Nous avons donc besoin d’une expertise qui dépasse largement les connaissances dont nous disposons, les uns et les autres, dans cet hémicycle.
La durée des enseignements est de trente-cinq heures hebdomadaires. Ce sujet est au cœur de l’actualité. Il occupe d'ailleurs une place importante dans les discussions du congrès des maires de France, qui se tient en ce moment. Cela nous renvoie forcément à un débat sur une durée de cours hebdomadaires de trente-cinq heures, y compris, d’ailleurs, pour des jeunes dès l’âge de 14 ans.
Le fait que la production réalisée par les élèves et leurs maîtres professionnels soit vendue au seul bénéfice des écoles sans que les jeunes soient pour autant rémunérés pose également question.
Quant aux frais d’inscription demandés aux familles, ils sont, dans certains cas – certes pas dans toutes les écoles et pas pour toutes les familles – assez élevés. Ils peuvent atteindre 1 000 euros et viennent s’ajouter à l’achat de matériel.
Il est une autre question que nous ne devons pas éluder : le statut de bénévoles de la plupart des formateurs, notamment de ceux qui sont en charge de matières d’enseignement général.
Cependant, ces questions ne peuvent être posées sur le plan des seuls principes, sans prendre en compte les résultats obtenus par les écoles, que j’ai rappelés tout à l’heure. Ainsi, toutes ces légitimes interrogations rendent difficile une discussion sur une proposition de loi qui clarifie peu ces points, mais vise plutôt, pour des raisons que je comprends, à tailler sur mesure un dispositif. Celui-ci pourrait, comme les travaux de la commission l’ont révélé, cumuler les avantages de l’enseignement et ceux de l’apprentissage.
L’adoption de la proposition de loi se heurte, en outre, à des obstacles objectifs. Je les illustrerai par quelques exemples.
Quand l’article 2 prévoit de placer les écoles de production sous la responsabilité de mon ministère, je suis flatté, mais je ressens aussi un certain embarras. En effet, les seuls services et missions de mon ministère ne lui confèrent pas objectivement les compétences aujourd’hui nécessaires pour valider des méthodes pédagogiques. Cela signifie qu’au moins un autre ministère devrait être complètement associé à ce dossier et se voir attribuer la responsabilité de ces établissements.
De même, la rédaction de l’article 3 ne me paraît pas acceptable en l’état. On ne peut pas envisager le transfert du contrôle des écoles de production à l’inspection du travail alors même qu’une partie du public accueilli par ces établissements est âgée de 14 à 16 ans.
En effet, les jeunes concernés sont encore sous responsabilité scolaire, la scolarité étant obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans. Ils ne sont pas salariés, puisqu’ils sont inscrits dans ces établissements à un âge où l’enseignement est obligatoire. Ils relèvent donc nécessairement du ministère de l’éducation nationale, avec lequel – je tiens à le dire pour avoir rencontré Vincent Peillon sur ce sujet – je porte ce dossier en parfaite harmonie d’analyse.
À vrai dire, je pense que le dispositif des écoles de production tel qu’il est présenté par la proposition de loi de notre collègue mérite d’être examiné de plus près. Malgré les questions lourdes qui sont posées, je souhaite que le débat ne soit pas refermé d’une façon brutale et définitive.
D’ailleurs, par le passé, le ministère de l’éducation nationale a entrouvert la porte, reconnaissant, par un arrêté de 2006, six de ces écoles de production. De plus, deux rectorats, ceux de Grenoble et de Lyon, les associent lors de journées portes ouvertes organisées par le ministère de l’éducation nationale, notamment dans la région Rhône-Alpes.
Cependant, il faut tout de même être en mesure d’auditer davantage le dispositif, en le replaçant dans un cadre plus large. Cette expertise doit être approfondie. L’obtention de chiffres indépendants me semble nécessaire, puisque les seules données dont nous disposons nous sont fournies par la FNEP, la Fédération nationale des écoles de production.
De même, le label qui est proposé par la FNEP elle-même n’est pas satisfaisant ; je l’ai d’ailleurs dit au président de cette structure. Il faut y travailler, pour que ce label ait une vraie valeur, pour savoir, par exemple, qui en assure le respect, par quels contrôles et à quelle fréquence ; aujourd’hui, tous ces points ne sont pas clarifiés.
Il faut aussi réfléchir à la façon d’apporter les garanties nécessaires en matière d’enseignement théorique, d’enseignement professionnel et de déroulement pédagogique. Il est nécessaire d’apporter un niveau de garanties plus solides, et ce même si les taux de réussite aux examens sont indéniablement encourageants.
Enfin, il faut avoir une vue plus claire du fonctionnement et du financement des écoles.
En somme, tout cela nous montre que le texte n’est, en l’état, pas assez abouti. Je pense, à l’instar de votre rapporteur, que ce dispositif, au demeurant intéressant, doit être étudié au regard des autres systèmes alternatifs à l’enseignement scolaire, pour que l’on puisse, plus clairement, et dans un cadre juridique stabilisé, le positionner au sein des dispositifs classiquement appelés « de la deuxième chance », tels que les écoles de la deuxième chance ou les établissements publics d’insertion de la défense, les EPIDE. Il faut identifier la fonction, les publics et les financements de chacune de ces structures, mais aussi les passerelles qu’il convient de créer.
Nous gagnerions à reprendre l’ensemble de ces dispositifs, dont certains ont des points d’entrée communs avec les écoles de production. Il nous faut donner à cet ensemble une cohérence et une complémentarité, ce qui leur conférera aussi une plus grande visibilité.
Nous connaissons tous sur nos territoires des jeunes sortis du système scolaire sans diplôme et sans qualification. Nous les retrouvons dans les missions locales et les dispositifs d’insertion. J’en rencontre beaucoup en ce moment, parce que les emplois d’avenir sont un vrai succès. Ces derniers sont une chance pour ces jeunes, auxquels ils apportent une formation professionnelle. J’aurais d'ailleurs aimé que tout le monde vote ce dispositif qui, aujourd’hui, fait florès. Charge à nous, collectivement, de trouver les voies et moyens pour élaborer une solution de substitution à ce système, qui ne convient pas forcément à des jeunes insérés dans un système scolaire classique.
Cette réflexion pourrait être féconde. Je n’ai évidemment pas à indiquer au Sénat quelle est la marche à suivre. Pour ma part, je me demande si, d’aventure, il ne pourrait pas y avoir, non pas une commission pour enterrer cette idée, mais – pourquoi pas ? – une mission d’information commune à plusieurs commissions du Sénat. Grâce à cette structure, nous pourrions nous retrouver dans l’avenir sur des bases mieux partagées qu’elles ne le sont à ce jour.
En ce qui me concerne, j’y serai très attentif, car je connais – et pour cause ! – la qualité des travaux de la Haute Assemblée. Par le passé, un certain nombre de solutions copartagées entre plusieurs commissions ont permis de faire aboutir des dossiers qui semblaient complètement bouchés, en mettant en œuvre des solutions innovantes.
J’y serai d’autant plus attentif que ces travaux pourraient esquisser des pistes nous permettant de servir la priorité que le Président de la République et le Premier ministre ont définie, celle qui doit s’appliquer en faveur de la jeunesse. Telle est la voie que je vous suggère.