Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 9 octobre 2012 à 14h30
Bisphénol a — Suite de la discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Marisol Touraine :

Je voudrais tout d'abord remercier l’ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions. Il s’agit d’un moment important : par-delà nos divergences sur la manière de procéder à la suspension de la fabrication, de l’importation, de l’exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du bisphénol A, il y a une prise de conscience générale et une volonté commune de poursuivre dans la voie que nous avons empruntée, de continuer à être pionniers en Europe. La France est en effet en pointe dans le combat pour la santé-environnement, afin de garantir une meilleure protection à nos concitoyens et, au-delà, à nos amis européens.

Je partage l’analyse de Chantal Jouanno, qui a déclaré qu’il nous fallait une nouvelle approche des enjeux de santé, que nous ne pouvions plus nous contenter des critères d’analyse sanitaire classiques, même si ces critères demeurent pertinents pour d’autres éléments de notre politique. À l’évidence, nous devons revoir certaines de nos manières de penser et certains des modèles que nous avons élaborés. C’est ce que nous sommes en train de faire.

Comme l’indiquait Aline Archimbaud, l’augmentation très significative des maladies chroniques, qui est due en partie – mais pas seulement – au vieillissement de la population, nous oblige à adapter à la fois nos analyses, notre système d’organisation des soins et nos réponses sanitaires. En effet, nos concitoyens ne sont plus seulement malades de façon aiguë, à un moment précisément identifié, et nous devons donc les accompagner de diverses manières tout au long de leur maladie. Cela bouleverse notre manière d’appréhender ces questions.

Je fais volontiers mienne la formule de Laurence Cohen : en la matière, il faut faire du doute une raison d’agir. Comme je l’ai souligné tout à l'heure, le doute ne doit pas jouer contre les consommateurs, contre nos concitoyens.

Je voudrais rendre non pas à César ce qui appartient à César, mais au Sénat ce qui appartient au Sénat : à aucun moment je n’ai soutenu que c’était l’Assemblée nationale qui avait pris l’initiative de la première proposition de loi relative aux biberons contenant du bisphénol A. J’ai simplement salué le travail du rapporteur Gérard Bapt, notamment au niveau local. Je reconnais bien volontiers le rôle de pionnier du Sénat, ainsi que le vôtre, monsieur Dériot, comme rapporteur de la proposition de loi déposée par M. Collin. C’est le Parlement dans son ensemble qui a été pionnier dans ce domaine.

J’ai entendu quatre questions importantes, dont nous débattrons plus longuement lors de l’examen des amendements.

La première a trait au calendrier. Diverses opinions ont été exprimées : certains veulent aller le plus vite possible, tandis que d’autres souhaitent donner du temps sinon au temps, du moins aux industriels, afin qu’ils puissent s’adapter.

Un an s’est écoulé depuis l’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale. Il est donc normal de modifier le calendrier : à défaut, nous soumettrions les industriels à une pression excessive. Cependant, je tiens à souligner que ces derniers ne sont pas restés inactifs : ils ont déjà commencé à se préparer. L’adoption de la proposition de loi par l’Assemblée nationale a constitué un signal important, qui a été parfaitement entendu par les industriels : dans leur grande majorité, ils nous disent aujourd'hui qu’il leur faut un délai de quelques mois – six environ – pour fabriquer des produits de substitution, et nous expliquent qu’ils savent bien que c’est dans cette direction qu’ils doivent avancer.

Monsieur Dériot, si nous décidions de reporter la mise en œuvre de la suspension, nous n’inciterions pas les entreprises à agir vite. Il y a d'ailleurs une contradiction entre cette demande de report et la demande d’extension rapide du dispositif à d’autres composants, les phtalates, par exemple.

Je suis convaincue que les industriels sont prêts à s’engager dans la voie que nous leur montrons. J’ajoute que la présente proposition de loi prévoit une suspension et non une interdiction définitive. Par conséquent, si nous étions confrontés – je ne crois pas que nous le serons – à un problème majeur qui justifierait une intervention des pouvoirs publics et en particulier du Parlement, ce dernier pourrait se saisir de la question afin de remettre en cause cette suspension.

Honnêtement, il me semble que toutes les garanties sont réunies pour que nous puissions avancer. Nous ne faisons preuve d’aucune précipitation en la matière ; je le dis plus particulièrement à l’intention de ceux – Mme Dini, M. Barbier et M. Dériot – qui ont insisté sur ce point.

La deuxième question porte sur l’élargissement du dispositif, et notamment sur la prise en compte des dispositifs médicaux. Nous y reviendrons sans doute lors de la discussion des amendements, mais je tiens à affirmer dès maintenant que nous devons être extrêmement attentifs s'agissant des dispositifs médicaux. Il faut favoriser la recherche pour déterminer quels seront les produits de substitution.

Aujourd'hui, nous l’ignorons. Nous ne disposons pas d’éléments suffisamment sûrs pour élargir la proposition de loi que nous sommes en train d’examiner. Cela ne signifie pas pour autant que la question ne soit pas posée.

Pour ce qui concerne les dispositifs médicaux, se pose tout d’abord la question du risque sanitaire immédiat. Mais nous devons aussi mettre en balance l’aide médicale que les médecins apportent en utilisant des dispositifs médicaux contenant du bisphénol A – il y va parfois de la survie des patients – et l’absence, pour l’instant, de données précises sur les produits de substitution.

Le troisième point auquel je veux répondre, et qui, en quelque sorte, fait suite à la question des dispositifs médicaux, concerne l’appel, assez fréquent, à une vigilance européenne et à une action française à l’échelon de l’Europe.

Au cours des dernières semaines, je me suis rendue dans plusieurs pays européens. J’ai rencontré le commissaire européen en charge du dossier. Et je ne peux que partager votre analyse, mesdames, messieurs les sénateurs. Telles sont ma volonté et mon intention : la France doit être l’aiguillon de l’Europe en matière de santé-environnement, de prise en considération des facteurs nouveaux. Grâce à l’adoption de la mesure interdisant l’utilisation du bisphénol A dans la fabrication des biberons, nous avons été à l’origine d’initiatives européennes. Nous devons poursuivre dans cette voie.

Le dernier point que je veux aborder vise les messages d’information et les fameux pictogrammes évoqués par Mme Dini comme par un certain nombre d’autres orateurs. Comment expliquer la dangerosité de certains produits sans affoler et tout en étant très explicite ? Madame le sénateur, je partage assez volontiers votre point de vue sur le pictogramme à destination des femmes enceintes apposé sur les bouteilles d’alcool. Nous devrons d’ailleurs mener une réflexion plus large sur la manière d’envoyer les messages d’information sanitaire à nos concitoyens.

La présente proposition de loi prévoit un décret d’application. Je m’engage à ce qu’il soit pris rapidement à l’issue du vote de la loi. La définition des messages à délivrer devra être précise.

Pour ma part, je n’ai aucune opposition de principe à la mise en place de pictogrammes. Il faudra cependant définir comment les apprécier. En effet, à un moment, la multiplication des pictogrammes risque d’être problématique.

À l’issue des travaux sénatoriaux, un groupe de travail pourrait être constitué associant des membres du ministère, les élus, au premier rang desquels Mme la rapporteur, et tous ceux qui le souhaitent, afin de réfléchir de façon constructive à la teneur de ces messages d’information.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis une fois encore de vos interventions qui, au-delà des différences d’appréciation naturelles qui peuvent exister, me semblent marquer une volonté commune d’avancer pour défricher le champ véritablement nouveau de nos politiques sanitaires. §

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