Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 12 novembre 2012 à 15h00
Financement de la sécurité sociale pour 2013 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, avec un objectif de dépense pour 2013 de 13, 3 milliards d’euros pour l’ensemble des régimes de base et de 11, 9 milliards d'euros pour le régime général, la branche accidents du travail et maladies professionnelles devrait renouer avec les excédents après quatre années de déficit. Les prévisions qui figurent à l’annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 permettent d’espérer que la capacité de la branche à dégager un solde financier positif va non seulement se maintenir, mais même s’accroître sur les cinq prochaines années.

On peut se réjouir de ces perspectives. Néanmoins, elles apparaissent surtout comme un retour à la normale pour une branche dont la vocation assurantielle est établie depuis 1898, qui, à ce titre, a une obligation d’équilibre et dont les charges doivent être assumées par les cotisations patronales à l’exclusion de toute autre forme de financement, ainsi que l’a rappelé le Premier président de la Cour des comptes lors de son audition par notre commission.

Le cumul de déficits entre 2009 et 2012 a entraîné un besoin de financement annuel de 2, 2 milliards d’euros de la branche dans les comptes de l’ACOSS, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale – 1, 7 milliard d'euros de déficit structurel et environ 500 millions d'euros de besoins en fonds de roulement –, problème qui n’a pas été traité de manière satisfaisante précédemment.

Le premier objectif de la branche est donc d’apurer ce déficit. Dans cette perspective, le Gouvernement et les partenaires ont pris l’engagement d’affecter les excédents de la branche à la réduction du déficit cumulé et ont accepté une augmentation modérée de 0, 05 point de cotisation pour 2013. D’après les prévisions de l’annexe B, la branche aura couvert ses déficits en 2016. Cette perspective est néanmoins lointaine, et j’ai tendance à penser qu’une augmentation légèrement supérieure des cotisations, de l’ordre de 0, 1 point par exemple, aurait été préférable afin d’accélérer le processus.

Le Gouvernement a préféré faire un choix acceptable par l’ensemble des partenaires sociaux, ce qui est conforme au paritarisme qui caractérise le régime de la branche : c’est ce qui est ressorti des auditions des représentants des organisations professionnelles, patronales et salariales, que nous avons organisées.

Plusieurs sujets d’inquiétude demeurent néanmoins.

Le premier d’entre eux est que les excédents modestes de 2013 – 400 millions d’euros environ – reposent, pour une large part, sur la baisse de deux des transferts à la charge de la branche, au bénéfice respectivement de la CNAV et du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA. Le transfert à la branche vieillesse lié à la pénibilité est nul cette année et, même s’il doit augmenter, il a sans doute vocation à rester bas, étant donné le caractère très restrictif des critères choisis ; c’est ce qu’a souligné Christiane Demontès dans son rapport. Cependant, tel n’est pas le cas du transfert au bénéfice du FIVA, dont la dotation est réduite de 200 millions d'euros pour 2013 en raison de l’importance du fonds de roulement de cet organisme, mais a vocation à revenir dès 2014 à son niveau de 2012, soit environ 315 millions d’euros, d’autant que le budget de la santé prévoit une absence de dotation de l’État au FIVA pour les trois prochaines années, ce qui me paraît très hypothétique et non conforme au souhait exprimé par notre mission commune d’information sur le bilan et les conséquences de la contamination par l’amiante de 2005, qui estimait que l’apport de l’État devait représenter 30 % des besoins du fonds.

D’autres transferts supportés par la branche sont susceptibles d’augmenter au cours des prochaines années. La commission Diricq, chargée d’évaluer le montant de la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles, doit se réunir en 2014. Jusqu’à présent, chacun de ses rapports a conduit à une augmentation du transfert vers la Caisse nationale d’assurance maladie, la CNAM, ce qui, à mon sens, n’est pas une fatalité.

Enfin, les recettes sur les prochaines années sont particulièrement sensibles, chacun le sait, à l’évolution de la masse salariale.

Dans ce contexte, comme Catherine Deroche et moi-même l’avions souligné dans notre rapport devant la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, il apparaît particulièrement important que la branche ne soit pas grevée par des dépenses qui ne lui incombent pas ou qui se révèlent excessives. Une dotation de 10 millions d’euros en faveur du Fonds national de soutien relatif à la pénibilité a ainsi été inscrite dans les dépenses de la branche dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Or ce fonds, créé par la loi portant réforme des retraites, ne distribue des aides aux entreprises que depuis le mois d’avril 2012, et les résultats, après un premier semestre de mise en œuvre, semblent particulièrement décevants : moins de 15 000 euros ont été distribués. Les critères de pénibilité adoptés lors de la réforme des retraites expliquent certainement cette situation, comme nous avions eu l’occasion de le signaler lors des débats. Il est souhaitable que la notion de pénibilité soit redéfinie en concertation avec les partenaires sociaux.

