Intervention de Mireille Schurch

Réunion du 11 septembre 2012 à 15h00
Logement — Discussion d'un projet de loi en procédure accélérée

Photo de Mireille SchurchMireille Schurch :

Vous identifiez au travers de votre projet de loi deux leviers pour réengager une politique publique du logement : la mise à disposition du foncier public et le renforcement de la loi SRU. Nous partageons pleinement l’objectif affiché de relance de la construction de logements accessibles, notamment en intervenant sur la question foncière.

Pour cette raison, nous avons demandé que ce projet de loi fasse l’objet d’une discussion commune avec la proposition de loi pour une stratégie foncière publique en faveur du logement que nous avons déposée le 30 juillet dernier. La conférence des présidents a accédé à cette demande légitime. Aussi, au-delà des remarques que je formulerai sur le dispositif proposé par le Gouvernement, je m’attacherai dans mon intervention à vous expliquer pourquoi nous estimons que ces deux textes peuvent utilement s’articuler.

Au préalable, c’est la définition même de visée de la politique du logement que devons identifier. À nos yeux, cet objectif doit être prioritairement la « démarchandisation » de la politique du logement.

En effet, depuis des décennies, le logement a été progressivement enfermé dans une conception marchande, étant reconnu non plus comme un bien de première nécessité, mais comme un simple objet marchand de consommation et de spéculation. Une telle conception a permis le développement d’un marché foncier et immobilier particulièrement lucratif, notamment pour les banques et les investisseurs.

Parallèlement, l’intervention publique s’est déplacée, passant d’une aide directe à la construction à une politique d’incitation fiscale faite d’exonérations et de niches fiscales.

Les acteurs du logement ont donc été amenés à se substituer à l’État : ce sont les organismes d’HLM, le 1 % logement et les collectivités territoriales. Ces dernières, comme M. le rapporteur l’a rappelé, ont assuré la part déterminante de l’investissement pour la construction de logements locatifs sociaux.

Aujourd’hui, on est arrivé au bout de cette logique d’externalisation : tous les acteurs du logement sont dans une situation financière exsangue qui ne leur permet plus d’assumer ce transfert de compétence. Cette situation dramatique ne peut perdurer.

C’est pourquoi nous sommes satisfaits que ce gouvernement affiche comme un objectif politique prioritaire la construction de 500 000 logements, dont 150 000 logements locatifs sociaux.

La réalisation de ces objectifs suppose d’identifier les facteurs qui bloquent concrètement la construction, mais également de redéfinir la place de l’État et les outils dont il dispose pour rendre possible cet effort.

De ce point de vue, madame la ministre, vous avez parfaitement raison de considérer le foncier, support de toute construction, comme un levier majeur.

Ce levier est d’autant plus important qu’il agit également sur la conception même que nous avons de l’utilisation de l’espace et de la construction de la cité comme lieu de reproduction des inégalités sociales et territoriales ou, au contraire, de lutte contre celles-ci.

En effet, s’il n’y a pas d’intervention publique et qu’on laisse le marché foncier, hautement spéculatif, réguler la construction des villes, non seulement on favorise l’étalement urbain, mais on condamne également toute possibilité de mixité sociale, les populations les plus fragiles se trouvant reléguées à la périphérie.

Madame la ministre, vous préconisez de limiter le poids de l’acquisition foncière pour relancer concrètement la construction de logements publics, notamment en cœur d’agglomération.

Plus précisément, votre projet de loi prévoit de revoir le mécanisme de cession des terrains de l’État et des établissements publics en permettant une décote qui peut aller jusqu’à la gratuité pour la construction de logements sociaux.

Vous avez identifié 930 terrains appartenant à l’État ou à ses établissements publics et dont la cession permettrait de construire 110 000 logements sociaux.

Sans être opposés à ce dispositif, qui favorisera de manière ponctuelle le lancement d’opérations de construction, nous considérons qu’il ne peut pas constituer une réponse suffisante et pérenne sur le fond.

En effet, céder les terrains publics à moindre coût n’influe en rien sur la spéculation foncière et immobilière qui sévit sur le reste des sols. Nous savons tous que, quand bien même tous les terrains de l’État seraient cédés, la crise du logement ne serait pas résolue.

