Intervention de Dominique Bertinotti

Réunion du 14 novembre 2012 à 14h30
Financement de la sécurité sociale pour 2013 — Article 23, amendements 59 5

Dominique Bertinotti, ministre déléguée :

J’ai bien entendu les arguments des uns et des autres. Cependant, nous devons avoir présent à l’esprit que, si l’on diminue les recettes, il sera beaucoup plus difficile de tenir un certain nombre d’engagements sociaux sur l’ensemble de nos territoires. Par conséquent, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous appelle à examiner avec une très grande attention tout ce qui peut viser à réduire le niveau des recettes dans le cadre de ce PLFSS.

Je voudrais prendre le temps de revenir sur le débat très riche qui s’est tenu sur la fiscalité des bières, en réexpliquant dans le détail la raison pour laquelle cette mesure est proposée par le Gouvernement. Je souhaite décrire clairement et en toute transparence l’ensemble de ses incidences.

Nous pouvons sans doute en convenir, la mesure proposée vise à limiter la consommation d’alcool, particulièrement chez les jeunes. Permettez-moi de rappeler quelques chiffres en la matière. Avec 30 000 décès environ par an, l’alcool reste la deuxième cause évitable de mortalité par cancers, après le tabac. Et ce chiffre n’inclut pas les décès liés à des accidents de la route, lesquels concernent pourtant aussi des consommateurs d’alcool, souvent jeunes.

Selon l’INSERM, 80 % des jeunes de dix-sept ans ont bu de l’alcool au cours des trente derniers jours et 50 % ont pratiqué le binge drinking, autrement dit l’ivresse rapide, sur la même période.

Alors que la quantité d’alcool pur consommée par habitant sous forme de vin a été presque divisée par trois depuis cinquante ans, celle qui a été consommée sous forme de bière est restée stable, à 2, 5 litres par an. La part de la bière dans la quantité d’alcool pur consommée par les Français est passée de moins de 10 % à près de 20 %.

La bière, je tiens à le souligner, constitue le point d’entrée des jeunes dans l’alcool. Elle est la boisson qu’ils consomment le plus fréquemment.

Son très faible coût – je pense à la bière de premier prix vendue en supermarché, qui peut être assez fortement alcoolisée – contribue au maintien d’un accès à l’alcool par cette boisson. Je vous rappelle qu’il est possible de trouver des packs de bière de premier prix à 4, 5 degrés d’alcool pour 20 centimes d’euro le demi de 25 centilitres, soit le même prix au litre que l’eau de Contrexéville ou d’Évian. Une pinte de bière à 8 degrés peut être vendue pour 1 euro.

Le prix d’accès à la bière est donc extrêmement faible. Du reste, hors bière discount et campagne promotionnelle, on trouve dans les grandes surfaces le litre de « bière de luxe », mention qui figure sous un certain nombre de grandes marques, ou le litre de bière forte aux alentours de 2 euros. Ainsi, il est possible d’atteindre, avec un produit qui conserve une image largement positive et une qualité tout à fait acceptable, des états d’ébriété dépassés pour 5 à 6 euros.

Cette accessibilité de la bière s’explique en partie par le niveau de taxation français. En effet, pour ce qui concerne les droits d’accises sur la bière, la France se classe au vingt-deuxième rang sur les vingt-sept pays de l’Union européenne : ces droits sont six fois moindres qu’en Irlande, huit fois moindres qu’au Royaume-Uni, et près de douze fois moindres qu’aux Pays-Bas.

Les droits de consommation sur les alcools forts, qui figurent également parmi les boissons privilégiées pour parvenir à une alcoolisation rapide, ont été fortement relevés l’an dernier : de plus de 20 %.

La mesure qui vous est ici proposée a donc, très clairement, une finalité de santé publique.

Au-delà de ses motivations sanitaires, cette disposition produira des effets sur lesquels je tiens à insister eu égard aux propos erronés, parfois relayés par la presse, qui ont été tenus à ce sujet.

Premièrement, le dispositif est identique quel que soit le réseau de distribution. Cela signifie que la hausse ne sera pas plus forte en supermarché qu’au comptoir.

Deuxièmement, l’ampleur de l’augmentation est proportionnelle à la fois au volume et au degré d’alcool de la bière. Les droits d’accises augmenteront de 1, 2 centime par demi et par degré d’alcool. Autrement dit, l’augmentation sera de 5 centimes pour un demi de bière à 4, 5 degrés. Si, pour un demi ordinaire, la hausse du prix final est finalement plus importante, c’est parce que les acteurs en profiteront pour accroître leurs marges. Ces 5 centimes sont à rapporter au prix d’une bière vendue en grande surface, à savoir 20 centimes pour une bière discount et 50 centimes pour une bière de marque courante.

