Intervention de Bernard Cazeau

Réunion du 9 octobre 2012 à 14h30
Bisphénol a — Suite de la discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Bernard CazeauBernard Cazeau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 22 juin 2011, M. Gérard Bapt a déposé à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant l’interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires, proposition de loi rapportée aujourd'hui par notre collègue Patricia Schillinger.

Le BPA sert à la fabrication des polycarbonates, plastiques solides et transparents utilisés. On les trouve dans les récipients pour micro-ondes, les bonbonnes d’eau ou le matériel médical. C’est souvent par l’intermédiaire des résines époxy qui tapissent l’intérieur des boîtes de conserve et canettes que se fait le transfert du bisphénol.

Le 5 février 2010, l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, avait rendu un avis sur le BPA, avis dans lequel elle mettait en évidence « des effets sanitaires avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme – fertilité féminine, problèmes cardio-vasculaires et diabète – même », et c’est important, « à de faibles niveaux d’exposition », tout en indiquant qu’elle allait procéder à des recherches approfondies pour cerner d’éventuels dangers sur la santé.

Sur l’effet de la substance proprement dite sur le nourrisson, le rapport relève que l’impact œstrogénique qu’on lui attribue se produirait sans effet-seuil. En clair, plus la santé de l’utilisateur du BPA est fragile, plus les conséquences risquent d’être graves.

L’AFSSA avait été affirmative à ce sujet, tandis qu’elle était moins catégorique en ce qui concerne les risques diffus chez l’adulte.

Elle émettait par ailleurs diverses recommandations, comme celle, évoquée par Gérard Dériot, de ne pas porter à ébullition les biberons.

C’est pourquoi en mars 2010 notre collègue Yvon Collin nous a fait voter l’interdiction de la fabrication et de la commercialisation des biberons contenants du BPA en France, texte qui a ensuite été adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale le 23 juin et qui est devenu la loi du 30 juin 2010.

La loi du 30 juin 2010 fut confirmée un an plus tard lorsque le Parlement européen proscrivit définitivement la mise sur le marché et l’importation en Europe de biberons contenant cette substance. Voilà qui montre bien que l’Union européenne suit très souvent nos recommandations et qu’elle est très sensibilisée à ces questions.

Faut-il aller au-delà, ainsi que le suggère notre collègue député Gérard Bapt par sa proposition de loi ? Nous le croyons. En effet, et le rapport de Mme Schillinger le confirme, cette mesure d’interdiction spécifique aux biberons ne couvre pas toutes les applications, notamment les petits pots pour bébé, les assiettes, les bols, les gobelets, les babycooks, les stérilisateurs, les boîtes de lait. Or ces produits contiennent également du bisphénol A : les laisser sur le marché serait une incohérence fâcheuse.

De même, nous savons que certains aliments, conditionnés dans des emballages contenant du bisphénol A sont ingurgités indifféremment par les adultes et les enfants.

En conséquence, si la proposition de loi de notre collègue Yvon Collin était nécessaire, elle se révèle aujourd'hui tout à fait insuffisante.

Comme l’a indiqué la Cour de justice des Communautés européennes dans un arrêt rendu le 7 juillet 2009, sur certains sujets, comme la santé humaine ou l’environnement, l’on ne peut se contenter d’attendre des preuves du risque encouru pour agir. C’est une évidence. L’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures préventives et proportionnées visant à prévenir un danger sanitaire.

Aussi, nous ne réglerons pas le problème des risques de santé du bisphénol A pour les publics à risque si nous ne prenons pas de mesures de protection pour l’ensemble de l’alimentation. Le Danemark, la Belgique et la Suède l’ont déjà fait ; le Canada, l’Australie et plusieurs États américains vont dans le même sens.

Le groupe socialiste du Sénat souhaite que la France rejoigne ces nations. Il approuve le contenu de cette proposition de loi, madame la ministre.

Toutefois, en raison du trop long cheminement législatif – plus de quinze mois d’attente entre son inscription à l’Assemblée nationale, le 22 juin 2011, et son examen aujourd’hui au Sénat –, il nous a fallu actualiser ce texte. À cette fin, la semaine dernière en commission, quatre amendements ont été adoptés quasiment à l’unanimité ; leurs dispositions figurent désormais dans le texte que nous examinons aujourd'hui, ainsi que c’est la règle.

