Intervention de Louis Nègre

Réunion du 19 novembre 2012 à 21h30
Débat sur les inondations dans le var et le sud-est de la france en novembre 2011

Photo de Louis NègreLouis Nègre :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, avant d’aborder le fond de ce sujet préoccupant, qui concerne la majorité des communes de France, je voudrais me féliciter du travail constructif que nous avons pu réaliser avec le rapporteur. Bien que nous ayons des convictions politiques différentes, l’intérêt général a prévalu, ce qui nous a permis d’établir un rapport ayant été approuvé à l’unanimité des membres de la mission commune d’information.

Sur le fond, mon discours s’articulera selon trois points.

Premièrement, les inondations sont un phénomène météorologique aléatoire, dangereux et coûteux. En effet, les inondations, dans leur globalité et, plus spécifiquement, celles à cinétique rapide du sud-est de la France, constituent un phénomène ancien, aléatoire mais récurrent.

La mission commune d’information a ainsi pu constater que les inondations étaient en fait beaucoup plus nombreuses, sur un territoire donné, que ne le suppose l’inconscient collectif.

Ces inondations sont dangereuses. La crue de juin 2010 qui s’est produite dans le département du Var a causé la mort de vingt-trois personnes. Elle se classe au quatrième rang des inondations meurtrières qui ont touché la France depuis 1987, provoquant la mort de 153 personnes au total.

À ce bilan humain désastreux s’ajoutent des coûts très lourds, les dommages s’élevant à plus de 1 milliard d’euros.

Ce constat extrêmement préoccupant s’est accompagné de la découverte, dans le cadre de notre mission, de ce que j’appellerai les « surprises » d’un dossier particulier.

En effet, nous avons constaté avec étonnement que, malgré la survenue, sur un territoire donné, d’inondations récurrentes, il existait, face à ce phénomène bien réel, une amnésie collective tout aussi réelle.

C’est ainsi que, entre 1948 et 1969, le Var a connu plus de quinze inondations significatives, soit, en moyenne statistique, une tous les quatre ans. Or ni la mémoire collective ni celle des pouvoirs publics n’ont réellement intégré dans leur politique de prévention cette réalité. Est-ce étonnant, quand on constate que la philosophie dominante dans notre pays, à travers les siècles, est d’une rare constance dans le déni des risques naturels majeurs ?

Descartes, dans son Discours de la méthode publié en 1637, écrivait : « On peut trouver une pratique […] et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Cet orgueil démesuré, nous le retrouvons dans un discours qu’a prononcé, en 1857, Napoléon III devant la Chambre des députés : « Je tiens à honneur qu’en France, les fleuves rentrent dans leur lit. »

Une autre surprise, pour les membres de la mission commune d’information, tient à la non-prise en compte des avertissements des spécialistes. C’est ainsi que le Conseil général des ponts et chaussées indique, dans son rapport du 5 avril 1989, que la catastrophe de Nîmes peut se reproduire dans d’autres villes. Ce rapport cite notamment Vaison-la-Romaine, qui subira une inondation tragique en 1992, et Draguignan, dans le Var, qui sera dramatiquement inondé en 2010. Cela avait été écrit noir sur blanc en 1989 !

Tout cela confirme que, trop souvent, ces risques naturels, qui peuvent devenir majeurs pour certains territoires, ne sont pas pris en compte à leur juste mesure, voire qu’ils sont ignorés, sinon niés, par les populations et les pouvoirs publics.

Cette attitude consistant à ne pas regarder la réalité en face ne permet pas de mettre en place une politique réaliste et efficace face au risque d’inondation.

Ce parti pris plus ou moins conscient est d’autant plus regrettable que la mission commune d’information a constaté qu’il existe aujourd’hui des contre-exemples montrant que, à partir du moment où l’on prend réellement conscience du risque d’inondation, on peut bâtir des politiques d’une grande efficacité pour aménager un territoire largement urbanisé.