C’est donc bien à un mécanisme plus général de lutte contre la spéculation sur les sols que nous devons réfléchir.

Par ailleurs, nous tenons à ce que ces cessions de terrains ne se traduisent pas par une amputation de la présence d’autres services publics.

En effet, alors que la droite au pouvoir a mené des politiques de rétractation de la présence des services publics, par exemple des services ferroviaires ou hospitaliers, il ne faudrait pas que la nouvelle politique achève de dégrader les services publics qui ont commencé à l’être.

Nous considérons également que le mécanisme institué par le présent projet de loi n’offre pas des garanties suffisantes que l’objectif affiché sera atteint.

Puisqu’il s’agit de libérer le foncier public pour la construction de logements, nous souhaiterions que la décote intégrale puisse être appliquée seulement si, sur le terrain cédé, la moitié au moins des logements construits sont des logements locatifs sociaux, à l’instar de ce qui existe déjà aujourd’hui dans les départements d’outre-mer. Madame la ministre, rien dans votre dispositif n’impose en effet que les projets mis en œuvre sur ces terrains soient orientés de manière déterminante vers la construction de logements locatifs sociaux.

Nous considérons également que, si les objectifs définis par voie de convention entre l’État et l’acquéreur ne sont pas atteints au bout de cinq années, la sanction doit être réellement dissuasive et prendre la forme de la résolution automatique de la vente plutôt que du remboursement de la décote.

Les amendements que nous avons déposés devraient satisfaire le Gouvernement et la majorité parlementaire, puisqu’ils tendent à garantir que l’objectif du présent projet de loi sera réellement atteint, c’est-à-dire que le foncier public sera mobilisé pour la construction de logements accessibles.

S’agissant de l’action sur le foncier, nous avons présenté plusieurs mesures complémentaires dans notre proposition de loi pour une stratégie foncière publique en faveur du logement.

Premièrement, nous considérons comme un préalable indispensable qu’une action soit menée sur la définition même de la valeur foncière de l’ensemble des sols, qu’ils soient propriété de l’État ou non.

En effet, l’absence actuelle de contraintes pesant sur les ventes foncières et immobilières permet la création de plus-values très importantes, résultant non seulement de la localisation unique du foncier, mais aussi des investissements publics en termes d’équipements. Nous assistons ainsi à une captation privée de plus-values liées à des investissements publics, ce qui nous semble particulièrement contestable.

Il conviendrait donc, à nos yeux, que le Gouvernement travaille à la définition d’un mécanisme permettant de réguler la valeur du foncier, à l’image du dispositif créé pour bloquer les loyers. Selon nous, il faudrait prendre pour référence des indicateurs concrets, notamment l’indice de la construction – même si celui-ci connaît également une hausse importante.

Il serait également souhaitable, pour éviter les surcoûts fonciers dans les opérations d’aménagement d’utilité publique, de fixer le coût foncier au jour de la définition d’un périmètre d’opération, ce coût étant ensuite révisé suivant l’évolution de l’indice de la construction.

Par ailleurs, nous considérons qu’il est nécessaire de renforcer les outils permettant à la puissance publique d’agir de manière pérenne sur le levier foncier, afin de permettre la construction effective de logements publics accessibles.

C’est pourquoi, pour notre part, nous préconisons la création d’une agence nationale foncière pour le logement, qui répondrait à plusieurs finalités.

Il s’agit tout d’abord de réaffirmer que le logement est une compétence de l’État, seul échelon garantissant la solidarité nationale.

Il s’agit ensuite de sortir de la logique de fiscalisation de l’aide publique au logement et de renforcer l’aide directe de l’État à la construction. Cette aide doit passer non seulement par le subventionnement de la construction, mais aussi, de façon directe, par les acquisitions foncières et immobilières nécessaires aux opérations publiques de construction de logements.

Pour cette raison, nous estimons que la création d’une agence qui soit un véritable acteur foncier est plus intéressante que la constitution d’un énième fonds tel que celui qui est prévu à l’article 10 du projet de loi.

