Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’initiative prise par notre délégation à l’outre-mer sur la politique commune de la pêche, qui avait donné lieu à un débat, ici même, le 12 juillet dernier, nous voilà de nouveau réunis pour examiner un autre dossier européen, concernant cette fois les régions ultrapériphériques, les RUP, un dossier crucial, puisqu’il s’agit de la stratégie européenne pour ces régions à l’horizon 2020.
Le 20 juin dernier, la Commission européenne publiait une communication exposant cette stratégie et intitulée Les régions ultrapériphériques de l’Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive. Notre délégation a décidé de prendre solennellement position, dans la perspective du Conseil européen extraordinaire des 22 et 23 novembre, d’une part sur le nouveau cadre financier pluriannuel 2014-2020, d’autre part, dans une démarche complémentaire de celle de la commission des affaires européennes, sur la politique de cohésion et l’octroi de mer.
Notre excellent collègue Georges Patient devant intervenir après moi au double titre de la délégation et de la commission des affaires européennes – il a pris part aux deux initiatives pour en assurer la cohérence d’ensemble –, j’axerai mon propos sur le contexte et les enjeux, en portant un regard critique sur la communication de la Commission européenne et la stratégie européenne qu’elle définit.
Je vous dirai d’emblée que l’accueil réservé à cette communication par les RUP elles-mêmes, qu’il s’agisse des RUP françaises, mais également des RUP espagnole – Canaries – et portugaises – Açores, Madère –, a été extrêmement mitigé. Cela fut exprimé très clairement lors du forum des régions ultrapériphériques, au début du mois de juillet, et réitéré lors de la conférence des présidents des RUP, aux Açores, en septembre. Le point de vue des deux députés européens que nous avons auditionnés le 11 octobre, MM. Younous Omarjee et Patrice Tirolien, avait la même tonalité.
Certes, la Commission européenne reconnaît que les RUP constituent un atout pour l’Union européenne et trace de grandes orientations stratégiques globalement acceptables, mais sa communication prête lourdement le flanc à la critique en reflétant une position en profond décalage avec les attentes et la situation concrète des RUP.
Tout d’abord, la communication confirme que les RUP constituent un atout pour l’Union européenne et, fait nouveau, reconnaît leur diversité de situations. Cependant, cette affirmation positive, dans le prolongement des communications de 2004 et 2008, revient comme un leitmotiv incantatoire, mais ne débouche sur aucune proposition concrète de valorisation de ces atouts.
Cette reconnaissance de la Commission européenne reste donc à ce jour une satisfaction toute théorique.
Ensuite, si la communication fixe pour les RUP de grandes orientations stratégiques globalement acceptables, celles-ci ne présentent toutefois pas d’innovation majeure. Elle définit cinq axes pour la stratégie renouvelée de l’Union européenne pour les RUP : l’amélioration de l’accessibilité au marché unique ; l’accroissement de la compétitivité ; le renforcement de l’intégration régionale ; le renforcement de la dimension sociale du développement des RUP ; l’intégration de la lutte contre le changement climatique dans toutes les politiques pertinentes.
Enfin, et surtout, la stratégie européenne pour les RUP se heurte à de nombreux griefs.
Premièrement, sa définition arrive tardivement dans le processus de négociation, ce qui accroît la difficulté à intégrer avec pertinence les RUP dans la stratégie globale. Troisième communication de la Commission sur ce sujet en moins de dix ans, celle-ci est intervenue alors que les processus de révision du « paquet réglementaire » et de négociation du nouveau cadre financier pour la période 2014-2020 étaient déjà largement engagés. En effet, les propositions de la Commission européenne sur le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 ont été présentées à la fin du mois de juin 2011, soit un an auparavant, et celles sur le paquet réglementaire relatif à la politique de cohésion, au développement rural et à la pêche, au début du mois d’octobre 2011, soit quelque neuf mois auparavant.