Le premier amendement porte sur la date de suspension de fabrication de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, qui est portée du 1er janvier 2014 au 1er janvier 2015. Ce faisant, il s’agit de donner un temps raisonnable aux industriels, surtout aux PME, pour se retourner.

En effet, si les grosses multinationales ont réalisé depuis longtemps des démarches de remplacement pour anticiper les risques sanitaires du bisphénol A, tel n’est pas le cas des PME. Aussi, nous devons prendre en considération les contraintes auxquelles se heurtent actuellement les PME spécialisées dans l’emballage d’aliments singuliers, qui doivent trouver des substituts efficaces et testables afin de répondre aux normes de sécurité sanitaire.

Le deuxième amendement permet aux agents publics de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de rechercher et constater les infractions. Pourquoi avoir inscrit cette disposition dans la proposition de loi ? Nous souhaitons tout simplement que la future loi s’applique efficacement à tous. On ne peut pas à la fois interdire aux industriels nationaux d’exporter des emballages contenant du bisphénol A et tolérer sur notre territoire des produits étrangers en comportant. Le dumping sanitaire n’a pas sa place. Il faut être vigilant sur ce sujet.

Le troisième amendement renvoie à un décret les modalités d’application concernant l’avertissement sanitaire de produits présentant du bisphénol A.

Une mention impérative généralisée risquerait d’être floue aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs. Il s’agit également d’éviter un engorgement judiciaire qui laisserait aux tribunaux le soin de définir ce qui relève de l’alimentaire ou non.

Enfin, le quatrième amendement supprimant le rapport d’étape sur les substituts du bisphénol A demandé à l’ANSES pour le 31 octobre 2012 est de bon sens. On ne va pas demander à l’administration de bâcler un document en une quinzaine de jours pour satisfaire une disposition écrite voilà plus d’un an.

Doit-on aujourd’hui modifier le texte de la commission ? Certains d’entre vous, à travers leurs amendements, aspirent à élargir la liste des produits contenant du bisphénol A. La question peut paraître légitime.

En tant que rapporteur de la mission commune d’information portant sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique, j’ai constaté que le bisphénol A se trouvait dans de nombreuses applications médicales, en raison de ses propriétés mécaniques et physiques : les systèmes de valve pour hydrocéphalie, les instruments de chirurgie, les appareils d’oxygénation du sang, les cathéters, les appareils à dialyse, les seringues en polycarbonate, les défibrillateurs implantables et les stimulateurs cardiaques implantables. Le rapport le précise d’ailleurs : « Il n’est pas acceptable qu’un dispositif médical implantable soit plus dangereux qu’un jouet quand il est question de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques. »

Néanmoins, puisque ces produits sont de certification communautaire, il nous paraît préférable de traiter ce sujet à part, lorsque nous aurons à examiner les propositions de règlement communautaire relatif aux dispositifs médicaux rendues publiques le 26 septembre dernier.

En effet, une attention particulière a été accordée à l’interdiction de ces substances, et ce dans les mêmes termes que la dixième préconisation du rapport sénatorial sur les dispositifs médicaux. La Commission européenne et le Parlement européen ont pris conscience de la nécessité d’assurer une sécurité optimale aux utilisateurs, professionnels ou profanes. Malheureusement, au niveau de l’Europe, tout est long et rien ne se fait en moins de deux, trois ou quatre ans. Le dispositif est prévu pour 2019. C’est pourquoi, madame la ministre, il faudra les inciter à agir, car ils se prononcent très rapidement sur les dispositifs utilisés en néonatalogie et en pédiatrie ; nous en avons l’exemple avec les biberons. Ainsi, ils seront cohérents.

Attendons au Sénat ces propositions de règlement communautaire à portée globale, au lieu de légiférer au coup par coup. C’est la position que notre groupe a adoptée.

Il reste beaucoup à faire. Nous en avons la volonté. Le texte que nous examinons aujourd’hui ne réglera malheureusement pas tous les problèmes engendrés par le bisphénol A, mais il constitue une étape nécessaire pour leur résolution. Il nous faut tenir bon sur les questions de délai et de date. §

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