Séance en hémicycle du 8 novembre 2012 à 9h45

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

La séance est ouverte à neuf heures quarante-cinq.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du comité de préfiguration des modalités d’instauration du profil biologique des sportifs.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a fait connaître qu’elle proposait la candidature de M. Jean-Jacques Lozach pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre :

- le rapport sur l’évaluation du coût réel des dépenses supplémentaires engendrées par la retraite à raison de sa pénibilité, établi en application de l’article 81 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites ;

- le rapport sur la situation du logement en France en 2011, établi en application de l’article L. 101-1 du code de la construction et de l’habitation.

Acte est donné du dépôt de ces rapports.

Le premier été transmis à la commission des affaires sociales, le second à la commission des affaires économiques.

Ils sont disponibles au bureau de la distribution.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. François-Noël Buffet, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce rappel au règlement se fonde sur l’article 29 ter de notre règlement intérieur et porte sur l’organisation de nos travaux.

En ce début de séance, je tiens à exprimer notre regret, pour ne pas dire notre agacement, face au comportement du Gouvernement. En effet, par une décision unilatérale, certes qui lui revient constitutionnellement, le Gouvernement a modifié l’organisation de nos travaux pour les journées d’hier et d’aujourd’hui, demandant l’inscription à l’ordre du jour, dans le cadre des semaines qui lui sont réservées par priorité, d’une proposition de loi relative au 19 mars dont l’examen a déjà débuté dans un espace réservé au groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Il est toujours très intéressant de rappeler quelques faits antérieurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Oui, il y a eu des précédents : vous avez donné l’exemple !

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

« Il est pour le moins surprenant que l’examen d’une proposition de loi, inscrite dans un espace réservé à un groupe, se poursuive dans le cadre d’un ordre du jour gouvernemental. »

« Est-ce conforme à l’esprit des institutions ?»

« Cela revient à opérer, de fait, la mutation d’une proposition de loi en projet de loi, sans qu’il ait été procédé au préalable à une étude d’impact. »

Ces propos sont non pas de moi, mais de nos collègues François Rebsamen et Jean-Louis Carrère, et ont été tenus il n’y pas si longtemps dans cette enceinte.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

C’est ce que je dis, vous avez donné l’exemple !

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

J’ajoute que cette décision a été prise mercredi 31 octobre dernier, veille d’un week-end prolongé, mais n’a pas été portée immédiatement à la connaissance des sénateurs, comme l’impose l’alinéa 8 de l’article 29 bis de notre règlement. En effet, une modification de l’ordre du jour a seulement été adressée, par mail, aux groupes politiques, sans lecture en séance publique avant la modification du site internet du Sénat dès le 2 novembre.

Monsieur le président, je vous demande de vous faire le porte-parole de ce rappel au règlement auprès du président Jean-Pierre Bel, pour qu’il veille à ce que le Sénat ne devienne pas la chambre du patinage, alors que, comme il le soulignait lui-même en début de mandature, nous allons prendre « un chemin original et inhabituel ». §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (proposition de loi n° 188 [2001-2002], texte de la commission n° 61, rapport n° 60).

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Carle.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dix ans après sa discussion à l'Assemblée nationale, la gauche ressort des limbes de l’histoire parlementaire la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Cinquante ans après la signature des accords d’Évian, la gauche ne désarme pas à imposer, coûte que coûte, cette date du 19 mars.

Je trouve cela inopportun, voire malsain.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Comme si, en ces temps difficiles, le Parlement n’avait pas d’autres priorités.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Comme si notre pays ne connaissait pas suffisamment de sujets d’inquiétude pour le futur, sans qu’il faille le pousser à se déchirer sur le passé.

Comme si, depuis tout ce temps, la France n’avait pas reconnu la guerre d’Algérie pour ce qu’elle fut et n’avait pas fixé une date officielle, celle du 5 décembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

M. Jean-Claude Carle. C’était compter sans un calcul politique qui, loin d’éclairer le passé et d’apaiser les blessures de l’histoire

M. Guy Fischer s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

, voudrait aujourd’hui les raviver, soit pour complaire à certaines associations, soit pour satisfaire quelques cercles d’intellectuels moralisateurs

M. Guy Fischer s’exclame à nouveau.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Mais cela, je n’ose le croire…

À moins qu’il ne s’agisse de donner des gages à certains interlocuteurs à des fins étrangères au sujet qui nous réunit aujourd’hui, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

… quitte, là aussi, à faire de la repentance un outil de la diplomatie, quand ce n’est pas, tout simplement – osons le dire –, une marque de faiblesse.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

La droite et l’extrême droite nous parlent !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Je le craignais lors de la discussion du texte du 25 octobre dernier, et j’en suis aujourd'hui convaincu, ne serait-ce que parce que le Gouvernement a inscrit la discussion de cette proposition de loi dans son espace réservé. Or, monsieur le ministre, ce même 25 octobre, vous avez conclu votre intervention en affirmant vouloir laisser le Sénat débattre en toute sagesse, « sans aucune ingérence ni interférence de la part de l’exécutif »…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

… et vous avez réitéré ces propos lundi dernier à l'Assemblée nationale, lors de l’examen des crédits relatifs aux anciens combattants.

Mes chers collègues, serait-ce un nouveau couac ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Aujourd'hui, vous êtes les porteurs de valise de l’extrême droite et de l’OAS !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Monsieur le rapporteur, cher Alain Néri, vous qui étiez député en 2002 et avez alors voté cette proposition de loi, vous pouvez bien nous assurer de votre bonne foi en affirmant : « Le 19 mars doit apaiser et rassembler en permettant de se souvenir de tous les morts, avant et après cette date, comme on le fait le 11 novembre et le 8 mai pour les deux guerres. »

Comparer le 19 mars 1962 avec le 11 novembre 1918 et le 8 mai 1945, pour ma part, je ne m’y risquerai pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Si la reconnaissance de l’état de guerre en Algérie a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, il n’en sera pas de même pour le 19 mars qui, pour nombre d’anciens combattants, d’appelés du contingent, de rapatriés, de harkis, est à jamais le symbole d’une défaite et d’un abandon.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Il est tout de même important de rappeler que, si la majorité de gauche à l'Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi en 2002, M. Jospin n’a pas accepté qu’elle soit ensuite débattue au Sénat, estimant à l’époque qu’il n’y avait pas consensus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

De même, en 1981, le Président de la République, François Mitterrand, déclarait : « Si une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie [...] cela ne peut être le 19 mars car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple. » Il ajoutait par ailleurs : « Il convient de ne froisser la conscience de personne. »

Si la date du 19 mars revient depuis, tel un slogan, dans les revendications de certaines associations, d’autres associations d’anciens combattants, tout aussi légitimes et tout aussi nombreuses, qui manifestent aujourd'hui, ont dit clairement leur opposition. Preuve en est que nous sommes bien loin de l’apaisement et du rassemblement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Comment pourrait-il en être autrement quand la République algérienne émet un timbre en souvenir du 19 mars 1962 sur lequel est portée cette mention : « fête de la victoire » ?

Comment pourrait-il en être autrement quand, en visite dans notre pays, le président Bouteflika, se livrant à une comparaison avec les heures sombres de l’occupation en France, déclare que, pour l’opinion publique de son pays, les harkis étaient des collabos, sans que le gouvernement français d’alors dirigé par M. Jospin réagisse ?

Comment pourrait-il en être autrement quand M. Hollande évoque la répression des Algériens le 17 octobre 1961 et rend hommage à la mémoire des victimes, certes, mais sans un mot pour les policiers français tués ou blessés dans les attentats perpétrés contre eux par le FLN

Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

On en revient aux pires heures de l’histoire !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Il ne peut pas et il ne doit pas y avoir de mémoire sélective ou de mémoire à sens unique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Nous devons nous souvenir de tout.

Oui, souvenons-nous que la guerre d’Algérie ne s’est pas arrêtée le 19 mars, ni même le 2 juillet 1962.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Souvenons-nous des soldats du contingent tués ou blessés après cette date, soit quelque 225 000 hommes en armes à la veille du cessez-le-feu. Là-bas, 537 soldats sont tombés après le 19 mars.

Souvenons-nous que les périodes ouvrant droit au titre de reconnaissance de la nation ont été étendues jusqu’à la date du 1er juillet 1964 pour l’Algérie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Souvenons-nous que les accords d’Évian n’ont d’accords que le nom, car ils n’ont pu être respectés ; je pense en particulier aux garanties de sécurité aux populations.

Souvenons-nous que la guerre d’Algérie, ce sont aussi les Français de souche européenne et les Français de souche nord-africaine conduits par navires entiers à tout quitter, à tout perdre, jusqu’à leurs racines et aux tombes de leurs morts.

Souvenons-nous des 100 000 harkis et des 25 000 pieds-noirs abandonnés par notre pays, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

… livrés aux tortures et aux massacres du FLN après le 19 mars.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Qui était le Président de la République ? De Gaulle !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Souvenons-nous de ces femmes, de ces enfants et de ces hommes tués dans une fusillade le 26 mars 1962 à Alger, ou bien encore de ceux qui ont été massacrés à Oran le 5 juillet 1962.

Un choix a été fait, celui du 5 décembre. Ce choix, nous devons le respecter

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Choix arbitraire qui n’a aucun sens historique !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Même Marcel-Pierre Cléach reconnaît que cette date est ridicule !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

… sans chercher à raviver les blessures du passé en confondant devoir de mémoire et surenchère électorale, quel que soit le poids de telle ou telle association d’anciens d’Afrique française du Nord dans nos départements.

Si nous voulons que notre débat ait quelque utilité, servons-nous du passé pour comprendre le présent et dessiner l’avenir.

Il ne devrait plus y avoir dans la mémoire collective que la fierté et la communion de la nation dans le souvenir des Français morts au service du pays.

Tel n’est pas le cas de cette proposition de loi, lourde de calculs et de sous-entendus.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

C’est pourquoi, monsieur le ministre, dont je sais l’attachement envers tous ceux qui ont sacrifié avec courage les plus belles années de leur jeunesse au service de la France comme envers tous ceux qui y ont laissé leur vie, je sollicite votre sagesse pour demander, dans un souci de rassemblement national, le retrait de cette proposition de loi. §

C’est cette sagesse dont ont fait preuve à propos du 19 mars vos prédécesseurs, d’abord M. Masseret, puis M. Mekachera voilà dix ans, celle-là même qui a conduit le Premier ministre de l’époque, M. Jospin, à ne pas demander l’inscription de ce texte à l’ordre du jour du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

C’est faux ! Jean-Jack Queyranne l’a transmis au Sénat !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Carle

Il n’y avait pas consensus voilà dix ans. Il n’y en a pas plus aujourd’hui.

C’est pourquoi je voterai contre cette proposition de loi, si elle est maintenue. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, membre du groupe socialiste, je voterai le texte qui retient aujourd’hui notre attention.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Cette question du 19 mars, je la connais bien : je fus le chef de cabinet du ministre qui donna un nom au conflit d’Algérie. Ce ministre, M. Carle l’a cité : c’était Jean-Pierre Masseret. Cette reconnaissance de l’état de guerre a permis aux citoyens de notre pays de se réapproprier une page d’histoire que l’absence de nom avait marginalisée.

Ce ministère fut également à l’origine de la création d’un mémorial national pour les combattants d’Algérie.

Un nom, un mémorial : deux actes accomplis à l’unanimité des parlementaires, des associations et – pourquoi ne pas le dire ? – des Français.

Ce ministère ne donna pas de date à la guerre d’Algérie. Manque de courage, pourront penser certains ; lucidité, répondront d’autres. De cette date justement, parlons-en.

La France dispose d’un riche calendrier de dates commémoratives pour les guerres contemporaines.

Trois dates pour la Première Guerre mondiale : le 2 novembre, voté dès 1919 ; le 11 novembre, voté en 1922 ; et la fête de Jeanne d’Arc, le deuxième dimanche de mai. N’oublions pas en effet que cette dernière date fut choisie au lendemain de la Première Guerre mondiale pour remercier « Jeanne la Lorraine » d’avoir participé au sauvetage – une seconde fois – de la France.

Quatre dates pour la Seconde Guerre mondiale : le dernier dimanche du mois d’avril pour la déportation ; le 8 mai, pour la capitulation des armées nazies ; le 18 juin, pour l’appel du général de Gaulle et le dimanche le plus proche du 16 juillet pour la rafle du Vel d’Hiv.

Et déjà trois dates pour les guerres de décolonisation : le 8 juin pour l’Indochine ; le 25 septembre pour les harkis ; et le 5 décembre pour les combattants et les rapatriés d’Algérie.

Ce riche calendrier – c’est une particularité française – s’est encore enrichi, en ce début d’année 2012, d’une interprétation du 11 novembre.

Pourquoi vous le cacher, je suis sensible à l’union nationale qui a toujours prévalu au moment des votes portant création de ces journées commémoratives.

À l’exception des commémorations du 18 juin, du 8 juin et du 5 décembre qui ont été créées par décrets, toutes les autres dates ont été votées à l’unanimité, permettant ainsi à tous les Français de partager une mémoire commune. Cette union nationale mémorielle, pouvons-nous l’atteindre pour la guerre d’Algérie ?

Ernest Renan, dans son célèbre discours sur la nation, définissait avec précision ce qui constitue le socle de la nation française : un plébiscite de tous les jours. En clair, l’envie de vivre ensemble et une mémoire partagée. Il rappelait encore, en 1885, que « les moments de deuil partagés unissent plus que les moments de fête ».

La guerre de 1914-1918 – exceptionnel et tragique moment de deuil partagé par tous les Français – est l’exemple même du modèle de la mémoire républicaine. Le 11 novembre constitue, par excellence, la date du plus grand rassemblement mémoriel.

Mais peut-on dire de la guerre d’Algérie qu’elle offre le moment d’un deuil partagé ou d’un rassemblement mémoriel ? Je n’étonnerai personne dans cet hémicycle, notamment après avoir entendu M. Carle, en disant que nous en sommes, hélas ! encore très loin.

Pour les rapatriés, nos compatriotes, cette guerre marque un formidable moment de rupture avec une terre qui était la leur.

Pour les harkis, dont si peu ont été accueillis sur notre territoire, elle marque le temps de l’abandon et, pour un grand nombre d’entre eux – des dizaines de milliers –, le temps des massacres et des tueries.

Pour de nombreux militaires enfin, dont beaucoup avaient combattu en Indochine, la fin de la guerre d’Algérie marque la fin d’une histoire à laquelle ils avaient cru : celle d’une grande France, qui ne voyait jamais le soleil se coucher.

Une date commémorative est une sorte de carillon, dont la sonnerie, chaque année, réveille les souvenirs. Mais faut-il encore que ces souvenirs soient partagés par tous ceux qui entendent résonner le carillon.

Le 19 mars est un moment partagé par un grand nombre de combattants du contingent, ces hommes qui, jeunes alors, ont répondu aux ordres donnés par les gouvernements successifs pour combattre en Algérie. Tous, ils ont su à ce moment-là placer leur destin individuel dans celui de la nation.

Je respecte leur désir de voir le 19 mars devenir leur date carillonnée. À leurs yeux, cela achèvera le processus de leur reconnaissance comme génération du feu : 11 novembre, 8 mai, 19 mars.