Deuxièmement, le contenu de la communication est en décalage avec les attentes et les besoins des RUP. Comme l’a indiqué M. Didier Robert, président du conseil régional de La Réunion, dans un courrier adressé au président de notre délégation, « les présidents des régions ultrapériphériques ont manifesté solidairement leur plus vive préoccupation face à la faiblesse de la stratégie européenne rénovée » lors de la XVIIIe conférence des présidents des régions ultrapériphériques de l’Union européenne, en septembre dernier. La déclaration finale mentionne le regret de « l’insuffisance manifeste de mesures concrètes et adaptées, ainsi que le calendrier tardif de son adoption, au regard des ambitions affichées » ; on y conteste aussi « le choix de la Commission de s’appuyer uniquement sur le droit commun », tout en soulignant « la pertinence des propositions contenues dans les memoranda de 2009 et 2010 sur l’ultrapériphérie, notamment celles en faveur d’instruments sectoriels spécifiques ».
Troisièmement, la Commission européenne continue en effet de donner une interprétation minimaliste à l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le TFUE, en consentant des adaptations du cadre général des politiques européennes et de leurs instruments, mais en limitant strictement les contours de ces adaptations et en refusant les régimes dérogatoires et les instruments propres aux RUP.
Dans sa communication, la Commission se contente d’inviter chaque région à « trouver sa propre voie vers une prospérité accrue, en fonction de ses particularités »... Aide-toi, l’Europe t’aidera ! En outre, la Commission reste hostile à l’instauration d’instruments spécifiques d’aide aux RUP, bien que, reconnaît-elle, « certains [...] aient fait leurs preuves ».
Cette communication ne fait en conséquence que de rares références à l’article 349 du TFUE, qui justifie que des mesures spécifiques soient prises en faveur des RUP afin de tenir compte de leurs handicaps.
Rappelons que cet article, dont l’approche n’est pas exhaustive – il fait, par exemple, l’impasse sur l’immensité du territoire guyanais –, vise les contraintes spécifiques des RUP que sont l’éloignement, l’insularité, la faible superficie, le relief et le climat difficiles, la dépendance économique vis-à-vis d’un petit nombre de produits, facteurs dont la permanence et la combinaison nuisent gravement au développement de ces régions.
La proposition de résolution européenne de notre délégation dénonce la sous-utilisation délibérée de ce fondement juridique, reconnue par le Parlement européen lui-même. L’article 349 a pourtant permis la mise en place, au début des années quatre-vingt-dix, d’un instrument dont l’efficacité est unanimement reconnue, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, ou POSEI, dont la Commission européenne s’emploie à restreindre le champ à la seule agriculture.
Quatrièmement, la communication de la Commission européenne accentue les contradictions de la stratégie européenne envers les RUP, en fixant des objectifs ambitieux qui risquent de demeurer virtuels, si, parallèlement, ces régions restent incapables de combler leur retard en matière d’équipements structurants. Ces objectifs axés sur la compétitivité et l’innovation sont en effet en décalage avec le retard de développement et la situation économique et sociale très dégradée qui caractérisent les RUP.
La stratégie européenne pour les RUP vise les « secteurs présentant un potentiel de croissance élevé et une forte valeur ajoutée » et délaisse les secteurs traditionnels, qui jouent pourtant un rôle capital dans la cohésion du tissu social et sans lesquels aucune politique solide et structurante de développement ne saurait être menée à bien.
Enfin, cinquièmement, dans la communication, la Commission européenne appelle à l’intégration régionale des RUP. Or, si cet objectif est unanimement partagé, encore faut-il que les politiques européennes, notamment la politique commerciale, ne l’entravent pas, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui !
Telle est, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation délicate dans laquelle nous nous trouvons à la veille du Conseil européen sur le cadre financier pluriannuel. Nous espérons vivement que notre prise de position viendra en appui des démarches du Gouvernement à un moment crucial des négociations en cours.