Il s’agit enfin de sortir les collectivités territoriales et les opérateurs publics des difficultés qu’ils connaissent aujourd’hui lorsqu’ils souhaitent participer à l’effort de construction, en reportant sur cette agence nationale foncière l’effort financier d’acquisition de terrains, qu’ils soient publics ou privés.

Concrètement, et cela constituerait une innovation majeure, cette agence acquerrait des terrains ou de l’immobilier afin de constituer un domaine public de l’État qui, sanctuarisé, servirait de support à la construction de logements sociaux dans un objectif d’intérêt général. Cette logique va exactement à l’inverse de celle de la loi Boutin, qui pousse à la vente du patrimoine HLM.

Dans ce cadre, on pourrait parfaitement imaginer que les 930 terrains identifiés soient aujourd’hui cédés à cette agence.

Si leur propriété foncière appartiendrait à la puissance publique, l’usufruit serait, pour sa part, confié aux différents opérateurs de construction, par un recours aux baux emphytéotiques à construction et/ou à réhabilitation.

Par ailleurs, afin de lutter contre les disparités territoriales, il convient que la loi autorise cette agence à intervenir directement sur le territoire des collectivités ne respectant pas les obligations fixées à l’article 55 de la loi SRU.

Nous proposons que le préfet, lorsqu’il aura constaté la carence d’une commune au regard de ces obligations, conclue une convention avec l’agence nationale foncière en vue de la construction ou de l’acquisition des logements sociaux nécessaires à la réalisation des objectifs fixés dans le programme local de l’habitat ou déterminés en application du premier alinéa de l’article L. 302-8 du code de la construction et de l’habitation.

Pour ce faire, l’agence bénéficierait en propre et de droit, sur un périmètre défini par la convention, de droits de préemption et d’expropriation.

L’ensemble des acteurs du logement seraient représentés au sein des organes de gouvernance de cette agence : l’État, les collectivités territoriales, les bailleurs sociaux et les représentants des locataires.

Des antennes régionales de l’agence seraient créées afin de mettre en œuvre les missions dévolues à ce nouvel outil au plus près des territoires et des réalités locales. Ces antennes seraient les interlocuteurs privilégiés des partenaires locaux de l’agence : les collectivités territoriales et les organismes d’HLM ainsi que les établissements publics fonciers locaux qui sont des outils d’aménagement extrêmement importants.

À ce titre, je souligne que nous souhaitons favoriser la reconnaissance de la mission d’intérêt général confiée à ces établissements fonciers, qui permettent la réalisation concrète des politiques d’aménagement définies par les collectivités territoriales, et ce à tous les échelons locaux, départementaux ou régionaux

Nous estimons cependant qu’il ne faut pas confondre les missions des différents acteurs : les établissements publics fonciers rendent possibles des politiques d’aménagement, alors que l’agence dont nous vous proposons la création détiendrait une responsabilité particulière dans le domaine du logement.

Pour financer cette agence et lui permettre de remplir ses missions, en plus de nécessaires subsides de l’État, nous revenons à un principe simple : les pénalités financières liées à l’absence de construction permettant de garantir le droit au logement doivent servir à la construction de logements. Nous proposons d’affecter à cette agence les astreintes prévues par la loi DALO. Par ailleurs, eu égard au rôle particulier confié à l’agence nationale foncière pour la construction de logements sur le territoire des communes ne respectant pas les obligations fixées par la loi SRU, il conviendrait de lui affecter aussi les astreintes financières payées par les communes délinquantes. §

J’en viens tout naturellement au deuxième objectif du présent projet de loi : le renforcement des obligations prévues par la loi SRU.

Madame la ministre, vous proposez de porter à 25 % l’objectif de construction de logements sociaux. Nous sommes d’accord avec votre volonté de renforcer les objectifs comme les sanctions.

Aujourd’hui, alors que la loi SRU a dix ans, nombre de maires sont encore hors la loi : ils aiment mieux payer les pénalités que de construire du logement social, arguant que celui-ci défigurerait les villes…

En plus d’être très désagréable à entendre, cet argument est particulièrement faux, puisque les grandes innovations architecturales ont souvent été réalisées dans le cadre de programmes de construction de logements sociaux !

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