Je respecte le combat d’une grande fédération d’anciens combattants qui, depuis 1963, tente de faire partager au plus grand nombre son désir calendaire.

Je comprends la force du souvenir de ces centaines de milliers d’appelés qui, l’oreille collée au transistor, criaient leur joie le 18 mars 1962, lors de la signature des accords d’Évian.

Je comprends ce souvenir, certes, mais je ne peux m’empêcher de penser à tous les Européens d’Algérie et à tous les Algériens qui, l’oreille collée au même transistor, pleuraient et s’interrogeaient sur les drames à venir.

J’espère, oui j’espère, que cette date du 19 mars sera capable d’unifier ceux qui riaient et ceux qui pleuraient en écoutant les mêmes actualités.

J’ai foi dans cette espérance mais, vous l’avez bien compris, je n’ai pu m’empêcher d’exprimer aussi mon inquiétude. §

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Génisson

Monsieur le ministre, dans votre propos liminaire, vous avez déclaré que le Sénat est la chambre de la réflexion, de la mesure et de la sagesse – on se plaît à le rappeler – et qu’il convient, pour construire un avenir commun, de regarder notre passé en face, dans le respect de toutes les victimes.

Le 19 mars 1962 est la date de proclamation du cessez-le-feu en Algérie, à la suite des accords d’Évian signés la veille. Ce n’est pas la fin de la guerre d’Algérie, reconnue comme telle depuis octobre 1999. Cela, nous avons été unanimes à l’exprimer lors d’échanges de qualité en commission des affaires sociales. Les appelés, les rapatriés, les harkis ont en effet été de terribles victimes après le 19 mars.

Mais comme M. le rapporteur l’a rappelé avec gravité, « il est temps d’apporter une réponse à ceux qui, entre 1954 et 1962, ont répondu à l’appel de la nation avec abnégation et courage dans le respect des lois de la République, et quel que soit l’avis qu’ils portaient individuellement sur le conflit en Algérie ».

L’inauguration du mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie par le président de la République Jacques Chirac, le 5 décembre 2003, constitue une belle reconnaissance des terribles événements vécus alors. C’est tout cela ; ce n’est que cela.

Le 16 octobre 1977, date d’inhumation du soldat inconnu à Notre-Dame-de-Lorette, correspond à la réunion des anciens combattants en grand nombre ; mais comme vous avez pu le constater, monsieur le ministre, ce n’est pas une date historique.

Les parlementaires que nous sommes doivent prendre acte des dates que l’Histoire retient ; mais je pense, comme beaucoup d’entre nous, que nous n’avons pas à commenter l’Histoire. Voter cette proposition de loi, c’est ouvrir les voies de la réconciliation et de la paix.

Aucun des destins individuels, faits d’épreuves et de douleur, ne peut être oublié ; mais, au-delà, s’impose le destin de notre communauté nationale.

Prenons aujourd’hui le temps du recueillement, du souvenir. Écoutons, respectons ceux qui, acteurs des heures sans doute les plus déchirantes de notre histoire nationale, aspirent à l’apaisement et à la réconciliation.

Oui, songeons aux trop nombreux jeunes gens du contingent, venus de tous nos territoires et qui, au début de la construction de leur vie, ont vu brutalement s’arrêter l’élan de leur futur.

Oui, songeons aux harkis, odieusement abandonnés, pour beaucoup d’entre eux, après le 19 mars.

Oui, n’oublions pas les rapatriés, obligés d’abandonner une terre qui était la leur, comme nous l’a rappelé en commission Mme Bruguière avec gravité et émotion.

Mais le 19 mars est une date que l’Histoire imposera pour qu’elle devienne le moment où, ensemble, nous partageons les mêmes douleurs.

Aucune comparaison n’est valide quand on parle de guerre mais, au nom de la mémoire républicaine, comme vient de l’indiquer M. Todeschini, je veux néanmoins évoquer le destin partagé auquel nous rendrons hommage dans le Pas-de-Calais en 2014 : ennemis d’hier, amis aujourd’hui, nous nous recueillerons sur le site de Notre-Dame-de-Lorette, devant un mémorial honorant dans une fraternité posthume les 600 000 soldats venus du monde entier et tombés pendant la Première Guerre mondiale sur le même sol : celui de la Flandre française et de l’Artois.

Mes chers collègues, dans le respect de toutes les victimes, sachons, conscients de nos responsabilités, choisir une date historique en faisant appel à l’union nationale, à la réconciliation. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Mes chers collègues, je souhaite – je le dis très sereinement – que ce débat, qui a été d’une grande tenue en commission, continue à se dérouler dans le même climat de réflexion.

J’ai écouté avec émotion les paroles des uns et des autres ; elles exprimaient des douleurs : des douleurs certes différentes, mais des douleurs partagées par l’ensemble de la nation.

Aujourd’hui, il convient de faire ensemble en sorte, à travers le texte dont nous discutons, que le 19 mars devienne effectivement un jour de recueillement et de souvenir, un jour de mémoire pour toutes les victimes de la guerre d’Algérie qui ont œuvré dans le sens du respect des lois de la République.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

À travers notre discussion et notre vote, nous allons faire en sorte qu’aucune douleur ne soit oubliée ni ignorée. Il n’y a pas de hiérarchisation dans les douleurs, les peines et les deuils : la France rassemblée doit rendre hommage à toutes les victimes de la guerre d’Algérie, cette guerre cruelle qui, trop longtemps, n’a pas osé dire son nom.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

M. Alain Néri, rapporteur. Une date historique et symbolique doit enfin être trouvée aujourd’hui pour que la troisième génération du feu soit traitée à égalité avec ses deux devancières.

Très bien ! et applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je suis saisi, par Mme Garriaud-Maylam et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 4.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (61, 2012-2013).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, auteur de la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, trois interrogations m’amènent ce matin à considérer, avec mes collègues du groupe UMP, que ce texte n’est pas constitutionnel (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.), qu’il est, en fait, contraire aux principes édictés par la constitution de notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Alors que la France traverse une très grave crise et que le calendrier législatif ne semble pas moins chargé que d’habitude, je m’interroge sur la pertinence du vote d’une proposition de loi dont les dispositions sont déjà satisfaites par le dispositif législatif en vigueur.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Piras

Il s’agit d’un décret et non d’une loi !

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

L’article 1er de ce texte tend à instituer une journée d’hommage à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Or, celle-ci existe depuis 2003. Le décret du 26 septembre 2003 a en effet institué « une journée » (Protestations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Le décret du 26 septembre 2003, je le répète, a institué « une journée nationale d’hommage aux morts pour la France durant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie ». Ses dispositions ont été complétées deux ans plus tard par la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Cette loi rend solennellement hommage aux personnes disparues et aux populations civiles victimes de massacres ou d’exactions commis durant la guerre d’Algérie et après le 19 mars 1962 en violation des accords d’Évian, ainsi qu’aux victimes civiles des combats de Tunisie et du Maroc.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Elle reconnaît ainsi les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d’indépendance de ces anciens départements et territoires.

La finalité de l’article 1er de la présente proposition de loi est donc d’ores et déjà satisfaite ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Parlez de l’article 4 de la loi précitée !

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Quant au second article du texte dont nous débattons ce matin, il prévoit de fixer la date de cette commémoration au 19 mars.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. J’estime donc que les dispositions de la présente proposition de loi sont déjà satisfaites par le cadre légal actuel et que ce texte encombre inutilement un calendrier parlementaire déjà bien trop chargé.

M. Marcel-Pierre Cléach applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Ma deuxième objection à l’examen de ce texte concerne le respect de la procédure de la navette parlementaire, telle que décrite à l’article 45 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Constitutionnellement, qu’est-ce qui justifie l’immortalité d’une « petite loi » ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Sans vouloir retracer l’histoire parlementaire et institutionnelle de la ve République, je rappellerai que, depuis cette date, trois élections présidentielles ont eu lieu, ainsi que trois élections législatives et un renouvellement total du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. La représentation nationale n’étant donc plus du tout la même qu’il y a dix ans

M. Bernard Piras rit.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

De ce fait, nous devons nous interroger sur la pérennité ou la caducité des textes déposés sur le bureau de l’une des deux assemblées parlementaires, et ce point de vue dépend de la chambre dans laquelle nous siégeons.

À chaque renouvellement de l’Assemblée nationale, la coutume veut que les textes transmis par le Sénat lors de la précédente législature soient frappés de caducité.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mais l’inverse n’est pas vrai.

Ah ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Certains me répondront que c’est parce que le Sénat est une chambre pérenne.

Oui ! sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Cet argument serait défendable si le délai entre l’examen des textes par l’Assemblée nationale et l’examen des textes par le Sénat était restreint. Mais, je le répète, depuis dix ans, le Sénat a été renouvelé totalement.

M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Un autre argument justifiant l’« immortalité » d’une loi tient au fait que le vote des parlementaires traduit une « volonté générale » placée hors du temps. L’expression de la volonté générale prime évidemment sur toute technique procédurale. Mais le texte dont nous discutons aujourd’hui n’est que la « petite loi » votée par l’Assemblée nationale en 2002 ; il ne reflète donc en rien l’expression de la volonté générale ! §

Comble des paradoxes, notre rapporteur, sénateur depuis le mois de septembre 2011, a été, préalablement à son élection à la Haute Assemblée, député de 1988 à 1993 puis sans discontinuer depuis 1997 jusqu’à son arrivée au sein de la Haute Assemblée.

M. Ronan Kerdraon s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Et alors ? Vous avez quelque chose contre le suffrage universel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Je vous félicite au contraire, monsieur le rapporteur !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Elle n’a aucune légitimité historique !

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Le texte dont nous débattons aujourd’hui, qui prétend instituer une journée d’hommage alors que celle-ci existe déjà, est donc mensonger.

Il eût été intellectuellement plus honnête et juridiquement plus rigoureux de déposer une proposition de loi visant à décaler du 5 décembre au 19 mars la date de la commémoration.

Rien n’empêche les socialistes de détricoter la loi de 2005 ! Mais une éthique parlementaire minimale voudrait qu’ils suivent pour cela la procédure parlementaire normale, décrite à l’article 45 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Cela supposerait de rédiger une nouvelle proposition de loi tenant compte du dispositif législatif en vigueur, notamment de la loi de 2005, et de la faire voter par les deux assemblées.

Une telle démarche aurait d’ailleurs parfaitement pu être adoptée puisque Alain Néri lui-même avait déposé une proposition de loi en ce sens le 5 janvier dernier ! Alors, pourquoi ne pas avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour du Sénat à la place de cette « petite loi » de dix ans d’âge, au statut juridique douteux ? Pourquoi même avoir cherché à cacher cette proposition de loi en omettant de la joindre à la discussion ?

Tous ces indices nous montrent que le Gouvernement et la majorité sénatoriale sont bien conscients du caractère constitutionnellement douteux de leur manœuvre.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Conscients que leur proposition divise profondément la nation, ils refusent de prendre le risque de son examen par l’Assemblée nationale, espérant réussir à forcer la main au Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

C’est d’ailleurs cette même logique du passage en force qui a conduit le Gouvernement à avancer l’examen du texte du 20 au 8 novembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Annie David

Elle a d’ailleurs été indiquée hier lors de la conférence des présidents !

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Monsieur le ministre, voilà deux semaines, dans cette enceinte même, vous nous aviez déclaré vous en remettre à la sagesse du Sénat « dans le plein respect des prérogatives du Parlement, car c’est à ce dernier qu’il incombe d’achever un processus législatif qu’il a lui-même engagé, et ce sans aucune ingérence ni interférence de la part de l’exécutif. » C’était un acte courageux et digne que je tiens à saluer.

Mais quelques jours plus tard, le Gouvernement vous a contredit en faisant inscrire en catimini cette proposition de loi à l’ordre du jour de notre assemblée sur le créneau qui lui est réservé, au lieu de maintenir son examen le 20 novembre, comme initialement prévu.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Quelle raison impérieuse a pu pousser à une telle modification ? S’agissait-il simplement de prendre de court les nombreuses associations du monde combattant qui préparaient une mobilisation de grande ampleur pour le 20 novembre ? Peut-être...

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

J’en viens maintenant à ma troisième objection.

La présente proposition de loi ne porte pas sur des matières relevant du domaine de la loi, tel que défini à l’article 34 de la Constitution.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Je comprends que cela vous gêne, mon cher collègue !

En réalité, quel est l’objet du texte que nous examinons ? La réponse paraît simple : commémorer la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats ayant eu lieu en Tunisie et au Maroc. Ceux qui s’opposeraient à un projet de mémoire si légitime ne seraient donc que d’affreux révisionnistes, niant les drames engendrés par cette guerre de décolonisation.

Mais, comme je vous l’ai indiqué précédemment, une telle journée d’hommage existe déjà depuis 2003…

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Elle n’a aucune légitimité historique !

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

… et, actuellement, rien n’empêche les associations de commémorer le 19 mars. Sans que cela soit clairement indiqué dans le texte, la polémique porte non pas sur cette journée de commémoration mais bien, à travers elle, sur une possible réinterprétation officielle par la France de la portée des accords d’Évian.

C’est d’ailleurs ce qui avait poussé François Mitterrand à déclarer : « s’il s’agit de décider qu’une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie […] cela ne peut être le 19 mars car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple. »

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Via l’instrumentalisation d’une journée mémorielle, la présente proposition de loi tente de réécrire l’Histoire. En effet, elle vise à raviver les clivages en essayant d’imposer une relecture simpliste de l’histoire franco-algérienne, dont la repentance française serait le seul axiome, …

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

… et en faisant passer pour des révisionnistes postcoloniaux les tenants d’une approche moins idéologique.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

La guerre d’Algérie est une page tragique de notre histoire dont il est important de garder la mémoire. Mais les commémorations ne doivent pas être utilisées pour diviser, pour raviver les blessures. Elles doivent au contraire être l’occasion d’aborder l’histoire dans toute sa complexité. Algériens et Français ont une longue histoire commune, faite de souffrances mais aussi de belles réalisations.

Enfin, je voudrais souligner le contexte international dans lequel intervient ce débat. Le Président de la République se rendra le mois prochain en Algérie.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Il semble que ce soit pour utiliser le présent texte à des fins politiciennes et diplomatiques qu’il en brusque l’examen

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mes chers collègues, n’est-il pas dangereux d’instrumentaliser ainsi l’Histoire et la Mémoire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Quels impératifs justifient aujourd’hui un tel mépris pour la procédure parlementaire, un tel déni de démocratie ?

Si ce texte d’ores et déjà périmé est voté au terme d’une procédure intrinsèquement viciée, nous saisirons le Conseil constitutionnel…

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Didier Guillaume, contre la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme M. le rapporteur l’a très bien indiqué et comme l’a démontré M. le ministre au mois d’octobre dernier, les débats du type de celui que nous avons aujourd'hui ne doivent pas conduire à des divisions.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Pour ma part, il me paraît normal de respecter les positions adoptées par les uns et les autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Mais, mes chers collègues de l’opposition, admettez tout de même que la majorité de la Haute Assemblée puisse avoir une opinion différente et l’exprimer.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

M. Didier Guillaume. En revanche, je trouve surprenant de vouloir saisir le Conseil constitutionnel à la seule fin de mener un combat politique !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Par ailleurs, j’ai entendu les mots « mensonge », « honnêteté », « éthique », « passage en force », « petite loi », …

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

… « caractère douteux de la manœuvre ».

