Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 9 octobre 2012 à 14h30
Bisphénol a — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Marisol Touraine :

Monsieur le président, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de pouvoir intervenir devant vous à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi, déjà ancienne, puisqu’elle a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale voilà plusieurs mois. Cette discussion intervient dans un contexte particulier, sur lequel je souhaite attirer votre attention.

Le texte soumis à votre examen témoigne en effet d’une prise de conscience, dont nous devons, me semble-t-il, collectivement nous réjouir. En matière de santé publique, la protection de nos concitoyens doit, seule, dicter notre action et nous devons être intransigeants sur ce point. L’application du principe de précaution n’est pas une sanction, or elle est trop souvent présentée comme telle !

Pour le Gouvernement, les choses sont claires : dès lors que la santé de nos concitoyens est en jeu, la question des intérêts des industriels revêt une importance relative. Cette règle est intangible.

Nous savons désormais que la qualité de l’environnement est un déterminant fondamental de notre état de santé. L’impact sanitaire de certains produits fabriqués est devenu une préoccupation nationale et communautaire majeure. Nous ignorons la composition de nombreux objets qui nous entourent : il est donc parfaitement légitime de nous interroger sur leurs effets pour notre santé. Dans certains cas, leur caractère nocif est avéré. C’est pourquoi l’initiative REACH doit être soutenue et amplifiée : elle permet de développer une base étendue de connaissances sur les produits utilisés dans les pays de l’Union européenne.

Je profite de cette intervention pour rendre hommage à l’engagement précurseur en la matière d’un parlementaire, non pas sénateur mais député, je veux parler de Gérard Bapt. Sa croisade contre le bisphénol A a débuté en 2009. À cette date, il fait interdire dans sa commune de Saint-Jean, en Haute-Garonne, l’utilisation des biberons au bisphénol. En 2010, la mobilisation de l’opposition d’alors, à l’Assemblée nationale, nous a permis de franchir une première étape décisive, puisque l’interdiction de l’utilisation des biberons contenant du bisphénol A a été votée à l’unanimité par les deux assemblées. Aujourd’hui, il s’agit de franchir une étape supplémentaire.

Le bisphénol A fait l’objet d’une vigilance particulière à l’échelon international et national, de nombreuses études relatives à ses effets nocifs sur la santé ayant alerté les pouvoirs publics. En raison de la ressemblance de sa molécule avec celle des œstrogènes, on sait depuis longtemps que le bisphénol A est un perturbateur endocrinien. Les premières interrogations sur ses effets datent des années trente ! Pourtant, il a fallu attendre 2010 pour que l’ex-Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, reconnaisse la présence de « signaux d’alerte » dans les études scientifiques.

En 2011, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, accable un peu plus le bisphénol A : les risques encourus par l’homme seraient accrus durant certaines périodes de la vie. Seraient plus particulièrement concernées des populations dites « fragiles », telles que les nourrissons, les femmes enceintes ou les femmes allaitantes. Face à de telles incertitudes, qui ne portent donc plus uniquement sur les nouveau-nés, il serait irresponsable de ne pas appliquer strictement le principe de précaution.

Les données dont nous disposons nous permettent d’établir deux conclusions : tout d’abord, il a été démontré que le bisphénol A est toxique pour l’animal ; ensuite, nous savons que cette molécule est directement associée à certaines pathologies humaines, en particulier les maladies métaboliques ou cardiovasculaires – je pense aussi au développement des cas d’obésité, dont les enfants et les adolescents sont les premières victimes.

Puisqu’il s’agit de santé publique, il nous faut dire clairement que nous ne pouvons pas laisser faire, le risque ne devant pas être supporté par le consommateur. Le rôle des pouvoirs publics est d’encadrer, de réglementer, de contrôler et, le cas échéant, de sanctionner. La responsabilité du décideur public est d’autant plus déterminante que le bisphénol A entre dans la composition de nombreux objets dont nous faisons tous un usage quotidien.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez, cette substance est notamment utilisée pour la fabrication d’un grand nombre de contenants alimentaires. Les dangers liés à cette utilisation sont importants, car le bisphénol A peut spontanément migrer vers les aliments.

C’est pourquoi, voilà exactement un an, des députés, dont je faisais d’ailleurs partie, ont cosigné la proposition de loi présentée par Gérard Bapt à l’Assemblée nationale. Le texte vise à suspendre « la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A ».

Cette démarche s’inscrit dans la continuité de la loi interdisant l’utilisation de cette molécule dans les biberons, puisqu’il s’agit bien de compléter les dispositifs de protection des consommateurs. Le législateur doit prendre toutes ses responsabilités en matière de « santé-environnement ». L’attentisme en la matière ne peut pas être envisagé ou accepté. Notre devoir est de protéger, au plus vite, les populations les plus vulnérables des effets néfastes du bisphénol A.

