Intervention de Leila Aïchi

Réunion du 9 octobre 2012 à 14h30
Bisphénol a — Article 1er

Photo de Leila AïchiLeila Aïchi :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je ne vous le cache pas, ce problème des plus importants me pose un cas de conscience. En effet, comment expliquer que l’on est prêt, aujourd’hui, à sacrifier 830 000 enfants à naître pour que les industriels s’adaptent ? Tel est bien, en effet, l’enjeu de notre débat !

À plusieurs reprises, j’ai entendu l’argument selon lequel le bisphénol A ne serait dangereux qu’à haute température. Je suis désolée, mais c’est faux ! Le bisphénol A est dangereux s’il est ingéré, et ce quelle que soit la température. Quand celle-ci est élevée, il se dégage en plus du plastique qui le rend plus nocif encore. Telle est la difficulté à laquelle nous nous heurtons.

Deux ans après l’adoption de la loi tendant à suspendre la commercialisation de biberons contenant du bisphénol A, il est toujours encourageant de faire avancer la protection sanitaire des citoyens en étendant cette suspension à l’ensemble des contenants alimentaires. Je voterai donc, naturellement, en faveur de ce texte dans sa globalité.

Cela dit, 95 % des 700 études scientifiques qui ont été publiées sur la question démontrent la toxicité de ce perturbateur endocrinien. Les enfants en bas âge, en plein développement hormonal, sont un public particulièrement vulnérable, mais ils ne sont pas les seuls.

Il est donc primordial de protéger les nourrissons contre l’exposition à cette substance. À cet égard, nous nous félicitons que la mesure contenue dans la proposition de loi de M. Bapt prenne effet à compter du 1er janvier 2013 pour les produits destinés à ce public.

Mes chers collègues, nous avons su prendre la mesure de l’urgence qu’il y avait à agir pour les nouveau-nés, mais ce premier pas reste insuffisant.

Les effets du bisphénol A sur le système hormonal induisent notamment des altérations épigénétiques susceptibles d’entraîner des pathologies pour la descendance. C’est pourquoi il importe de protéger au plus vite les futurs parents, en particulier les femmes enceintes ou allaitantes. Là aussi, mes chers collègues, il y a urgence. Avancer la date d’un an, soit 2014, c’est préserver 830 000 enfants ! Tel est le sens de l’amendement que j’ai déposé et défendu.

Madame la ministre, dans la proposition de loi qui était cosignée par plusieurs de vos actuels collègues du Gouvernement et que vous aviez votée en tant que députée, figurait expressément la date du 1er janvier 2014. Les industriels en avaient pris acte, comme ils avaient pris acte de la date du 1er janvier 2013 pour son application aux contenants alimentaires destinés aux nouveau-nés.

Pourquoi, alors, avoir accepté de reporter l’échéance au 1er janvier 2015 ?

Madame la ministre, retarder notre action d’une année, c’est exposer 830 000 femmes enceintes de plus, et donc autant d’enfants à naître. Pourquoi les sacrifier ?

L’argument économique peut-il justifier ce sacrifice sanitaire ? Non, car des solutions de rechange existent pour l’ensemble des applications alimentaires du bisphénol A ; l’ANSES et les associations en ont fait le recensement. Plusieurs grands groupes ont développé des offres entières sans bisphénol A et la recherche française a beaucoup avancé, notamment en matière de résines époxy.

Il appartient à l’État d’aider les entreprises à développer ces solutions sans bisphénol A, plutôt que de céder et de repousser dans le temps la solution, au détriment des générations futures.

Mes chers collègues, je regrette que, par le vote de ce texte, nous n’ayons pas pu prendre la mesure de l’urgence qu’il y a à agir. C’est d’autant plus regrettable que le bisphénol A revêt un caractère symbolique. Dénoncée pour sa présence dans les biberons, cette substance n’est jamais qu’un perturbateur endocrinien parmi quantité d’autres, et n’est qu’une illustration bien parcellaire de l’état de contamination de notre environnement.

Cancers, maladies neurodégénératives, diabète, obésité, troubles de la reproduction, tous ces maux nouveaux sont la conséquence de notre manière de vivre et de consommer. Le constat de leur multiplication doit être le déclic pour changer de paradigme, penser enfin notre système de santé dans une logique préventive et s’extraire d’une approche curative qui nous rend chaque jour davantage victimes des excès du système productiviste et de l’impératif économique.

La vision économique de court terme hypothèque notre santé à long terme et induit nécessairement une hausse des dépenses pour l’assurance maladie. Est-il cohérent d’endetter la sécurité sociale pour rassurer les industriels ? Le déficit de 11, 4 milliards d’euros de la sécurité sociale n’est-il pas suffisamment alarmant ?

Lors de la conférence environnementale, le Président de la République s’est engagé sur les enjeux des perturbateurs endocriniens, suscitant un véritable espoir chez les écologistes et les associations environnementales.

Le recul opéré sur le texte au Sénat a clairement déçu les ONG environnementales, comme il a déçu bon nombre de mes collègues. Un mois à peine après, le Gouvernement envoie un premier signal négatif en matière de santé environnement.

Madame la ministre, au nom de la société civile, je vous demande de prendre ce combat au sérieux, car la route sera longue pour atteindre enfin l’objectif que portent les écologistes et les associations environnementales.

Vous le savez, depuis quelques années, l’action de la France sur la question des perturbateurs endocriniens est regardée avec attention par ses partenaires internationaux. De nombreuses organisations guettent aujourd’hui le signal que nous enverrons en matière de respect de la santé publique.

Nos voisins d’Europe du Nord attendent également une dynamique positive de notre part. Ce vote aura nécessairement des répercussions au-delà de nos frontières.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons une responsabilité à l’égard de la communauté humaine. Nous nous devons par conséquent d’être à la hauteur !

Permettez-moi de conclure tout simplement sur un proverbe : qui veut faire quelque chose trouve un moyen, qui ne veut rien faire trouve une excuse !

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