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Contrairement à ce qu’a affirmé Joëlle Garriaud-Maylam, nous ne voulons pas diviser ni raviver les blessures, mais rassembler et refermer les plaies.

Il n’y a pas de petite loi. Je ne suis qu’un jeune parlementaire, mais j’ai été choqué que certains d’entre vous parlent de « petite loi ».

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

La « petite loi », c’est simplement le texte adopté par l’Assemblée nationale !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Au Sénat, les lois ne sont pas purgées. C'est la raison pour laquelle notre groupe est défavorable à cette motion.

J’ai bien entendu ce que vous avez dit, madame Garriaud-Maylam : si cette proposition de loi est adoptée, vous déposerez un recours devant le Conseil constitutionnel. Les recours de ce type sont fréquents, et le Conseil fera ce qu’il a à faire.

Mes chers collègues, franchement, comment aborder cette proposition de loi sans ressentir le poids de l’Histoire ? Je crois d'ailleurs que, les uns et les autres, vous vous êtes tous exprimés avec la même honnêteté quelle que soit votre opinion. Sur un sujet comme celui-là, il peut y avoir des visions totalement différentes. Mais la guerre d’Algérie a marqué notre mémoire collective : nous avons tous vécu cette guerre, de près ou de loin.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous en avons entendu parler à la maison ; ou plutôt nous en avons assez peu entendu parler, parce que ceux qui sont revenus de la guerre ne voulaient pas en parler. Certains membres de ma famille ont fait cette guerre. J’ai beaucoup de respect pour tous ces « p’tits gars », comme les appelait le général Bigeard, qui sont partis pour l’Algérie et sont trop nombreux à ne pas être revenus.

La guerre d’Algérie a contribué à diviser des familles pendant des années. J’ai une pensée pour ces familles, pour ces jeunes appelés, pour leurs enfants. Tous ceux qui ont été envoyés en Algérie ont été meurtris dans leurs corps et dans leurs têtes, ils en ont gardé des séquelles définitives au fond d’eux-mêmes. Ces atrocités ont été gravées en eux à jamais.

Nous devons honorer tous ceux qui sont morts ou ont été blessés, au combat ou lors d’un attentat, et tous ceux qui ont été torturés. Il n’y a pas de hiérarchie à faire entre les morts et les blessés : nous devons avoir une pensée pour chacun d’entre eux, qu’il s’agisse de militaires français, de harkis, d’Algériens ou de Français d’Algérie ; c’est cela le rassemblement républicain. §

Longtemps, cette guerre n’a pas voulu dire son nom. Lorsque, par la loi du 18 octobre 1999, le gouvernement de Lionel Jospin a reconnu que c’était bien une guerre et non une opération de maintien de l’ordre ou de simples « événements », il a accompli un acte fort, symbolique, un acte de rassemblement de notre nation. Oui, tous ces jeunes qui ont pris un bateau pour l’Algérie y sont bien allés pour faire la guerre. Nous avons tous pensé que la reconnaissance intervenue en 1999 était une bonne chose. Tout à l'heure, Jean-Marc Todeschini a évoqué le rôle de Jean-Pierre Masseret, alors secrétaire d’État. L’adoption par le Parlement de la loi du 18 octobre 1999 a constitué un événement très important.

Les accords d’Évian ont été signés il y a cinquante ans. Pourtant, nombre d’entre nous continuent à entendre parler de la guerre d’Algérie et de ses conséquences.

Madame Garriaud-Maylam, vous avez cité François Mitterrand. Je pourrais pour ma part citer le général de Gaulle, qui a recouru à deux reprises au référendum s'agissant de l’Algérie ; il était visionnaire : il avait vu ce qui se passerait après la guerre.

Le 8 janvier 1961, lors du premier référendum, 75 % des Français – plus de dix-sept millions de personnes – ont répondu « Oui » à la question suivante : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant l’autodétermination des populations algériennes et l’organisation des pouvoirs publics en Algérie avant l’autodétermination ? »

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Le 8 avril 1962, le général de Gaulle a organisé un second référendum pour demander aux Français d’approuver les accords d’Évian et le cessez-le-feu du 19 mars 1962. La question était celle-ci : « Approuvez-vous le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République et concernant les accords à établir et les mesures à prendre au sujet de l’Algérie sur la base des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 ? » Le « Oui » l’a emporté avec 90 % des suffrages exprimés.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Bien entendu, tout ne s’est pas achevé le 20 mars 1962 au matin ; vous l’avez tous souligné, et nous le reconnaissons tous. Il y a eu encore des drames humains qui ont marqué l’histoire de France.

Le prochain voyage du Président de la République en Algérie a été évoqué. Les relations franco-algériennes ont parfois été tumultueuses. Tous nos présidents de la République ont rencontré leur homologue algérien et se sont rendus en Algérie. J’en profite pour saluer Claude Domeizel, qui préside le groupe interparlementaire d’amitié France-Algérie. Oui, nous avons besoin des relations politiques et citoyennes les plus fortes possible entre les deux rives de la Méditerranée. La visite du Président de la République servira à renforcer ces relations, et ce n’est pas la future loi qui ajoutera quoi que ce soit.

Des deux côtés de la Méditerranée, des femmes et des hommes ont souffert ; mais il faut aujourd'hui regarder vers l’avenir, aller de l’avant et écrire le futur, tout en appréhendant le passé.

Je voudrais saluer notre rapporteur, M. Alain Néri, qui a défendu les mêmes convictions depuis de nombreuses années, d'abord à l’Assemblée nationale puis au Sénat. Il n’y a d'ailleurs rien d’anormal à devenir sénateur après avoir été député ; plusieurs d’entre nous sont dans ce cas. Où est le problème ? C’est la démocratie : ce sont les électeurs qui décident.

Il est indispensable de faire du 19 mars la journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Comprenons-nous bien : cette reconnaissance ne vise pas à imposer le 19 mars 1962 comme date de la fin de la guerre d’Algérie. Le 19 mars 1962, c’est d'abord et avant tout le lendemain du 18 mars et de la signature des accords d’Évian ; le 19 mars, c’est l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Cependant, comme M. le rapporteur l’a rappelé, les combats ne se sont pas arrêtés le 19 mars 1962. Mais – M. le rapporteur l’a également souligné – ils ne s’étaient pas davantage arrêtés le 11 novembre 1918 ou le 8 mai 1945 !

Il s’agit donc non pas de commémorer la fin de la guerre d’Algérie, mais de fixer une date qui permette d’honorer toutes les victimes – sans exception – de cette guerre.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous n’opposons pas les dates les unes aux autres.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous disons simplement que la date du 19 mars 1962 nous semble correspondre à un fait historique, le cessez-le-feu en Algérie. C’est pourquoi nous souhaitons que cette date soit choisie. Je ne vois pas ce qu’il y a d’anticonstitutionnel là-dedans. Je ne vois pas non plus en quoi cela diviserait la nation : il s’agit au contraire d’une date de rassemblement.

Mes chers collègues, qui voit-on devant les monuments aux morts le 8 mai, le 11 novembre et le 19 mars ? Il n’y a plus d’anciens combattants de la Première Guerre mondiale et il y a de moins en moins d’anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale ; alors ce sont surtout les anciens combattants de la guerre d’Algérie qui sont présents. Voilà la réalité !

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Dans quelques années, il ne restera que les anciens combattants de la guerre d’Algérie pour transmettre la flamme, transmettre la mémoire, transmettre notre histoire. Ce devoir de mémoire est indispensable !

Dans de nombreuses villes de France, on voit des drapeaux le 19 mars. Dans mon département, 304 communes sur 369 ont un monument, une place ou une rue du 19 mars 1962. Au total, dans notre pays, ce sont plus de 4 000 artères, plus de 800 sites personnalisés et plus de 1 500 lieux qui sont consacrés à la mémoire du 19 mars 1962.

Cette proposition de loi n’a rien d’anticonstitutionnel, à notre sens. Bien au contraire, elle nous permet d’entreprendre une démarche de reconnaissance. Le 19 mars 1962 ne représente ni la victoire des uns ni la défaite des autres. Nous voulons honorer tout le monde. Nous voulons saluer les harkis, qui ont été abandonnés par la France, les rapatriés d’Algérie, qui ont dû abandonner la terre où ils étaient nés, où vivait leur famille, sur laquelle ils avaient tout investi et qui faisait partie de leur histoire, nous voulons saluer les soldats, les victimes d’attentats terroristes, toutes celles et tous ceux qui ont souffert pendant la guerre d’Algérie. Cette proposition de loi vise à leur rendre hommage.

Je le répète, ce n’est ni la victoire des uns ni la défaite des autres. Il ne s’agit pas d’évoquer une défaite militaire, mais de se souvenir de toutes les victimes de la guerre d’Algérie, sans exception. Si cette proposition de loi est adoptée, le 19 mars deviendra la date officielle du recueillement et du souvenir, la date du rassemblement et du devoir de mémoire, la date de notre histoire et de notre mémoire communes. §

Debut de section - Permalien
Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants

Je n’avais pas prévu d’intervenir, et je m’en tiendrai d'ailleurs au principe que j’ai posé : ni interférence ni ingérence dans le travail des parlementaires, dont je respecte la sagesse et dont j’accepterai les choix.

Mon histoire personnelle aurait pu me conduire à réagir avec beaucoup d’émotion, mais je préfère l’éviter, non seulement parce que ma fonction de ministre m’impose des responsabilités, mais aussi parce que c’est ainsi que je conçois ma citoyenneté.

Je souhaite néanmoins corriger deux affirmations formulées au cours du débat.

Premièrement, s’il est exact que le Président de la République se rendra prochainement en Algérie, rien ne justifie qu’on lui fasse un procès d’intention. Pour l’avoir déjà accompagné en Algérie dans d’autres circonstances, je peux vous assurer qu’il a toujours fermement refusé la repentance ; je tenais à le rappeler devant vous.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. –MM. Hervé Marseille et Didier Guillaume applaudissent également.

Debut de section - Permalien
Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la défense, chargé des anciens combattants

Deuxièmement, si je comprends que certains puissent se demander pourquoi le Gouvernement a offert aux parlementaires la possibilité d’achever ce débat aujourd'hui, j’ai cependant entendu quelques propos difficiles à accepter – je ne sais pas si je suis un jeune ou un vieil homme politique, mais j’ai tout de même un peu d’expérience. Certains ont accusé le Gouvernement d’utiliser cette proposition de loi pour obtenir une majorité sur un autre texte. Si tel était le cas, le ministre de la défense et moi-même n’aurions pas prévu de nous rendre à Fréjus le 20 novembre pour assister au transfert des cendres du général Bigeard au Mémorial des guerres en Indochine. Je crois que c’est cette date du 20 novembre qui était initialement prévue pour la poursuite de l’examen de cette proposition de loi. C’est donc dans un souci d’apaisement, afin de permettre un regard dépassionné sur l’ensemble de notre histoire, que le Gouvernement a proposé d’avancer le débat à la date d’aujourd'hui.

S'agissant de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat et respectera le vote du Parlement. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Requier

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais quinze ans en 1962 et je me souviens très bien de la guerre d’Algérie et de l’inquiétude qui régnait alors dans la population, car chacun avait un mari, un frère ou un fils sur la terre d’Afrique.

Je me souviens quand, enfants des écoles, nous sommes allés trois fois au cimetière de ma commune de Martel, dans le Lot, qui compte 1 500 habitants, pour enterrer des victimes de ce conflit. Il s’agissait d’un gendarme, d’un militaire d’active et d’un soldat du contingent. Il y avait un piquet d’honneur, mais ces enterrements étaient très discrets, il faut bien le dire : ils n’avaient pas alors les honneurs des Invalides.

On a longtemps parlé d’« opérations de police », de « maintien de l’ordre », des « forces armées dans les djebels », d’« événements d’Algérie », mais il s’agissait bel et bien d’une guerre. Elle est maintenant reconnue comme telle, et il faut désormais achever cette évolution en reconnaissant officiellement la date du 19 mars 1962, jour du cessez-le-feu.

Il est vrai que beaucoup d’exactions ont été commises par la suite : les rapatriés ont été touchés dans leur chair ; il y a eu le drame des harkis. Pensez aux pauvres hères qui ont pu s’en sortir et que l’on a parqués dans le camp du Larzac, dans l’Aveyron, où ils ont littéralement gelé. Pensez aux militaires du contingent et d’active, qui ont continué à tomber. Pensez aux Européens – il ne faut rien cacher de cette histoire –, dont 700 ont disparu, le 5 juillet 1962, à Oran.

Nous nous situons aujourd’hui dans la lignée de ces événements. La guerre d’Algérie mérite bien cette date du 19 mars, qui est déjà depuis longtemps, pour nous élus, un jour de commémoration, même si celle-ci n’est pas officielle, car nous n’avons droit ni aux gendarmes ni au sous-préfet.

Pour terminer, je voudrais remercier M. le rapporteur, Alain Néri, qui défend ici cette proposition de loi, après l’avoir déposée à l’Assemblée nationale. C’est un Auvergnat, un bloc de granit, et, lorsqu’il a une idée, il va jusqu’au bout. Il aura mis dix ans pour parvenir à ses fins ! J’espère que le vote sera favorable à la proposition de loi et que nous pourrons revenir dans nos départements en ayant le sentiment d’avoir fait notre devoir.

Les membres du groupe du RDSE, dans leur grande majorité, ne voteront donc pas cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, estimant que la proposition de loi mérite discussion et approbation.

Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, le groupe UDI-UC votera la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, car ce débat a montré au moins une chose : cette date divise.

Les dates commémoratives, chaque fois qu’elles ont été approuvées, l’ont été dans le consensus. Aujourd’hui, notre discussion témoigne que les blessures liées à l’Algérie sont encore à vif et qu’elles affectent beaucoup de familles dans notre pays. Je le répète, l’évocation du 19 mars divise et blesse.

Il est vrai qu’il y a eu les accords d’Oran, qui ont suscité beaucoup d’espoirs pour certains. Mais il est vrai aussi que se sont produits d’autres événements : la rue d’Isly, les événements d’Oran en juillet 1962. Il y a encore beaucoup de débats et, à l’évidence, il eût été sage de ne pas ajouter une division supplémentaire. Il fallait laisser davantage de temps aux historiens pour travailler.

On a le sentiment qu’il existe une volonté d’imposer cette date et de raviver les plaies, lesquelles sont encore ouvertes. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI-UC votera cette motion.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Louis Nègre, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

M. Louis Nègre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un texte qui provoque une manifestation, à l’heure actuelle, à l’extérieur du Palais du Luxembourg.

Exclamations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

C’est donc un texte qui, contrairement à ce qu’a expliqué tranquillement M. le rapporteur, est clivant. C’est un texte qui divise !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

C’est vous qui l’avez organisée, cette manifestation !

