Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 9 octobre 2012 à 14h30
Bisphénol a — Suite de la discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, utilisé depuis de nombreuses années, plus de cinquante ans, dans la fabrication des polycarbonates et des résines époxy, le bisphénol A est un perturbateur endocrinien avéré dans les expérimentations animales et très certainement aussi nocif chez l’homme, même si les études épidémiologiques sont encore balbutiantes.

C’est la raison pour laquelle, en 2010, plusieurs sénateurs du groupe RDSE avaient alerté le gouvernement de l’époque en déposant, au nom du principe de précaution, une proposition de loi visant à l’interdire dans les plastiques alimentaires, principale voie de contamination.

Il est vrai qu’à ce moment-là les différentes agences sanitaires estimaient que le bisphénol A n’était pas forcément dangereux pour l’homme et que les preuves étaient insuffisantes pour justifier une interdiction. Aussi, le Sénat avait préféré en limiter la portée. Nous avions donc choisi de suspendre uniquement la commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A. Il s’agissait, malgré tout, d’une première étape très importante.

À la suite de l’examen de cette proposition de loi, notre commission des affaires sociales avait souhaité être éclairée sur les mesures législatives qu’il convenait éventuellement d’adopter sur la question des perturbateurs endocriniens et de la santé. Elle avait donc décidé de saisir l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. J’ai eu l’honneur d’être le rapporteur de la mission qui fut alors constituée.

Au cours des nombreuses auditions que j’ai pu mener, il m’est apparu que les dangers et les risques, pour l’environnement et la santé humaine, des perturbateurs endocriniens classés substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, CMR, étaient suffisamment nombreux et précis pour inciter à l’action. Aussi, j’avais alors notamment préconisé une démarche de prévention, en particulier par l’étiquetage de produits et l’interdiction des perturbateurs endocriniens dans les produits destinés aux femmes enceintes et aux jeunes enfants, cibles particulièrement vulnérables.

Plusieurs études ont confirmé le danger du bisphénol A. Je pense notamment à l’expertise collective de l’INSERM datant d’avril 2011 et concernant cinq grandes familles de substances chimiques, dans laquelle l’Institut s’inquiétait des effets reprotoxiques du BPA.

Je pense également aux deux rapports de l’ANSES datant de septembre 2011, qui ont permis de mettre en évidence « des effets sanitaires avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme », et ce même à de faibles niveaux d’exposition. En effet, contrairement à l’approche toxicologique classique fondée sur la relation dose-effet, des doses très faibles, bien en dessous de la dose journalière admissible, la DJA, sont susceptibles d’avoir plus d’impacts que des doses élevées.

L’ANSES a donc recommandé la réduction des expositions au bisphénol A, notamment par sa substitution dans les matériaux au contact des denrées alimentaires, lesquels constituent la source principale d’exposition.

Aussi, je me réjouis que le Sénat ait inscrit cette proposition de loi à son ordre du jour, un an après son examen par l’Assemblée nationale. Pour autant, je refuse que ce texte ne soit qu’un effet d’annonce. Nous devons être réalistes, pragmatiques, voter des lois applicables. En l’occurrence, nous devons laisser le temps aux industriels de s’adapter, de trouver des substituts dont l’innocuité ne fera aucun doute. Ils y travaillent depuis quelques années déjà, mais les produits de remplacement ne sont toujours pas scientifiquement validés.

Soyons exigeants, mais aussi patients, d’autant que, très récemment, des chercheurs de l’lNSERM et du CNRS à Montpellier ont analysé les interactions existantes entre le BPA et les récepteurs des œstrogènes. Ces travaux pourraient permettre de créer de nouveaux composés avec les mêmes propriétés que le BPA, mais non toxiques.

La santé de nos concitoyens nous impose de ne pas légiférer dans la précipitation. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement reportant l’interdiction au 1er juillet 2015.

Par ailleurs, et j’insiste sur ce point, notre action, pour être efficace, doit s’inscrire dans une perspective plus large, au niveau européen, ce qui n’est pas sans soulever quelques difficultés. Si l’on peut se réjouir que l’ANSES propose, dans le cadre du règlement REACH, de classer plus sévèrement le bisphénol A en tant que « toxique pour la reproduction », et que le Parlement européen s’apprête à voter en février prochain un rapport sur la « protection de la santé publique contre les perturbateurs endocriniens », on ne peut que s’inquiéter de la récente « passe d’armes » au sein des autorités européennes. Alors que la direction générale de l’environnement travaille déjà sur ce sujet, la direction générale de la santé et des consommateurs vient de confier le développement de la définition des perturbateurs endocriniens à l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, qui continue de nier la véracité des données scientifiques.

Madame la ministre, nous devons être particulièrement vigilants sur l’évolution de cette question au niveau européen. Je pense que vous pourriez intervenir en ce sens.

Enfin, s’agissant de la mise en place d’un pictogramme d’avertissement, nous avons été plusieurs en commission à dénoncer l’inefficacité de ceux qui figurent sur les bouteilles de produits alcoolisés. Pourquoi ne pas prévoir un message simple et visible, comme c’est déjà le cas pour les biberons et les produits cosmétiques en ce qui concerne la présence de parabènes ?

Aujourd’hui, la preuve de la nocivité du BPA est faite. Certes, je l’ai déjà dit, les travaux épidémiologiques, notamment en France, sont rares. Devons-nous pour autant attendre les résultats d’études plus poussées sur les êtres humains, comme la cohorte ELFE, dont les conclusions ne seront connues que dans vingt ou trente ans ? Je ne le crois pas. Je pense au contraire qu’il est de notre responsabilité de légiférer en fixant des échéances réalistes, dans la concertation avec les professionnels de la filière agroalimentaire. C’est un devoir pour tous envers nos concitoyens et les générations futures.

Selon moi, la question ne doit pas se limiter au seul BPA. Il faudra bien rapidement élargir le débat à tous les perturbateurs endocriniens avérés, dans le contexte général des substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques.

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