En France, l’exemple du village de Sommières, que notre rapporteur vient de rappeler, confirme l’efficacité et la pertinence d’un plan d’intervention gradué, dans la mesure où aucune victime n’a été à déplorer dans cette commune depuis 1933, alors même qu’une inondation y survient en moyenne tous les deux ans et demi !

Dans le même esprit, aux Pays-Bas, dont nous gagnerions, madame la ministre, à nous inspirer, la politique de lutte contre les inondations fait une place majeure à la prévention : des ouvrages de protection des populations ont été construits sur la base d’une fréquence de retour de 10 000 ans pour la partie la plus peuplée du pays, tandis que, chez nous, on se borne souvent à prendre en compte les crues décennale ou cinquantennale, tout au plus la crue centennale ! Aux Pays-Bas, il existe même un modèle établi à l’horizon de 100 000 ans !

La démarche néerlandaise repose sur une vision d’ensemble qui détermine des objectifs ambitieux. En face, madame la ministre, l’État a dégagé les moyens nécessaires pour que le pays ne connaisse plus une catastrophe comme celle de 1953, qui avait causé la mort de 1 800 personnes.

Ce survol particulièrement rapide du sujet nous a conduits, M. le rapporteur et moi-même, à définir, selon cinq orientations principales, vingt-deux propositions concrètes, subdivisées en près d’une centaine de recommandations.

Dans le cadre de cette vision globale, j’ai choisi d’insister ce soir sur trois recommandations qui me paraissent particulièrement importantes pour que la France puisse se doter demain d’une politique plus efficace face aux inondations qui affectent régulièrement son territoire.

En premier lieu, il convient de développer la culture du risque, notamment en associant bien davantage à cette politique la population et les maires des communes concernées, afin de pouvoir susciter une mobilisation générale et constructive, à l’image de la démarche qui a été mise en œuvre à Sommières pour organiser une protection efficace des personnes et des biens. Parallèlement, il faut améliorer le dispositif de prévention et d’alerte ; dans ce domaine, madame la ministre, il y a du travail !

Le développement de cette culture du risque passe également par le maintien, absolument indispensable, de la mémoire des inondations, au moyen d’un outil aussi simple que peu coûteux : les indicateurs de crues, qu’il faudrait installer sur les principaux bâtiments publics.

La ville dont je suis le maire, Cagnes-sur-Mer, est jumelée avec Passau, en Bavière, où des traits sur la façade de l’hôtel de ville figurent la marque haute des crues du Danube depuis 1528. Cela permet de maintenir dans la mémoire collective, à travers les générations, le souvenir des inondations du passé. Les habitants de Passau, comme ceux de Sommières ou des Pays-Bas, se sont totalement adaptés : lorsque l’eau monte, ils évacuent le rez-de-chaussée et s’installent à l’étage ; puis, quand l’inondation a reflué, les activités économiques reprennent, sans que l’on ait eu à déplorer aucune mort.

En deuxième lieu, madame la ministre, nous proposons que les pouvoirs publics, c’est-à-dire l’État et le Parlement, définissent une véritable politique de lutte contre les inondations fondée sur une conception d’ensemble assortie d’un financement adéquat, selon un plan s’inspirant du modèle néerlandais en termes de pragmatisme et de vision à long terme.

En troisième lieu, nous recommandons de créer des établissements publics territoriaux de bassin, des EPTB, ou des établissements publics d’aménagement et de gestion de l’eau, des EPAGE. Le rapporteur et moi-même proposons de rendre cette création obligatoire pour tous les bassins versants, dans un délai de trois ans, sur l’initiative des collectivités territoriales ou du préfet. Une ressource affectée nouvelle permettrait la mise en place des mesures concrètes, mais sans doute coûteuses, que requiert la lutte contre les inondations.

Telles sont, madame la ministre, chers collègues, les trois propositions particulièrement importantes que je souhaiterais voir prises en compte et mises en œuvre par le Gouvernement, afin qu’une suite tangible soit donnée au rapport de notre mission commune d’information.

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