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Je ne reviendrai pas sur l’intervention, particulièrement argumentée et charpentée, de notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam au sujet des principes de cette loi, qui sont contraires à la Constitution. Au-delà de ce problème, je m’interroge sur l’opportunité de ce texte, par les temps qui courent.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Pourquoi, mes chers collègues, alors qu’il existe déjà de très nombreux textes, dont la loi du 23 février 2005 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Parlons-en ! C’est la loi qui reconnaissait les bienfaits de la colonisation ! Ce sont les colonialistes qui parlent !

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Souvenez-vous de l’état dans lequel vous avez laissé l’Algérie !

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Si nous voulons fixer une date de commémoration qui ne divise pas, ayons une vision équilibrée du passé, ouvrons tous nos livres d’histoire, mettons en place une commission d’historiens franc-algérienne neutre et laissons-la se pencher sur ces événements pour dire ce qu’il s’est réellement passé !

Pourquoi, aujourd’hui, devrions-nous voter cette loi ? Nous nous sommes posé la question et une réponse nous est venue : il semblerait que ce soit pour des raisons politico-diplomatiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Nous pouvons comprendre qu’il faille s’entendre avec l’Algérie, comme avec tous les pays avec lesquels nous avons été en guerre ; l’Allemagne est un très bon exemple de réconciliation réussie, après que trois guerres nous ont opposés.

Toutefois, il se trouve que cette guerre-là, la guerre d’Algérie, a frappé tous nos concitoyens. Tout à l’heure, l’un de nos collègues disait que, pendant la guerre de 14-18, il y avait également eu des morts après l’armistice. C’est vrai, mais les événements ne se sont pas déroulés de la même manière : après le cessez-le-feu en Algérie, il y a eu un million de Français d’Algérie rapatriés ; nous avons pu dénombrer 145 morts, 422 blessés et 300 disparus, tandis que 50 000, 100 000, voire 150 000 harkis sont morts.

Aujourd’hui, mes chers collègues, quand nous nous rendons dans les associations de rapatriés, nous voyons des gens qui continuent à pleurer. Cela n’a rien à voir avec la Première Guerre mondiale.

Alors, s’il vous plaît, cessons la repentance ! À cet égard, je remercie M. le ministre délégué d’avoir souligné que la France ne devait pas se situer dans un tel état d’esprit. Cessons de battre notre coulpe unilatéralement !

Monsieur le rapporteur, vous ne cessez de dire que ce texte ne divise pas, ce qui montre d'ailleurs que tel est bien le cas ! Nous vous demandons de faire preuve de la même sagesse que feu le Président de la République socialiste François Mitterrand, qui refusait de faire du 19 mars une date commémorative, la blessure étant encore présente et profonde : il réclamait du respect envers ceux qui étaient revenus d’Algérie et qui, des décennies après, pleurent encore. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je mets aux voix la motion n° 4, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Voici le résultat du scrutin n° 16 :

Nombre de votants342Nombre de suffrages exprimés340Majorité absolue des suffrages exprimés171Pour l’adoption160Contre 180Le Sénat n'a pas adopté.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je suis saisi, par MM. Cléach, Lecerf, Retailleau et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, d'une motion n° 1 rectifiée.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (61, 2012-2013).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Jean-René Lecerf, auteur de la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous retrouvons ce matin pour examiner la proposition de loi visant à faire du 19 mars la journée nationale du souvenir de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, dont l’inscription à l'ordre du jour, au départ dans le cadre de la semaine d’initiative sénatoriale, fut demandée par le groupe socialiste.

Avant tout, en tant que parlementaires, nous ne pouvons que constater et admirer l’engagement, la mobilisation et la pugnacité de notre collègue Alain Néri afin qu’il en soit ainsi. Rappelons qu’il a engagé ce combat pour le 19 mars il y a plus de dix ans.

En tant que commissaire aux lois, j’avoue être perplexe face à l’historique de cette proposition de loi, qui est en réalité et juridiquement parlant une « petite loi ». Quoi qu’en dise l’un des intervenants précédents, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

… il n’y a pas de « petites » communes ni de « petits » maires, et nous le savons bien, ici, au Sénat. Mais il y a bien des petites lois, qui se définissent, tout simplement, comme des textes adoptés par l’une ou l’autre des assemblées.

Disant cela, mes chers collègues, je ne porte aucun jugement de valeur sur l’importance de la présente proposition de loi, laquelle fut adoptée par l’Assemblée nationale le 22 janvier 2002. Je veux souligner que son inscription à notre ordre du jour, sur l’initiative du groupe socialiste, pose un véritable problème d’éthique parlementaire.

Pour la seconde fois – à moins que ce ne soit la deuxième, nous verrons bien… –, le groupe socialiste a utilisé une tradition sénatoriale, transcrite il est vrai dans le règlement de la Haute Assemblée, permettant la saisine de textes adoptés à l’Assemblée nationale même lorsque celle-ci a été renouvelée.

Si un tel usage assure la continuité de l’action législative, il n’a probablement pas été conçu pour exhumer une proposition de loi vieille de plus de dix ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

D’autant, mes chers collègues, que l’inverse est impossible, puisque tous les textes déposés sur le bureau de l’Assemblée nationale deviennent caducs dès le changement de législature.

Est-ce à dire que les textes adoptés par des députés qui ne le sont plus ont préséance sur les textes sénatoriaux ? Sans corporatisme aucun, je peux pourtant affirmer que ce point mérite d’être soulevé et qu’il conviendra d’y réfléchir lorsque nous songerons à toiletter notre règlement.

J’en viens maintenant aux trois raisons, essentielles, qui motivent et justifient le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable.

Premièrement, la loi du 28 février 2012 a prévu de faire du 11 novembre, au-delà de la journée de « commémoration de la victoire et de la Paix » de 1918 qu’elle était jusqu’alors et continue d’être, une journée d’hommage à l’ensemble de ceux qui sont morts pour la France, qu’ils soient civils ou militaires, qu’ils aient péri dans des conflits actuels ou anciens.

Rappelez-vous, cette loi fut rapportée par notre collègue Marcel-Pierre Cléach, président du groupe d’études des sénateurs anciens combattants, il y a moins d’un an, et votée à l’unanimité en commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Ainsi, les victimes, civiles et militaires, de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc peuvent être honorées et le sont donc le 11 novembre, comme toutes les autres victimes « mortes pour la France » ; et ce sur la base d’un consensus national, lequel, nous ne le dirons jamais assez, est le minimum requis pour rendre hommage à nos aînés morts pour notre patrie, la France.

Deuxièmement, il existe déjà une journée nationale spécifique d’hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des opérations au Maroc et en Tunisie. Cette journée, c’est le 5 décembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Sans lien historique, on vous l’a déjà dit !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Vous m’expliquerez aussi ce que peut bien signifier la date du 19 mars pour les combats en Tunisie et au Maroc !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Fauconnier

Le 5 décembre, il n’y avait pas un chat dans nos communes !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Le choix de cette date est le fruit du travail d’une commission, présidée par le professeur Favier, réunissant des historiens ainsi que les associations les plus représentatives d’anciens combattants de toutes les guerres et chargée de proposer une date commune. Après une discussion et un vote démocratique, toutes les associations d’anciens combattants, à l’exception de la FNACA, la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, au Maroc et en Tunisie, et de l’ARAC, l’Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre, ont opté pour une date neutre, celle du 5 décembre, à laquelle avait été inauguré, en 2002, quai Branly, le Mémorial national des morts pour la France en Afrique française du Nord.

Le 5 décembre 2002, en effet, toutes les associations et fédérations étaient présentes, dans une même communion d’esprit, autour du seul souvenir de ceux qui avaient donné leur vie au service de la patrie au cours de cette période marquée par les combats d’Afrique du Nord.

La volonté d’apaiser les divisions se manifestait ainsi dans le choix d’une date qui rassemble, qui soit exempte de toute considération politique, philosophique ou religieuse et respectueuse des sensibilités de chacun.

Il s’agissait non pas de commémorer un événement, de célébrer une victoire ou de pleurer une défaite, mais tout simplement, ce jour-là, d’honorer, sur l’ensemble du territoire national, la mémoire de tous ceux qui, quelles que soient leurs sensibilités et leurs convictions, ont disparu dans ces combats et ces événements.

On peut, certes, contester le choix du 5 décembre, mais on ne peut refuser à cette date l’avantage d’être neutre et de n’avoir d’autre but que de rassembler autour de l’hommage dû aux morts. Pour beaucoup, le 5 décembre ne fait aucune référence à l’histoire et, par conséquent, est moins représentatif. Toutefois, un tel choix permet le respect de toutes les mémoires et n’offense le passé d’aucun des citoyens, peu importe leur appartenance ou leur statut de l’époque.

Pour tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette date, il reste la possibilité de se recueillir le 11 novembre. Rappelons surtout que ceux qui souhaitent honorer leurs morts le 19 mars sont tout à fait libres de le faire, sous réserve qu’ils ne l’imposent pas, par prosélytisme, à l’ensemble de la communauté nationale, plus particulièrement aux rapatriés, harkis, supplétifs et à l’écrasante majorité des anciens combattants, lesquels y sont résolument hostiles dans la mesure où cette date constitue à leurs yeux un déni de mémoire, voire un déni d’honneur.

Ainsi que le précise une circulaire du 19 février 2009, les associations d’anciens combattants ont la liberté et l’initiative d’organiser des manifestations publiques correspondant aux anniversaires d’événements qu’elles jugent dignes de commémoration, manifestations publiques auxquelles peuvent assister les préfets et les représentants des autorités militaires.

Troisièmement, pour nous en tenir davantage à l’esprit qu’à la lettre même du choix qui nous est proposé, il est de notre responsabilité, à nous, législateurs, d’œuvrer pour la cohésion nationale.

La portée historique du 19 mars a toujours fait, en France, l’objet d’une polémique. Aujourd’hui, cette querelle est de nouveau prête à éclater du fait de ce texte, considéré parfois par un certain nombre d’adhérents d’une cinquantaine d’associations d’anciens combattants regroupant des centaines de milliers de membres comme une « farce lugubre ».

Murmures sur plusieurs travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Ces appels au rassemblement, à la cohésion nationale, que l’on entend désormais et très naturellement dans la bouche du Premier ministre, ne seraient-ils que des « paravents de mots », destinés à cacher le fait que la majorité aurait choisi la politisation, en faisant ouvertement fi de la réalité historique ? Le 19 mars 1962 ne marqua pas la fin des hostilités, contrairement à ce qu’il est écrit dans l’exposé des motifs de la proposition de loi.

En demandant l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de votre niche parlementaire, mesdames, messieurs les sénateurs socialistes, vous faites ouvertement le choix de légiférer au détriment du sentiment majoritaire, pour une minorité, certes très agissante, infiniment respectable et largement acquise à votre cause, mais dont l’opinion, sur cette question, est notamment minoritaire au sein du monde combattant.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

Depuis 1981, les Présidents de la République successifs, François Mitterrand, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, se sont toujours opposés à une telle reconnaissance, afin de ne pas diviser les Français en heurtant leur mémoire. Le rôle et la responsabilité du politique n’est-il pas de rassembler plutôt que de diviser ? Celui des élus que nous sommes n’est-il pas de créer les conditions de l’apaisement, afin que chacun puisse exercer sereinement son devoir de mémoire ?

Mes chers collègues, c’est sans malice que je me plais à citer François Mitterrand qui, en 1981, déclarait en substance : « Si une date doit être officialisée pour célébrer le souvenir des victimes de la guerre d’Algérie, cela ne peut être le 19 mars, car il y aura confusion dans la mémoire de notre peuple. Ce n’est pas l’acte diplomatique rendu à l’époque qui peut s’identifier à ce qui pourrait apparaître comme un grand moment de notre histoire, d’autant plus que la guerre a continué, que d’autres victimes ont été comptées et qu’au surplus il convient de ne froisser la conscience de personne. »

Oui, le 19 mars était un cessez-le-feu, certes porteur d’espoir, mais il ne fut pas un « cessez-le-sang ».

Aussi, mes chers collègues, croyez-vous qu’il soit vraiment nécessaire de raviver des divisions…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-René Lecerf

… entre les anciens combattants ayant vécu cette guerre, alors même que nous avions adopté, ensemble, et cela honore la représentation nationale, il y a moins d’un an, une solution nous permettant d’apaiser ces mêmes divisions ?

Notre pays n’est-il pas assez adulte, notre démocratie assez mûre et respectueuse de tous pour être capable d’un peu de constance ?

Ne pensez-vous pas qu’il existe, dans notre histoire, des cicatrices telles qu’il n’est pas opportun de les rouvrir par des lois d’affichage ?

C’est bien dans ce domaine que nous devrions méditer le conseil de Montesquieu selon lequel il ne faut toucher aux lois « que d’une main tremblante ».

Nous sommes appelés à légiférer non pas sur des dispositions d’ordre économique, mais sur ce qui participe de ce que nous sommes aujourd’hui, puisqu’il s’agit de notre histoire à tous, anciens militaires du contingent ou professionnels, rapatriés, supplétifs et harkis, enfants et petits-enfants des uns et des autres, et ce quelle que soit notre famille politique.

Mes chers collègues, ne commettons pas une faute mémorielle en donnant à l’histoire l’occasion de porter un jugement sévère sur nos travaux.

On ne peut célébrer une défaite : le 19 mars restera un divorce pour la société française, que l’on se situe en 1962 ou aujourd’hui.

Pour la communauté harki, dont les pères et les grands-pères avaient choisi la France, le 19 mars demeurera une journée de deuil.

Les accords d’Évian n’ont pas été respectés, l’ordre du jour du général Ailleret, qui commanda l’arrêt des combats, ne s’est concrétisé sur le terrain que comme une mesure à sens unique. Les archives dont nous disposons dénombrent tant de morts, tant de blessés, tant de disparus dans les rangs de l’armée française après le 19 mars 1962… Et il est impossible de ne pas rappeler l’insupportable : l’effroyable massacre de dizaines de milliers de harkis ; on ose à peine dire que les chiffres varient de 60 000 à 150 000 tués, victimes des pires exactions de la part du nouveau pouvoir, notamment des combattants de la dernière heure qui rejoignirent le FLN à partir de mars 1962.

Nous nous sommes déjà rendus coupables de tant d’injustices, de tant de lâchetés, de tant de dénis de reconnaissance vis-à-vis de nos frères harkis. Est-il bien nécessaire d’en rajouter ? J’ose à peine évoquer les insultes, il n'y a pas d’autres mots, dont ils furent il n’y a pas si longtemps l’objet de la part de l’actuel chef d’État algérien.

C’est pour toutes ces raisons que je vous demande instamment, mes chers collègues, d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.

Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, contre la motion.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup a été dit et nombre de propos tenus pourraient être partagés, à ceci près que personne, dans les rangs de l’opposition, n’a le droit, que certains se sont pourtant arrogé ce matin, de remettre en cause la sincérité et l’honnêteté intellectuelle de ceux qui siègent sur les travées de la majorité

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Je le dis en réponse à toutes les démonstrations que nous avons entendues, au prix d’exercices intellectuels quelque peu fastidieux, de la part de ceux qui voudraient donner des leçons de constitutionnalité tout en évoquant, du reste, la morale, l’éthique, la malhonnêteté intellectuelle, et que sais-je encore.