En dehors du régime général, la tentation d’affecter les excédents des régimes accidents du travail-maladies professionnelles aux régimes déficitaires perdure, comme le montre l’affectation cette année de 450 millions d’euros du Fonds d’allocation temporaire d’invalidité des agents des collectivités locales, le FATIACL, au profit de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Ce point important ne manque pas de susciter des interrogations.

Les régimes AT-MP doivent conserver des marges de manœuvre financières si l’on veut qu’ils puissent faire face aux problèmes essentiels qui se posent à eux. Que l’on ne se fasse pas d’illusions : c’est l’existence même de ces régimes qui sera remise en cause s’ils ne parviennent pas à transformer leur approche de la prévention et de la réparation, qui sont leur raison d’être.

Dix ans après les critiques sévères émises par la Cour des comptes dans son rapport sur la gestion du risque AT-MP, les dépenses de prévention ne représentent que 3 % des dépenses de la branche et les crédits alloués restent sous-utilisés par les entreprises, ce qui pose également question.

Parallèlement, le taux de reconnaissance des maladies professionnelles continue à varier en fonction des caisses. En outre, le caractère forfaitaire de la réparation est l’objet de critiques constantes.

Les partenaires sociaux sont conscients de ces limites et ont déjà engagé des réformes, notamment une réforme de la tarification, qui entre en application à partir de cette année. Dans le cadre de l’élaboration de la prochaine convention d’objectifs et de gestion, la prévention et la meilleure prise en charge des victimes du travail figurent de manière prééminente dans les orientations approuvées par le patronat et les syndicats de salariés. On ne peut que souscrire à cet objectif.

Il est important de noter à quel point le régime mis en place en 1898, si décrié par la doctrine juridique, suscite pourtant l’adhésion des partenaires sociaux, qui souhaitent le faire vivre et évoluer. J’ai pu constater qu’ils se sont engagés dans une démarche d’innovation, en prenant en compte notamment les meilleures pratiques européennes. L’évolution de la branche AT-MP sera l’un des sujets importants des prochaines années.

Ce sont les partenaires sociaux qui font vivre la branche AT-MP, mais, pour cela, il leur faut des moyens.

J’en viens maintenant aux articles relatifs à la branche AT-MP qui figurent dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2013. Après l’examen de ce texte par l’Assemblée nationale, ils sont au nombre de sept. Au-delà de l’article 70 relatif aux objectifs de dépense et des articles 68 et 69, qui fixent le montant des transferts vers l’assurance maladie et vers les fonds dédiés aux victimes de l’amiante respectivement et dont j’ai déjà abordé les enjeux, quatre articles méritent un examen plus particulier.

L’article 65 met en place une réforme de la prise en charge de la tierce personne pour les victimes du travail ayant besoin d’une aide pour les actes de la vie quotidienne. L’ancien système, qui consistait en une majoration de rente, aboutissait à calculer le montant alloué à la victime sur la base de ses revenus antérieurs. Le Gouvernement propose de mettre en place un système de prestation fondé sur les besoins de la personne handicapée. Sous réserve d’une précision que vous pourrez peut-être nous apporter, madame la ministre, en nous assurant que les aidants familiaux sont bien inclus dans le périmètre de la mesure, cet article très positif reçoit notre totale adhésion.

L’article 66 a pour objet de résoudre une difficulté pratique et procédurale et de garantir que la branche, qui avance à la victime d’une faute inexcusable de l’employeur le montant total de son indemnisation, pourra obtenir le remboursement de cette somme par l’employeur fautif. Les sommes dues seront ainsi perçues en capital, et non plus sous la forme d’une majoration de cotisation, ce qui limitera le risque lié à la disparition de l’entreprise.

Par ailleurs, l’employeur ne pourra plus se prévaloir des carences de la caisse dans le cadre de la procédure administrative pour faire échec au recouvrement des sommes avancées en application d’une décision du juge judiciaire. Cette pratique, qui est essentiellement celle de grands groupes industriels, coûte plusieurs millions d’euros chaque année à la branche et il est heureux qu’il y soit mis fin.

Je souhaite néanmoins que nous abordions la question plus large de l’indemnisation des victimes d’une faute inexcusable, qui n’est pas pleinement tranchée depuis la décision du Conseil constitutionnel de 2010 élargissant le nombre des préjudices indemnisables.

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