Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les mots « école » et « production » ont, dans mon esprit, beaucoup de mal à cohabiter, tant elles appartiennent à des champs sémantiques différents.
Dans ce débat sur la proposition de loi relative aux écoles de production, déposée par le vice-président du Sénat Jean-Claude Carle et plusieurs de ses collègues, nous, sénateurs du groupe socialiste, avons souhaité présenter une motion tendant à opposer la question préalable, car nous sommes en profond désaccord avec le texte proposé.
Chers collègues de l’opposition, vous présentez les écoles de production comme des établissements accueillant des jeunes en grande difficulté sociale afin de leur dispenser une formation diplômante, à la fois théorique et pratique. Selon vous, ces écoles forment chaque année plus de 500 jeunes en situation de rupture scolaire, voire sociale. Vous n’hésitez pas à vanter leur modèle original qui intègre, dans un même lieu, des cours théoriques, à l’image de ceux d’un centre d’enseignement classique, et une formation pratique, dans le cadre d’un atelier de production.
Vous affirmez que ce sont de véritables « écoles-entreprises », qui préparent les jeunes au certificat d’aptitude professionnelle, le CAP, et au baccalauréat professionnel en les mettant collectivement en situation professionnelle réelle, par le biais de réalisations de commandes aux conditions du marché pour des clients, industriels ou particuliers. Vous donnez quelques précisions sur leur fonctionnement : le jeune et son maître professionnel sont soumis aux exigences de l’économie réelle, en termes de coûts, de qualité et de délais.
Selon vous, cette alliance de la responsabilité et de l’accompagnement dans une œuvre commune avec le maître professionnel serait porteuse de beaucoup de sens : elle entraînerait très tôt le jeune dans une logique de réussite et de valorisation de ses capacités, exprimées non seulement dans un savoir-faire personnel, mais également par son intégration dans une équipe d’atelier. En effet, le jeune travaille non pas seulement pour des notes, mais aussi pour des clients, dont la satisfaction lui donnerait la conscience de sa propre dignité. Les commandes émanent d’ailleurs parfois de clients prestigieux, tels que la police scientifique, les bâtiments classés ou les industries de haute technologie.
Toujours selon vos dires, les écoles de production représenteraient un levier sûr et éprouvé pour conduire ces jeunes vers l’emploi durable, en termes de qualification aussi bien que d’insertion. Et le résultat serait extraordinaire : aux yeux des employeurs, affirmez-vous, le jeune ainsi formé apparaît comme étant déjà « du métier ». Vous ajoutez même que les écoles de production sont un lieu d’intégration progressive à la vie professionnelle et adulte, très apprécié des entreprises, les liens très forts noués avec les branches professionnelles étant là pour en témoigner.
Vous n’avez vraiment pas peur des mots ! Aux termes de l’exposé des motifs de la proposition de loi, « les écoles de production sont un chemin d’excellence pour tous et l’ensemble de leurs partenaires souhaitent leur développement, tant pour la qualité de la formation […] que pour la deuxième chance qu’elles offrent aux jeunes les plus en difficulté de notre pays ». Mais – car il y a un mais – les écoles de production souffrent aujourd’hui, toujours selon vous, de l’absence d’un cadre juridique suffisant, ce qui constitue un frein important à leur développement.
Et vous regrettez, bien que la première école de production ait été fondée il y a près de cent trente ans, que l’on n’en compte aujourd’hui que quinze en France. Elles resteraient peu connues hors de leur périmètre de recrutement, faute d’une reconnaissance juridique adéquate.
Vous souhaitez donc pallier ce manque afin de leur permettre de se développer et d’accueillir davantage de jeunes qui pourraient bénéficier ainsi de l’aide à la scolarité et des bourses nationales. Vous entendez également faire profiter les employeurs qui les soutiennent d’une exonération de la taxe d’apprentissage.
À cet instant de la discussion, si vous le voulez bien, je souhaiterais laisser de côté le tableau idyllique auquel vous essayez de nous faire croire pour revenir à la réalité.
Les écoles de production sont des établissements techniques privés hors contrat, qui assurent des formations allant du CAP au baccalauréat professionnel dans quelques secteurs limités tels que l’automobile, la chaudronnerie, la scierie, la menuiserie et l’ébénisterie.
Ces écoles fonctionnent comme des PME et répondent à la demande d’un marché en vendant leurs produits à des clients. Et c’est là que réside la grande différence avec un lycée professionnel public ou privé, dans lequel la pratique professionnelle ne sert qu’un objectif pédagogique et où la formation académique nourrit la formation professionnelle, favorisant ainsi l’enrichissement intellectuel et culturel des élèves le plus longtemps possible.
Surtout, et c’est là où le bât blesse, les écoles de production sont très liées aux branches professionnelles, et en particulier à l’UIMM. Certaines préparent ainsi à des certificats de qualification professionnelle et/ou à des certificats de compétence créés et délivrés par une branche professionnelle. Ces écoles préparent donc à la fois à des diplômes reconnus par l’État – CAP et bac professionnel – et à des titres professionnels reconnus uniquement par les employeurs et les branches professionnelles.
Les écoles de production revendiquent de s’adresser aux jeunes en rupture scolaire. Pourtant, il ne faut surtout pas les confondre avec des écoles de la deuxième chance. Celles-ci concernent des jeunes de 18 à 25 ans qui sont, eux, rémunérés au titre de la formation professionnelle pour leur activité.
En effet, les écoles de production scolarisent des jeunes de 14 ans, donc encore sous statut scolaire, qui ne sont pas rémunérés pour leur travail. Il y a là une façon choquante d’exploiter leur travail alors qu’ils ne sont encore que des enfants, …