Que vous le vouliez ou non, mes chers collègues, fût-ce au prix d’une censure du Conseil constitutionnel, la proclamation du cessez-le-feu par le général Ailleret le 19 mars 1962 restera dans l’histoire.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Cinquante années ont passé. Nous avons, de notre point de vue, franchi le seuil critique, celui qui permet une distanciation avec l’histoire pour que le législateur puisse se déterminer en connaissance de cause. En ce qui me concerne, je m’inscris pleinement dans les intentions affichées par Alain Néri, notre rapporteur, …

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

… qui n’a ni plus ni moins comme but, au travers d’une transmission apaisée de la mémoire, que d’instaurer une journée nationale du recueillement et du souvenir dédiée à toutes les victimes de ces conflits.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Et quand les mêmes ont refusé de le faire, quelques années après, à l’occasion de la tentative du putsch de 1961, sous les ordres d’officiers et de sous-officiers que l’on peut qualifier de légitimistes, ils ont rendu, ces jours-là, un service éminent à la République française et aux principes qui sont les siens.

C’est dire que, même si l’on ne peut se payer le luxe de dissocier l’ensemble des victimes de ces conflits quand il est question d’instaurer, au même titre que le 8 mai ou le 11 novembre, une date officielle pour permettre à leurs collègues survivants et à leurs familles de se recueillir en leur mémoire, je crois que le Parlement accomplit, à ce moment-là, véritablement le devoir qui est le sien.

Quant à la motion tendant à opposer la question préalable sur ce texte, elle se fonde, comme le montrent les propos tenus à l’instant par notre collègue Lecerf, sur les arguments qui sont répétés sans cesse depuis l’ouverture de ce débat.

Je le répète, loin de chercher à attiser ou à raviver les clivages au sein de notre société, en altérant au passage l’esprit d’union républicaine, ce texte a, selon nous, une vocation d’apaisement.

Monsieur Lecerf, vous justifiez votre motion en rappelant que deux lois existent, notamment celle du 23 février 2005 par laquelle la Nation associe les rapatriés d’Afrique du Nord, les personnes disparues et les populations civiles à l’hommage rendu le 5 décembre aux combattants morts. Toutefois, il a été démontré que cette date était totalement dépourvue de lien avec un jour historique tel que celui que j’évoquais tout à l’heure et qui concerne le cessez-le-feu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Je saisis cette occasion pour préciser que, quand nous évoquons ce cessez-le-feu, il n’est pas question pour nous d’y associer une notion de victoire ou de défaite. Ce cessez-le-feu est un fait. Qu’on le veuille ou non, c’est le 19 mars qu’il a eu lieu. Et même si les historiens se sont, paraît-il, penchés sur la date du 5 décembre, ce jour ne correspond à rien de précis. Cet argument ne tient donc pas.

Vous avez évoqué le 11 novembre. Cela nous ramène à un contexte beaucoup plus général, en nous rappelant que l’on a tenté de promouvoir un Memorial Day à lafrançaise afin de diluer l’histoire de notre pays, au moment pourtant où notre jeunesse, qui se pose des questions, a besoin de repères historiques pour envisager l’avenir d’une manière plus éclairée.

À plus forte raison, affirmer que cette proposition de loi tend à encombrer le calendrier mémoriel, c’est très clairement l’entacher d’une connotation péjorative par rapport à ce que représente le 19 mars.

En ce qui nous concerne, nous ne considérons pas, bien au contraire, que les dates, telles qu’elles existent actuellement dans notre calendrier, sont de nature à encombrer l’histoire. C’est la raison pour laquelle nous étudions actuellement la possibilité d’assurer la promotion d’autres dates historiques, susceptibles d’accompagner un effort pédagogique en direction de notre jeunesse.

Sourires sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Par conséquent, le calendrier mémoriel français ne sera pas, loin s’en faut, encombré par la mise en place d’une célébration à l’occasion du 19 mars.

Monsieur Lecerf, vous avez développé un autre argument, en faisant allusion à la possibilité de laisser aux associations d’anciens combattants l’initiative d’organiser des manifestations publiques. Or, de notre point de vue, réduire ce type de commémoration à une simple faculté reviendrait à le dévaluer.

Cela me donne l’occasion de rappeler, après d’autres, le succès que suscite chaque année, au-delà des anciens combattants, auprès de la population tout entière, la célébration du 19 mars.

Je vous invite à prendre connaissance de la liste des communes qui affichent sur leurs territoires des sites dédiés au 19 mars. Vous vous rendrez compte que, malgré ce que vous avez pu dire jusqu’à présent, cette date est inscrite dans les faits, dans la mémoire collective de notre pays et dans la volonté exprimée à la fois par les conseils généraux, par les conseils régionaux et par les communes d’aller plus loin et de l’officialiser une fois pour toutes.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

C’est vrai pour la très grande majorité des communes !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Pour terminer, je voudrais, mes chers collègues, plaider encore une fois en faveur de cette proposition de loi. Je le ferai avec la sincérité que nous devons à nos compatriotes ; je pense singulièrement à ceux que j’évoquais en début de mon propos.

Si nous arrivons à voter ce texte, fondé sur un élément factuel, loin d’attiser les tensions, nous permettrons à nos concitoyens de tourner une page de notre histoire et d’envisager l’avenir dans des conditions bien plus positives.

En tout état de cause, s’il ne devait y avoir qu’une raison pour voter ce texte, c’est ce que nous devons à l’ensemble des appelés du contingent et à leurs officiers qui ont fait ce qu’ils avaient à faire dans des conditions très difficiles. Nous n’avons pas le droit de leur refuser cet instant privilégié de se recueillir, à l’occasion du 19 mars, sur la mémoire de ceux qui sont, malheureusement, restés de l’autre côté de la Méditerranée.

Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Je voudrais revenir sur quelques points, sur certaines paroles prononcées qui essaient de jeter la confusion.

Pour commencer, on nous parle du 5 décembre, arguant qu’il existe déjà une date pour une telle commémoration. Toutefois, chers collègues, sans vouloir mettre quiconque ici en difficulté, et surtout pas notre ami le sénateur Cléach, il n’en demeure pas moins que celui-ci est, avec Jean-Claude Carle, à l’origine d’un communiqué faisant état d’une « journée de repentance ».

Or il ne s’agit pas de repentance ! Il s’agit de rendre un hommage, de consacrer le moment solennel du recueillement et du souvenir.

Je n’aurai pas la cruauté de vous citer, mes chers collègues, mais dans votre communiqué – que je tiens ici à votre disposition si vous voulez le consulter – vous affirmez vous-mêmes que le 5 décembre n’a pas de signification historique. §

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Dans le même temps, vous écrivez que : « Des historiens disent que… ». Toutefois, ce n’est pas parce que des historiens « disent » que cela devient forcément historique, sauf s’ils profèrent des bêtises si importantes qu’elles acquièrent alors cette dimension ! Affirmer que le 5 décembre est une date historique, c’est effectivement une énorme bêtise !

Mes chers collègues, au cours des auditions, il est apparu que tout le monde reconnaissait que le 5 décembre ne revêt aucune signification historique. En outre, vous parlez de juridictions et de vie parlementaire. Reconnaissez tout de même avec nous que la date du 5 décembre a été créée par décret... Après quoi, on a tenté de justifier ce choix au travers de la loi. Reconnaissez avec nous que c’était un cavalier, puisqu’il ne s’agissait ni d’une loi mémorielle ni d’une loi historique. L’objet dudit texte était non pas de reconnaître la guerre d’Algérie, mais de consentir les droits à l’indemnisation des rapatriés, que personne ne contestait.

Ce qui m’étonne fortement, c’est que des parlementaires en arrivent à dénigrer, à dévaloriser un texte de loi parce qu’il serait d’initiative parlementaire. Est-ce à dire que vous ne reconnaissez pas la valeur de votre travail ?

Mme Joëlle Garriaud-Maylam proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Or ce texte venait du Parlement. Il s’agissait, en effet, de la proposition de loi que j’avais écrite et faite adopter par l’Assemblée nationale. Cette initiative parlementaire avait bien quelque valeur, puisque vous l’avez votée à l’unanimité ! Vous êtes donc en pleine contradiction !

Vous évoquez la « troisième génération du feu », mais il me paraît quand même scandaleux de ne pas vouloir lui accorder, comme aux deux précédentes générations, une journée symbolique et historique.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

En effet, comme les deux précédentes, la troisième génération du feu a fait l’objet d’une mobilisation générale. Laquelle, certes, ne s’est pas faite en une seule fois : c’est tous les deux mois que partaient, victimes de la mobilisation, les petits Français du contingent.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Merci à Guy Mollet ! L’envoi du contingent en Algérie, c’était lui !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Notre collègue l’a rappelé, quand ils revenaient, c’était dans la douleur – je dis bien ceux qui revenaient. Car certains ne rentraient pas. Et ils étaient souvent enterrés en catimini et à la sauvette.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Je crois que ce n’était pas à l’honneur de la France, ni de ceux qui nous gouvernaient à l’époque. Et ces derniers sont quand même ceux qui ont signé les accords d’Évian et qui n’ont pas respecté la parole de la France vis-à-vis des harkis. Ce sont ceux qui ont donné l’ordre de les abandonner lâchement et odieusement, …

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

… sachant à quel sort ils les laissaient sur la terre d’Algérie. Et pour ceux qui sont revenus en France, parce que des officiers ont osé désobéir, il n’y a pas de quoi être fier des conditions dans lesquelles on les a reçus !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Non seulement on n’a pas à être fier des conditions dans lesquelles on a accueilli ceux qui sont revenus en France, mais parfois même, on les a remis dans un bateau pour les faire repartir !

Et pour avoir eu l’occasion, quinze ans après, d’aller à Matiber, là où il y avait la harka du Bachaga Boualem, pour y avoir vu dans quelles conditions ces gens et leurs enfants étaient malheureusement en train de vivre, je vous le redis, nous n’avions pas de raison d’être fiers !

Je veux rappeler tout de même que la mémoire ne doit pas être sélective. Si vous avez, comme nous, la volonté de réunir toutes les douleurs dans un même partage, si vous voulez faire en sorte qu’il y ait une date historique, symbolique, dédiée à toutes ces victimes qui sont mortes ou qui ont souffert dans la loyauté à la République, une seule date s’impose, celle du 19 mars parce que celle-là, elle est historique !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Protestations sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Mes chers collègues, je vous l’ai dit tout à l’heure, il n’y a pas de hiérarchisation dans la douleur. On ne fête ni une guerre, ni une défaite, ni une victoire. On se souvient de la souffrance de tous, on se recueille devant elle. Et si vous voulez effectivement que cette douleur soit reconnue dans la dignité, eh bien, vous ne pouvez pas vous contenter d’une date dénuée de toute signification ! Ce serait une insulte à tous ceux qui ont souffert, les soldats, les rapatriés, les harkis, parce que tous ont été victimes de la même cruauté de la guerre ! Tous ont été touchés, à un moment différent, certainement avec des pensées différentes, mais la Nation unanime doit se rassembler pour leur rendre le même hommage.

C’est ce que nous allons faire. Les douleurs qui étaient gravées dans notre chair, nous devons les inscrire dans le marbre de la loi ! Et c’est ce que nous ferons aujourd’hui ! L’avis de la commission est donc défavorable, monsieur le président. §

Debut de section - Permalien
Kader Arif, ministre délégué

Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. René Garrec, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de René Garrec

Je m’exprimerai non pas pour mon groupe, mais en mon nom propre. En effet, j’y étais, en Algérie. Je suis sorti sous-lieutenant de Cherchell. L’État, économe de ses deniers, formait beaucoup d’aspirants, qui n’étaient pas payés, et des sous-lieutenants, qui étaient payés. Cela faisait à l’époque une grosse différence, entre 30 francs et 850 francs !

Quand je suis sorti de l’école et rentré en France, je suis reparti avec mes vieux copains de section. Et j’ai dû les quitter sur le bateau, parce que moi, en ma qualité d’officier, on me faisait voyager en première classe, alors qu’eux, ils étaient dans la cale. En effet, l’adjudant me l’a expliqué, l’aspirant n’était qu’un sous-officier supérieur.

Cela fait partie de mes souvenirs de base. Je ne vous raconterai pas ma vie, mais je suis vraiment très mal à l’aise avec ce débat. En effet, quand cette guerre s’est terminée – l’armistice, ce n’est pas la paix, et tout ce qui a suivi a été abominable pour ceux qui l’ont vécu –, j’ai regretté de ne plus être en Algérie à ce moment-là, avec mes amis, les moghaznis, ceux dont on parle peu, avec les harkis qui luttaient avec moi, qui étaient mes camarades de combat.

À Mohand Ould El Hadj, le patron du commando, qui était en face de moi, j’avais dit : « Rends-toi, tu es vieux ». Je l’avais même écrit à sa femme. Il avait 55 ans. Quand je vois mon âge aujourd’hui, je souris ! Il s’est rendu huit jours après que je sois parti. J’espère qu’il a été bien accueilli par mon remplaçant.

Si je suis très mal à l’aise, c’est parce que j’avais à l’époque l’impression de faire la guerre. J’avais d’ailleurs été un peu écorché, un peu blessé, certes pas assez gravement pour être reconnu comme invalide, mais assez pour être gêné physiquement, comme aujourd’hui par mon torticolis.

Quand je suis rentré chez moi, après ces deux ans et demi de service militaire, ceux de mes camarades qui n’étaient pas partis en Algérie avaient fini leur thèse ; moi, je n’avais pas commencé la mienne. Je ne savais plus comment me recycler dans le système, et je suppose que je n’étais pas le seul. Ce que nous avions vécu n’était pas considéré comme une guerre. Il était même un peu infâmant d’être allé en Algérie.

J’ai donc apprécié que la loi dise formellement : ce qui s’est passé en Algérie était une guerre et la date commémorative en sera, pour vous qui y étiez comme pour tous les anciens combattants, le 11 novembre. Pardonnez mon émotion, mes chers collègues, mais je pense à tous mes amis qui sont morts.

Marques d’émotion sur diverses travées.

Debut de section - PermalienPhoto de René Garrec

Le 11 novembre prochain, je serai dans mon village avec les miens, soldats de seconde classe ou sergents, qui m’attendent et m’ont téléphoné pour me dire : « Nous espérons que tu seras là ».

Je serai avec eux le 11 novembre, car c’est la date qui commémore la fin de toutes les guerres.

Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Hervé Marseille, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Marseille

Vous vous en doutez, mes chers collègues, le groupe UDI-UC votera cette motion tendant à opposer la question préalable.

J’ai écouté avec intérêt les propos de notre collègue Jean-Jacques Mirassou, et je trouve que notre assemblée prend un risque en choisissant la date du 19 mars.

Il a été question de la responsabilité que devait prendre le Parlement, en particulier le Sénat, dans le choix de cette date, dont je rappelle qu’elle fait débat. Si tel n’avait pas été le cas, d'ailleurs, peut-être aurait-elle déjà été adoptée. Pour notre part, nous avions choisi la date du 5 décembre justement parce qu’elle ne faisait de peine ni aux uns ni aux autres. On nous dit aujourd'hui qu’elle ne correspond à rien. Et pour cause !

