Intervention de Chantal Jouanno

Réunion du 9 octobre 2012 à 14h30
Bisphénol a — Suite de la discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Chantal JouannoChantal Jouanno :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez, la question du bisphénol A est un combat qui me tient à cœur. En effet, en tant que secrétaire d’État à l’écologie, j’avais eu, à l’époque, à m’opposer à la Direction générale de la santé, qui m’affirmait qu’il n’y avait aucun sujet sur le bisphénol A. Et c’est bien le prédécesseur de l’ANSES qui, par ses avis, avait permis de faire bouger les choses. Aujourd’hui, le dernier avis de l’ANSES nous le montre de nouveau, on ne peut plus se cacher derrière cette logique ou cet argument de l’ignorance.

Nous avons le devoir de nous poser de bonnes questions. Nous avons le devoir de reconnaître que si l’espérance de vie augmente globalement dans notre pays, l’espérance de vie sans handicap, elle, croît beaucoup moins vite.

Au sein de la commission des affaires sociales, nous constatons régulièrement que de grandes maladies ou épidémies de ce siècle – cancers, obésité, diabète, maladies neurodégénératives – ne s’expliquent pas par l’analyse sanitaire dite « classique ».

Or cette proposition de loi sur le bisphénol A est probablement l’occasion d’inscrire dans la loi des principes sanitaires nouveaux.

En réalité, le bisphénol A est un cas type qui n’est pas très compliqué et qui relève non du principe de précaution, mais du principe de prévention. Nous disposons, à ce sujet, de nombreuses études concordantes.

Nous savons que le bisphénol A est un œstrogène de synthèse. Pas étonnant qu’il ait des effets de perturbateur endocrinien. Nous savons que les fœtus et les bébés sont particulièrement vulnérables. Nous savons que 90 % de la population est touchée. En d’autres termes, l’aveuglement n’est pas de mise.

Aujourd’hui, les connaissances nous obligent à agir. Compte tenu des avis des experts, qu’ils soient de l’ANSES, de la Food and Drug Administration, la FDA, ou qu’ils se prononcent au nom d’autres organismes non publics, tous les avis convergent pour dire que la priorité absolue – je voudrais insister sur ce point – porte sur le fœtus, donc, la femme enceinte et allaitante, et les enfants.

Je le sais, les bébés passionnent généralement assez peu la gente masculine… §Aussi, je voudrais ajouter, à votre attention, messieurs, qui êtes relativement nombreux aujourd’hui – c’est une chance ! – ces quelques mots de l’étude de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, l’INSERM : « On ne peut pas considérer que le BPA aux doses auxquelles la population générale est exposée soit sans danger pour le versant masculin de la reproduction. »

Messieurs, vous conviendrez donc que nous avons le devoir politique d’inscrire dans la loi le principe de non- exposition au bisphénol A du fœtus et des jeunes enfants. J’ai déposé un amendement pour inscrire dans la loi ce principe de santé publique. Je ne doute pas que vous le voterez. C’est, en effet, un principe simple, un principe général que le législateur pose à l’exécutif.

Le texte me semble également trop restrictif sur le champ des produits concernés.

Vous le savez, le lait maternel, par exemple, est largement autant contaminé que le lait auparavant contenu dans des biberons au bisphénol A. Plus encore, les études préparatoires sur la cohorte Elfe ont souligné l’importante présence de bisphénol A chez les mères et, donc, chez les bébés lors des accouchements médicalisés.

Tous les produits au contact des femmes enceintes ou allaitantes et des bébés doivent, par conséquent, exclure la présence de bisphénol A et même, plus globalement, de perturbateurs endocriniens. C’était, d’ailleurs, l’une des conclusions de notre mission d’information sur les dispositifs médicaux implantables, mission dont les conclusions ont été, je vous le rappelle, adoptées à l’unanimité, y compris par la commission des affaires sociales.

Je vous proposerai donc deux amendements en ce sens. Un premier amendement, relativement large, visant à exclure la présence de toute présence de perturbateurs endocriniens dans tous les dispositifs médicaux à destination des nourrissons, des prématurés, tout particulièrement. Un amendement de repli, qui se limitera au bisphénol A. J’ajoute que j’ai prévu un certain délai pour que cette disposition puisse entrer en vigueur.

Ce sont des amendements, je l’espère, consensuels. Madame la ministre, j’ai bien écouté votre intervention liminaire. Vous avez affirmé que, pour les bébés, nous devons appliquer de la manière la plus stricte le principe de précaution – je préfère, pour ma part, parler de principe de prévention. En l’occurrence, ce principe, nous avons l’occasion de l’appliquer.

En revanche, s’agissant du calendrier, il y a eu de multiples débats au sein de la commission. Certains ont agité le spectre des lobbies contre l’interdiction du bisphénol A, lobbies qui auraient obtenu le report d’un an de l’interdiction dans tous les contenants alimentaires. Il s’agit, en réalité, d’un faux débat. Il est logique d’avoir des garanties sur l’innocuité des produits de substitution, d’autant qu’en l’occurrence nous parlons d’impact à long terme de faibles doses de polluants.

Sur ce point, la proposition de loi telle qu’elle ressort des travaux de la commission me semble relativement équilibrée. Nous avons, d’ailleurs, déposé un amendement pour que, d’ici à janvier 2015, on apporte bien la preuve de l’innocuité des produits de substitution.

Je le répète, parce que je trouve qu’on se trompe parfois de débat, je trouverais injustifiable que nous soyons plus restrictifs pour les adultes que pour les enfants. Je suis, du reste, assez surprise d’avoir entendu, y compris en commission, que le problème économique n’est pas un sujet pour l’ensemble des contenants alimentaires mais que, en revanche, il pourrait y avoir un problème économique pour les dispositifs médicaux à destination des enfants, problème qui justifierait que cette disposition ne soit pas adoptée.

Mes chers collègues, nous avons aujourd’hui l’occasion de poser les bases d’une nouvelle politique sanitaire. Elle reposerait sur une nouvelle approche sanitaire, légèrement en rupture avec la toxicologie classique selon laquelle « seule la dose fait le poison », ce qui est le principe de la dose journalière acceptable.

Les expertises sur le BPA et sur les perturbateurs endocriniens – je vous renvoie au rapport de M. Barbier – montrent très clairement l’insuffisance de cette approche, qui ignore les effets à long terme, les effets fenêtre ou encore les effets cocktail des polluants.

Nous avons, avec cette loi, la possibilité de montrer que les grandes épidémies et les grandes maladies seront plus facilement prévenues que traitées.

Si j’avais plus de temps, je vous renverrais à la nécessité de pratiquer un exercice physique quotidien et de respecter un bon équilibre alimentaire, deux règles simples qui, conjuguées avec la réduction des expositions, sont la meilleure garantie pour une longue et bonne santé.

Malheureusement, ces dispositifs de santé publique, cette logique de prévention, cela fait des années qu’on en parle, dès les bancs de l’école ! Et cela fait des années qu’on avance très peu sur ce sujet ! C’est le parent pauvre de la plupart des débats écologiques, des débats sanitaires, y compris à la conférence environnementale. Au cours de cette dernière, la seule décision prise sur la santé environnementale a été de reprendre cette proposition de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, sous l’apparence d’un texte parfois très technique, qui, manifestement, ne concerne pas tout le monde, nous avons la possibilité d’inscrire dans la loi des principes nouveaux de santé publique et de donner corps à quelques principes de base de santé environnementale. C’est la raison pour laquelle j’ai voté le texte de la commission. Mais je souhaite vivement qu’on puisse l’enrichir. §

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