées avec le plus grand intérêt.
Il en est ainsi de l’article 15, animé du souci de combattre les dispositifs d’optimisation financière en cours dans les entreprises, ou de l’article 5, qui tend à traiter de la même manière revenus du capital et revenus du travail au titre de l’impôt sur le revenu.
Depuis plusieurs années, les sénateurs du groupe CRC mènent un patient et nécessaire combat contre les dispositifs dérogatoires au droit commun, contre les cadeaux fiscaux distribués sans discernement tant aux ménages les plus aisés qu’aux entreprises les plus puissantes et les plus florissantes. Il est donc normal que nous appréciions comme il convient toute mesure allant dans le bon sens en la matière.
Ainsi, nous apprécions, s’agissant de l’épargne populaire, notamment de l’épargne financière des ménages, au demeurant souvent limitée à un capital médian de 10 000 euros, la disparition des prélèvements forfaitaires libératoires, ce qui dispense enfin les épargnants les plus modestes du paiement inutile d’un impôt à la source sur le faible rendement de leur épargne, et ce par simple intégration dans les revenus soumis au barème général.
L’application de la progressivité du barème à l’ensemble des épargnants est l’une des avancées du projet de loi de finances pour 2013 dans le sens de la justice fiscale.
Mais à quoi servira la hausse globale du produit de l’impôt prévue dans le présent projet de loi de finances ? Servira-t-elle à doter de moyens supplémentaires les collectivités territoriales, qui rencontrent aujourd'hui des difficultés pour financer leurs investissements ? Hélas non, car la DGF va être gelée. En outre, l’enveloppe globale des concours de l’État aux collectivités va, elle aussi, connaître, en vertu de la loi de programmation, la réduction des moyens attribués par l’État.
Permettra-t-elle de répondre aux besoins collectifs ? Servira-t-elle notamment à construire des logements sociaux, indispensables pour répondre à une demande sans cesse plus pressante ? Non ! En effet, non seulement le budget du logement va connaître dans les années à venir une contraction, mais, de plus, on va encore prélever plusieurs centaines de millions d’euros sur les ressources des organismes d’HLM et des collecteurs du « 1 % logement » afin de permettre à l’État de se désengager de ses obligations dans ce domaine, sans égard pour les attentes de la collectivité et de la société.
Que des priorités aient été affirmées par le Gouvernement en matière de dépenses publiques – l’éducation, la sécurité, la justice, la recherche – ne nous dérange aucunement, bien au contraire. Tous ces domaines d’intervention ont été mis à mal ces dernières années, l’emploi public étant passé à la moulinette d’une révision générale des politiques publiques fondée sur des critères comptables. Mais que les priorités soient gagées sur de nouvelles coupes claires dans les effectifs des autres secteurs d’intervention publique ne nous paraît pas constituer une solution parfaitement admissible.
Ainsi, pour la vingtième année consécutive ou peu s’en faut, l’administration fiscale va connaître une nouvelle ponction sur ses effectifs budgétaires.
Pourtant, chacun sait pertinemment ici que la complexité grandissante de bien des procédures fiscales, le foisonnement des niches fiscales et des régimes particuliers, notamment pour les entreprises, constituent autant de bonnes raisons de laisser à l’administration fiscale et financière de l’État les moyens d’instruire, de décider et d’agir au nom de l’intérêt général et du respect de la loi fiscale. Sans compter que l’expansion du secteur public local est également un facteur de progression de la demande objective de services adressée à l’administration.
Cette politique de réduction des effectifs est contre-productive au moment même où la lutte contre la fraude fiscale devrait au contraire justifier au moins une stabilisation des moyens. À moins que la lutte contre la fraude fiscale ne soit pas encore élevée au rang de priorité, ce qui serait bien dommage…
Thierry Foucaud interviendra tout à l’heure et complétera notre point de vue sur ce projet de loi de finances. Toutefois, si aucune modification sensible, porteuse de sens, n’est apportée à ce texte, si aucune marque clairement de gauche n’est imprimée à ce texte – ce sera l’objet de nos amendements –, les sénatrices et les sénateurs du CRC ne pourront s’associer au soutien de ce projet de loi de finances.
L’attente de changement était forte en mai dernier : il convient maintenant, mes chers collègues, d’y répondre !