L’article 1er du texte qui nous est donc présenté aujourd’hui vise à créer une journée nationale à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Il pose une première question : pourquoi instituer une journée nationale, alors qu’elle existe déjà ?
Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler le décret du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, le 5 décembre de chaque année. Ce texte sera d’ailleurs suivi d’un certain nombre d’avancées législatives, telles que la loi du 23 février 2005, complétée le 7 mars dernier par l’adoption de la proposition de loi déposée par notre collègue Raymond Couderc. Enfin, la loi du 28 février 2012 fixe au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, « de Verdun à la Kapisa », pour reprendre les termes que j’avais employés à l’époque.
Il y a plusieurs raisons possibles à cette volonté de remettre aujourd’hui la main dans l’histoire et de sceller la mémoire du conflit algérien au 19 mars. Je préfère ne pas imaginer la première, qui tiendrait à ce que le décret que je viens d’évoquer date de 2003, début du deuxième mandat de Jacques Chirac et du gouvernement de notre éminent collègue Jean-Pierre Raffarin… Si vous n’êtes donc pas inspirés par la jalousie politique, peut-être votre positionnement résulte-t-il d’une simple méconnaissance des événements qui ensanglantèrent la France et l’Algérie pendant huit ans ?
Je tiens donc, mes chers collègues, à rappeler les conditions douloureuses de la fin de ce conflit, qui excluent évidemment de retenir cette date pour en cristalliser la mémoire.
Le 19 mars 1962 fut non pas la fin d’une tragédie, mais le début d’un long cauchemar. La conclusion des accords d’Évian ne déboucha malheureusement pas du tout sur le cessez-le-feu promis et attendu ! Ce fut une signature vide, trahie le jour même par le FLN, qui a laissé une blessure ouverte dans la mémoire de ce conflit. Par ailleurs, une semaine plus tard, le 26 mars 1962, des civils français non armés, partisans du statu quo, manifestent devant la grande poste de la rue d’Isly à Alger. Ils seront mitraillés par l’armée française.
Mes chers collègues, la comparaison faite avec les dates du 11 novembre et du 8 mai est particulièrement choquante.
En effet, comment comparer le 11 novembre 1918, armistice victorieux qui signe le retour de la paix dans notre pays, le 8 mai 1945, victoire des alliés sur l’Allemagne nazie, rassemblant la France avec elle-même après la déchirure de l’occupation, et le 19 mars 1962, qui est non pas un armistice, mais une trahison du FLN, lequel a profité de la situation pour reconstituer ses forces armées, massacrer les harkis et lancer une campagne d’enlèvement des Français restés en Algérie. Dès lors, un cessez-le-feu, certes, mais comme le disait Jean-René Lecerf tout à l’heure, certainement pas un « cessez-le-sang ».
En choisissant la date des accords d’Évian comme symbole national, on oublie et quelque part on méprise les civils et les militaires morts après le 19 mars 1962. Je ne peux accepter que soit dénaturée la position du général de Gaulle dans cet épisode de notre histoire.
Oui, la raison inspira au général cette issue douloureuse et nécessairement imparfaite au conflit algérien, mais nous savons que son cœur lui soufflait pourtant fidèlement « tous Français, de Dunkerque à Tamanrasset ». Oui, l’Histoire a amené le peuple algérien à disposer librement de lui-même, et il n’est évidemment pas question de revenir aujourd’hui sur cette idée et sur ce mouvement. Néanmoins, l’acceptation de cette réalité ne doit pas nous conduire à transformer une blessure en fête nationale.
Notre histoire est un bien précieux. Elle est faite de conquêtes, de rêves et de batailles. Elle est faite de victoires et de défaites. Elle est faite d’héroïsme et de souffrances. Il ne s’agit pas de nier les faits. Mais il ne viendrait à l’idée de personne de fêter Sedan ou Diên Biên Phú ! Aussi, comment peut-on aujourd’hui imaginer célébrer une défaite, qui est fêtée comme une victoire en Algérie ?
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je ne peux ni comprendre ni accepter le choix de cette date, qui, loin de refermer la plaie, la ravive et la creuse.