Le Parlement doit donc trancher, et le ministre s’en remet à la sagesse du Sénat. Soit. Toutefois, on ne peut pas, d’un côté, s’agissant du génocide arménien, dire qu’il faut donner du temps au temps, laisser travailler les historiens, saisir le cas échéant le Conseil constitutionnel, comme beaucoup l’ont fait ici, ou encore tenir des propos talentueux, à l’instar de notre ancien collègue Badinter, et, de l’autre côté, pour ce qui concerne la date du 19 mars, s’en remettre au Parlement pour qu’il tranche la question.

Si l’on commence à agir ainsi, chacun pourra à l’avenir, au gré des majorités, proposer des dates, certes défendues de bonne foi, avec honnêteté et conviction, mais ni partagées ni consensuelles. C’est un risque que nous prenons, mes chers collègues, alors que nous devons être très prudents. C’est la raison pour laquelle, je le répète, notre groupe votera cette motion.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Comme nombre d’entre nous, je suis touché par ce débat et je partage, à plusieurs égards, le malaise de René Garrec.

À la différence des dates commémoratives du 11 novembre et du 8 mai, qui font aujourd’hui partie de notre histoire et qui marquaient l’armistice de guerres menées pour défendre la liberté de notre pays, celle du 19 mars commémore le cessez-le-feu intervenu à l’issue d’une guerre d’indépendance d’un ancien territoire français, ce qui explique les sentiments partagés qui s’expriment aujourd’hui.

La place toute particulière de cette guerre dans l’histoire de notre pays plaide en faveur de la date du 19 mars, qui commémore la fin des conflits au Maroc, en Tunisie et en Algérie puisque, à des degrés d’intensité et de violence divers, la France a combattu contre l’indépendance de cette colonie et de ces deux protectorats français.

Je souhaite exprimer, avec tout le respect possible, mon désaccord avec l’argumentation présentée par les auteurs de la motion tendant à opposer la question préalable, en insistant sur deux points évoqués par notre collègue Jean-René Lecerf.

Tout d’abord, et ce sera ma première observation, le conflit d’Algérie fut le dernier au cours duquel des appelés du contingent ont combattu pour la France, et j’espère qu’il le restera longtemps.

Par les hasards de la vie publique, j’ai fait partie du gouvernement qui a intégré l’administration des anciens combattants dans celle de la défense, ce qui me semble être l’aboutissement naturel et honorable du phénomène social que représentent les vétérans dans notre pays.

Ce même gouvernement a mis fin à la conscription, sur la base d’une décision prise antérieurement par le président Chirac, et s’est efforcé d’organiser correctement une défense professionnalisée.

Enfin, ce gouvernement a consacré la reconnaissance de la guerre d’Algérie en tant que telle, et nous avons rappelé le grand rôle joué à cet égard par mon ami Jean-Pierre Masseret.

Cette génération de combattants qui a servi sous les ordres d’officiers, dont certains étaient des militaires d’active mais aussi, pour beaucoup d’entre eux, des appelés, a le droit que soit reconnu son apport à l’honneur et à la défense du pays, même si nous ne pouvons pas porter la même appréciation historique sur ce conflit armé que sur les deux guerres mondiales.

Cette « troisième génération du feu », que nous honorons comme telle, est la dernière génération d’appelés, de jeunes soldats citoyens.

Cette volonté de les honorer est largement partagée, nous le savons tous ; il suffit de voir dans quelles villes existent des rues ou des places du 19 mars 1962. Nous savons aussi, quelles que soient nos différences politiques, que ceux qui ont combattu en Afrique du Nord souhaitent la reconnaissance de cette date, et pas une autre. Du point de vue de la légitimité et de l’appel à l’honneur, il me semble donc que la reconnaissance de cette date se justifie à plusieurs titres.

Ma deuxième observation concerne le vote unanime intervenu sur la loi d’avril dernier fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France. Je n’en ai pas du tout la même lecture que Jean-René Lecerf !

Lorsque ce débat a eu lieu, nous traversions une période de fortes tensions politiques, je n’en dirai pas davantage. Comme vous le savez, l’idée de réunir lors de la même date les commémorations de l’ensemble des conflits auxquels a participé notre pays, déjà évoquée voilà fort longtemps par le président Giscard d’Estaing, suscitait une réelle émotion dans le monde combattant. Plusieurs d’entre nous, qui étions alors dans l’opposition, ont perçu le risque d’un clivage sur ce sujet, qu’il fallait évidemment éviter.

À la suite de quelques réflexions émises par les uns et les autres, un amendement tendant à rappeler que cette date ne mettrait fin à aucune autre commémoration a été présenté, rendant possible le rassemblement et l’unanimité. Pour ma part, j’y ai attaché la plus grande importance, du fait de mes fonctions antérieures et de l’attachement que je porte à la communauté militaire. Nous avions besoin, en effet, d’une date commémorant le sacrifice des militaires d’active, de la nouvelle défense française.

Nous sommes parvenus à nous rassembler sur ce sujet pour ce motif-là, car nous étions tous convaincus qu’il fallait trouver une date permettant d’honorer aussi la mémoire des soldats d’aujourd’hui, ces professionnels tombés lors d’opérations extérieures. En revanche, si nous avions voulu écarter, au travers de ce choix, le débat sur la commémoration de la guerre d’Algérie, nous savons tous que l’unanimité n’aurait pu se faire.

Mieux vaut nous rassembler dans le respect mutuel, j’y insiste, afin de consacrer la reconnaissance d’une génération du feu et de ses souffrances au combat au travers de la date du 19 mars, plutôt que de chercher des arguments ne correspondant ni à la réalité ni à la gravité des événements.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

Le scrutin a lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

Il est procédé au dépouillement du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Voici le résultat du scrutin n° 17 :

Nombre de votants342Nombre de suffrages exprimés340Majorité absolue des suffrages exprimés171Pour l’adoption157Contre 183Le Sénat n'a pas adopté.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Je vous informe cependant, mes chers collègues, que je devrai suspendre la séance à onze heures cinquante-cinq pour la cérémonie d’hommage aux sénateurs et aux fonctionnaires du Sénat morts pour la France.

(Non modifié)

La République française institue une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

Debut de section - PermalienPhoto de Roland Courteau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de 20 000 communes commémorent le 19 mars 1962 en France. C’est un cas que je crois presque unique dans notre histoire mémorielle républicaine. Remplir le devoir de mémoire est une demande venue d’abord de la population et des témoins ; elle a été exprimée par les communes, socle premier de nos institutions, qui sont très nombreuses aujourd'hui à avoir une rue ou une place portant pour nom cette date.

Il est grand temps que la République établisse une date commémorative afin que ce soit la Nation tout entière qui s’unisse désormais dans un même devoir de mémoire. Il est plus que temps que « parler de l’Algérie » cesse de nous diviser, et au contraire nous unisse.

Il est vrai qu’une difficulté à « faire mémoire » s’est attachée à la guerre d’Algérie, du fait de l’épreuve douloureuse que celle-ci a représentée non seulement pour les militaires et les appelés du contingent, mais aussi pour les Français d’Algérie et les harkis.

Je rappelle cependant que deux millions de soldats, dont une majorité d’appelés, ont traversé la Méditerranée entre 1955 et 1962. Or, il y a un principe, exprimé à l’origine par Georges Clemenceau, qui guide notre devoir mémoriel républicain : ceux qui ont combattu, qui ont été blessés, qui sont morts pour avoir fait leur devoir en répondant à l’appel de la République « ont des droits sur nous ».

Oui, les grands rendez-vous mémoriels sont l’occasion de rappeler les sacrifices consentis par le monde combattant. Pour tous les conflits, ce sont les soldats qui fondent le socle du devoir mémoriel de la République, mais sans exclure pour autant les autres victimes, notamment civiles, qui ont aussi droit à réparation.

C’est bien à ces soldats et à ces appelés qui avaient franchi la Méditerranée que s’adressait le cessez-le-feu, décidé par la République, du 19 mars 1962. Il signifiait que la République n’était plus engagée, à travers eux, dans les combats et que la France n’était plus en guerre.

Cette guerre a coûté la vie à plus de 25 000 militaires, majoritairement appelés ou rappelés du contingent.

Non, ce n’est pas la date abracadabrantesque et arbitraire du 5 décembre qui peut constituer le rendez-vous mémoriel avec eux : ce jour est celui de la saint Gérald, et rien d’autre !

Oui, nous considérons que seule la reconnaissance du cessez-le-feu officiel du 19 mars 1962, approuvé à l’époque par plus de 90 % des Français par référendum, est à même de marquer solennellement la reconnaissance qui est due à ceux dont la loyauté à l’égard de la République n’a pas fait défaut.

Certes, il y a eu ensuite la tragédie des harkis, tache sombre sur notre histoire, mais n’oublions pas qu’il y a eu aussi, après le 19 mars, des Français d’Algérie tués, massacrés. Toutefois, il faut voir dans le 19 mars une date républicaine qui doit rappeler à tous les Français le devoir de justice et de vérité que la Nation entreprend de respecter à l’égard des errements de la colonisation ainsi que des conséquences de la guerre et des combats qui en ont été le prolongement.

Notre rôle ici est de rappeler que le 19 mars est le jour où la République a fait un choix pour toute la Nation en ouvrant une autre séquence de son destin collectif.

Oui, il peut y avoir eu dans la mémoire des uns et des autres des guerres d’Algérie, mais il y a eu un drame algérien pour toute la République et pour tous ses enfants.

C’est pourquoi la République a le devoir aujourd'hui de rassembler ses enfants, et c’est l’objet de la proposition de loi que nous examinons.

Enfin, la date du 19 mars est aussi un pont entre les différentes mémoires. Elle nous renvoie à notre devoir de construire une relation équilibrée, apaisée et exigeante avec la République algérienne.

La date du 19 mars nous fournit donc la possibilité de partir du singulier de l’événement, du particulier des vécus et des histoires personnelles, pour rendre justice à la collectivité, pour elle-même et aux yeux de tous.

Chaque fois que la République réussit cette démarche de synthèse, la Nation se trouve grandie. Elle tirera donc de ce moment collectif de commémoration que peut constituer le 19 mars ce qui la fortifiera pour son avenir. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à douze heures dix.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen de l’article 1er.

La parole est à M. Michel Teston, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à nous prononcer aujourd’hui sur la proposition de loi relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire de toutes les victimes – j’y insiste – civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc, un texte qui a été adopté par l’Assemblée nationale en janvier 2002. Il aura donc fallu dix ans à la représentation nationale pour reconnaître officiellement cette date du 19 mars.

De 1954 à 1962, la guerre d’Algérie a causé des dizaines de milliers de morts et des centaines de milliers de blessés. De nombreuses personnes sont encore aujourd’hui traumatisées.

Sous le gouvernement de Lionel Jospin, avec la loi du 18 octobre 1999, un texte d’origine parlementaire, les assemblées ont enfin reconnu que ce qui était pudiquement appelé les « événements d’Algérie » était bien une guerre. Jusqu’à cette date, on parlait officiellement de simples « opérations de maintien de l’ordre en Afrique du Nord ».

Grâce à la loi de 1999, votée, à ma connaissance, à l’unanimité dans les deux assemblées, la réalité a enfin été reconnue : le conflit d’Algérie était bel et bien une guerre.

Aujourd’hui, c’est la date du 19 mars qui va devenir une journée nationale de recueillement et de mémoire en souvenir de toutes les victimes de la guerre d’Algérie, des combats en Tunisie et au Maroc et de tous les drames qui les ont accompagnés.

Le choix de la date de commémoration fait l’objet de débats depuis de nombreuses années, vous le savez tous. Pour ma part, j’ai toujours considéré qu’il fallait retenir le 19 mars. Si cette date n’a pas marqué la fin réelle des hostilités, elle n’en demeure pas moins essentielle, car elle est celle du cessez-le-feu entre la France et le FLN.

Cette date a donc une signification historique forte, contrairement, par exemple, à celle du 5 décembre, qui n’a aucun lien historique avec les combats d’Afrique du Nord. En outre, elle est souhaitée par une majorité d’anciens combattants de la troisième génération du feu.

Comme l’a dit notre collègue Alain Néri, « la guerre d’Algérie, restée trop longtemps une guerre sans nom, ne doit pas rester une guerre sans date historique et symbolique. »

Avec cette date historique et symbolique, nous nous souvenons de celles et de ceux qui ont perdu la vie, nous soutenons celles et ceux qui ont été meurtris dans leur chair, et, chers collègues, nous exerçons tout simplement notre devoir de mémoire !

Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le 25 octobre dernier, il s’agissait de débattre, dans le cadre de l’ordre du jour réservé, d’une proposition de loi qui, qu’on le veuille ou non, est clivante pour le monde combattant.

Cette proposition de loi, qui a été adoptée par une représentation nationale issue d’élections en 1997, ravive des blessures encore profondes au sein de notre société, au détriment d’un principe, celui de l’apaisement. Or ce dernier me semble essentiel pour toutes les commémorations et hommages que la Nation se doit de rendre à celles et à ceux qui se sont sacrifiés pour elle. Le débat de ce matin montre combien l’apaisement est encore un chemin à parcourir.

Oui, le 19 mars est une date qui, pour nombre de nos concitoyens et de leurs descendants, est encore synonyme de douleurs et de drames, notre collègue Jean-René Lecerf l’a rappelé ce matin.

En plus d’être inopportun pour la cohésion de toute la nation, ce texte revient sur deux lois qui ont fait l’objet d’un examen et d’un vote dans des délais raisonnables.

La loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés a été voulue par le président Jacques Chirac : elle rend un hommage solennel aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord.

J’ai entendu dire que cette date ne faisait référence à aucun moment de l’histoire. Elle permet toutefois le respect de toutes les mémoires, ne meurtrit le passé d’aucun des citoyens, ce qui est essentiel quand on parle de cohésion nationale ; peu importe leur appartenance politique, leur statut à l’époque, leur origine et leur choix.

Le 5 décembre offre à la Nation l’occasion d’un moment de recueillement républicain et d’hommage apaisé.

Aujourd’hui, en proposant la date du 19 mars, même si cela répond à la demande de deux associations que je respecte, contre l’avis de quarante autres qu’il faut aussi, monsieur Alain Néri, écouter et respecter, …

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

… vous balayez le travail accompli depuis 2005 et le chemin parcouru par nombre d’associations et de familles sur la route d’une mémoire nationale rassemblée, alors que les événements d’Algérie sont encore des temps de mémoire douloureux.

Vous revenez également sur la loi du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, qui permet une véritable communion entre toutes les générations du feu, celle de 14-18, celle de 39-45, celle qui a combattu en Algérie, mais aussi en Indochine – un conflit dont personne n’a parlé, et que je voudrais pour ma part évoquer.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La mémoire de celles et ceux qui sont tombés pour la France en Indochine mérite un temps de rassemblement, que la date du 11 novembre nous offre, car elle permet de transcender les valeurs de notre pays. Et elle joue le même rôle pour ceux qui sont tombés au cours des opérations extérieures.