Pour un consommateur moyen, qui boit 32 litres de bière par an, et qui ne modifiera pas son comportement, l’impact de la mesure sera de 6 euros par an. Même pour un consommateur qui absorberait 100 litres de bière par an, ce qui représente une consommation de 2 litres par semaine, l’impact serait de 20 euros, soit 1, 60 euro par mois.

La hausse touchera plus fortement la consommation de volumes importants et/ou de bières plus fortes, ce qui est conforme à l’objectif recherché en termes de santé publique : rendre plus coûteux pour les jeunes l’accès aux produits qu’ils privilégient pour parvenir à une alcoolisation rapide.

La consommation conviviale au comptoir sera peu touchée : pour un demi à 2, 50 euros, une hausse de 5 centimes ne représente que 2 % d’augmentation. La dégustation de bière de qualité et de tradition régionale sera également peu concernée. Sur ces bières, aux prix plus élevés, la majoration sera peu significative en proportion du prix.

Les droits d’accises pratiqués en France se situeront ainsi dans la moyenne de l’Union européenne à vingt-sept et resteront très inférieurs à ceux qui sont appliqués dans les pays où la consommation de bière revêt une dimension culturelle plus marquée. Cela veut dire, très concrètement, que ces droits seront encore très loin de ceux des Pays-Bas, du Royaume-Uni ou de l’Irlande.

Un impact sur les prix pour les produits les plus alcoolisés ou les moins chers est une conséquence – je le dis avec une gravité pleinement assumée et même revendiquée – de l’augmentation des droits d’accises. Certains brasseurs estiment cependant qu’ils ne seront pas en mesure de répercuter la hausse sur les prix et qu’ils devront réduire leurs marges. Permettez-moi d’en douter au vu de la structure du marché et de la taille des acteurs, puisque le marché français de la bière connaît, à l’image du marché mondial, une très grande concentration industrielle, trois groupes internationaux – Carlsberg, Heineken et InBev – concentrant 85 % du marché.

Du fait de leur poids, ces grands groupes seront largement en situation de répercuter la hausse des droits dans les prix de vente aux grandes et moyennes surfaces, qui commercialisent 75 % des bières. Au reste, ils sont en bonne santé économique : Heineken a enregistré 800 millions d’euros environ de bénéfices au premier semestre de 2012 et Carlsberg, 1, 2 milliard d’euros en 2011.

Le texte issu de l’Assemblée nationale permet d’aboutir à un équilibre satisfaisant puisque l’ensemble des petits brasseurs – brassant tout de même jusqu’à 200 000 hectolitres par an – bénéficiera d’un taux réduit correspondant à 50 % du taux normal, soit l’abattement maximal autorisé par le droit communautaire. La hausse des droits d’accises sera donc plus faible pour les produits concernés. Ainsi, pour une bière comme la Ch’ti, produite dans une brasserie à 45 000 hectolitres par an, la hausse sera plus de deux fois moindre que pour une bière de grande brasserie au même titre d’alcool : sur un demi à 6, 4 degrés, moins de 3 centimes d’euros, contre 7 centimes.

Par ailleurs, il me paraît clair que le développement des petits brasseurs relève d’un attrait du consommateur pour la spécificité de leur offre : terroir, goût typé, arôme particulier, image d’authenticité, aspect artisanal et haut niveau de qualité des produits. L’effet de droits d’accises modiques sur les prix de ces produits plus coûteux sera donc très limité.

Il faut rappeler également que la taxation ne portera que sur la consommation française. Les bières produites en France et exportées ne seront pas taxées, à l’inverse des bières étrangères importées, soumises en France aux mêmes prélèvements que les bières produites sur le territoire national.

Enfin, s’agissant de la filière brassicole, il convient de noter que 80 % environ de la production nationale de houblon et de malt est destinée à l’exportation.

Je vous appelle, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom de la cohérence, de la responsabilité, de l’intérêt général et du respect du droit communautaire, à faire preuve de responsabilité en la matière.

Je conclurai en disant qu’il n’existe aucun argument rationnel permettant de démontrer, d’une part, que le relèvement des droits d’accises sur les bières proposé dans ce PLFSS ne constitue pas une mesure de santé publique, d’autre part, que son impact tant sur le pouvoir d’achat que sur la filière est disproportionné.

En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, à l’exception des amendements n° 5 et 59 rectifié bis, sur lesquels il s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée.

Je laisse volontairement de côté la question du sous-amendement à l’amendement n° 301 rectifié, que M. le rapporteur général ne nous a pas encore présenté.

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