Les avancées réalisées sont le fruit d’un travail commun, conduit par les deux assemblées, visant à protéger les consommateurs. Le 12 octobre 2011, cette proposition de loi a été adoptée en première lecture, à l’Assemblée nationale, par un vote unanime des députés. La détermination de votre rapporteur, Patricia Schillinger, autant que son efficacité et sa célérité, nous ont permis d’examiner ce texte aujourd’hui et de le réactualiser.

La Conférence environnementale des 14 et 15 septembre 2012 a rappelé l’engagement du Gouvernement sur les questions de « santé-environnement ». Le Premier ministre a annoncé, lors de son discours de clôture, qu’il soutenait l’interdiction du bisphénol A dans l’ensemble des contenants alimentaires. Telle est la démarche dans laquelle je m’inscris aujourd’hui devant vous, au nom du Gouvernement, en défendant cette proposition de loi.

Dès le 1er janvier 2013, tous les contenants alimentaires produits avec du bisphénol A à destination des enfants de moins de trois ans seront interdits et, à partir du 1er janvier 2015, plus aucun contenant alimentaire fabriqué avec du bisphénol A ne sera autorisé. Je sais qu’un débat s’est engagé – nous le poursuivrons dans un instant – sur la date d’entrée en vigueur de ce texte, mais je voudrais attirer votre attention sur le fait que, en s’engageant dans cette direction, la France serait pionnière en la matière à l’échelon européen.

À mon sens, dès lors qu’il n’y a plus de doutes sur la nocivité de cette substance, qu’une première étape a été franchie avec l’interdiction de sa présence dans les biberons et que les industriels ont été informés de la perspective d’une interdiction plus générale, nous devons avancer, tout en donnant évidemment le temps aux industriels de s’adapter. Dans la mesure où du temps s’est écoulé depuis l’adoption en première lecture à l’Assemblée nationale, il me paraît normal que la date d’entrée en vigueur soit fixée au 1er janvier 2015.

Cette proposition de loi, si elle est adoptée – et je souhaite qu’elle le soit à l’unanimité ! – participe d’un processus plus large, qu’il nous faut poursuivre.

La Conférence environnementale a traduit notre volonté de faire vivre la démocratie environnementale : elle nous a notamment permis de fixer des objectifs et d’établir une méthode pour faire face aux risques sanitaires environnementaux.

Au cours de la table ronde sur la « santé-environnement », j’ai eu l’occasion d’évoquer les enjeux liés à l’apparition de nouveaux risques, dits « émergents ». Sources d’incertitudes, voire de controverses, les conséquences de l’utilisation de certains produits sur la santé peuvent être difficiles à appréhender et à caractériser, ce qui soulève des inquiétudes légitimes. Il nous faut promouvoir les recherches sur ces risques en adaptant les méthodologies disponibles. Ces études devant être menées à grande échelle, j’attends beaucoup d’une mobilisation communautaire et internationale.

À plusieurs reprises, j’ai rappelé ma volonté de faire de la prévention des risques sanitaires environnementaux un axe majeur de la politique de santé dans notre pays. Dans le domaine des perturbateurs endocriniens, l’action du Gouvernement reposera sur trois piliers.

Le premier est la coordination des actions de recherche, d’expertise, d’information du public et de réflexion sur l’encadrement réglementaire. Pour cela, un groupe de travail associant l’ensemble des parties prenantes sera mis en place très rapidement : il aura pour mission de me présenter, d’ici au mois de juin 2013, les grands axes d’une stratégie nationale.

Le deuxième pilier, c’est la définition de nos priorités, qui reposera sur les résultats des expertises dont nous disposons. Aujourd’hui, nous traitons de la question du bisphénol A. Néanmoins, d’autres perturbateurs endocriniens, comme les phtalates, doivent faire l’objet d’une attention particulière. Le crédit d’une étude se mesure à l’aune de son indépendance : pour chaque sujet, il faudra donc nous fonder sur une expertise plurielle et contradictoire, détachée des intérêts privés.

Enfin, le troisième pilier de ma politique concerne les produits qui pourraient se substituer à ces substances nocives, car il est absolument nécessaire, j’insiste sur ce point, que les produits de substitution fassent la preuve de leur innocuité. Il serait inenvisageable d’échanger un risque connu contre un danger mal compris, voire inconnu.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en tant que responsables publics, l’un de nos premiers devoirs est évidemment de protéger nos concitoyens. Dans le champ sanitaire, ce devoir prend toute sa dimension. Les situations que nous avons connues dans le passé nous incitent à appliquer le principe de précaution lorsque surgissent trop d’incertitudes. Elles nous obligent, aussi, à prendre rapidement les décisions courageuses qui s’imposent, pour garantir un haut niveau de protection aux Français.

C’est dans cette perspective que s’inscrit la proposition de loi aujourd’hui défendue par Patricia Schillinger. Je vous appelle donc à adopter ce texte à l’unanimité. §

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