Monsieur le ministre, en inscrivant cette proposition de loi à l’ordre du jour dont dispose le Gouvernement, l’exécutif, pour reprendre les mots que vous avez prononcés le 25 octobre dernier, fait preuve d’ingérence et d’interférence. Puisqu’il s’ingère, je voudrais savoir si le Gouvernement entend saisir l’Assemblée nationale de l’éventuel texte qui sortirait aujourd’hui de nos travaux. C’est une démarche qui me paraît indispensable, afin que nos collègues issus des élections législatives de juin dernier puissent en connaître.

Notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam l’a rappelé avec d’autres, le texte que nous examinons aujourd’hui se situe dans un contexte différent de celui du 25 octobre dernier.

En effet, mardi 30 octobre, le ministre des anciens combattants de la République algérienne démocratique et populaire, Chérif Abbas, a souhaité de la part de la France « une reconnaissance franche des crimes perpétrés à leur encontre par le colonialisme français ». Une fois encore, ces propos ont mis sous tension les relations franco-algériennes et placent sous de difficiles auspices le voyage, que je juge utile et même indispensable, du Président de la République à Alger les 19 et 20 décembre prochain.

Cette proposition de loi figurant à l’ordre du jour fixé par le Gouvernement ne peut être ressentie comme une réponse à une injonction extérieure. Cinquante ans après les événements, la mémoire nationale doit d’abord être un rassemblement et une unité. Elle ne peut en aucune manière être instrumentalisée. La véritable conciliation des mémoires française et algérienne ne peut se faire sur la stigmatisation des uns et le parti pris des autres.

La mémoire de l’Algérie, celle de 1830 à 1962, en France comme de l’autre côté de la Méditerranée, nécessite dialogue, objectivité, respect mutuel, travail préalable conjoint d’historiens, comme l’avait proposé le Président de la République Jacques Chirac, dans le cadre de la préparation du traité d’amitié entre la France et l’Algérie, qui n’a malheureusement jamais été signé.

Le choix de la date du 19 mars me paraît contraire à de telles exigences. Pour l’unité et la mémoire de toute la Nation, ce texte doit être retiré.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’évoquer de nouveau le fond de cette proposition de loi, je souhaiterais, comme nombre de mes collègues avant moi, vous faire part de ma consternation devant les méthodes du Gouvernement et ma tristesse de voir le mépris avec lequel sont traitées nos institutions.

C’est pourtant bien vous, monsieur le ministre, qui avez ouvert nos débats le 25 octobre dernier, en vous en remettant à la sagesse de notre Haute Assemblée, « dans le plein respect des prérogatives du Parlement, car c’est à ce dernier qu’il incombe d’achever un processus législatif qu’il a lui-même engagé, et ce sans aucune ingérence ni interférence de la part de l’exécutif. » Merci de ces propos !

Il est dès lors incompréhensible que l’ordre du jour ait été bousculé comme il l’a été, pour essayer de faire passer ce texte en force, comme cela semble d'ailleurs devenir l’habitude. Si certains d’entre nous avaient encore des doutes quant aux sombres arrière-pensées politiciennes qui motivent l’exhumation de ce texte, je pense qu’ils seront éclairés par ces méthodes, qui n’annoncent pas les plus belles heures de la démocratie.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Charon

L’article 1er du texte qui nous est donc présenté aujourd’hui vise à créer une journée nationale à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Il pose une première question : pourquoi instituer une journée nationale, alors qu’elle existe déjà ?

Permettez-moi, mes chers collègues, de rappeler le décret du 26 septembre 2003 instituant une journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, le 5 décembre de chaque année. Ce texte sera d’ailleurs suivi d’un certain nombre d’avancées législatives, telles que la loi du 23 février 2005, complétée le 7 mars dernier par l’adoption de la proposition de loi déposée par notre collègue Raymond Couderc. Enfin, la loi du 28 février 2012 fixe au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France, « de Verdun à la Kapisa », pour reprendre les termes que j’avais employés à l’époque.

Il y a plusieurs raisons possibles à cette volonté de remettre aujourd’hui la main dans l’histoire et de sceller la mémoire du conflit algérien au 19 mars. Je préfère ne pas imaginer la première, qui tiendrait à ce que le décret que je viens d’évoquer date de 2003, début du deuxième mandat de Jacques Chirac et du gouvernement de notre éminent collègue Jean-Pierre Raffarin… Si vous n’êtes donc pas inspirés par la jalousie politique, peut-être votre positionnement résulte-t-il d’une simple méconnaissance des événements qui ensanglantèrent la France et l’Algérie pendant huit ans ?

Je tiens donc, mes chers collègues, à rappeler les conditions douloureuses de la fin de ce conflit, qui excluent évidemment de retenir cette date pour en cristalliser la mémoire.

Le 19 mars 1962 fut non pas la fin d’une tragédie, mais le début d’un long cauchemar. La conclusion des accords d’Évian ne déboucha malheureusement pas du tout sur le cessez-le-feu promis et attendu ! Ce fut une signature vide, trahie le jour même par le FLN, qui a laissé une blessure ouverte dans la mémoire de ce conflit. Par ailleurs, une semaine plus tard, le 26 mars 1962, des civils français non armés, partisans du statu quo, manifestent devant la grande poste de la rue d’Isly à Alger. Ils seront mitraillés par l’armée française.

Mes chers collègues, la comparaison faite avec les dates du 11 novembre et du 8 mai est particulièrement choquante.

En effet, comment comparer le 11 novembre 1918, armistice victorieux qui signe le retour de la paix dans notre pays, le 8 mai 1945, victoire des alliés sur l’Allemagne nazie, rassemblant la France avec elle-même après la déchirure de l’occupation, et le 19 mars 1962, qui est non pas un armistice, mais une trahison du FLN, lequel a profité de la situation pour reconstituer ses forces armées, massacrer les harkis et lancer une campagne d’enlèvement des Français restés en Algérie. Dès lors, un cessez-le-feu, certes, mais comme le disait Jean-René Lecerf tout à l’heure, certainement pas un « cessez-le-sang ».

En choisissant la date des accords d’Évian comme symbole national, on oublie et quelque part on méprise les civils et les militaires morts après le 19 mars 1962. Je ne peux accepter que soit dénaturée la position du général de Gaulle dans cet épisode de notre histoire.

Oui, la raison inspira au général cette issue douloureuse et nécessairement imparfaite au conflit algérien, mais nous savons que son cœur lui soufflait pourtant fidèlement « tous Français, de Dunkerque à Tamanrasset ». Oui, l’Histoire a amené le peuple algérien à disposer librement de lui-même, et il n’est évidemment pas question de revenir aujourd’hui sur cette idée et sur ce mouvement. Néanmoins, l’acceptation de cette réalité ne doit pas nous conduire à transformer une blessure en fête nationale.

Notre histoire est un bien précieux. Elle est faite de conquêtes, de rêves et de batailles. Elle est faite de victoires et de défaites. Elle est faite d’héroïsme et de souffrances. Il ne s’agit pas de nier les faits. Mais il ne viendrait à l’idée de personne de fêter Sedan ou Diên Biên Phú ! Aussi, comment peut-on aujourd’hui imaginer célébrer une défaite, qui est fêtée comme une victoire en Algérie ?

Voilà pourquoi, mes chers collègues, je ne peux ni comprendre ni accepter le choix de cette date, qui, loin de refermer la plaie, la ravive et la creuse.

Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Mes chers collègues, le chef de l’État et le Premier ministre revendiquent la concertation comme marque de fabrique du Gouvernement.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Or, aujourd’hui, que nous demande-t-on de faire ? Il s'agit d’adopter un texte sur lequel nos collègues députés n’auront pas leur mot à dire, puisque l’on présume qu’un vote vieux de dix ans est toujours valable, alors même que certains des députés ayant adopté ce texte en 2002 le voteront aujourd’hui de nouveau, cette fois en tant que sénateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

C’est en particulier votre cas, cher Alain Néri. Je note votre persévérance à soutenir cette proposition de loi, quitte à passer de l’Assemblée nationale au Sénat et à laisser la commission des affaires étrangères pour rejoindre celle des affaires sociales.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

M. Néri est un homme fidèle, et qui a de la suite dans les idées.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Certes, je n’ai pas trouvé très convaincantes vos contorsions sémantiques, mais c’est surtout l’absence de consultation du monde combattant qui m’inquiète et me gêne.

En 2003, la date du 5 décembre avait été retenue pour instituer une journée d’hommage, justement parce qu’elle était soutenue par une très large majorité d’associations d’anciens combattants, seules deux de ces dernières lui préférant la date du 19 mars, comme l’a opportunément rappelé Gérard Larcher.

Cette fois, la méthode inverse a été retenue, très certainement parce qu’une concertation plus large n’aurait pas permis de dégager de consensus ou même de simple majorité en faveur du 19 mars.

Alors que cette proposition de loi a été inscrite il y a plus d’un mois à l’ordre du jour, M. le rapporteur a jugé nécessaire de ne rencontrer que quatre associations parmi la quarantaine que compte le monde combattant.

La FNACA et l’ARAC, les deux seules associations qui militent pour une commémoration nationale le 19 mars, comptent à peine plus de 300 000 membres, alors que les quarante autres associations qui s'y opposent représentent plus de 2 millions de familles. §Je trouve vraiment scandaleux, indigne, que quatre auditions suffisent à légitimer une proposition de loi aussi clivante.

Oui, bien sûr, mes chers collègues, il y a eu un cessez-le-feu le 19 mars 1962 ; personne ne le conteste. §Je peux même vous dire que certains d’entre nous, au sein du groupe UMP, ont déclaré vouloir approuver le choix de cette date, parce qu'ils se souviennent de la joie qu'ils ont alors ressentie. Qui ne se réjouirait qu’une guerre prenne fin ? Mais comment oser honorer nos morts à une date qui fut une journée de dupes, qui représente aujourd'hui encore une plaie béante pour des millions de personnes ? Comment oublier tous les morts qui ont suivi ? Comment oublier tous ces humbles enlevés, suppliciés ? Comment oublier, surtout, tous ces harkis qui ont péri parce qu'ils croyaient en la France et envers qui nous avons une dette d'honneur ?

Monsieur le rapporteur, vous avez mentionné l'existence de rues du 19 mars 1962 et évoqué le bachaga Boualem. Je veux dire la honte que j'ai ressentie quand une municipalité socialiste a débaptisé une rue qui portait son nom !

Pour moi, imposer cette date du 19 mars serait une nouvelle trahison, envers les rapatriés, envers les harkis, envers les associations combattantes, qui, dans leur majorité, sont contre ce choix. Vous avez déclaré qu'il fallait réconcilier le monde combattant et les Français : mais alors comment osez-vous proposer cette date ! Vous êtes en contradiction totale avec vous-même !

Vraiment, par égard pour le monde combattant, par égard pour la France, par égard pour notre assemblée, par respect pour toutes les victimes de la guerre d'Algérie, vous vous honoreriez, mes chers collègues, en refusant de défendre une telle proposition de loi ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à Mlle Sophie Joissains, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je tiens à associer mon collègue et ami Bruno Gilles à l'ensemble des propos que je vais tenir maintenant.

Pour répondre à l'objet de l'article 1er de cette proposition de loi, deux textes ont déjà été adoptés.

Le premier, spécifique, est la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Celle-ci a été modifiée par la loi du 7 mars 2012 relative aux formations supplétives des forces armées afin de sanctionner pénalement toute injure envers ces dernières. Si ce texte concernait l'ensemble des supplétifs de l'armée française, il est important de noter qu'elle visait principalement à protéger les harkis, lesquels ont été massivement massacrés à partir du 19 mars 1962.

Cette loi, adoptée à la quasi-unanimité des sénateurs, a fixé comme date de commémoration le 5 décembre. Pourquoi cette date ? Parce qu'elle est neutre et que, de ce fait, elle permet le respect de toutes les mémoires. Elle n'offense le passé d’aucun citoyen, quels que soient son appartenance politique et les choix que lui-même ou ses ascendants ont pu faire lors de conflits douloureusement fratricides. Par ce biais, elle atteint pleinement l'objectif d'unité du peuple français, d'apaisement de la douleur des mémoires ; elle s'inscrit sur le chemin de la réconciliation de ceux qui ont été divisés, déchirés par les conflits d’indépendance.

Le second texte, la loi du 28 février 2012, fixe au 11 novembre la date de la commémoration de tous les morts pour la France. Elle a été votée par le groupe socialiste et le groupe UMP le 24 janvier 2012. Elle permet d'honorer l'ensemble de ceux qui se sont battus et sont morts pour la France, des plus anciens, comme les Poilus, aux plus récents, les soldats partis en opérations extérieures, notamment en Afghanistan.

Cette loi, adoptée elle aussi à la quasi-unanimité, va, comme le texte précédent, dans le sens de la cohésion nationale, du devoir de mémoire et de l'union républicaine.

Ces dates ont été choisies pour honorer le courage et la mémoire de tous nos combattants, dans un souci de dignité, d'honneur et de respect à l’égard de ceux, de tous ceux, qui se sont battus pour la France. Tel n'est pas le cas de la date du 19 mars.

Pour le groupe UMP, les commémorations du 5 décembre et du 11 novembre répondent le mieux possible aux revendications des anciens combattants d'Algérie, de Tunisie et du Maroc. Elles unissent sans cliver, et surtout sans risquer d’insulter – ce serait inimaginable ! – le souvenir de ceux qui ont été massacrés et que la France, malheureusement, n’a pas défendus.

L'association qui demande la reconnaissance de la date du 19 mars regroupe 358 500 adhérents. Un autre collectif, ulcéré par cette proposition de loi, rassemble 43 associations et compte 1 200 000 adhérents. Permettez-moi de vous lire un passage du courrier qu’il nous a adressé :

« Le 19 mars ne peut pas être une date de recueillement, car il rappelle, hélas, pour trop de Français, le deuil et l’exode. S’en tenir au 19 mars serait bafouer la mémoire des dizaines de milliers de harkis massacrés après cette date, comme celle du million de nos compatriotes victimes d’une véritable épuration ethnique. Faut-il rappeler qu’il s’agissait notamment de descendants des révolutionnaires de 1848, des patriotes d’Alsace-Lorraine, enfin des anciens républicains espagnols exilés, refusant la dictature, et de tous ceux qui se sont engagés, plus que d’autres, dans les campagnes de la Libération de la France entre 1943 et 1945. C’est aussi leur voix qu’il faut écouter, c’est celle des Français.

« Lorsque la Nation a voulu honorer ceux qui ont donné leur vie pour la France dans tous les conflits, le Parlement, à sa très grande majorité, a voté le 28 février dernier une loi que l’on peut qualifier de “mémorielle” retenant le 11 novembre comme journée de commémoration pour tous les morts pour la France. Cette loi exclut la suppression de commémorations existantes, officielles comme associatives.

« Une nouvelle loi serait superfétatoire, venant notamment de sénateurs qui avaient voté la loi du 28 février dernier. »

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Et l’article 4 de la loi de février 2005 ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

« Aussi, le report de cette discussion s’avère une opportunité à saisir pour s’interroger sur son bien-fondé.

