Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 9 octobre 2012 à 14h30
Bisphénol a — Suite de la discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en 2010, alors que la Haute Assemblée examinait une proposition de loi déposée par le groupe RDSE sur le bisphénol A, les sénatrices et sénateurs du groupe CRC avaient déjà proposé d’envisager son interdiction totale. La majorité de l’époque s’était montrée plus frileuse et avait préféré le principe d’une suspension de la commercialisation de produits contenant du bisphénol A, et ce pour les seuls biberons.

Rien d’étonnant donc que nous votions aujourd’hui en faveur de la présente proposition de loi, qui conduira, dès 2015, à l’interdiction totale de l’utilisation du bisphénol A dans la fabrication, la commercialisation et l’exportation de l’ensemble des contenants alimentaires.

Je suis persuadée que l’adoption de ce texte sera déterminante dans l’évolution de la législation européenne. Tel avait déjà été le cas en 2010, quand, après l’adoption de la loi n° 2010–729 du 30 juin 2010, qui a suspendu l’utilisation du bisphénol A dans les biberons, l’Union européenne a procédé à la même mesure d’interdiction pour les biberons à destination des enfants de moins de douze mois.

Je dois d’ailleurs avouer avoir été quelque peu surprise d’entendre, en commission, des sénatrices et sénateurs de l’opposition s’étonner que cette proposition de loi interdise à la fois la fabrication, l’importation et l’exportation de produits contenant du bisphénol A, alors que d’autres pays ne suivent pas cette voie.

Qu’aurait-il fallu faire ? Instaurer en France une législation protectrice pour nos concitoyens et accepter que les entreprises continuent à exposer d’autres personnes à un risque sanitaire contre lequel nous voulons prémunir la population ?

Devrions-nous continuer à faire primer l’exportation française face à des dangers sanitaires potentiels par ailleurs de plus en plus corroborés par les experts scientifiques ?

Ce discours, qui veut faire du libre commerce une valeur fondamentale de notre société, conduit, et nous a déjà conduits, à des catastrophes écologiques et sanitaires. Il n’est pas sans me rappeler les dispositions contenues dans l’Accord multilatéral sur l’investissement. Celui-ci avait pour vocation de permettre aux investisseurs internationaux d’attaquer en justice les pays qui, en élaborant des règlements trop stricts d’un point de vue social ou environnemental, feraient obstacle à la libéralisation du marché ou à l’investissement. Bien que de nature différente, l’observation de certains de nos collègues de l’UMP s’inspire d’une même logique, celle qui donne la primauté à l’économie sur l’humain et l’environnement. Nous ne pouvons naturellement pas y souscrire.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prend, d’ailleurs, le contre-pied de cette posture, comme l’a fait, il y a un an, l’Assemblée nationale, à la quasi-unanimité.

Nous avons donc une responsabilité particulière et nous devons nous positionner non pas en tant que scientifiques – ce que nous ne sommes pas –, mais en tant que législateurs.

Certains voudraient – nous avons, au demeurant, reçu beaucoup de courriers en ce sens – que nous n’adoptions pas ce texte, au motif que nous ne disposerions pas aujourd’hui de la certitude du caractère pathogène et dangereux du bisphénol A.

Force est de constater qu’aujourd’hui encore il n’y a, en la matière, aucun consensus scientifique. Certes, des études récentes, je pense notamment à celle qui a été rendue publique le 27 septembre dernier par l’ANSES, recensent de nombreux effets avérés chez les animaux : l’augmentation de la survenue de kystes ovariens, l’altération de la production spermatique, l’accélération de la maturation architecturale de la glande mammaire, pour ne citer que ces quelques exemples.

Et l’Agence de conclure « qu’il existe aujourd’hui des éléments scientifiques suffisants pour identifier comme objectif prioritaire la prévention des expositions des populations les plus sensibles que sont les nourrissons, les jeunes enfants ainsi que les femmes enceintes et allaitantes ». Or, cette étude est contestée. Il y a donc des scientifiques qui soulignent des risques avérés ou potentiels, quand d’autres considèrent, au contraire, que rien n’atteste de la dangerosité du bisphénol.

Face à cette situation, nous devons, en tant que parlementaires, nous extraire de ce débat scientifique qui peut durer encore longtemps. Pour mémoire, et sans vouloir faire de parallèle entre les deux sujets, je rappelle que le Canada, pays exportateur d’amiante, continue à nier, étude scientifique à l’appui, les dangers de l’amiante.

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