« En s’inspirant de personnalités aussi différentes que le général de Gaulle ou François Mitterrand, qui, l’un comme l’autre, avaient refusé cette date, chaque sénateur devrait pouvoir s’exprimer en son âme et conscience : soit rejeter cette proposition de loi au nom de l’unité et d’une mémoire collective apaisée, confirmant le sens du vote de la loi de février dernier, soit choisir de réveiller une division profonde entre Français de toutes catégories et de toutes origines, en la votant pour satisfaire une fraction minoritaire du monde combattant.

« Une telle “loi mémorielle” votée à une courte majorité serait certes légale, mais sans légitimité faute de consensus national. »

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

C'est le monde des anciens combattants qui s'exprime, ce n'est pas moi !

La fin du conflit en Algérie remonte aujourd'hui à cinquante ans, et pourtant il suffit de voir le nombre d'associations de Français rapatriés et de harkis pour mesurer la profondeur des blessures qui subsistent.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Mlle Sophie Joissains. L'apaisement avec l'Algérie doit aussi être obtenu pour eux et avec eux.

Marques d’impatience sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

M. Kader Arif, ministre délégué chargé des anciens combattants, tenait les propos suivants, le 21 octobre : « Il est inacceptable par exemple que nos compatriotes harkis ne puissent pas se rendre dans le pays de leurs ancêtres ou, pour ceux qui le souhaitent, y être enterrés. Nous avons abordé cette question avec nos amis Algériens, et nous avons compris qu’il y avait une volonté d’ouverture de leur part à ce sujet. » L'apaisement est peut-être en bonne voie. §

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Mlle Sophie Joissains. Je ne vous ai pas interrompus lors de vos interventions !

Protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Croyez-vous vraiment que si nous adoptons une date qui a été le signal du massacre de leurs aînés, les harkis auront envie de se rendre sur cette terre qui est celle de leurs ancêtres ? Cela serait peut-être pour eux une immense humiliation.

On estime que de 60 000 à 70 000 harkis sont morts après le 19 mars, dans des conditions atroces. De même, plus de 3 000 pieds-noirs ont été enlevés, sans avoir jamais été retrouvés à ce jour. Le traité d'amitié avec l'Algérie doit être conclu dans le respect mutuel, et non pas au prix de l'humiliation de ceux de nos concitoyens qui ont déjà beaucoup souffert.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Cela étant, j'ai perçu de réels accents de sincérité, notamment dans les propos du rapporteur. Néanmoins, une chose m'a frappée : les arguments qui ont été développés en faveur de ce texte par certains auraient pu tout aussi bien les conduire à écarter cette date du 19 mars.

Je veux juste dire une dernière phrase.

Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

On ne peut pas décider pour d’autres de la manière dont ils doivent vivre leur douleur, et j’estime que nous ne pouvons imposer le 19 mars comme date de commémoration aux 1 200 000 personnes du monde combattant qui se sont prononcées contre.

Applaudissements sur les travées de l'UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais vous livrer un témoignage.

Depuis trente et un ans, d'abord comme député, puis en tant que maire et enfin comme sénateur, j'ai participé à des centaines de réunions d’anciens combattants, je me suis, aussi souvent que possible, recueilli devant les monuments rappelant le sacrifice de ceux qui sont morts pour la France. En effet, je considère que c’est notre devoir d’élus de la nation ou des collectivités locales.

Voilà longtemps, il m’est arrivé de prendre part à une cérémonie commémorative, le soir d’un 19 mars, dans le chef-lieu du département dont je suis élu. Il n'y avait aucune lumière, aucun drapeau, et nous avons déposé les gerbes dans l’obscurité…

En parcourant les villages, les communes, je me suis rendu compte que cette date du 19 mars s'était peu à peu imposée, dans l’esprit de beaucoup de ceux qui ont combattu à l’appel de la République – pas de tous, j’en conviens –, et qu’il y avait là un signe identitaire, reconnu dans mon département du Loiret par de nombreux élus, de droite, de gauche ou du centre. J’ai pu prendre conscience qu'une réalité s'était imposée, celle d'une génération, et qu'il fallait tout simplement la reconnaître. M. le rapporteur l’a exprimé avec éloquence, chacun sait bien que la date du 5 décembre ne correspond pas à un moment historique : c’était simplement ce jour-là que le Président Chirac était disponible pour inaugurer un monument !

M. Alain Gournac proteste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Disant cela, je tiens à réaffirmer, avec cœur et sincérité, mon très grand respect pour les harkis. Je me rends à toutes les réunions organisées par leurs associations. Les injustices à leur égard ont été nombreuses. Il est vrai que, après le 19 mars, il y a eu des morts, comme ce fut d’ailleurs également le cas après les armistices ayant mis fin aux autres conflits.

Je voterai cette proposition de loi parce que je suis intimement persuadé, après avoir participé à des centaines de réunions, dans toutes les communes de mon département, que cette date correspond à une réalité profonde.

Dimanche dernier, je me suis rendu à Châteauneuf-sur-Loire. Jusqu’alors, les noms des trois enfants de cette commune tués lors de la guerre d’Algérie étaient gravés sur une plaque fixée derrière le monument aux morts, comme si leur sacrifice n’était pas reconnu à l’égal de celui des militaires morts pour la France au cours des autres conflits…

Or, dimanche dernier, j’ai assisté à une cérémonie très émouvante, en présence de la population de la ville et des représentants des anciens combattants : sur l’initiative du maire, M. Loïs Lamoine, et du conseil municipal unanime, cette plaque a été déplacée pour être fixée sur le devant du monument aux morts, à côté de celle qui est consacrée aux victimes des deux guerres mondiales.

Nous devons un tel hommage aux morts de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc ; c’est dans cet esprit que je voterai le présent texte. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

La parole est à M. Philippe Kaltenbach, sur l'article.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat très dense et riche montre que la guerre d’Algérie continue à déchaîner les passions, cinquante ans après. Pendant longtemps, on a cherché à occulter les faits par volonté d’apaisement et pour éviter de rouvrir les blessures, mais aujourd’hui encore, malheureusement, certains veulent diviser et utilisent cette proposition de loi, qui vise à rassembler, pour en faire un enjeu politicien.

Ce n’est pas en niant les faits historiques que l’on peut aboutir à un apaisement : il faut savoir regarder l’histoire en face. François Mitterrand disait à juste titre qu’il faut laisser du temps au temps, mais cinquante ans, n’est-ce pas suffisant ? Reconnaissons aujourd’hui que la guerre d’Algérie a pris fin officiellement le 19 mars 1962.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Évidemment, comme dans tous les conflits, des morts ont été déplorées après l’armistice, mais c’est à cette date que l’armée française a officiellement cessé les hostilités contre le FLN. C’est donc le 19 mars que nous devons rendre hommage aux anciens combattants de cette guerre : ce sont eux qui réclament, depuis cinquante ans, que cette date soit retenue.

Debut de section - Permalien
Un sénateur de l’Ump

C’est faux !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Kaltenbach

Les anciens combattants et les élus se rassemblent en nombre le 19 mars, et non le 5 décembre ; alors que l’on ne compte plus les rues ou les places du 19 mars 1962, je n’ai jamais vu, dans nos communes, de plaque portant la date du 5 décembre.

J’ai donc le sentiment que nos concitoyens ont choisi de fait à quelle date devait être commémorée la guerre d’Algérie. Je peux le constater dans ma commune. Nous sommes réunis aujourd’hui pour retenir une date qui fasse consensus, qui permette de rassembler largement le monde combattant. Le 5 décembre, cela a été dit, est une date de pure convenance choisie par Jacques Chirac pour inaugurer le mémorial de la guerre d’Algérie du quai Branly. Elle n’a aucune signification historique ; elle est même vécue comme un affront par beaucoup d’anciens combattants. Nous sommes ici pour leur rendre hommage, pour saluer la troisième génération du feu, qui attend depuis cinquante ans. Il est temps aujourd’hui de retenir la date du 19 mars pour la commémoration de la fin de la guerre d’Algérie. Après cinquante années de passions, essayons d’adopter une position qui soit rationnelle, objective, répondant à une perspective historique et à une volonté d’apaisement. Évitons donc de raviver les tensions.

Je voterai en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, pour que les anciens combattants de la guerre d’Algérie puissent enfin être officiellement honorés le 19 mars, comme ils le souhaitent depuis longtemps. §

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais m’opposer à cette proposition de loi, plus particulièrement à son article 1er, en me fondant sur deux arguments.

En termes d’opportunité, tout d’abord, le 19 mars, cela a été dit, est la date d’un divorce douloureux pour la nation. Personne, dans cet hémicycle, ne peut le contester. Pour donner satisfaction à une petite minorité du monde combattant, réunie au sein de deux associations, vous allez blesser inutilement des centaines de milliers de Français. Pourquoi, en cet instant, soulever une question qui divise, alors que la France vit une situation économique et sociale dramatique, avec plus de 3 millions de chômeurs et la fermeture de dizaines d’entreprises ?

Debut de section - Permalien
Un sénateur du groupe socialiste

Quel rapport ?

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Le rapport Gallois et celui du FMI sont sans équivoque : il y a le feu à la maison !

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Mes chers collègues, en une telle période, il faudrait une union nationale, à l’instar de celle que le Président Obama a appelée de ses vœux dans le discours qu’il a prononcé au soir de sa réélection : il nous faut retrousser nos manches, travailler dur, …

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

En cette période difficile pour la France, un tel texte me paraît totalement inopportun.

Sur le fond, ensuite, vous voulez, dites-vous, rassembler, réconcilier, apaiser. Mais le rapporteur reconnaît lui-même que nous n’avons aucune raison d’être fiers des accords d’Évian, qui ont conduit au massacre de dizaines de milliers de harkis.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

Nous constatons que la discussion, dans cet hémicycle, est âpre, houleuse, remplie d’émotion. Nous constatons que des citoyens manifestent dans la rue. Nous constatons que plus de cinquante associations d’anciens combattants s’opposent au choix de cette date. Nous constatons que la nation est malheureuse, divisée sur ce sujet…

Nous avons entendu deux de nos collègues, siégeant l’un sur les travées de la majorité sénatoriale, l’autre sur celles de l’opposition, employer le mot « malaise ». Quant à notre collègue René Garrec, il nous a livré son témoignage d’une voix brisée par l’émotion. Vous en êtes tous témoins !

C’est là la confirmation que la cicatrice est toujours ouverte, plus de cinquante ans après. On aurait pu espérer autre chose, mais ce n’est pas le cas.

Pour reprendre une formule déjà employée, le cessez-le-feu du 19 mars n’a pas été le « cessez-le-sang » ! La plaie est toujours vive, elle n’est pas encore cicatrisée, et vous le savez. C’est un constat, c’est une réalité.

La position même du ministre, représentant un gouvernement qui ne soutient pas explicitement cette proposition de loi socialiste, nous confirme que le choix de cette date selon vous historique est en fait un facteur de division, voire une provocation, …

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

… à l’égard de centaines de milliers de Français, anciens combattants, rapatriés ou harkis.

Dans ces conditions, mes chers collègues, même si vous disposez de la majorité, manifestez cette sagesse dont ont fait preuve tous les Présidents de la République du passé, François Mitterrand y compris : garants de l’intérêt supérieur de la France et du rassemblement des Français, eux n’ont jamais accepté la date du 19 mars. Pourquoi vouloir passer en force ? Pourquoi vouloir imposer une date qui, si elle est peut-être historique, divise à coup sûr nos concitoyens ?

Respectez celles et ceux qui souffrent encore au plus profond d’eux-mêmes. De fait, comme l’a dit tout à l’heure notre collègue Sophie Joissains, ce n’est pas qu’un problème de date, …

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Nègre

… c’est une question qui touche des centaines de milliers de Français. Quand on assiste aux réunions des associations, on constate que si leurs membres sont heureux de se retrouver autour d’un déjeuner, dans une bonne ambiance, ils ne peuvent cependant pas s’empêcher de pleurer ! Notre mission à nous, parlementaires, est de rassembler, non de diviser. Or, malheureusement, la date du 19 mars divise !

Vous n’obtiendrez pas ainsi l’apaisement auquel vous prétendez aspirer. Si, par malheur, la date du 19 mars devait être retenue, cela atténuerait peut-être les tensions avec l’Algérie, mais celles que nous connaissons dans notre pays s’aggraveraient. Voilà pourquoi, au nom de tous ceux qui pleurent encore et toujours à l’évocation de cette époque, je vous demande solennellement de retirer cette proposition de loi. §

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Né pendant la guerre d’Algérie, je n’ai réellement découvert le clivage suscité par la date du 19 mars que lorsque j’ai été élu maire, en 1995.

Je n’ai sans doute pas la légitimité de l’historien pour décider quelle est la date à retenir, mais j’ai l’occasion de rencontrer, dans l’exercice de mes mandats, des anciens combattants d’Algérie qui entendent se recueillir et célébrer le souvenir de leurs morts chaque 19 mars. Je participe, à leurs côtés, à cette commémoration.

Toutefois, d’autres s’opposent absolument au choix de cette date, en se fondant sur des arguments qui ont été largement développés aujourd’hui par un certain nombre d’orateurs. N’oublions pas que quarante-cinq associations se sont déclarées hostiles à un tel choix.

Hier, j’ai reçu une délégation dont les membres souhaitaient évoquer cette question. Je leur ai demandé s’ils pourraient éventuellement accepter la date du 19 mars. Leur réponse négative a été catégorique : ils refuseraient de participer aux commémorations si cette date était retenue. À l’appui de leur position, ils m’ont montré un timbre algérien portant la mention : « 19 mars 1962 : victoire de l’Algérie sur la France ».

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Néri

Il ne faut pas exagérer, ce n’est qu’un timbre !

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Ils m’ont précisé qu’ils ne pourraient pas se rendre devant le monument aux morts, en raison du sentiment d’humiliation qu’ils éprouveraient.

Si le 19 mars était effectivement une meilleure option que le 5 décembre, c’est avec enthousiasme que je voterais cette proposition de loi, mais force est de constater que tel n’est pas le cas.

Faut-il prendre une telle décision, alors même que le Parlement a déjà débattu deux fois de cette question ? Pourquoi nous imposer cet exercice ? Sommes-nous capables de mieux faire que ceux qui nous ont précédés ? Quel est l’intérêt de rouvrir ce débat, au risque d’aggraver les divisions ? Il n’est pas bon, à mes yeux, de revenir sur ce sujet. Ce texte n’est pas le fruit d’une concertation préalable ayant permis de dégager un accord réunissant l’ensemble du monde combattant, à l’échelle nationale.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Dans ces conditions, nous n’avons pas à faire œuvre d’historiens en tranchant une telle question. J’ajoute que les anciens combattants du Maroc, de Tunisie ou d’Indochine ne reconnaîtront pas davantage la date du 19 mars pour commémorer leurs morts.

Voilà pourquoi je suis favorable à la suppression de l’article 1er. §

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure fixé par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée, et je proclame M. Jean-Jacques Lozach membre du comité de préfiguration des modalités d’instauration du profil biologique des sportifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil national du bruit.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des affaires sociales à présenter une candidature pour un poste du suppléant, en remplacement de Mme Gisèle Printz, dont le mandat est arrivé à expiration.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.